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Quand en 1912 le Protectorat est instauré au Maroc, la F.M. est
installée à
Tanger depuis près de cinquante ans, ayant contribué dans la
mesure de ses moyens à la
pénétration européenne dans ce pays.
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cette date "La Nouvelle Volubilis" est au cœur de tous les problèmes, au
point d’attache des représentations diplomatiques et des milieux
économiques, à l’écoute de tout ce qui vient de l’intérieur. 1912 année
de plénitude pour cette loge du GODF avec sa cinquantaine de membres ;
même si les passages restent nombreux, soit vers l’étranger comme Nessim Cohen pour l’Argentine, soit vers le Tonkin comme Durel et
Petitjean, soit vers la zone française comme Prise d’Avesnes pour
Mogador où, accueilli par le F:. Sandillon également venu de
Tanger, il crée la première école française. La loge a le sentiment
d’être à l’avant-garde d’une implantation progressive !
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Son rayonnement bénéficie de ses bons rapports avec l’obédience
espagnole qui l’héberge. Sur le plan profane elle regroupe, comme
l’obédience espagnole, des personnalités de la communauté tangéroise :
le F:.
Gautsch représentant du puissant Groupe Schneider,
président du syndicat des intérêts français au Maroc et de l’Alliance
Française, Lalaurie, industriel et Conseiller du commerce Extérieur,
Perrier, créateur de l’école française et président de la Mission
Laïque, de la Ligue de l’Enseignement, Pacreu, vice-président de l’Union
des Travailleurs Français... La loge possède en outre son propre journal
Le Petit Marocain et peut compter sur le F:. Hubert
Jacques pour répercuter ses prises de position dans Le Matin en
France. Sans oublier l’audience dont elle jouit à Paris auprès du
Conseil de l’Ordre.
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En 1912, la grande question est la mise en place du Protectorat. Le 16
mars, alors que Regnault quitte Tanger pour signer à Fès le Traité du
Protectorat, une très longue lettre est adressée par la loge au GODF
avec double à la GLDF. L’attaque contre la légation n’est pas nouvelle,
mais alors que jusque là le reproche était que la légation bridait la
pénétration du capital français, c’est maintenant les avantages offerts
au grand capital qui lui sont reprochés. Le F:. Gautsch ne peut
s’opposer à cette évolution liée à l’arrivée de nouveaux venus : "Nous
vous demandons de combattre énergiquement la candidature de M. Regnault
au poste de Résident Général... il a pour ami et confident un brasseur
d’affaires, M. Robert-Raynaud très connu dans le parti colonial... On
peut acheter par exemple un domaine de 30.000 hectares, mais qu’un petit
capitaliste demande l’aide de la Légation pour lui faciliter la création
d’une petite propriété [et cela devient impossible]... M. Regnault n’est
pas républicain... il est soutenu par le ministre de la guerre M.
Millerand. Son défenseur dans la presse est le journal le plus
réactionnaire qui soit La Liberté. Il a tout fait pour nuire aux
F:.M:. de Tanger connus de lui...".
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Le 30 mars est signé le traité du Protectorat, mais le 17 avril
l’émeute éclate à Fès où se trouve encore M. Regnault. Le gouvernement
Français, après avoir hésité, préfère Lyautey à Damade comme Résident
Général. Cette nomination ne comble pas d’aise les FF:. mais
l’éviction de Regnault l’emporte sur le moment. D’autant plus que le F:.
Hubert, présent à Fès en tant que correspondant du journal Le Matin,
informe la loge de l’assassinat du F:. Bringau, ingénieur
particulier du Sultan, et de son épouse. Ce récit le F:. Hubert
le reprendra dans un ouvrage fort lu Les journées sanglantes de Fez
où il rend Regnault responsable des événements.
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La guerre met un terme à la période de plénitude de la loge. En novembre
1914, le vénérable Perrier écrit : "Situation tragique... tous nos FF:.
sauf trois sont mobilisés"... En janvier 1915, "je ferai de mon mieux
étant mobilisé sur place"... En septembre 1918, "impossible de nous
faire représenter au convent". En juillet 1919, "la loge n’a pas encore
pu reprendre ses activités". Difficultés que n’ont pas les Espagnols
qui, en 1917, sortent leur journal Fiat Lux.
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Ce n’est qu’en décembre 1920 que les colonnes sont relevées. Afin
d’éviter des frais de local "nous travaillerons dans le même local que
les loges espagnoles et italiennes". Une commission réunira les
représentants de : "La Nouvelle Volubilis" du GODF, "Morayta", "Minerva"
et "Abd el Aziz" toutes trois du GODE, "Concordia" du GOD’Italie.
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La loge retrouve aussitôt son attitude critique à l’encontre de la
politique française menée au Maroc. Mais la question du Protectorat
laisse place au problème "du statut spécial de Tanger" et à "la défense
de la masse indigène exploitée et isolée par des spéculateurs qui ont
réussi, avec la complicité des pachas et des ministres de France qui se
sont succédé à Tanger".
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Dès le mois de mars 1921, un rapport est adressé à Paris "sur les
agissements de l’agence diplomatique à Tanger... les complaisances du
maréchal Lyautey envers le gouvernement espagnol et surtout le roi
d’Espagne... Notre tyranneau Lyautey caresse l’espoir de lui céder la
zone de Tanger".... En décembre 1921, c’est un nouveau rapport contre le
tribunal consulaire de France cette fois : "nous avons consigné notre
point de vue dans une brochure rédigée en plusieurs langues, que nous
avons répandue à près de 3.000 exemplaires".
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Pour les FF:. Tangérois il s’agit de s’opposer, en ce qui
concerne la zone de Tanger, aux tendances annexionnistes de l’Espagne et
indépendantistes de l’Angleterre. Contrairement aux craintes exprimées
par la loge, Lyautey s’est toujours opposé à ces demandes en défendant
l’intégrité de l’Empire Chérifien. Situation qui trouve son épilogue
dans la convention du 18 décembre 1923, signée à Paris, qui fait de
Tanger une ville chérifienne d’administration internationale. Ce qui
comble d’aise la loge de Tanger.
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La loge à cette date "a créé et dirige l’Alliance Française, le Foyer
Français, le Cercle Français, la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des
Droits de l’Homme, l’Union des Travailleurs... La mise en œuvre peut
compter sur L’Union Française de Tanger, organe de l’Union des
Travailleurs mais surtout sur Les Annales Tangéroises publiées
par Ch. Hodelin et où l’on retrouve des articles du Cri Marocain
de Casablanca ; on y prend à partie l’armée, l’église et on y réclame un
Résident civil.
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C’est alors que la loge va se retrouver au centre des préoccupations
avec
l’affaire du Rif, même si l’axe Rabat- Casa a pris de l’importance
auprès de Paris.
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Dès 1921, la déroute du général Sylvestre à Anoual face à Abd el Krim
inquiète Lyautey qui décide d’occuper les Beni Zéroual pour bloquer
l’extension de la poche rifaine. Les FF:., dont l’analyse est
propagée en France par le F:. Dunet, y voient une provocation. Un
rapport de la loge tangéroise du 8 décembre 1924 estime "la politique du
maréchal Lyautey désastreuse pour la France et catastrophique pour
Tanger. Cet homme est néfaste et son remplacement s’impose" ; rapport
qui reçoit l’aval du Conseil de l’Ordre : "nous tiendrons compte dans la
plus large mesure de ces renseignements et de ces suggestions ".
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Les FF:. Tangérois arguent que "l’Espagne n’ayant pu accomplir le
mandat qui lui avait été confié" pour demander que le Protectorat
Français vienne jusqu’à la zone de Tanger, elle-même enrichie de Ceuta.
"Un accord sur ce point avec Abd el Krim est impossible tant que Lyautey
est à Rabat"... "avec un nouveau Résident il est très probable que le
chef rifain reconnaîtrait la souveraineté du Sultan. Il suffirait que le
Sultan lui confiât le Khalifat de toute la zone dissidente dont
Tétouan...". Si la question rifaine n’est pas évoquée en séance plénière
du premier Congrès des Loges du Maroc en mars 1925 à Rabat, certainement
par prudence, par contre ce rapport tangérois est repris dans le n°16 de
L’Acacia de février 1925 en France. Le mouvement trouve un écho
favorable au Congrès des Loges du Sud-Ouest de la GLDF puis aux Convents
de la GLDF et du GODF en septembre. Ces critiques à l’encontre du
Résident Général vont participer de la décision de Painlevé de créer une
situation telle que Lyautey préfère démissionner en octobre, non sans
avoir sauvé au préalable Fès menacée.
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Le départ de Lyautey et l’arrivée de Steeg (considéré comme F\ de la GL)
à la Résidence sont concomitants de la création en juillet 1925 de la
loge "l’Union 543" à Tanger par la GLDF. Nom repris en souvenir de la
loge "Union 194" qui avait ouvert la voie dès 1867 pendant une dizaine
d'années.
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Le F:. Azancot, vénérable de "l’Union 543" de la GL, détient
l’autorisation par Abd el Krim de ravitailler les prisonniers dans le
Rif. Il lui est demandé par la Résidence de faire bénéficier de cette
autorisation M.Parent. Nouvel émissaire de Steeg qui a utilisé jusque
là le F:. Montagne du côté de Taourirt pour doubler l’action de
M.Gabrielli, le représentant désigné par Lyautey auprès de Abd el Krim.
Le F:. Auguste Montagne, appartenant à la GL et futur directeur
du "Cri Marocain", s'active dans le Rif sous couvert de négociations sur
le sort des prisonniers,. Il espère gagner Abd el Krim à la cause de la
France et jeter avec lui les bases d’une solide collaboration, dont les
grandes lignes ont été décrites dans le rapport de la loge de Tanger.
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Ces idées étant jugées dangereuses par l’entourage de Steeg, Auguste
Montagne est écarté au profit de Pierre Parent jugé plus docile. La
délégation Parent - Dr Gaud, rendue possible par l’intervention du F:.
Azancot, facilitera finalement la rédition d’Abd el Krim, "à la suite de
deux entretiens pathétiques avec le capitaine Suffren et le Lt de
Vaisseau Robert Montagne"… membre de la GLDF, comme son frère Auguste,
et futur professeur du Collège de France.
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Le F:. Carette-Bouvet salue cette action dans son journal Le
Cri Marocain du 6 mars 1926 : "Félicitations aux Français de la loge
de Tanger... filiale de la GL, qui, en un geste d’honnête et véritable
confraternité humaine, sut regrouper sous son égide, pour travailler
d’un commun accord, dans un esprit de concorde et de paix, Espagnols et
Français...".
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La question du statut de Tanger réglée, l’affaire rifaine en voie
d’apaisement, "La Nouvelle Volubilis " va rentrer dans le rang.
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Le second Congrès des Loges du Maroc à Casablanca en mars 1926 lui fait
sentir cette évolution. Son délégué regrette que l’affaire du Rif n’ait
pas été portée à l’ordre du jour du Congrès et demande que cette
question soit mise à l’étude des loges pour être discutée au Convent. Le
Congrès en reste au vœu d’une intervention énergique auprès du
gouvernement pour qu’une solution rapide soit trouvée... Au cours de ce
même Congrès Tanger n’obtient pas que les Congrès du Maroc soient fixés
à sa demande en raison de son éloignement. Ce qui fait que dorénavant la
loge de Tanger sera représentée par des FF:. d’autres Ateliers et
deviendra, de plus en plus, une lointaine nébuleuse dans le dispositif
des loges Françaises au Maroc.
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En fait, Tanger devient la plaque tournante de la F.M. Espagnole avec
les Loges du GOE , de la GLE et du Derecho Humano, dont les relations
sont intenses avec le Maroc Espagnol tout proche. Clef de voûte de cet
ensemble : le Chapitre "Samuel Guitta", du nom d’un F:.
tangérois, président honoraire de la Ligue des Droits de l’Homme et
pendant vingt cinq ans vénérable de la loge " Morayta n°284 ".
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La proximité du Maroc Espagnol fait que Tanger va suivre attentivement
la montée du fascisme. En 1936, la zone espagnole sert de base de départ
aux armées nationalistes de Franco et les loges de cette région vont
être balayées. Les réfugiés républicains affluent à Tanger ou bien se
dirigent vers le Maroc français où des triangles puis des loges vont
s’ouvrir. Mais à Tanger l’inquiétude règne dans les milieux maçonniques
car de nombreux fascistes espagnols viennent s’installer. Les loges
espagnoles se mettent en sommeil dès 1937-1938 avant que le GOE ne
prenne le chemin de l’exil pour Paris puis pour Mexico.
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Le 14 juin 1940, des méhallas khalifiennes, venues du Maroc Espagnol
occupent Tanger sous le prétexte d’y maintenir une situation normale.
Les deux loges d’obédience française, GO et GL, prennent alors les mêmes
mesures que les loges espagnoles quelques mois plus tôt et se mettent à
leur tour en sommeil. Elles ne font que précéder de quelques semaines
celles installées dans le reste du Maroc, sous Protectorat Français.