LA FRANC-MAÇONNERIE en AFRIQUE FRANCOPHONE 1781 - 2000 Avant la troisième République (1870) |
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CHAPITRE PREMIER
Franc-Maçonnerie coloniale
avant la IIIe République
Dès 1781 première loge au Sénégal
Après 1830, implantation du GODF en Algérie sous la Monarchie de Juillet
1848, la Seconde République ne ralentit pas l'essor maçonnique
1851, le Second Empire : la GLDF prend pied en Algérie
L'implantation en Afrique Méditerranéenne.
. Dès 1781 première loge au Sénégal
C’est en Afrique sub-Saharienne, au XVIIIe siècle, que commence l’aventure maçonnique Française en Afrique
Le
9 mai
1781,
le
premier Atelier de la
Grande Loge de France s’installe à
St Louis du Sénégal, sous le nom
initial de loge « St Jacques des vrais amis rassemblés »,
devenu aussitôt «.St Jacques des
trois vertus ». Le contexte va se prêter à la réussite de cette
implantation : les Anglais ont été repoussés de l’embouchure du
fleuve Sénégal, le commerce de la gomme prend progressivement le pas
sur la traite des esclaves et favorise l'arrivée de négociants
Français.
Mais qu’en est-il de cette loge, de son Vénérable J. Jacques Chorier et des membres qui la composent ? La loge (1781-1787), dont le VM∴ était marchand tapissier à Paris, s’adresse à des expatriés. Ils viennent de la petite garnison ou de l’amorce d’administration de la ville naissante, mais aussi du monde du commerce lié à la compagnie du Sénégal ; éléments auxquels s'ajoutent quelques négociants établis à leur compte. Par contre, la question demeure de savoir si les gouverneurs de l’époque, le Chevalier de Boufflers puis Blanchot de Vely, ont été Francs-Maçons. Quoiqu'il en soit l'effectif est réduit.
Le prototype de la présence maçonnique en Afrique, dès le départ est exposé, sous nos yeux : militaires, commerçants, fonctionnaires, aucun Africain. C'est le schéma directeur pour de longues décennies ; l'absence d'Africains plus précisément se prolongeant jusqu’en 1960. Longue période où il faut donc parler de « Franc-Maçonnerie en Afrique » ou de « Franc-Maçonnerie coloniale » et non de Franc-Maçonnerie africaine.
Ce premier essai d’implantation maçonnique est suivi, toujours à St Louis, d’une nouvelle tentative en 1823, sous l’égide du GODF cette fois. Avec l’allumage des feux de « La Parfaite Union » sur laquelle, dès 1824, vient se soucher -.démarche quasi automatique à l'époque - le premier Chapitre en Afrique, portant d'ailleurs le même nom que la loge.
Les caractéristiques relevées précédemment se confirment. Sur le plan de la composition sociologique d'abord : le gouverneur du Sénégal, cette fois avec certitude, le baron Roger, quelques officiers, un négociant… Sur le plan de l’organisation ensuite : la délégation donnée à un F∴ définitivement rentré en métropole pour assurer le courrier et son suivi devient un élément essentiel à la communication de cette loge avec Paris. Procédé désormais classique : les loges coloniales, compte tenu des distances, auront, la plupart du temps, recours à cette délégation faite à un F∴ résidant en métropole, de préférence à Paris ou dans un port.
S’il est utile de positionner ainsi la loge sur le plan sociologique et organisationnel, il n’est pas moins intéressant de se pencher sur les idées propagées par ces FF∴, dont le représentant se trouve être le gouverneur.
Protégé de l’influente Mère Supérieure de la Congrégation des Sœurs de St Joseph installée à St Louis, le baron Roger s’attache à développer son projet qui, à l’inverse de ce qui se fait sur place, favorise l’agriculture comme facteur de développement en mettant le commerce comme auxiliaire. Pour la main d’œuvre, il met en place « l’engagement à temps » qui est en harmonie avec ses idées abolitionnistes.
C’est également sous son impulsion que commencent à être formés les premiers éléments d’une élite africaine moderne et catholique, dans trois écoles religieuses gérées par les bonnes sœurs de St Joseph. Une dernière touche sur le personnage par une citation puisée dans ses écrits : « On doit attribuer les difficultés qu’éprouvent les Européens, pour pénétrer dans l’intérieur, à leurs préjugés de domination et de supériorité ». Certains historiens estiment que le Baron Roger, défenseur des Africains et anti-esclavagiste dans la lignée du F∴ Schœlcher, doit être considéré comme le précurseur de l’œuvre de Faidherbe.
Après le départ du Baron Roger, la loge « La Parfaite Union» poursuit ses travaux. Le nombre des FF∴ est stable de 1824 à 1829. Son fléchissement, en 1830, est peut-être lié à la Révolution en France, sans que cela soit certain.
La reprise des effectifs est très nette entre 1834 et 1837 grâce à l’admission de négociants de St Louis ; qu’ils soient Bordelais, car la ville est fortement liée à Bordeaux économiquement, ou métis. Les noms des FF∴ sont représentatifs de ces groupes : Prom face à Pellegrin, Crespin, Valantin.
Cette loge disparaît sans laisser de traces au moment même où elle semble la plus prospère, en 1837. Il n’y aura plus de loge en activité au Sénégal pendant près de quarante ans.
Mais au moment même où s’estompe la présence maçonnique à St Louis un nouvel horizon s’ouvre aux loges, en Algérie.
Après 1830, implantation du GODF en Algérie sous la Monarchie de Juillet
Si le débarquement s’opère en
1830, c’est
seulement fin 1831 que la première loge s’installe à
Alger. Il
s’agit de la loge militaire du 10° régiment d’infanterie légère,
loge constituée sous le nom, révélateur de l’influence des FF∴
corses en son sein, de « Cimus »,
loge dont les activités sont très intermittentes.
En dehors de ces loges militaires souvent itinérantes et toutes temporaires, les loges initiales du GODF ne vont pas tarder d’allumer leurs feux sur la côte, comme une sorte de jalonnement signalant la progression de la colonisation en territoire algérien :
Mai 1833 « Bélisaire » à Alger. La loge se place sous la responsabilité du F∴ général commandant la place d’Alger. Elle rassemble, parmi les membres fondateurs, surtout des officiers et quelques commerçants. Le rapport militaires / civils s'inversera par la suite, comme partout ; mais pour le moment les militaires ont largement la majorité.
Juin 1833 « Ismaël » à Bône. La liste des membres fondateurs de la loge est très largement composée d’officiers avec un seul commerçant. Dans la mesure où dans cet atelier cette disposition sociologique tend à se prolonger dans le temps, il en résulte une certaine instabilité causée par le nombre de FF∴ qui ne sont que de passage selon leurs affectations de poste.
Juin 1836 « l’Union Africaine » à Oran, dans une ville à moitié ruinée par un tremblement de terre violent, l'atelier installé ne déroge pas à la règle qui veut que les militaires forment le groupe dominant.
Dans cette avant-garde, quasiment militaire, cantonnée un instant sur la côte algérienne, c’est « Bélisaire » qui s'impose : un chapitre installé dès 1835 ; un Conseil Philosophique en 1840 ; un effectif qui, dans les années 40, va tourner autour de cent trente membres. Tout est réuni pour lui donner cette importance reconnue de tous.
La loge d’Alger, dans la logique de ce rayonnement, joue donc le rôle de loge-mère par essaimages successifs : à Blida en 1844 « les Frères de l’Atlas », à Cherchell en 1845 « Julia Caesarea».
Cependant l’Oranais lui résiste : à Mostaganem en 1844 « les Trinosophes Africains » sont installés sous l’égide de la loge d’Oran.
Pendant toute la période de la Monarchie de Juillet, le GODF poursuit sa progression en créant des loges sur l’ensemble du territoire qui s’ouvre devant lui. En ce sens, les FF∴ expatriés en Algérie sont encore plus dynamiques que ne le sont ceux de France.
Au total, le nombre des Francs-Maçons va donc régulièrement progresser :
- en 1833 ils sont 80 FF∴
- en 1851 ils sont 850, record avant la III° République
Dans cet ensemble maçonnique algérien, il est à remarquer que prêtres et nobles sont absents. Par contre, il se confirme que militaires et commerçants composent les loges. Simple reflet de la société locale du moment dans ce tout début de la colonisation de l’Algérie.
Les militaires, largement majoritaires durant les années initiales, vont s’effacer.
En premier lieu « mécaniquement », pourrait-on dire, en raison de l’arrivée croissante de civils dans le monde profane. En second lieu « réglementairement » sous l’effet de la circulaire Soult, du 5 juillet 1845, qui interdit l’entrée des militaires dans toute association et par voie de conséquence dans la Franc-Maçonnerie. En tout état de cause, 1845 marque la fin d’une relation très forte entre l’armée d’Algérie et la Franc-Maçonnerie.
A partir de cette date, les tableaux de loges démontrent que les civils prennent en charge les ateliers : des fonctionnaires, des négociants, des entrepreneurs, des professions libérales, des propriétaires (s’agit-il de colons ou de propriétaires d'immeubles urbains ?). Le phénomène en cours se précise encore davantage dans les ateliers supérieurs.
Tout l’éventail social n’est pas représenté, loin s’en faut. Sélection par l’argent ? Certainement, car créer un atelier et le faire vivre coûte cher. Sélection par le niveau d’instruction ? Sans aucun doute, car la Franc-Maçonnerie se veut une élite sociale et culturelle de langue française.
Par leur position sociale les Francs-Maçons jouent un rôle certain dans la cité, qu’ils soient à la Chambre de Commerce, au Tribunal de Commerce, à la Société agricole, Consuls de pays étrangers, gros entrepreneurs ou commerçant de la place.
Les FF\ sont attachés à une « religion universelle » et condamnent tout fanatisme.
Aussi les loges entretiennent-elles, à l'instar de celle de St Louis du Sénégal, de bons rapports avec les autorités civiles et religieuses, comme si, dans ce dernier cas, les condamnations du Vatican étaient sans portée. A tel point que l’image donnée dans la population européenne est celle d’une société de bienfaisance.
En ce qui concerne la population musulmane, toute image, même celle-là, est absente puisque l’existence de la Franc- Maçonnerie y est profondément ignorée.
1848, la Seconde République ne ralentit pas l'essor maçonnique
La Révolution de 1848 et la Seconde République, en Algérie comme en France, soulèvent un enthousiasme maçonnique vite réfréné par la loi du 28 juillet 1848 à l’encontre des sociétés secrètes. Suivent des perquisitions qui pèsent sur l’évolution des ateliers ramenés à moins d’expression politique.
La majorité des FF∴ attachés à un esprit religieux et à une action de bienfaisance a, par le fait même, le dernier mot momentanément. Situation qui permet aux ateliers d’échapper à la fermeture prescrite, par la loi du 19 juin 1849, à l’encontre des clubs et sociétés secrètes. A ces temps d’incertitude politique se surajoute une grave crise économique. Depuis trois ans déjà l’agriculture algérienne est au bord du désastre et les prix flambent. En complément le choléra fait son œuvre.
Et pourtant le nombre de loges s’accroît : de 10 loges et 450 FF∴ en 1847 le GODF passe à 16 loges et plus de 700 FF∴ en 1850. La composition sociale reste la même que sous la Monarchie de Juillet, à cela près que les FF∴ ont de plus en plus des profanes initiés en Algérie.
1851, le Second Empire : la GLDF prend pied en Algérie
Avec le coup d’état de décembre 1851 et la mise en place du Second Empire, le nombre des loges et des FF∴ devient plus mouvant (chute des effectifs entre 1852 / 1856 – stagnation 1856 / 1857 – régression à nouveau 1857 / 1864 et reprise 1864 / 1870). Au total, à la fin du Second Empire, le nombre de 600 FF∴ n’a pas retrouvé l’importance de celui de 1851.
A cette mouvance des effectifs il faut ajouter celle des localisations : sept loges disparaissent tandis que sept autres se créent ou se réveillent. Au total, de 1852 à 1870, le nombre de loges du GODF en activité varie de huit à douze. A quoi s'ajoutent les chapitres d’Alger, de Bône, de Constantine, d’Oran. A quoi s'ajoute le Conseil Philosophique d’Alger jusqu’en 1856, celui d’Oran étant éphémère en 1858. Enfin, pour compléter ce tableau changeant, une évolution notable se manifeste progressivement dans les loges : d'une part, l'attrait du libéralisme politique s'affirme et, d'autre part, le courant anticlérical gagne du terrain avec une méfiance profonde à l'égard de toutes les religions.
La GLDF, pour sa part, allume en 1853 à Alger les feux de sa première loge, mise en sommeil à peine créée. La seconde loge «.Les Frères Unis du Chélif » s'ouvre en février 1856 à Orléansville sous l'impulsion de transfuges du GODF. Schéma qui se reproduira souvent par la suite en Algérie, et ailleurs en Afrique. Quoi qu'il en soit, les conditions générales de l’Algérie, surtout dans cette région, expliquent la fermeture de l’atelier en question dès 1866. Par contre, sa troisième loge « Les Hospitaliers», fondée en décembre 1861 à Constantine, va résister et se maintenir, montrant la voie aux autres loges de la GLDF.
L'implantation en Afrique Méditerranéenne
La Franc-Maçonnerie au Sénégal et en Algérie n'est pas un phénomène isolé. Il est représentatif de cette époque où la Franc-Maçonnerie européenne dans son ensemble et la Franc-Maçonnerie française en particulier développent leur action en Afrique méditerranéenne : Égypte, Tunisie, Maroc.
En
Égypte il est admis que la
Franc-Maçonnerie est arrivée dans les bagages des armées de
Napoléon, sous le Directoire.
En effet, pendant l’ère napoléonienne,
aux loges militaires ont succédé à Alexandrie les loges «
La Bienfaisance » en 1802 et «.Les
amis de Napoléon » en 1806, loges
pionnières en quelque sorte.
Pendant la Monarchie de Juillet, les FF\du GODF ouvrent en 1832, à Mansourah, la loge « Les amis du Progrès » et en 1847, à Alexandrie, « Pyramides d’Égypte ».
Sous le Second Empire, si le GODF allume les feux de trois nouvelles loges dont une au Caire, la GLDF se développe vers Port-Saïd, Ismaïlia, Suez, le Caire ; tout cela à partir de sa loge «.Les Régénérateurs d’Égypte 166 » créée à Alexandrie en 1862. Ά ces loges bleues vient se superposer le chapitre n°18.
Les loges anglaises arrivent sur le sol égyptien au même moment que la GLDF. La Grande Loge Unie d’Angleterre met en place sa première loge « Saint John’s 1221 » en 1862 à Alexandrie, suivie de sept autres, en moins de six ans, réparties entre le Caire et Alexandrie décidément promue grand centre de la Franc-Maçonnerie égyptienne.
En
Tunisie, si l'on excepte l'hypothétique « Amis Fidèles du
Grand Napoléon » sous l'égide de la Loge Mère de Marseille, il
n’appartient pas aux obédiences françaises d’initier la voie. Dès
1824, la loge anglaise « The Ancient Carthage » marque le
pays de son passage. Puis, en 1831, c’est au tour des loges
italiennes. Le soulèvement de Gênes a provoqué un afflux d’exilés
politiques qui, sur le littoral tunisien, se réunissent dans des
loges de leur création. C'est un élément non négligeable de
l'influence européenne dans ce pays comme dans les autres.
D’ailleurs le Vénérable de la loge « Perseveranza » fonde,
après plusieurs écoles primaires, le premier collège secondaire
italien en Tunisie.
Ce n'est qu'en 1861 que le GODF ouvre sa première loge sur le sol tunisien : « Persévérance » devient par le fait même la première loge francophone dans ce pays. Implantation à laquelle répond très vite, en 1862, la GLDF par l'allumage des feux, à Tunis également, de la loge « Segretezza 165 ». Cette double création, révélatrice de la vive opposition qui existe entre les deux obédiences françaises, même à l'extérieur, ne peut faire oublier que la présence italienne en cet instant est prépondérante en Tunisie.
Au
Maroc, c'est à Tanger - seule ville du Royaume Chérifien où
les Européens et principalement les délégations étrangères sont
autorisées à résider - que s’installe la doyenne des loges
francophones dans le pays. Loge dont l’allumage des feux correspond
à la pleine expansion économique du Second Empire et aux efforts de
scolarisation des séfarades marocains par l’Alliance Israélite
Universelle sous la houlette de son président Brunswick. Dès
1867,
Haïm Benchimol,
drogman de la Légation de France, directeur de
l’influent journal Réveil du Maroc, directeur de la banque
Transat, membre fondateur de l’Alliance Israélite Universelle et de
l’Alliance Française au Maroc, correspondant des Compagnies
Maritimes et de l’agence Havas, devient président fondateur de la
loge maçonnique de Tanger. Fondée par les juifs protégés ou
naturalisés Français, cette loge connaît un grand succès et elle
reçoit l’élection de
Crémieux, en 1870, comme un triomphe. La loge,
au demeurant, agit comme un puissant facteur d’européanisation,
appuyée par les loges espagnoles qui vont se multiplier. Si
l’opinion publique et le consulat attribuent cette loge au GODF,
elle est en fait de la GLDF sous le nom de « L’Union du Maroc 194
» et reste opérationnelle pendant prés d'une décennie.
A l’évidence, le tableau général de la Franc-Maçonnerie francophone en Afrique avant 1870 est révélateur d’un mécanisme d'implantation maçonnique dans les colonies. Il accompagne et conforte le mouvement économique et politique par une intervention qui lui est propre : la pénétration des idées européennes sur ce continent.