Histoire de
l’assimilation, des « vieilles colonies » françaises aux
départements d’outre-mer. La culture politique de
l’assimilation aux Antilles et en Guyane françaises (XIXe et
Xxe siècles)
Ibis rouge, 2006, 258 p. Compte rendu rédigé par Dominique
Chathuant
lundi 7 mai 2007, par
Dominique Chathuant
Serge MamLam Fouck,
Histoire de l’assimilation, des « vieilles colonies »
françaises aux départements d’outre-mer. La culture
politique de l’assimilation aux Antilles et en Guyane
françaises (XIXe et Xxe siècles), Ibis rouge, 2006, 258
p.
par Dominique Chathuant,
professeur d’histoire-géographie (Reims). Auteur de travaux
sur les Antilles, l’assimilationnisme et l’action en France
de parlementaires coloniaux.

UN OUVRAGE QUI ECLAIRE SUR UN MALENTENDU
Il est toujours délicat de
chroniquer un ouvrage portant sur un
sujet qu’on a soi-même abordé. On l’oublie vite quand on
se trouve pleinement en accord avec ce livre indispensable à
qui veut comprendre le malentendu entretenu à propos de
l’histoire, très paradoxale, des actuels DOM.
Malentendu sur l’identité - Il faut pour présenter
l’ouvrage, rappeler qu’à diverses époques, des sensibilités
tiers-mondistes et anticolonialistes ainsi qu’une bonne
partie de la gauche française ont souvent commis l’erreur de
percevoir Antillais et Guyanais comme des nationalistes à la
veille d’arracher l’indépendance de micro-Etats souverains.
Il en résulte un certain décalage entre un discours
identitaire et différentialiste venu de l’hexagone et
régulièrement confronté sur place à l’affirmation d’une
appartenance à la nation française. C’était déjà le cas
lorsque, en 1915, Maurice Delafosse, promoteur du
relativisme culturel et de l’égalité raciale, regardait
comme ethnocentrique une proposition de loi
départementaliste des députés Achille René-Boisneuf
(Rad.-soc., Guadeloupe) et Joseph Lagrosillière (SFIO,
Martinique). Il y a peu de temps, le Monde,
relevait à propos d’une visite en Guadeloupe de Ségolène
Royal, alors candidate aux présidentielles de 2007 que,
« les propositions de nature identitaires, pour la plupart,
de Mme Royal, semblent avoir moins convaincu » [1].
On se souvient que la première place obtenue en 1981 par le
candidat Valéry Giscard d’Estaing avait également été
attribuée par de nombreux analystes à la crainte d’un
largage de la part du candidat Mitterrand.
Réplique aux danseuses de la France - Le second
rappel préalable concerne un discours plus marqué à droite
selon lequel l’affirmation d’une appartenance à la France
relevait avant tout d’une demande d’assistanat. Si l’on se
souvient des discours de Valéry Giscard d’Estaing sur « les
danseuses de la France » et de celui, beaucoup plus récent,
d’un polémiste aussi radiotélévisé qu’approximatif dans ses
connaissances, on oublie que l’origine de cette sensibilité
doit être recherchée dans les milieux d’affaires français de
l’époque coloniale, dans un courant anticolonialiste de
droite qu’on appellera plus tard « cartiérisme », en
référence à un journaliste de Paris-Match.
Dans les deux cas rappelés
ici, on est surpris de l’ignorance dont les deux points de
vue témoignent à propos de la culture assimilationniste des
Antillais et des Guyanais.
ETRE CONSIDÉRÉS COMME DE VRAIS FRANÇAIS
Un
ouvrage nécessaire - Malgré des ébauches d’études
que l’auteur ne manque pas d’évoquer, il manquait un ouvrage
capable d’expliquer par quel mécanisme, s’est développé, aux
Antilles et en Guyane (et plus tard à la Réunion), une
culture politique dont l’un des traits spécifiques est
l’affirmation d’une identité française. Il est significatif
que lors des différentes manifestations intellectuelles
ayant accompagné les anniversaires de la loi de
départementalisation de 1946, il ait souvent été question de
l’assimilation comme revendication ponctuelle, sous forme de
proposition de loi portée par les députés des vieilles
colonies, plutôt que comme ce qui relevait d’une structure
mentale de longue durée, objet d’histoire dont il convenait
d’expliquer la genèse.
Une
revendication des élites de couleur - L’ouvrage de
Serge Mam-Lam-Fouck, prolifique historien guyanais, se
propose donc d’aborder cette culture politique en
s’attachant dans un premier temps à rappeler l’origine des
positions assimilationnistes dans les élites de couleur en
Guyane et aux Antilles, vieilles colonies dans un empire
dont la grande majorité des habitants n’étaient pas des
citoyens. L’auteur explique ainsi, en rappelant la situation
d’apartheid vécue après le rétablissement napoléonien de
l’esclavage [2],
que la revendication assimilationniste se confond avec les
aspirations égalitaires des élites de couleur, dont les
représentants veulent être des Français crédibles alors
qu’il sont dans la position inconfortable du colonisé. Est
évoqué, entre autres, le discours du Guyanais Gustave
Franconie qui, vers 1880, ne conçoit le passé esclavagiste
que comme une aberration de la conscience française.
Les
deux France - A travers une étude du cas guyanais,
Serge Mam Lam Fouck souligne combien le projet
assimilationniste se situe au cœur de l’action du Conseil
général de la Guyane. Un mécanisme est mis en avant : le
rôle joué, dans les représentations, par l’image des deux
France. La mauvaise est celle de l’administration coloniale
qui admet un principe sans vraiment le respecter. L’autre
France idéalisée est celle qu’on ne cesse de réclamer, à
travers la demande d’application de la loi de conscription
(décret Poincaré de 1913) puis avec la revendication
départementaliste.
De la
France rêvée à la départementalisation -
Rencontrant régulièrement les réticences de milieux
dirigeants inquiets de créer un précédent, la loi
d’assimilation est finalement votée le 19 mars 1946, par des
parlementaires de gauche d’autant plus portés à demander
plus de France, que le tripartisme penche alors de leur côté
dans le contexte d’un développement de l’Etat-Providence
avec, entre autres la création de la Sécurité sociale. Dans
son 4e chapitre, l’auteur analyse comment, une fois la loi
obtenue, on passe du rêve à la réalité, de la France rêvée à
la départementalisation vécue et bientôt contestée. Après
une dizaine d’années, c’est en effet le temps des déceptions
et des discours autonomistes puis nationalistes.
UNE PROBLÉMATIQUE NATIONALE
Un pan
de l’histoire nationale française - Cet ouvrage,
aussi utile que pertinent, ne doit pas être adressé au seul
lectorat guyanais ou même domien. A l’heure où l’on
s’emploie à intégrer à la trame de l’histoire nationale
française, une dimension coloniale jusqu’ici rejetée par la
mémoire autant que par l’organisation des chapitres de nos
programmes [3],
il convient d’être en mesure d’expliquer aux élèves de tout
le système éducatif français pourquoi les Antilles, la
Guyane et la Réunion prirent un autre chemin que les autres
colonies et virent dans la départementalisation, qu’elles
revendiquaient, une forme de décolonisation. C’est bien la
perception d’une France idéalisée, généreuse et égalitariste
qui pousse à de telles revendications, venues de la gauche
et repoussées par les forces les plus hostiles à l’avènement
local des institutions républicaines, celles-là même qui ont
cru voir en Vichy la divine surprise, à savoir le retour
d’un ordre politique excluant le descendant d’esclave par
l’abolition des institutions de la IIIe République.
Paradoxalement, à l’instar de l’inversion gauche-droite qui
s’est produite en France lors de l’affaire Dreyfus pour le
nationalisme français, les valeurs portées par la culture
assimilationniste furent transférées à droite alors
qu’apparaissaient à gauche des revendications autonomistes
et nationalistes. Ces dernières sont d’ailleurs aujourd’hui
d’autant plus présentes dans le champ culturel qu’elles ont
reculé dans celui du politique.
Une
grande possibilité d’adaptation pédagogique - Les
collègues désireux d’inclure un exemple domien à leurs cours
sur la colonisation et la décolonisation comme à toute autre
séquence sur l’étude du sentiment national, pourront, entre
autres utiliser le texte de Gustave Franconie figurant à la
page 74. Il y a également lieu d’utiliser l’exemple de
l’image de Félix Eboué telle qu’elle est peu à peu
transformée par les différentes idéologies qui se
l’approprient. La liste des suggestions n’est pas
exhaustive.
Voir
aussi :
Interview : Serge Mam-Lam FOUCK - Professeur d’histoire
(Université Antilles-Guyane) : « Il y a un consensus à
propos de la revendication de la départementalisation »
[1]
« Cahier spécial - Résultats des présidentielles »,
le Monde, mardi 24 avril 2007, p. 55.
[2]
Le terme apparaît peu discutable compte tenu de textes
précisant explicitement que le titre de Français ne peut
être porté que par des hommes blancs. Ex : http://abolitions.free.fr/article.php3 ?id_article=46#doc
[3]
Il suffit, pour s’en convaincre, de constater quelles
acrobaties sont effectuées pour distribuer dans deux
chapitres distincts des dates concernant l’histoire de la
IVe et de la Ve et d’autres dates qui ne concerneraient que
la décolonisation. Cf. aussi
Nicolas Bancel et Pascal Blanchard (dir) en collaboration
avec Sandrine Lemaire, Culture
post-coloniale (1961-2006), traces et mémoires coloniales en
France, Autrement, « Mémoires / Histoire », 286 p.
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