LA FRANC-MAÇONNERIE

en

AFRIQUE  FRANCOPHONE

1781 - 2000

de 1870 à la guerre  de 1914

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   Odo Georges
  • Table Générale des matières - Bibliographie Avant 1870  -  Avant 1914  -  Avant 1940 Colonisation et Humanisme - Indigènes  -  Guerre 1940  -  Union française - Indépendances -  1960  - 1960- 1970 - 1970-1980 Avant 2000  - Après 2000
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    CHAPITRE  II

                                     

    L’implantation sous la  III°  République

    avant la guerre de 1914

          

     En Afrique Méditerranéenne

           En Afrique sub-Saharienne

          Expansion Maçonnique et mouvement colonial

                         

    En Afrique Méditerranéenne

     

    En Algérie après la guerre de 1870, dont le GODF subit le contrecoup malgré l’éloignement, les effectifs sont en légère diminution et globalement vont stagner  autour de 600 FF. Mais, parallèlement,  la GLDF  assure un rythme de croissance constant ; en sorte que, si elle ne représentait qu'un dixième du dispositif maçonnique en Algérie vers 1872, elle en est à près du tiers en 1880. Cette évolution ne fait que développer des tensions entre les deux obédiences rivales avec pour thème central la comparaison entre le Rite Français retenu par le GODF et le REAA pratiqué par la GLDF.

     

    Quelles que soient ces tensions, la Franc-Maçonnerie en Algérie continue à se vouloir une élite de la société avec des conditions de recrutement identiques à celles de la période précédente, d’où son caractère bourgeois prononcé, quand il n’est pas exclusif.

     

    L’œuvre de charité, si caractéristique depuis l’origine de la Franc-Maçonnerie en Algérie, se poursuit. Avec un attrait certain pour les idées pacifistes : « la paix perpétuelle » est un thème souvent repris dans les travaux de loge.

     

     Mais derrière cette constance, un changement important s’impose : les loges affichent rapidement des idées républicaines et laïques. Parmi les problèmes dominants s’inscrit très vite celui des rapports avec l’Église. On passe de jugements anti-cléricaux à des positions anti-religieuses, tout en ayant sous les colonnes des FF attachés à leurs croyances et qui résistent sans succès à cette évolution en cours.

     

    Parallèlement, un tel attachement manifesté aux préoccupations de la cité amène les loges à se mêler de plus en plus aux luttes politiques. Dès 1870, la plupart des loges ont sur leurs colonnes des FF conseillers municipaux et bientôt, par la force même des choses, des Conseillers Généraux. Finalement en 1881 l’entrée au Parlement s’ouvre largement devant des Maçons puisque les six députés élus pour l’Algérie sont des FF, élus soit dans les rangs du parti opportuniste soit dans ceux du parti radical. Le F Eugène Etienne fait parti du lot. Très vite son nom sera  lié au lobby colonial en France.

     

    L’évolution politique s’accentue au fil des ans et les FF s’orientent de plus en plus à gauche : dans les années 90  de nombreux FF s’affirment socialistes.

     

    Au moment de l’affaire Dreyfus, alors que l’Algérie est gouvernée par le F Laferrière, la question de l’antisémitisme  prend une importance particulière. Le décret Crémieux en 1870 avait donné la qualité de citoyen français aux juifs d’Algérie et cette décision avait été différemment accueillie dans la colonie ; des tensions plus ou moins symptomatiques s’étaient produites dans certains ateliers. En 1898, l'affaire prend une tournure extrême à Constantine où la loge du GODF et celle de la GLDF vont s'engager dans une attaque anti-juive ; la loge « Union et Progrès » condamnée par le GODF à Paris disparaît tandis que la GLDF s'abstient de le faire pour sa loge « Les Hospitaliers » qui, elle, se maintient. Finalement, cette crise a pour conséquence de clarifier la ligne maçonnique sur un point : l'antisémitisme n'a pas droit de cité dans les loges. Pas plus en  Algérie qu'en Métropole.

     

    La sérénité revenue, les obédiences reprennent leur essor et en 1914, à la veille de la Grande Guerre, le GODF compte 22 loges, la GLDF 6 ; des Congrès Régionaux organisés depuis 1894  sont devenus des articulations importantes dans la structure maçonnique générale ; sur le plan profane enfin, l'Algérie est gouvernée, signe des temps, par le F Lutaud alors qu'en France le parti colonial est animé par le F Eugène Etienne.

     

     

    En Égypte, se côtoient de nombreuses obédiences européennes. Par ordre chronologique d'installation : le GODF, la GLDF, la GLU d’Angleterre, le Grand Orient d’Italie, le GO de Grèce, la GL de Hambourg, la GL d’Espagne, la GL de Roumanie.

     

    En 1899, dans la logique de la confrontation Franco-anglaise de Fachoda à propos du Soudan, une Grande Loge de District anglaise est instaurée, réunissant les loges d'Égypte et du Soudan sous la haute autorité du général Kitchener. Les Anglais ne manquent pas de souligner ainsi leur prépondérance dans ce secteur de l'Afrique.

     

    Prépondérance sur le plan profane qui n'est en rien monopole sur le plan maçonnique puisque à la veille de la première Guerre Mondiale on dénombre toujours : 9 loges françaises face aux 8 loges anglaises, plus 7 loges italiennes, 2 loges allemandes, 2 loges grecques,  1 loge espagnole et 1 loge roumaine. La présence de toutes ces obédiences prouve à la fois l’attrait de l’Égypte  et surtout le cosmopolitisme d’Alexandrie, où le plus souvent ces loges ont élu domicile en priorité. Ici, la concurrence, fruit de l'expansion européenne, atteint son expression maximale.

     

    Cependant, l’important réside dans la création de la première obédience africaine « Le Grand Orient d’Égypte » en relation avec le Grand Orient de France, au  moment où se termine le percement du canal de Suez. Dès 1867, le premier sanctuaire de Memphis est fondé à Alexandrie et l’Ordre prend pour Grand Maître le fils du Khédive Mehemet Ali. L’essor de la nouvelle obédience, stoppé un instant par le départ en exil de son Grand Maître en 1868, peut reprendre avec l’autorisation du Khédive en 1872. Le Rite Écossais Ancien et Accepté et le Rite de Memphis trouvent un terrain d’accord et, le 8 mai 1876, naît  « la Grande Loge Nationale d’Égypte » où toutes les langues pratiquées en Égypte sont utilisées et où l'on admet à la fois la Bible et le Coran dans ses loges.

     

    Le succès de cette obédience nationale n'a été ralenti ni après l'occupation militaire du territoire par les Anglais en 1882 et la présence d'un résident anglais auprès du souverain du pays, le Khédive, ni par la création de la Grande Loge de District anglaise. Ce succès  se traduit par la multiplication des loges qui sont au nombre de 25 dès 1886 et par la Grande Maîtrise du  Khédive Tewfik Pacha.

     

     

    La Tunisie, pour sa part, passe en 1881 sous protectorat français après la signature du traité du Bardo, un an avant que les Anglais ne s'installent en Égypte. En effet,  Gambetta rompt avec la « politique de recueillement » de la IIIe R.F., consécutive à la défaite de 1870, et met tout son prestige et son influence au service de l'action coloniale. Il s'agit de « couvrir l'Algérie » sur ce théâtre d'opération et contre- carrer l'influence italienne dans ce pays africain voisin.

     

    Influence que les loges italiennes renforcent par leur présence. A la veille de l'arrivée des troupes françaises, en plus de la loge anglaise « The Lodge of Ancient Carthage 1717 », il y a 10 loges à Tunis et 4 qui jalonnent la côte à Sousse, Gabès, Sfax et Monastir. Influence tempérée par le GODF qui a accepté de regrouper ces FF exilés dans un « Grand Orient Tunisien » placé sous son égide. Aussi les loges travaillaient, à des Rites différents, souvent en Français bien que les imprimés administratifs soient en Italien. Cette obédience, filiale du GODF, s'extériorisait essentiellement par des œuvres sociales : un orphelinat de guerre, des hôpitaux, un sanatorium et la Croix Verte réplique de la Croix Rouge.

     

    C'est en partie pour exister face à cette filiale du GODF que la GLDF marque directement sur le terrain sa présence d'obédience Française en créant à Tunis en 1882 « La Renaissance 264 ». Le GODF prend acte de la nouvelle situation et, en 1885, allume à son tour directement les feux de « La Nouvelle Carthage » à Tunis. Les FF Italiens, quant à eux, retrouvent leur propre obédience d'Italie et restent sur la réserve à l'égard de leurs FF Français dont l'essaimage s'opère régulièrement, le GM Ferrari déclarant en 1910, à Tunis, sa confiance « dans le développement parallèle en Tunisie des Maçonneries des deux pays ». En fait, la Maçonnerie Française va s'imposer dans ce Protectorat Français.

     

     

    Au Maroc, avant l'acte international d'Algésiras qui entrouvre le pays en 1906, les FF Espagnols se montrent très actifs. La proximité de l’Espagne, l’existence  des présidiaux de Ceuta, Melilla et Nador facilite dans le Maroc Nord les contacts, la connaissance de la langue et des pensées espagnoles. L’attitude favorable aux idées occidentales des juifs llanitos de Gibraltar et  des séfarades marocains facilite l’extension d’un véritable réseau de loges dans les années 1890. En cet instant, de nombreux notables musulmans désireux de réformes s’y intéressent et offrent une moindre opposition, peut-être encouragés par l'existence de la Grande Loge Nationale d'Égypte. Sinon, comment comprendre non seulement qu'un éphémère «.Gran Orient de Marueccos » ait pu voir le jour avant de glisser l’année suivante sous la bannière du GO Espagne, mais aussi que Rabat et Fès, totalement fermées aux Européens, soient dotées d'une loge et enfin qu'une des loges importantes de Tanger  « Abd el Aziz 246 » porte le nom du sultan, lui-même acquis aux idées occidentales ?

     

    En ce qui concerne les loges francophones, la loge « L'Union 194 » de la GLDF à Tanger s'étant mise en sommeil plus d'une décennie auparavant, il revient à la « Nouvelle Volubilis » du GODF de rallumer la flamme maçonnique en 1891. Loge portée par le courant ambiant des années 90, où les Européens commencent à débarquer dans la ville et où l'intérêt sinon la curiosité des Marocains est en éveil. Vers 1912, à la veille du Protectorat, la loge Tangéroise est au cœur de tous les problèmes, au point d’attache des représentations diplomatiques et des milieux économiques, à l’écoute de tout ce qui vient de l’intérieur. Cette loge avec sa cinquantaine de membres est dans sa plénitude ; son rayonnement croissant souligne les progrès de l'influence française, encouragée depuis la France par le groupe d'Eugène Etienne.. 

     

    A Casablanca, où la pression française s’est concentrée, les prémices à la vie maçonnique se font  sentir en 1907. Certains FF sont déjà affiliés à la loge « Casablanca 386 » du GO d'Espagne. Ces FF vont aider à former un « triangle » affilié au GODF en 1907 puis en  juin 1910 à passer du triangle initial à une loge « Le Phare de la Chaouia ». Les FF en question n'auront pas le temps de profiter de l'élan que donne le Traité du Protectorat, en 1912, pour favoriser le renforcement de l'implantation maçonnique en cours. La Grande Guerre marque un coup d'arrêt à l'arrivée de nouveaux Européens et il faudra attendre des jours meilleurs.  Mais tout de suite le ton est donné des rapports tendus que les FFrépublicains laïcs entretiendront avec le Résident Général Lyautey « militaire, catholique et monarchiste ».

     

    Au total, avec ses deux loges en place, la Franc-Maçonnerie francophone au Maroc dispose cependant d'un noyau solide, apte à se développer dès que les circonstances le permettront.

     

    En Afrique sub-Saharienne

     

    Le Sénégal maçonnique reprend vie. Après une longue éclipse de près  de quarante ans, amorcée quand « La Parfaite Union » du GODF n'avait plus  donné signe de vie.

     

    En 1874, la loge « L'Union Sénégalaise », également du GODF et chronologiquement la troisième dans cette ville, allume ses feux. La loge, qui n'attire plus comme autrefois les mulâtres St Louisiens, souffre aussitôt du nombre de FF de passage, «.pérégrins » qui ne font qu'un bref séjour et dont les départs sont lourdement ressentis. Ce sera là une préoccupation constante dans les loges d'Afrique sub-Saharienne. Les FFécrivent en 1876 : « Ce qu'il faudrait dans cette colonie, ce sont des éléments stables, appelés à y vivre définitivement afin de former un noyau stable pouvant propager les idées maçonniques ». Autre préoccupation constante de ces FF : ils attachent la plus grande importance à leurs rapports avec les gouverneurs successifs dont les pouvoirs sont réels.

     

    En 1882, « L'Union Sénégalaise » initie le F Biran Sady, employé de commerce du fleuve, né vers 1852 à St Louis ; certainement le premier Africain noir initié en Afrique francophone. Deux autres FF Sénégalais seront admis dans la foulée. Après cette approche prometteuse de la société sénégalaise, plus rien ! La loge est d'ailleurs mise en sommeil en 1893, pour laisser place l'année suivante à la quatrième loge chronologique de St Louis « L'Avenir du Sénégal ». Son rayonnement reste limité dans un environnement catholique hostile à ses idées républicaines et laïques. Les FF trouvent quand même la ressource et la volonté de prolonger leur action par un essaimage vers Dakar, ville dont le développement se concrétise chaque jour davantage par l'implantation d'administrations et de maisons de commerce. La loge « L'Étoile Occidentale », créée en 1899, affirmera progressivement sa primauté en bénéficiant de l'essor de la ville, surtout après la décision en 1902 de déplacer la capitale administrative de l'Afrique Occidentale Française - l'AOF, créée en 1885 -  de Saint.Louis vers Dakar.

     

    Fait exceptionnel en Afrique sub-Saharienne, ces deux loges évoluent dans le système - particulier au Sénégal - des quatre communes avec un député, un conseil Général et leurs municipalités. Jusqu'en 1910, les Sénégalais sont spectateurs des rivalités entre les métis, appuyés par l'Église, et les Européens qui, dans la Loge de St Louis, en arrivent même à réclamer « la suppression des élections dans les colonies » pour contrer l'influence de l'Église, par métis interposés, et prévenir celles des marabouts sur les Sénégalais musulmans qui commencent à s'intéresser aux élections. L'anti-cléricalisme qui provoque cette prise de position explique également la composition sociologique des loges qui restent une affaire de « blancs laïques ».

     

    La France, pendant ce temps, étend son emprise sur l'Afrique occidentale et équatoriale, sous la pression d'hommes politiques comme les FF Jules Ferry ou Eugène Etienne, de l'armée, des congrégations. Le cadre imposé est celui défini en 1885 par le Congrès de Berlin.

     

    Au Gabon, fondu dans un grand Congo Français depuis un an, l'allumage des feux par le GODF de la loge « L'Aurore du Gabon » est prévu en 1904, d'autant plus que le Gouverneur Général en est le Vénérable d'Honneur. Mais sur ces entrefaites, les FF, presque tous fonctionnaires, sont disséminés dans le vaste territoire à administrer par décision du Commissaire Général. Tous les FF y voient « un coup » de l'évêque, ce qui est révélateur des relations tendues avec l'Église. En fait, le projet de Libreville  est bousculé, et ne sera pas repris, en raison surtout du transfert des bureaux du Commissaire Général vers Brazzaville, avec, pour conséquence, la mutation d'une grande partie des fonctionnaires vers cette ville.

     

     

    Du Congo parvient donc, du même noyau initial de fonctionnaires, la demande d'un transfert de loge. Transfert effectif en 1906 quand la loge devient «L'Aurore du Congo » à Brazzaville, nom évocateur pour les FFpuisque Brazza a été Franc-Maçon du GODF.

     

    Aussitôt des tensions avec l'évêché se font jour et l'enseignement est soumis à haute surveillance parce que pris en main par les missions. Cette loge, à peine née, ne déroge pas au schéma général des loges coloniales. Dans cette ville de Brazzaville, comme partout en Afrique sub-Saharienne, le quartier européen se limite en fait à une large rue qui part du port et sur laquelle viennent se greffer quelques rues. Les locaux sont rares à trouver, surtout quand l'administration, plutôt favorable à l'Église, veille à compliquer les dossiers. Aussi  les FF\font-ils leur temple dans une case surélevée et aux murs de pisé et toiture de chaume, au-delà du Djoué sur une colline dominant les rapides du fleuve Congo : "la villa des rapides" opérationnelle en 1911 est balayée par une forte bourrasque dès 1913 ce qui fait nécessité de construire un temple, en ville cette fois, grâce à l'opiniâtreté du F\Henri Tréchot. D'où le nom donné par les habitants de Brazzaville "l'église Tréchot".

     

     Malgré ces difficultés, surmontées, leur rayonnement s'accroît à partir de 1910 quand l'Afrique Équatoriale Française devient réalité, avec Brazzaville pour centre du Gouvernorat Général.

     

     

    Au Dahomey, aujourd'hui le Bénin, c'est en 1907 que le GODF poursuit ses essais d'implantation sub-Saharienne après la réussite enregistrée au Congo. Une loge provisoire « Union et Concorde » se réunit à Cotonou sous l'impulsion d'un F\ de la loge « France et Colonies » à l'Orient de Paris, loge intéressante par le choix de son nom et les actions dans lesquelles elle s'implique à cette époque. Pour des raisons de régularité administrative, de certains FF\ fondateurs, le Conseil de l'Ordre ne donne pas son agrément et le projet n'est pas suivi.

     

     

     

    La Guinée est,  à son tour, l'objet d'une tentative du GODF de consolider cette avancée en Afrique sub-Saharienne. La loge  « Les Pionniers du Niger », à faible effectif, ouvre ses portes à Conakry en 1908. Mais les difficultés à recruter des éléments sur le plan local se font sentir : la Mission Apostolique des Pères du St Esprit est en position dominante. Ce qui s'ajoute à la difficulté de réunir des FF\ fréquemment en brousse, pour raisons professionnelles. Les responsables de l'atelier sont amenés à la mise en sommeil dès 1911.

     

     

    Le Soudan - futur Mali – prend la suite dans cette série de tentatives d'implantation. Dans cette partie de l'Afrique Occidentale où l'administration française se glisse vers l'intérieur des terres, le GODF à Kayes allume, également en 1908, les feux de sa loge « Amis du Soudan » qui ne survivra pas à la première Guerre Mondiale.

     

     

    C'est à Djibouti par contre que la GLDF, absente de l'AOF et de l'AEF, tente d'avoir un prolongement de sa présence en Égypte, consolidée entre 1900 et 1914. Dans cette optique, l'obédience décide en 1911 la création de la loge « DDD 433 », dans les Orients de Djibouti, Diré et Daoua, grâce à la participation de trois FF\ du DH. La même année un essai est également tenté par le Droit Humain, décidément actif, avec la loge « 204 ».

     

     

    Expansion Maçonnique et mouvement colonial

     

    A la veille de la Grande Guerre, ces loges bleues, c'est-à-dire des trois premiers grades, se répartissent, pour le GODF et pour la GLDF, de la façon suivante : en Égypte  4 / 8, en Algérie 21 / 10, en Tunisie 4 / 1, au Maroc 2 / 0, au Sénégal 2 / 0, en Guinée 0 / 0, au Dahomey 0 / 0, au Cameroun  0/ 0, au Gabon 0 / 0, au Congo 1 / 0, à Djibouti 0 / 1. Ce qui donne une place prépondérante au GODF avec son total de 34 « loges bleues » face aux  20 de la GLDF.

     

    Ce tableau serait incomplet si n'y étaient associées les loges du Droit Humain dont les prémisses se situent entre 1911 et 1912 à : Tunis « 201 », Philippeville « 203 », Djibouti « 204 », Alger «.206 » et Casablanca « 207 ». Toutes ces loges deviendront opérationnelles après la Grande Guerre, pour certaines d'elles dès 1919. Elles sont  inscrites comme Fondatrices de la Fédération Française ce qui implique qu'aussitôt en état de fonctionnement le DH s'est tourné vers l'extérieur.

     

    Dans ce large dispositif maçonnique africain, les ateliers coloniaux, aussi bien ceux de la GLDF que  du GODF et du DH, se sont donc multipliés. Mais ils sont peuplés seulement de Français de passage sur une terre étrangère aux côtés de FF, également Français, définitivement installés. Dans un tel système de fonctionnement le nombre des éléments stables est très logiquement plus important en Afrique du Nord « colonies de peuplement » que dans les « colonies d'exploitation » d’Afrique sub-Saharienne. Pour les FF qui les fréquentent, les loges des trois obédiences constituent des « asiles de Fraternité » et, dans l'esprit des protagonistes, des postes avancés de la République et de la Raison.

     

    Les loges vont multiplier leurs interventions, surtout par lettres,  pour  dénoncer : des situations non conformes à leurs points de vue, des dispositions de l'administration locale, des réalisations des Missions religieuses qui prennent une place prépondérante dans l'enseignement local. Ces lettres sont adressées au Conseil de l'Ordre du GODF ou au Conseil Fédéral de la GLDF qui font suivre aux hommes politiques, aux parlementaires, aux ministres concernés par les dossiers évoqués.

     

    Les FF des colonies ont aussi le soin de prendre attache avec les gouverneurs, surtout quand ceux-ci sont des Francs-Maçons eux-mêmes, afin de leur exposer leurs doléances ou leur point de vue. Sans être pour autant toujours entendus, ce dont ils se plaignent alors amèrement auprès de leurs instances obédientielles respectives.

     

    Un type de fonctionnement très personnalisé s'est donc  instauré ; il correspond aux réalités du moment. Les problèmes coloniaux, si ce n'est celui du Maroc, n'intéressent presque personne en France avant la guerre de 1914. Les milieux économiques eux-mêmes ne se sentent guère concernés, à part quelques exceptions comme le groupe Jaluzot. Il appartient à quelques fortes  personnalités d'avoir  suivi la question et fait avancer la France dans cette voie : Ferry, Etienne pour ne citer qu'eux ou sur le terrain Brazza lui aussi Franc-Maçon. Il est de notoriété publique que le secrétariat d'État aux Colonies est en matière budgétaire « la Cendrillon du gouvernement ». La Ligue Coloniale Française conclut : « L'éducation coloniale de la France demeure entièrement à faire ».

     

    Cette faiblesse opérationnelle de l'institution politique donne à la Franc-Maçonnerie une position inattendue de relais entre  les loges en prise avec la réalité locale et  des ministres isolés sur ces dossiers. Les sociétés géographiques, favorisées par les milieux coloniaux, ne peuvent pas à elles seules être ces relais  malgré  la valeur de leurs enquêtes, de leurs travaux.

     

     Les Francs-Maçons de la Métropole ne s'intéressent pas non plus aux colonies. Quand ils abordent le sujet, c'est dans l'optique de leur sensibilité politique, radicale ou socialiste. Il y a donc de leur part des restrictions très fortes à l'encontre de la colonisation. Exception faite de la loge « France et Colonies » dont on retrouve les interventions occasionnelles.

     

    Sensibles au  rapport ainsi établi avec les autorités et les centres de décision politiques, soucieux de donner plus de poids à leurs avis et demandes, les FF d'Algérie et de Tunisie, décident, à partir de 1894, de se réunir en « Congrès d'Afrique du Nord ». Ά noter que la même année le gouvernement français se donne pour la première fois un ministère des colonies en la personne du F Delcassé. Chaque année, depuis lors, des motions et des vœux seront régulièrement adressés à Paris. De plus ces loges bénéficient depuis peu, en remplacement des délégués nommés, d'un « Conseiller » élu, conseiller de l'Ordre pour le GODF - Allal Ould Abdi sera le premier musulman en 1891 - ou Fédéral pour la GLDF. Enfin, pour bien montrer leur unité d'appréciation, par delà leurs divergences de rites ou de personnes, les loges des deux obédiences se retrouvent en «.Conférences inter obédientielles » annuelles, au grand dam de Paris.

     

    Attitude d'autant plus nécessaire que les Francs-Maçons de la Métropole ne s'intéressent pas aux colonies ; il faut attendre au GODF le Convent de 1905 pour voir, pour la première fois, l'Algérie être l'objet d'une étude globale et le Convent de 1907, à la GLDF, pour que soit abordé le sujet de la colonisation. La revue Acacia, dont le numéro spécimen de 1902 nous apprend qu'elle est dirigée par sept FF, dont cinq de la GLDF un du GODF et un du DH, est révélatrice de ce manque d'intérêt, toutes obédiences confondues. De 1903 à 1914, moins de 3% des articles couvrent la question coloniale. Par ordre d'importance numérique : les études générales sur la colonisation, l'Extrême Orient, le Maghreb, aucun sur l'Afrique sub-Saharienne. Articles rédigés par des FF\ coloniaux.

     

    Le problème permanent pour les FF expatriés est donc bien, où qu'ils soient, de se faire entendre par le Conseil de l'Ordre ou Fédéral et de toucher, par ce biais, les responsables politiques. Sans oublier de sensibiliser, tant que faire se peut, l'ensemble des Maçons.

     

    Les loges d'Afrique du Nord, plus fournies en membres actifs, plus nombreuses et plus proches de la Métropole, sortent progressivement du « système personnalisé » car elles ont la possibilité de s'organiser et d'améliorer leur audience auprès des instances parisiennes. D'autant plus que, maintenant, il y a un Ministère des colonies dont le titulaire est souvent un F qui n'ignore pas leur existence.

     

    Les loges d'Afrique sub-Saharienne, pour leur part, se développent dans des colonies qui ne sont pas de peuplement ; elles sont donc condamnées à recevoir de faibles effectifs puisés dans une société européenne elle même à faible effectif. Par ailleurs ces loges coloniales sont dispersées sur un vaste espace ; les FF n'ont pas la même possibilité que dans les loges d'Afrique Méditerranéenne de se rencontrer, de discuter ensemble de leurs préoccupations, d'unir s'il le faut leurs voix. Établies à contre courant des préoccupations de la Métropole, soutenues seulement par quelques FF du Conseil de l'Ordre ou du Conseil Fédéral, fragilisées par leurs conditions d'existence sur place, les loges ne peuvent organiser en commun leurs interventions pour faire entendre leur point de vue d'une voix solidaire. Ces loges demeurent totalement soumises au  « système personnalisé » des relations avec Paris ou avec le Gouverneur quand il ne leur est pas défavorable.

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    Implantation avant 1870

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