LA FRANC-MAÇONNERIE

 

en

 

AFRIQUE  FRANCOPHONE

 

1781 - 2000

 

Indigènes dans la Franc Maçonnerie

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   Odo Georges
 

 

 

CHAPITRE  V

 

Les « indigènes »

dans la Franc-Maçonnerie

 

 La place des Indigènes dans la Franc-Maçonnerie avant 1870

 La place des Indigènes dans la Franc-Maçonnerie après 1870

Les Loges et l'indépendance des colonisés

 

 

 

Tout au long de la période coloniale, l'intérêt porté par la FM\ aux « indigènes » ne se dément pas. Nombre de leurs travaux en loges, en Congrès, abordent des sujets les concernant. Dans de telles conditions se pose très naturellement la question sur la place accordée à ces indigènes dans les rangs de la FM.

 

 

La place des Indigènes dans la Franc-Maçonnerie avant 1870

 

La Franc-Maçonnerie de cette époque est imprégnée d'un credo : la morale évangélique peut avoir une valeur universelle si elle n'est pas prisonnière d'une Eglise. C'est donc dans le cadre maçonnique que cette morale évangélique peut librement s'épanouir et avoir cours. La Franc-Maçonnerie transcende le temps et l'espace en permettant à des FF\ de confessions différentes de se rencontrer.

 

- En Afrique sub-saharienne, c'est dans ces limites que, chronologiquement, la question se pose d'abord pour le Sénégal. Or, la première loge de St Louis, au XVIII° siècle, s'est contentée de FF\ venus de France et installés temporairement au Sénégal. La seconde en 1823, si elle a ouvert ses portes aux métis St Louisiens catholiques, n'a pas recruté de Sénégalais musulmans. Les raisons n'en sont pas claires : manque d'esprit d'ouverture de la part des FF\européens angnostiques ou athées ? opposition des FF\ métis catholiques ? Apprentissage plus tardif de la langue française par la population sénégalaise ? Manque d'intérêt de la part de musulmans sous l'influence d'un islam maraboutique ?

 

- En Afrique Méditerranéenne, effectivement,   l'exemple de l'Egypte tend à prouver que Maçonnerie et Islam peuvent ne pas éprouver de difficultés fondamentales à coexister. La multiplication des loges, l'essor de la Grande Loge Nationale avec le concours du Khédive, ou d'un proche, se fait en terre d'Islam avec la participation de musulmans.

 

En Algérie, les FF\ fondateurs de la Franc-Maçonnerie estiment, quant à eux, qu'elle pourrait servir à « amalgamer les Arabes, les Kabyles, les Turks et les chrétiens ». L'assimilation  est aux yeux de ces FF\« la civilisation et par conséquent le seul but légitime de la conquête ».

 

Pour amener à la Franc-Maçonnerie les musulmans, sous l'égide du Grand Architecte de l'Univers,  plusieurs voies ont été proposées à partir de 1839 :

 

La première suggestion est sélective. Elle avance qu'il faut «.attirer à l'Ordre ceux des indigènes qui par l'influence de leurs fonctions » peuvent jouer un rôle dans la cité. La sélection est étayée par l'obligation faite de parler Français, langue pratiquement ignorée par une large partie de la population musulmane.

 

La seconde suggestion élargit le champ. Les FF\ indigènes devraient posséder le Français et l'Arabe et, dès qu'ils seraient assez nombreux, ils constitueraient une loge particulière. Avec le temps il était prévu que les ateliers arabes deviendraient les foyers de la civilisation africaine.

 

En 1839, précisément, est initié le premier musulman en Algérie : Sidi Hamed par « les Frères Numides » de Bougie. Ce F\ assure les fonctions de second expert dans la loge alors qu'il est imam des mosquées de Bougie et grand muphti.

 

Pendant cette période, l'ensemble des tableaux de loges donnent un total d'environ une quarantaine de FF\musulmans, ce qui constitue un noyau conséquent par rapport au total de sept cents FF\ sous les colonnes. Il est net que la composition s'apparente à celle des FF\ européens, ce qui n'est pas fait pour surprendre dans un mode de cooptation. Par contre, il faut souligner que le Constantinois est plus ouvert aux musulmans que le reste de l'Algérie. La loge de Bougie est d'ailleurs une des loges les plus actives en matière de rayonnement maçonnique chez les musulmans. Mais  ce sont les FF\ de Bône qui ont le mieux réussi auprès des musulmans, peut-être en raison d'un intérêt plus grand porté dès le départ à ce problème, comme le laisse supposer le nom « Ismaël » choisi pour leur loge.

 

Dans un discours solsticial de 1865, un F\ musulman inscrit parfaitement dans la philosophie de la Franc-Maçonnerie du moment la portée de son acte d'adhésion : « Ά Dieu ne plaise que je veuille ici renier la religion de mes pères. Ma religion, toute bonne et excellente qu'elle est, ne m'impose pas d'aimer tous les hommes à quelque religion qu'ils appartiennent, tandis que la Maçonnerie veut que nous aimions tous les hommes, quel que soit leur culte… Cette seule pensée de l'universalité des hommes me console et m'élève ».

 

 

La place des Indigènes dans la Franc-Maçonnerie après 1870

 

Les temps changent : un nouvel idéal reposant essentiellement sur la laïcité, sinon sur la libre pensée, l'emporte dorénavant.

 

- En Afrique sub-Saharienne l'admission de trois Sénégalais, en 1882, se fait à contre courant de l'évolution en cours. C'est sur l'intervention personnelle d'un F\ métis influent, l'un des rares à préconiser un rapprochement avec la communauté musulmane, que la loge de St Louis, troisième dans le temps, recrute ces trois musulmans. Opération sans lendemain car ce F\ métis se retire au moment où le durcissement anti-clérical s'accroît dans la loge. Comme les autres  métis St Louisiens, catholiques, il s'éloigne ; la nouvelle maçonnerie n'est plus la leur. Finalement il n'y a plus de métis St Louisiens et la présence remarquable du F\ Blaise Diagne ne doit pas faire illusion sur la présence de Sénégalais dans  les loges du Sénégal. Cette absence africaine, liée aux mécanismes en place, sera une réalité pendant toute la période coloniale.

 

Au début du siècle, les FF\ de St Louis du Sénégal expliquent  au Conseil de l'Ordre que s'il n'y a pas de Sénégalais ou de métis c'est qu'aucune demande d'admission ne leur parvient de la part de ces catégories sociales. Phénomène aggravé par leur propre refus opposé aux rares candidats. En effet, les FF\ mettent l'accent sur l'absence d'instruction des Sénégalais dont «.le niveau est, au mieux, celui  du certificat d'études primaires et par voie de conséquence ne possèdent pas l'instruction suffisante, pour leur permettre la compréhension des enseignements maçonniques…. D'ailleurs, au point de vue social, les magistrats appelés à les juger, les considèrent comme de grands enfants et, par suite les tiennent en partie pour irresponsables… En outre la presque totalité d'entre eux ne possède que des moyens d'existence absolument insuffisants ». Les métis, pour leur part, sont soupçonnés d'ambition : « cette catégorie de profanes ne cherche à pénétrer chez nous que pour satisfaire son orgueil et faire de la Maçonnerie un tremplin pour sa situation profane, en un mot ils viennent à nous que pour en tirer bénéfice ».

 

Absence africaine qui s'étend à tous les Orients de l'AOF et de l'AEF, toutes obédiences confondues. L'explication du phénomène par la méconnaissance de la langue française, du manque d'instruction, ne résiste plus après une génération formée dans les écoles du colonisateur. Mais il se trouve qu'une bonne partie des nouvelles élites africaines a été formée, a appris le Français dans des écoles religieuses et qu'elle est par voie de conséquence peu attirée par l'adversaire désigné de l'Eglise, adversaire qui au demeurant ne songe pas un instant à admettre des candidats « suppôts » de cette Eglise ; qu'ils soient catholiques ou musulmans, car l'islam est suspect au même titre que le catholicisme. La situation est la même quand, sortis des établissements laïques, ces jeunes restent attachés à leur religion. Dans tous les cas de figure les mêmes causes ont le même résultat et ces Africains n'ont donc pas leur place, aux yeux des FF\ européens, dans la Franc-Maçonnerie. 

 

Positionnement anti-clérical, voire anti-religieux, que privilégient toutes les obédiences françaises en Afrique, aussi bien le GODF que la GLDF et le DH. Le résultat est que la Franc-Maçonnerie sub-Saharienne est une Maçonnerie de «.blancs ».

 

- En Afrique Méditerranéenne, l'Egypte  connaît une large  cohabitation entre les ateliers de la Grande Loge Nationale et les ateliers français, les uns et les autres ayant leur spécificité dans les choix de leur philosophie. Placés devant un tel éventail de possibilités, les Egyptiens vont, d'une façon générale mais sans exclusive, se faire coopter  dans des loges de l'obédience égyptienne qui correspondent mieux à leur démarche personnelle. Le Grand Architecte de l'Univers sert de frontière entre les uns et les autres, même si les rapports sont fraternels.

 

En Algérie, l'évolution des loges, qui font non seulement du cléricalisme mais aussi de la religion l'ennemi privilégié, restreint les possibilités de recrutement chez les musulmans. Les loges par le  système même de la cooptation voient se renforcer le  courant agnostique et athée. On assiste, sur le plan maçonnique, à un éloignement de deux communautés que symbolise, sur la plan profane, l'urbanisme avec ses villes européennes distinctes des médinas. « Ismaël » n'est plus un nom  porteur de la pensée des Maçons car des rapports nouveaux s'établissent. Le Constantinois lui-même n'arrive plus à attirer les musulmans, l'initiation du petit fils du F\ l'émir Abd el Kader ne pouvant faire longtemps illusion. Pas plus que la présence du F\ Allal Ould Abdi au Conseil de l'Ordre pour l'Oranais. En fait, le mouvement d'ensemble est surtout au désengagement de la part des FF\ musulmans soucieux de ne pas se couper de leur religion et de leurs coreligionnaires.

 

Ce désengagement, par contre, n'est pas observable chez les Juifs eux aussi initiés avant l'évolution en cours de la Franc-Maçonnerie. Bien plus, des candidats nouveaux continuent à se présenter, surtout des négociants et des employés. Or la Maçonnerie française  considère, quant à elle, l'admission des Juifs comme souhaitable. Certains vont même jusqu'à penser, en ces débuts de la III° République, que c'est par eux qu'on arriverait aux musulmans. Fort de cet espoir, le  F\Crémieux déclare : «.Employez les Juifs pour amener à vous les Arabes ». Crémieux ne se doutait pas qu'à longue échéance l'évolution aboutirait à un résultat inverse. Tandis que la Franc-Maçonnerie attire les Juifs, un réflexe de rejet se fait jour chez les Musulmans ; double mouvement qui traduit en fait le divorce de deux communautés indigènes dont l'une tend à s'intégrer au groupe européen tandis que l'autre s'en éloigne.

 

Pendant les années qui précèdent la première Guerre Mondiale, les FF\ constatent :  « Nous n'avons dans les loges que des instituteurs ou des interprètes qui, par leur contact avec nous, ont dépouillé toutes leurs habitudes et tous leurs préjugés pour devenir de véritables Français. Mais le nombre trop restreint des indigènes venus à nous ne nous permet pas d'espérer jouer, pour le moment, un rôle important au point de vue de l'assimilation ».

 

 Maître mot que celui de l'assimilation, qui a pour conséquence une profonde coupure entre la Franc-Maçonnerie et la société indigène, les Francs-Maçons estimant que seuls les indigènes acquis à la civilisation occidentale peuvent comprendre l'initiation  maçonnique. Le jugement porté par les FF\ européens sur les FF\ musulmans est, pour le moins, mitigé : «.les Arabes dans les loges n'ont pas fait preuve de forte mentalité, n'ont guère abandonné leur fatalisme inerte. Leur présence doit être encouragée, comme preuve d'espérance et de confiance dans la perfectibilité des indigènes ».

 

Entre les deux guerres, des Marocains viennent à la Maçonnerie. En effet les loges espagnoles du Maroc Nord enregistrent, après 1931, la venue d'un lot  de responsables du mouvement nationaliste marocain qui cherchent un relais vers les responsables gouvernementaux de la jeune République. Pour faire entendre leurs doléances et avancer leurs demandes, ils tentent de jouer des contradictions entre les nations occupantes : la France et l'Espagne. Ils disparaîtront dès les premières attaques de Franco en 1936, la guerre civile en cours leur étant étrangère. Les FF\ des loges françaises au Maroc, pourtant attentifs aux prémices du mouvement nationaliste, occultent, dans leurs études sur l'état du Protectorat, ce phénomène qui pourtant se développe dans leur propre champ maçonnique. Ils n'abordent pas davantage le cas du F\ Moulay Hafid, sultan initié lors de son exil en Espagne puis affilié au GODF et à la GLDF, une fois fixé à Enghien.

 

Ces FF\, du Maroc sous Protectorat français, sont représentatifs de la philosophie du moment dans la Franc-Maçonnerie coloniale. Lors de leurs congrès, ils abordent le sujet en se partageant. Les uns estiment que « les jeunes turbans s’apprêtent à jouer bientôt dans la vie politique, économique et sociale de leur pays, un rôle auquel nous les aurons préparés... Le jour n’est peut-être pas éloigné où nous entendrons : le Maroc aux Marocains... Ce serait l’honneur de la FM\ de mettre au point ces jeunes énergies, qui veulent se dépenser à tout prix, en les enrôlant sous sa bannière... Elle parviendrait ainsi à empêcher ou retarder des événements que certains esprits pessimistes veulent prochains ». D’autres jugent fallacieux ces espoirs d’admission car « le rite musulman qui domine au Maroc est moins libéral que les autres rites pratiqués dans les pays voisins où la FM\ a fait quelques adeptes ». Finalement, il va s’avérer que « ces jeunes turbans » se détourneront d'eux-mêmes de cet organisme de laïcité militante soit pour des raisons philosophiques soit par choix politique.

 

En 1939, à la veille de la seconde Guerre Mondiale, l'absence de Musulmans dans les loges d'Afrique du Nord est toujours une évidence. Elle repose, de l'aveu même des FF\ des trois obédiences, sur la pratique de l'Islam auquel s'opposent les Francs-Maçons comme ils le font pour le catholicisme. Les FF\ se déclarent en effet comme appartenant à une « société européenne chez qui les manifestations de la vie individuelle ou collective se sont peu à peu vidées de leur contenu religieux primitif, où la religion n'est plus au centre de la vie »…. Par contre « l'Islam, surtout fait de rites, de traditions, qui se sont imposés aux hommes et leur ont modelé une âme, une structure de  l'esprit particulières. Il n'y a donc rien ni personne dans l'Islam qui soit vraiment en dehors de la religion ; elle emplit toute l'âme de l'individu…. Nous touchons du doigt la marque caractéristique de la société musulmane et de la nôtre. D'un côté Dieu est la clé de voûte de l'édifice, de l'autre, il doit demeurer affaire privée. L'Islam se présente donc comme une nationalité religieuse, religion et société étant  intimement liées. C'est là, sans doute, une des causes de l'échec des naturalisations individuelles ; l'intégration à la société européenne étant souvent considérée comme une abjuration dans le monde musulman. » Autrement dit, c'est là une des causes de l'absence de musulmans dans les loges ; le refus venant à la fois des européens attachés à la raison et des musulmans fidèles à la religion.

 

 

Les Loges et l'indépendance des colonisés

 

Dans les années 30, un élément nouveau vient s'ajouter aux préoccupations des FF\ et, par la même occasion, compliquer le recrutement en loge : l'aspiration à l'indépendance de la part des colonisés. Idée-force plus précoce en Afrique du Nord qu'en Afrique sub-Saharienne.

 

- En Afrique sub-Saharienne, la première génération, avec Diagne pour leader, avait parlé d'assimilation et d'intégration, propos reçus favorablement. Est venu le temps de l'affirmation de la « négritude » et de la dignité recouvrée, avec pour chantre Léopold Senghor. Cette prise de position reste le fait d'une petite minorité d'expatriés écrivant et s'exprimant  à Paris ou risquant la prison une fois revenus dans le pays pour être passés à l'action face aux Européens, comme par exemple Matsoua au Congo. Mais l'audience de ces militants africains n'est qu'embryonnaire en Afrique même et n'est pas à l'ordre du jour chez les Francs-Maçons.

 

- En Afrique Méditerranéenne, les FF:. suivent avec attention la montée du nationalisme, et n’arrivent pas à se prononcer sur la réponse souhaitable. A l'époque où le projet du F\ Viollette est écarté par la volonté du colonat à Paris et en Algérie, l'Afrique du Nord en arrive à être, sous des formes variables selon le pays, une large zone de surveillance et d'incompréhension croissante. Evolution certes regrettée par les FF\, toujours aussi  partagés quant aux solutions à recommander.

 

En fait, sur l'ensemble de l'Afrique francophone, la volonté d'assimilation manifestée par les Francs-Maçons coloniaux semble être troublée par les résistances rencontrées et les résultats enregistrés qui ne correspondent pas aux espoirs mis au départ.

 

De plus, cette prise de position des Maçons s'accompagne d'une incapacité à faire un choix fondamental : l'objectif de tous ces efforts d'assimilation aux valeurs de la société française est-il d'intégrer les populations « indigènes » dans la nation française ou bien au contraire de les associer à la France, sous une forme ou une autre, après avoir reconnu leur droit à la différence et même leur propre statut de nation ?

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