LA FRANC-MAÇONNERIE

dans

les   COLONIES  FRANÇAISES

 

1738 - 1960

 

 

assimilation ou association ?

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   Odo Georges
  • Table Générale des matières - BibliographieLouis XV - Louis XVI - Tableau Loges Révolution - Napoléon/Restauration - Napoléon III - Débuts III° République - Consolidation avant 1914  - Plénitude après 1918  - Assimilation ? - Doutes après 1930 - 1940.1946 et Union Française  - 1946 Indépendances

  •              Tableau récapitulatif des loges coloniales

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    CHAPITRE  IX

     

    Assimilation

    ou   Association ?

     

     

    Un intérêt plus marqué pour les questions coloniales

    Un esprit de «missionnaire» au service de la civilisation occidentale humaniste

    La théorie de l'assimilation au contact des réalités

    La théorie de l'association de Sarraut, source de réflexion dans les milieux maçonniques

    Les hésitations et l'attachement au principe de l'assimilation, malgré tout

    Blaise Diagne, le chantre de l'assimilation et de l'intégration

                

     

     

     

    Un intérêt plus marqué pour les questions coloniales

     

    La Grande Guerre a fait découvrir, aux Français de la métropole, l'importance des colonies. La question coloniale est alors abordée avec plus d'intérêt qu'elle ne l'avait été avant guerre. Les progrès des loges dans les structures obédientielles et la reconnaissance par la Nation du rôle des colonies entraînent une augmentation des sujets traités concernant les colonies. Les FF\ des colonies ont le sentiment d'être mieux écoutés.

     

    Au GODF, la Commission des Affaires Politiques et Sociales voit la masse de ses dossiers  s'étoffer à partir de 1920 pour aller croissant au cours des années suivantes.

     

    Sujets abordés  régulièrement : Enseignement aux colonies - Agissements de l'Eglise catholique -  Défense laïque - Politique coloniale - Mise en valeur - Justice indigène - Assistance médicale et hygiène - Assistance aux déshérités - Fonctionnaires et militaires coloniaux - Islam et FM\ - L'Algérie et les deux protectorats voisins Tunisie et Maroc.

     

    Sujets plus événementiels : 1920 Syrie - 1921 Syrie, Tanger et Nouvelles Hébrides - 1922 Egypte et AOF - 1923 Antilles, Indochine, Turquie, Liban, Madagascar - 1924 Syrie, Nouvelle Calédonie, Liban, guerre du Rif - 1925 Sarrail, Lyautey, Indochine, « vieilles colonies », Martinique - 1926 Syrie, Indochine, Tahiti et Tanger - 1927 Cambodge, Syrie, Tchad - 1928 Syrie et Tahiti - 1929 Syrie, Congo, Liban, Indochine - 1930 et 1931 - 1932  AEF - 1933 AOF, Indochine, Guyane, Antilles, Madagascar - 1934 et 1935 - 1936 Cochinchine, Nouvelle Calédonie, Madagascar - 1937 Madagascar, Guadeloupe, AOF, Sahara - 1938 Indochine, Guyane.

     

    Le convent du GODF, de 1923, consacre une grande partie de son temps au problème colonial mis à l'étude des loges. Le convent de la GLDF, en 1927, créée une commission des colonies et recense en matière coloniale treize points majeurs au cours d'une étude mise également à l'étude des loges. Le convent du DH 1928 approfondit à son tour le sujet des colonies.

     

     

    Un esprit de « missionnaire » au service de la civilisation occidentale, européocentriste et humaniste

     

    Les noms de loges sont révélateurs de cette vision coloniale à la fois «.Humaniste » et « Européocentriste ». Les thèmes sont assez largement repris par  les divers intitulés pour être répertoriés et révéler une philosophie sous jacente. Il s'agit, dans l'esprit des Francs-Maçons, dans le cadre d'une histoire linéaire et orientée vers le Progrès, d'apporter les bienfaits de la civilisation occidentale dans des pays en stagnation ou en retard dans l'évolution en cours.

     

    - Le premier thème est celui d'un retour à la civilisation : «.Bélisaire » à Alger, « Phénicia » à Rayak, « Nouvelle Volubilis.» à Tanger, « Nouvelle Carthage » à Tunis, « La Renaissance » à Ténés, Casablanca et Tunis. Perspective de l'histoire - des relations entre les deux rives de la Méditerranée - avantageuse pour le monde phénicien, grec et romain donc français par héritage. Une variante de ce thème existe, en Afrique du Nord, avec indication d'une autre source d'où peut venir la Renaissance espérée, à savoir le monde berbère : « l'Avenir Berbère » à Taza, « l'Eveil Berbère » à Fez.

     

    - Le thème le plus fréquent, cependant, est celui de la Lumière sous ses différentes formes : « Luz de Africa » à Oran, « la Vraie Lumière Africaine » à Philippeville, « Anfa-Lumière » à Casablanca, « Lumière et Paix » à Safi, « La Lumière du Cameroun » à Douala. La lumière céleste n'est pas absente avec l'aurore, liée d'ailleurs à la perspective d'un renouveau, d'une renaissance :  « l'Aurore du Congo » à Brazzaville, « la Nouvelle Aurore » à Dakar, « l'Aurore fraternelle » à Oujda. Toujours dans la catégorie des lumières célestes offrant une direction souhaitable : « l'Etoile Occidentale » à Dakar, « l'Etoile Bienfaisante » à Alger, « L'Etoile de Carthage » à Tunis, «.l'Etoile du Zerhoun » à Meknès, « L'Etoile du Tonkin » à Haiphong. Enfin, lumière plus humaine : « le Phare Africain »  à Oran, « le Phare de la Chaouia » à Casablanca.

     

    - Autre thème, aussi lié à la Franc-Maçonnerie que la lumière, celui de l'Union, qui réunit ce qui est épars, et de la Fraternité : «.Union Africaine » à Oran, « l'Union » à Tunis, « L'Union Guyanaise » à St-Laurent de Maroni, « L'Union Calédonienne » à Nouméa ; « La Fraternité Tonkinoise » à Hanoï, « La Fraternité Marocaine » à Rabat.

     

    - Dans l'esprit des FF\ concernés, cette Lumière et cette Union, associée à la Fraternité, mènent essentiellement à la Vérité, à la Raison, au Progrès, valeurs de référence nécessaires pour donner un sens à l'Histoire et à la colonisation. En effet, les colonies ne sauraient être sans un justificatif humaniste : «.Véritas » à Tunis, « Vérité et Persévérance » à Yaoundé ; « la Raison » à Oran, « Travail, Liberté, Progrès » à Tunis, « Le Réveil de l'Orient et les Fervents du Progrès Réunis » à Saïgon. L'européocentrisme des Francs-Maçons s'affirme.

     

     

    La théorie de l'assimilation au contact des réalités

     

    L'européocentrisme - sentiment très largement partagé par les Européens de la supériorité de leur civilisation - fonde le désir de faire profiter du Progrès les autres peuples, de les amener au même stade de civilisation que le colonisateur. A cela, s'ajoute certainement un reliquat de jacobinisme qui ne laisse pas de place au droit à la différence ; c'est d'ailleurs le moment où la dénomination « Outre-Mer » se développe. Dans cette démarche vers « l'autre », ainsi justifiée, la formule que préfèrent les Francs-Maçons, est l'assimilation des colonisés.

     

    Ce principe de l'assimilation va animer le combat mené dans les vieilles colonies, avec l'appui des populations concernées, pour obtenir en quelque sorte la pleine citoyenneté française. Il s'agit, après avoir obtenu la fin de l'esclavage, de conquérir l'application des lois françaises en matière d'Egalité, de Liberté et de Fraternité. Les FF\ retrouvent là une pleine cohérence entre les attentes des populations et leurs valeurs humanistes qui placent l'Homme au centre de leurs préoccupations. Il est clair que derrière l'assimilation se profile l'intégration et la reconnaissance des vieilles colonies comme partie prenante de la France.

     

    Par contre, le principe de l'assimilation est soumis à une rude épreuve en Algérie. La question de la relation entre la République laïque et les musulmans, désireux de conserver un statut spécial, se pose de façon cruciale. L'Indochine est également un terrain délicat dans la mesure où les populations sont attachées à leur propre civilisation, que les Européens  reconnaissent en tant que telle.

     

    La résistance des colonisés à l'assimilation et la dette que la métropole estime avoir à leur égard, pour leur contribution à la guerre, poussent les Francs-Maçons à prendre en considération leurs mœurs et leur culture. La FM\ participe à un mouvement largement répandu en France de reconnaissance des réalités ethniques et culturelles des autres continents. Les FF\, qui dénoncent les excès de la colonisation, n'en continuent pas moins à la légitimer dans la mesure où elle permet de faire bénéficier les « indigènes » des bienfaits de la Raison et de les faire avancer dans le sens linéaire de l'Histoire qui mène vers le Progrès. Position incommode car riche de contradictions non résolues.

     

    La théorie de l'association de Sarraut, source de réflexion dans les milieux maçonniques

     

    En 1923, Albert Sarraut**, dans son ouvrage  La mise en valeur des colonies françaises, avance une théorie coloniale qui tente de résoudre ces contradictions. Sa théorie sur « l'association » conforte le bon droit des colonisateurs et donne un espoir de rénovation des structures.

     

    Véritable programme d’autarcie, de la France et de son Empire, dont l’influence se sent dans les conclusions du Convent GODF de la même année 1923 : « les colonies sont des créations d’humanité, des conquêtes morales dont l’économie serait complémentaire de celle de la métropole. Les droits politiques seront développés avec une certaine autonomie administrative. La sagesse des colonisés les écartera d’une indépendance qui ne serait qu’impuissance. La colonisation, c’est le droit du plus fort à aider le plus faible : c’est la politique d’association ».

     

    Il s'agit pour les FF\, en accord avec la pensée de Sarraut, de pratiquer une politique de défense et d'éducation des races, de constituer des élites indigènes pouvant accéder à la qualité de citoyen. Sont également préconisés : la représentation indigène dans les assemblées locales, une politique de décentralisation administrative, la création d'industries, le droit de commercer avec l'étranger en échappant au protectionnisme métropolitain. Ce programme, même en cas d'indépendance, permettrait de nouer les liens durables de la gratitude et de l'intérêt des rapports économiques.

     

    La solution convient aux FF\ parce qu'elle apporte une réponse efficace à la crise économique d'après-guerre et, semble-t-il, qu'elle est constructive sur le plan humain. Elle rend justice à la contribution des colonisés pendant la guerre et tient compte de l'émergence, dans l'horizon intellectuel français, des « cultures indigènes ». Surtout, en donnant une signification morale à l'action et à l'œuvre en cours outre-mer, elle lève les scrupules des Francs-Maçons qui auraient pu douter de la légitimité de la colonisation.

     

    Les hésitations et l'attachement au principe de l'assimilation, malgré tout

     

    Nombre de FF\ se montrent cependant hésitants. Les réactions à une circulaire, envoyée par la loge d’Hanoï «.Fraternité Tonkinoise », résument ces hésitations. Les FF\, à qui elle est adressée, en font l'analyse suivante : « Sa théorie de l’émancipation a peu de conviction ; elle évolue de l’assimilation à l’association... En résumé toutes les questions ont été examinées, mais aucune de façon approfondie. C’est une question de longue haleine ». Cette notion, du « temps nécessaire avant décision », sera souvent utilisée dans le dossier colonial au point de laisser passer le moment propice.

     

    Au convent GODF de 1923, la commission conventuelle affirmait : « On ne peut s'arrêter ni à une rigide politique d'association, ni à une politique simpliste de brusque et complète assimilation ». Cette commission préconisait donc, en pleine ambiguïté, «.qu'une politique souple de large association soit appliquée aux indigènes en vue de leur assimilation progressive et complète, posée en principe de base ».

     

    Le  convent GLDF de 1927, précise une série de réalisations souhaitables. Mesures qui confortent le travail de structuration des sociétés colonisées, c'est-à-dire le travail d'assimilation en cours. En attendant de décider entre l'intégration à la citoyenneté française et l'association, car le convent pense qu'il faudra trancher  différemment selon les pays concernés.

     

    Les propositions sont identiques, sous une forme plus ramassée, à celles avancées par le convent de 1923 du GODF. Les FF\ des deux obédiences et les FF\ et SS\ du DH - convent de 1928 - sont dans la même logique :

     

    1..Aucune conquête coloniale nouvelle ne doit être entreprise – 2..Les travaux d’organisation et des améliorations urgentes doivent être entrepris dans chaque  colonie. – 3..Les concessions accordées doivent être contrôlées ou révisées. – 4..L’organisation de la vie communale avec participation des indigènes doit remplacer les territoires militaires. – 5..En France, les programmes scolaires doivent donner une plus large place à l’étude des colonies. – 6..L’instruction des indigènes doit être intensifiée de façon gratuite, obligatoire, laïque dans l’Ecole Unique. – 7..La coopération entre colonisateurs et colonisés doit être développée par la création d’écoles professionnelles. – 8..Que soit étendue aux colonies l’application des lois sociales métropolitaines. – 9..Que soit organisées ou étendues les institutions de crédit mutuel agricole et artisanal. – 10..Que soit étendue aux colonies, l’application des Principes des Droits de l’Homme. – 11..Que les gouvernements coloniaux donnent tout spécialement leur appui aux œuvres laïques. – 12..Que soit supprimé le code de l’Indigénat. – 13..Que le recrutement forcé ne puisse pas être exercé.

     

    Les FF\ ressentent rapidement que l'une des finalités majeures du projet Sarraut s'avère être d'ordre économique. Ils mettent en garde le convent GODF, de 1928, contre une vision essentiellement économiste du phénomène colonial : « la richesse ne constitue, en aucun cas, la justification de la colonisation ». Surtout, par attachement au Progrès et à la Raison, les FF\ en viennent à craindre que l'association aboutisse à « laisser l'indigène évoluer dans sa civilisation », sans lui permettre «.d'évoluer » pour accéder à La Civilisation. Vision conforme à l'européocentrisme du moment.

     

     

    Blaise Diagne, le chantre de l'assimilation et de l'intégration

     

    en 1872 à Gorée dans une famille modeste, il fait des études grâce à l'aide de la famille mulâtre Crespin** (famille dont le nom est attaché à la Franc Maçonnerie de Saint Louis du Sénégal). Diagne** commence sa carrière dans l'administration au Dahomey, avant de passer au Congo où il lui est reproché de « se poser en émancipateur de la race noire ».

     

    Il est affecté ensuite à la Réunion où il est initié, en 1899, par la loge « L'Amitié » de St Denis. Passé à Madagascar il devient Vénérable fondateur de « L'Indépendance Malgache » à Tamatave en 1905, titre qui n'est pas sans signification.

     

    Sa carrière l'amène à Cayenne en 1910, où le gouverneur affirme : « Diagne souffre d'une indigestion d'assimilation ».

     

    Elu député du Sénégal en 1914, malgré l'opposition des Européens et des St Louisiens, il se veut fédérateur : « Je suis noir, ma femme est blanche, mes enfants sont métis ». Pendant la guerre, son ambition est de renforcer la nationalité française des Sénégalais des quatre communes.

     

    C'est pourquoi il dépose, en 1915 et 1916, des propositions de loi tendant à associer les «.originaires » à l'effort de guerre et à les amener au rang de citoyen français à part entière. Une fois ces troupes sur le front, Diagne n'oublie pas d'en prendre la défense quand les circonstances l'exigent.

     

    En 1918, Clemenceau le nomme Commissaire de la République dans l'Ouest Africain pour faciliter le recrutement de soldats. Ce que Diagne accepte en contre partie de conditions avantageuses pour la promotion des Africains vers la citoyenneté française. Cet objectif n'est plus évident, en 1930 à Genève, à propos  du travail forcé dans les colonies françaises. Sa disparition, en 1934, ouvre un champ plus large aux idées nouvelles que défendent, au Sénégal, les syndicats et les partis de gauche, dans lesquels militent à titre individuel des FF\ engagés dans la cité.

     

    Sur le plan maçonnique, Diagne, bien que député du Sénégal, s'est affilié  à la loge « Pythagore » de Paris. Mais il garde des liens suivis avec la FM\ au Sénégal, parfois tendus.

     

    En 1924, le GODF le délègue officiellement, en tant que membre du Conseil de l'Ordre (premier Conseiller de l'Ordre originaire de l'Afrique sub-saharienne), pour inspecter les loges de Dakar et St Louis. Pour le moins, il y a en Blaise Diagne un avocat éloquent de l'assimilation dans les cercles les plus responsables de la politique française et en retour un promoteur de cette « d'idée-force » débattue dans les colonies.

     

    Son acceptation du fait colonial et de l'assimilation est totale si le colonisateur et le colonisé tirent, chacun, parti équitable de cette situation. C'est un raisonnement que tiennent la plupart des FF\ dans les loges coloniales.

     

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