LA FRANC-MAÇONNERIE dans les COLONIES FRANÇAISES
1738 - 1960
consolidation de l'organisation coloniale (1904.1914) |
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Table Générale des matières - Bibliographie - Louis XV - Louis XVI - Tableau Loges - Révolution - Napoléon/Restauration - Napoléon III - Débuts III° République - Consolidation avant 1914 - Plénitude après 1918 - Assimilation ? - Doutes après 1930 - 1940.1946 et Union Française - 1946 Indépendances Site traduit en ; |
CHAPITRE VII
de l'organisation coloniale
Le domaine colonial sétend sur toute la façade de l'Afrique du Nord
En Afrique sub-Saharienne, la Franc-Maçonnerie fait son apparition au-delà du Sénégal.
L'Indochine, second pôle du dispositif maçonnique dans les colonies
Les loges dispersées dans les océans : Indien, Pacifique, Atlantique
Préoccupations : faire prendre en compte la dimension Maçonnique coloniale
Eugène Etienne, l'un des coordinateurs du mouvement colonial
En 1904, l'Entente Cordiale a son volet colonial qui libère la France de l'hypothèque anglaise. C'est donc dans un contexte plus favorable que les tenants du «parti colonial» peuvent se faire entendre. Jusqu'en 1914, la République Française va pouvoir consolider, sans opposition majeure, ses acquis territoriaux et son organisation coloniale.
Le domaine colonial s'étend sur toute la façade de l'Afrique du Nord
Cette région connaît, simultanément, les trois phases du processus maçonnique : l'implantation, l'expansion, la consolidation.
Le Maroc illustre la phase de l'implantation. Vers 1910 à la veille du Protectorat qu'elle appelle de tous ses vœux, la loge de Tanger, face aux loges espagnoles, illustre les progrès de l'influence française. A Casablanca, où progressivement la pression française s’est concentrée, les prémices à la vie maçonnique se font sentir dès 1907, mais c'est en 1910 que la loge « Le Phare de la Chaouia » prend la suite du triangle initial. Les FF\ n'auront pas le temps de profiter du Traité du Protectorat, en 1912, pour favoriser le renforcement de l'implantation maçonnique. La Grande Guerre stoppe l'arrivée de nouveaux Européens, mais cela n'empêche pas les FF\ présents de donner le ton des rapports tendus que, républicains laïcs, ils entretiendront avec le Résident Général Lyautey* « militaire, catholique et monarchiste ».
La Tunisie illustre, pour sa part, la phase d'expansion. La montée en puissance de la vie maçonnique se poursuit, en effet, régulièrement dans un protectorat cité en exemple de la réussite française. Même si la présence d'une forte communauté italienne pose problème, évident en 1911 à l'occasion de la guerre italo-turque où les Tunisiens manifestent. La question italienne n'est pas absente en Maçonnerie non plus, mais les loges françaises n'en progressent pas moins. La loge « Volonté » GLDF de Tunis complète le dispositif du GODF dont les loges animent différents Orients : deux à Tunis, une à Sousse, une à Bizerte et une à Sfax. Le DH, lui-même, devient une des composantes de ce complexe maçonnique local, avec un Atelier.
L'Algérie, enfin, illustre la phase de consolidation. Avec ses 370.000 Français venus de la Métropole ou récemment naturalisés, l'Algérie fait figure de pièce maîtresse de l'Empire colonial. Il en va de même en ce qui concerne la Franc-Maçonnerie.
Conscients de cet état de fait, les FF\ d'Algérie s'appuient sur les Congrès d'Afrique du Nord, où les rejoignent ceux de Tunisie, pour appuyer leurs avis et demandes. Chaque année, des motions et des vœux sont régulièrement adressés à Paris. De plus ils bénéficient depuis peu, en remplacement des délégués nommés, d'un Conseiller élu, Conseiller de l'Ordre pour le GODF ou Fédéral pour la GLDF. Enfin, pour bien montrer leur unité d'appréciation, par delà leurs divergences de rites ou de personnes, les loges des deux obédiences se retrouvent en « Conférences inter obédientielles » annuelles, au grand dam de Paris.
En 1914, à la veille de la Grande Guerre, le GODF compte une vingtaine de loges, la GLDF une dizaine et, sur le plan profane, la Franc-Maçonnerie est devenue un partenaire non négligeable dans le contexte algérien.
En Afrique sub-Saharienne, la Franc-Maçonnerie fait son apparition au-delà du Sénégal
Au Sénégal, le déplacement du centre de gravité de St-Louis vers Dakar se confirme comme une réalité dorénavant irréversible. Evolution qui ne remet nullement en cause le positionnement de la Franc-Maçonnerie au Sénégal. Les réactions des FF\, dans le cadre des quatre communes dont bénéficie le Sénégal, sont révélatrices de la problématique d'ensemble.
La loge de St-Louis en arrive, en 1910, à se méfier des élections dans les colonies. Il s'agit, en effet, de contrer l'influence de l'Eglise - qu'exprime le vote des métis - et de prévenir celle des marabouts sur les musulmans, dont l'intérêt pour les élections commence à se manifester. L'anti-cléricalisme, qui provoque ce blocage, explique également la composition sociologique des loges, affaire de blancs militants laïques.
La France, pendant ce temps, étend son emprise sur l'Afrique occidentale et équatoriale, en AOF et en AEF, où les opérations militaires sont en voie de se terminer. La présence de fonctionnaires Français se développe dans l'ensemble des territoires et, en fonction de l'importance de leur nombre, des loges peuvent ou non s'ouvrir.
Au Gabon, fondu dans un grand Congo Français depuis un an, la loge « L'Aurore du Gabon » est prévue, en 1904, par le GODF. Ce projet de Libreville est bousculé par le transfert des bureaux du Commissaire Général et la mutation d'une grande partie des fonctionnaires vers Brazzaville.
Du Congo parvient donc en 1906, du même noyau initial de fonctionnaires, la demande de transfert de la loge. Loge qui devient « L'Aurore du Congo » à Brazzaville, ville au nom évocateur du F\Brazza. Le rayonnement de l'Atelier s'accroît, à partir de 1910, quand Brazzaville devient centre du Gouvernorat Général de l'Afrique Equatoriale Française. Caractéristiques de cette loge : ses tensions avec l'évêché et son combat contre l'enseignement des Missions. Elle ne déroge pas au schéma classique des loges coloniales.
Au Dahomey - Bénin - c'est en 1907 qu'une loge provisoire se réunit à Cotonou. Le Conseil de l'Ordre ne donne pas son agrément et le projet est remis sine die, faute d'un nombre suffisant de FF\ fondateurs, dans un territoire où l'administration est réduite.
En Guinée, la loge « Les Pionniers du Niger », à faible effectif, ouvre ses portes à Conakry en 1908. Mais, les difficultés à recruter des éléments dans une colonie où la Mission Apostolique des Pères du St Esprit est en position dominante et celles de réunir les FF\ fréquemment en brousse pour raisons professionnelles, entraînent la mise en sommeil dès 1911.
Le Soudan - futur Mali – prend la suite dans la série des implantations. En effet, l'administration française se déploie vers l'intérieur de l'AOF et le GODF peut, avec un nombre restreint de FF\, allumer à Kayes, en 1908, les feux de la loge « Amis du Soudan » qui ne survivra pas à la première Guerre Mondiale.
Les faibles possibilités de recrutement, dans une communauté Française relativement restreinte, ne laissent pas de place à la GLDF. C'est donc à Djibouti que cette obédience, absente en AOF et AEF, crée en 1911, à Djibouti Diré Daoua, sa loge « DDD 433 ». La même année un essai est également tenté par le Droit Humain avec la loge « 204 ». Mais le GODF ne peut pas s'y installer.
L'Indochine, second pôle du dispositif maçonnique dans les colonies
Son dynamisme et son particularisme, par rapport à l'Afrique, font de l'Indochine un élément de référence important pour les responsables des obédiences Françaises. L'Indochine peut être considérée, désormais, comme le second pôle du dispositif maçonnique.
Les loges, cependant, mentionnent que leur « effectif, composé en majorité de fonctionnaires sujets à de fréquentes mutations, est excessivement variable ». Les autres couches de la société « peut-être hypnotisées par la puissance réelle des Missions Catholiques… ne sont guère venues à nous ». Pour garder leur dynamisme les loges se regroupent donc : en 1911, à Hanoï, « Fraternité et Tolérance » se rapproche de « La Fraternité Tonkinoise » dont le nom est conservé ; en 1913, à Saïgon, « Le Réveil de l'Occident et les Fervents du Progrès Réunis » résulte de la fusion des deux loges antérieures.
Dynamisme qui permet aux FF\ de diversifier les obédiences et les Orients concernés. Le GODF touche de nouvelles villes : Phnom Penh en 1906 avec « L'Avenir Khmer », Hué en 1907 avec « La Libre Pensée ». La GLDF fait son entrée sur le terrain indochinois, dans les deux villes importantes avec : « La Ruche d'Orient » en 1908 à Saïgon et « Les Ecossais du Tonkin » en 1912 à Hanoï.
La préoccupation essentielle de toutes ces loges concerne la promulgation en Indochine des lois françaises sur les associations et sur l'enseignement. Les congrégations sont considérées comme les adversaires essentiels. Les FF\, dans leur correspondance, mettent en avant l'enrichissement de ces congrégations et les loges dénoncent, de façon véhémente, l'influence des milieux catholiques dans la Marine, l'administration et auprès de certains Gouverneurs.
Le mouvement national, réapparu en 1905 en recrutant dans la bourgeoisie et le prolétariat, n'est pas ignoré. Des échanges épistolaires ont lieu avec Paris, situant les réformistes indochinois. Les FF\ pensent qu'il faut « convaincre les populations que nous demeurons, non pour les tyranniser ou les dominer, mais pour sauvegarder et diriger leurs intérêts ». Les colonisateurs Français se doivent donc d'améliorer les niveaux matériels et intellectuels des Indochinois. Tout cela doit être connu de la Métropole et pousse les FF\ à se préoccuper de ce qu'ils nomment « la propagande ». Ils envoient leurs prises de position aux instances maçonniques de Paris, prennent contact avec le revue Acacia, multiplient les publications de fascicules en particulier sur les Missions, s'intéressent aux journaux en Indochine. Pour donner plus de poids à leurs interventions, ils demandent, en 1907, l'autorisation d'un Congrès des loges indochinoises et un Congrès des loges coloniales lors des Convents. Le second pôle maçonnique, l'Indochine, s'affirme.
Les loges dispersées dans les océans : Atlantique,Indien, Pacifique
- Dans l'Océan Atlantique, le premier problème des loges est de se maintenir. Une fois assurée leur pérennité, elles viennent se joindre aux préoccupations de leurs obédiences et de la réalité coloniale qui leur est immédiate.
En Martinique, la loge « Droit et Justice » reprend le flambeau, en 1909, de « L'Union dans la Ruche ». C'est une réponse au climat politique tendu : « Nos libertés étaient menacées, la réaction soutenue par le parti clérical chantait victoire. On comprit vite le danger qui nous menaçait ». Les FF\ réclament l'application, sans délai, de la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et se préoccupent de l'environnement économique, industriel et politique de la colonie.
En Guadeloupe, les loges semblent retrouver une partie de leur vitalité, perdue lors des décennies précédentes. Evolution sensible tant pour « La Paix » et « Les Disciples d'Hiram » au GODF que pour « Les Egalitaires » à la GLDF en ce qui concerne : effectifs et activité, interventions auprès de Paris. Les préoccupations des FF\ portent sur les actions de l'Eglise catholique, la situation sociale extrêmement difficile et les grèves en cours, les décisions prises par le gouvernement à l'encontre des vieilles colonies.
En Guyane, les relations parfois suspicieuses entre « La France Equinoxiale » GLDF et « La Guyane Républicaine » GODF, la faiblesse de leurs effectifs respectifs, ne les empêchent pas de participer au mouvement général laïque et républicain, dans la tonalité de la Franc-Maçonnerie Française. Le DH lui-même y participe grâce à sa loge « n°7 » créée, en 1904, à Cayenne.
- Dans l'Océan Indien, si la « vieille colonie » de la Réunion reproduit le même schéma que celui rencontré dans l'Atlantique par contre à Madagascar les FF\ sont à la recherche d'une consolidation de leur implantation, somme toute récente. Mais dans les deux cas, les loges sont de faible effectif et le combat pour la laïcité reste fondamental.
Ά la Réunion, la loge GODF « L'Amitié » retrouve des effectifs étoffés de FF\ attentifs à la défense de la République et à l'influence de l'Eglise. En outre, les FF\ se préoccupent d'animer à St-Denis un Congrès Régional regroupant, en 1909, Madagascar, l'île Maurice et la Réunion, mais sans les loges indochinoises puisqu'elles n'ont pas répondu aux invitations, l'année précédente à Port-Louis. Fait révélateur d'une opinion lente à enregistrer les rapprochements franco-anglais en cours : la loge « a pris l'initiative de la commémoration des combats livrés les 7 et 8 juillet 1810, à St-Denis, contre les Anglais pour la liberté et pour la Patrie ».
Ά Madagascar, si « L'Indépendance Malgache » prend la suite en 1905 de « L'Avenir Malgache » à Tamatave, par contre «.L'Action Républicaine », en 1913, est une première à Diego Suarez, l'une comme l'autre du GODF. A noter que la loge de Tamatave a pour Vén\ fondateur Blaise Diagne** et qu'elle ne survivra pas à son départ de l'île en 1909. De son côté, la GLDF ne reste pas inactive avec « Les Trois Frères » à Majunga, en 1910, de même que le DH avec sa loge « 202 » à Tananarive en.1911. Ainsi, malgré une certaine fragilité de ces loges, la Franc-Maçonnerie se rend opérationnelle dans les principaux centres urbains, là où sont les Européens et principalement les fonctionnaires auxquels s'adjoignent des militaires.
En 1905 , Gallieni parti, le F\Augagneur, son successeur, reçoit l'aval des loges locales surtout quand il s'attache les Malgaches par un effort de justice, quand il s'efforce de les soustraire à l'influence des Missions par des options favorables à la laïcité, et quand il supprime les corvées et les prestations. En outre, les FF\ fonctionnaires ont le sentiment de ne plus être victimes de leur appartenance à la Franc-Maçonnerie. En effet, ici comme dans l'ensemble des colonies, lorsque le Gouverneur du moment est indifférent ou hostile à la Franc-Maçonnerie, de vives pressions pèsent sur les FF\fonctionnaires et militaires, ce qui fragilise les loges.
- Dans l'Océan Pacifique, si les FF\du GODF sont les représentants de la Franc-Maçonnerie en Nouvelle-Calédonie, par contre les FF\ de la GLDF lui disputent cette prérogative à Tahiti. La concurrence entre les deux obédiences ne saurait oublier quelque territoire que ce soit.
En Nouvelle-Calédonie, comme partout dans les colonies, la politique de Combes reçoit l'aval des FF\de « L'Union Calédonienne ». Il y a, en prime, un brin d'esprit « Communard » provocateur chez ces FF\quand, la veille des tenues, le fanion de la loge est hissé sur un grand mât à côté du temple. Toujours le même qu'à l'origine, au faîte d'une colline qui domine la ville et la cathédrale de Nouméa.
Ά Tahiti, la concurrence GODF/GLDF est manifeste. En 1903, la GLDF a ouvert une loge. Aussitôt, en 1904, le GODF installe « République et Libre Pensée», titre-programme s'il en est. Sans attendre, en 1907, la GLDF inaugure une nouvelle loge « Véritas 384 » à Papeete. Cette obédience marque, ici comme partout ailleurs, sa volonté d'un déploiement hors Métropole, en concurrence avec le GODF trop dominant à son goût.
Préoccupations : faire prendre en compte la dimension Maçonnique coloniale
Dans ce large dispositif maçonnique, les ateliers coloniaux - de la GLDF, du GODF et du DH - se sont donc multipliés. Le GODF surtout, comme le montre le tableau des loges coloniales. Mais ils sont peuplés de fonctionnaires de passage qui côtoient des FF\, également Français, définitivement installés mais peu nombreux. Pour tous ces FF\, les loges constituent des « asiles de Fraternité » et des postes avancés de la République, de la Raison et de la laïcité.
Postes avancés de la République, les loges vont multiplier leurs interventions pour dénoncer : des situations et des dispositions de l'administration locale non conformes à leurs points de vue, des actions des Missions religieuses dans l'enseignement local. Ils s'adressent aux responsables de leurs obédiences respectives, lesquels responsables font suivre ou non, aux hommes politiques, aux parlementaires, aux ministres concernés par les dossiers évoqués. Les FF\ des colonies prennent également attache avec les gouverneurs, surtout quand ceux-ci sont des Francs-Maçons. Sans être pour autant toujours entendus, ce dont ils se plaignent alors amèrement auprès de leurs instances obédientielles.
Un type de fonctionnement s'est donc instauré, correspondant aux réalités du moment : les problèmes coloniaux, si ce n'est celui du Maroc, n'intéressent presque personne en France avant la guerre de 1914, y compris la majorité des milieux patronaux. Il est de notoriété publique que le secrétariat d'Etat aux Colonies est en matière budgétaire « la Cendrillon du gouvernement ». Cette faiblesse opérationnelle de l'institution politique donne à la Franc-Maçonnerie une position inattendue de relais entre les loges en prise avec les réalités locales et des ministres isolés sur ces dossiers.
Les loges coloniales aspirent aussi à sensibiliser les FF\ de la Métropole qui, globalement, se désintéressent des colonies : il faut attendre le Convent GODF de 1905 pour que l'Algérie soit l'objet d'une étude globale et le Convent GLDF de 1907 pour que soit abordée la colonisation. La revue Acacia, dirigée par sept FF\- cinq de la GLDF, un du GODF et un du DH - est révélatrice de ce manque d'intérêt, toutes obédiences confondues. Le problème permanent pour les FF\ expatriés est donc bien de se faire entendre par le Conseil de l'Ordre ou Fédéral et de toucher les responsables politiques. Sans oublier de sensibiliser, autant que faire se peut, l'ensemble des Maçons.
Les loges d'Afrique du Nord - fournies en FF\ actifs – nombreuses, et proches de la Métropole, s'imposent comme le pôle essentiel du système colonial en place. D'autant plus qu'elles organisent des Congrès annuels et qu'elles sont représentées aux instances parisiennes par un F\ élu.
Les autres loges, dans le reste du dispositif colonial, sont par contre condamnées à avoir souvent de faibles effectifs puisés dans une société européenne elle-même à faible effectif. De plus, les FF\ de ces loges, dispersées sur un vaste espace, ont des difficultés à se rencontrer pour discuter de leurs préoccupations et unir s'il le faut leurs voix. Ils sont dans une relation différente, fractionnée et moins puissante, avec les instances parisiennes. D'où leurs efforts pour organiser à leur tour des Congrès Régionaux, comme en Afrique du Nord, et leur demande d'un Congrès à Paris des loges coloniales.
Mais, quel que soit le type de relation établie avec la Métropole, les FF\ des colonies ont réussi, dès avant 1914, à faire passer leurs messages et ainsi devenir des interlocuteurs pris en considération. L'objectif est atteint.
Eugène Etienne, l'un des coordinateurs du mouvement colonial
Ce souci de donner du poids à l'Empire Colonial Français dans les préoccupations de la Nation, les FF\ des colonies le partagent avec un allié de poids, Eugène Etienne. Lequel aurait pu reprendre à son compte une recommandation de Ferry aux loges : « Vous êtes des témoins ; observez les faits, les hommes et leurs actes. Dans nos Ateliers [de Métropole] on marquera sans doute quelques hésitations… mais nos FF\ seront ébranlés par vos communications. Ils ne changeront pas d'opinion sur le champ… Mais répétez, multipliez votre geste sans vous lasser ; à la longue, il produira son effet, plus sûrement que toute autre intervention. »
Eugène Etienne**, né à Oran, en 1844, d'un père officier d'active, abandonne sa préparation à St-Cyr pour entrer dans une maison d'export-import de Marseille. Son intérêt pour la politique le porte vers les cercles républicains et, parallèlement, il entre dans la FM\à la loge « Cosmos » de Paris. En 1870, il est dans l'entourage immédiat de Gambetta et c'est sous son patronage qu'il est élu député d'Oran en 1881. Désormais, son nom est lié à la politique d'expansion coloniale française. Sous-Secrétaire d'Etat aux Colonies, en 1889, il en restera longtemps après son départ un inspirateur influent. Journaliste de talent, il devient l'animateur de comités, de groupements et d'associations consacrés à la défense des intérêts coloniaux. Personnage complexe et discuté, son jubilé est fêté, en 1905, par ses amis qui voient en lui le « fondateur respecté », le « chef aimé » du Groupe Colonial.
Créé et animé par Etienne, ce Groupe Colonial de la Chambre des députés rassemble, à sa fondation, quatre-vingt onze membres et, en 1902, deux cents : Républicains, Progressistes et Républicains de Gauche. De plus, ce Groupe Colonial s'appuie sur celui du Sénat.
En outre, le F\ Etienne anime ou dirige le Comité de l'Afrique Française, le Comité de l'Asie Française, le Comité de Madagascar, le Comité du Maroc, et le Comité de l'Océanie Française. Il est en relation avec « l'Union Coloniale Française », syndicat des principales Maisons Françaises ayant des intérêts aux colonies, qui publie La Quinzaine Coloniale, solidement documentée ; sans compter que cette Union organise, année après année, des Congrès sur le problème colonial, l'Afrique du Nord, les Anciennes Colonies, l'Afrique Orientale, etc.
Le F\ Etienne est un des hommes-clés de ce réseau qui comprend également les Sociétés de Géographie, les rédacteurs du Journal des Débats et de la Revue des Deux Mondes. Des journalistes de grands quotidiens non spécialisés prolongent cette communication, cette sensibilisation de l'opinion publique. Enfin, conscient de l'importance et de la spécificité du problème, il appuie la création de l'Ecole Coloniale de la rue de l'Observatoire.
Au total, ce F\, qui finira Sénateur d'Oran en 1920, est représentatif de :
- la pensée coloniale d'un groupe minoritaire dans la société française pour qui les colonies sont importantes, voire même indispensables, à la grandeur de la France.
- l'intérêt porté, tant sur le plan maçonnique que profane, à l'organisation de structures permettant aux « coloniaux », de Métropole et des colonies, de se faire entendre.