LA FRANC-MAÇONNERIE dans les COLONIES FRANÇAISES
1738 - 1960
Plénitude coloniale après la première grande guerre |
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Table Générale des matières - Bibliographie - Louis XV - Louis XVI - Tableau Loges - Révolution - Napoléon/Restauration - Napoléon III - Débuts III° République - Consolidation avant 1914 - Plénitude après 1918 - Assimilation ? - Doutes après 1930 - 1940.1946 et Union Française - 1946 Indépendances Site traduit en ;
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CHAPITRE VIII
après la Première Grande Guerre
Les loges coloniales pendant la Première «Grande Guerre»
La Franc-Maçonnerie se maintient hors d'Afrique
Relance, après la guerre, des loges coloniales en Afrique
Point d'orgue : Cameroun, Syrie-Liban, Maroc
Les loges coloniales dans les structures obédientielles
Prolongement des options des loges sur le plan profane
Les Francs-Maçons et le parti colonial
L'action des Francs-Maçons dans leurs Orients
Les loges coloniales pendant la Première « Grande Guerre »
En 1914, l'empire colonial français s'étend sur 14.416.000 km carrés et compte près de 48.000.000 d'habitants. Quand la guerre éclate nombreux sont ceux qui pensent que la cohésion de cet empire, en voie d'achèvement, ne résistera pas. La réalité est différente et il suffit de moins de cent mille militaires, y compris les troupes au Maroc, pour maintenir l'ordre. Non seulement les colonies ne sont pas une charge pour la métropole mais elles fournissent une importante contribution à l'effort de guerre.
Dans cet ensemble territorial éloigné des combats, les loges des deux obédiences poursuivent, pour la plupart, leurs activités ; même si certaines sont affectées par le départ de FF\ mobilisés. Elles se consacrent, essentiellement sinon uniquement, à l'effort de guerre. De nombreuses loges envoient régulièrement des dons dans le cadre des aides matérielles et des secours pour les victimes, maçons ou non, de la guerre. L'effort est conséquent, l'Indochine et l'Algérie se distinguant particulièrement, en rapport avec leur importance dans le dispositif maçonnique colonial.
Ά la fin de la guerre, pour fêter la victoire de 1918, les FF\ multiplient les câblogrammes, les discours, les tenues blanches auxquelles on invite même le gouverneur et les hauts fonctionnaires profanes comme à Fort-de-France et St-Denis. La joie exprimée est à la mesure de l'attachement et des sentiments profonds des FF\ lointains envers la Nation et la Patrie.
Ά l'issue des hostilités, le temps des bilans est venu : peu de loges coloniales se sont mises en sommeil. A titre indicatif, il suffit de se pencher sur le nombre de loges que le GODF et la GLDF administrent dans l'ensemble de l'empire, dont une très large partie en Afrique :
GODF
GLDF En 1911, 47 loges coloniales 22 En 1925, 41 loges coloniales 33 En 1939, 56 loges coloniales 36 |
Ces chiffres attestent à la fois l’ampleur de la présence maçonnique hors métropole et la prépondérance du GODF dans les colonies, malgré la progression sensible de la GLDF entre les deux guerres.
Sans oublier le DH, obédience mixte récente en France, qui arrive à se glisser, de façon ultra minoritaire, à la suite des deux obédiences masculines prépondérantes. Cependant, ces chiffres ne doivent pas faire oublier la fragilité d'un certain nombre de loges, à cause de la faiblesse de leurs effectifs. Enfin, ils ne sauraient masquer une disparité géographique : le Liban et le Maroc sont les principaux bénéficiaires de l'accroissement constaté.
La Franc-Maçonnerie se maintient hors d'Afrique
L'Indochine, dès avant la Grande Guerre, avait cessé d'être une charge économique pour la métropole. La conjoncture indochinoise est favorable, d'autant plus pour les Maçons que le F\ Varenne est Gouverneur. C'est dans ce contexte que s'opère la relance des loges, GODF et GLDF, existant déjà avant guerre à : Hanoï, Saïgon, Hué et Phnom Penh. Tandis que Ho Chi Minh** lui-même se fait initier à Paris. Le DH fait son apparition dans la vie maçonnique locale avec, en 1923, sa loge d'Hanoï «.Confucius 111 ».
En Nouvelle-Calédonie, où la faiblesse de la composante démographique européenne est une constante, l'économie locale traverse une période délicate : la richesse agricole se révèle être un mythe et l'industrie du nickel subit les effets de la concurrence canadienne. Dans ces conditions, les FF\ du GODF ont le mérite de maintenir en activité leur loge pendant toute la durée des années vingt.
Efforts que font également, à Tahiti, les FF\ du GODF et de la GLDF, eux aussi menacés d'un manque d'effectifs suffisants, pour ouvrir leurs travaux, en raison des difficultés de recrutement.
Ά Madagascar, les FF\ s'évertuent à conserver leur potentiel de loges aux effectifs souvent réduits. En 1925 à Tamatave, « La Côte Est » n'est jamais, chronologiquement, que la troisième loge du GODF dans cet Orient ; ce qui est indicatif de la peine qu'éprouve la Maçonnerie à s'ancrer en territoire malgache. Dans cette île vaste, il n'y a, toutes obédiences confondues, que quatre Orients dotés de loges : Tananarive, Tamatave, Diego Suarez et, de façon sporadique, Majunga.
Ά la Réunion, la loge « l'Amitié », après avoir fêté la Victoire en 1918 dans une large extériorisation, reprend ses activités. En particulier les FF\ se mobilisent pour le maintien de l'article 9 du Senatus Consulte du 3 mai 1854, réglant la constitution organique des colonies des Antilles et de la Réunion. Les FF\ prescrivent que le commandement général et la haute administration restent confiés à un gouverneur sous l'autorité directe du ministre des Colonies. L'île restant ainsi dans la perspective ouverte par les Antilles qui réclament l'assimilation.
En Martinique, les FF\ du GODF participent à la mise en place par la GLDF, en 1921, de la loge « Les Disciples de Pythagore 485 » pour assurer à Fort-de-France la représentation du rite écossais. Cette entente locale se manifeste, en 1925, lors du Congrès commun que ces loges provoquent pour défendre le principe de départementalisation. Dans le même esprit d'entente, les FF\ du GODF aideront, en 1929, le DH à ouvrir la loge «.L'Emancipation Féminine », toujours à Fort-de-France où se concentrent les forces vives de la Franc-Maçonnerie.
En Guadeloupe, l'élan est moindre ; une disparité s'instaure entre les deux îles antillaises. Ici, les FF\ de la GLDF, privés du volontarisme du F\ Légitimus décédé, traversent des moments préoccupants pour leur loge. Au GODF, les deux loges se relèvent difficilement de la Grande Guerre et le rayonnement politique du F\ Boisneuf - fils d'esclave affranchi il est devenu député - ne change rien à l'affaire. Le cyclône de 1928 vient même aggraver la situation en mobilisant les FF\ à la recherche d'un nouveau local.
En Guyane, la guerre a été fatale à la loge que le DH avait installée quelques années avant ; l'obédience mixte disparaît de la colonie. Par contre, la loge du GODF perdure tandis que, à partir de 1926, celle de la GLDF se double, momentanément, de « La Ruche Ecossaise 549 » à l'Orient de St Laurent du Maroni.
Le sentiment dominant, à l'analyse de chacun de ces Orients, est que les FF\ doivent, pour maintenir leurs activités, compenser leur petit nombre par un engagement individuel permanent.
Relance, après la guerre, des loges coloniales en Afrique
Au Sénégal, les deux loges du GODF, à Dakar et St-Louis, poursuivent leurs activités. Surtout celle de Dakar grâce au rayonnement de la ville, capitale de l'AOF. La GLDF n'arrive pas à s'implanter dans la colonie tandis que « La Nouvelle Aurore » - créée par le DH à Dakar en 1922 - s'essouffle à peine installée.
En Côte d'Ivoire, la GLDF est prise de vitesse par le GODF qui, en 1930 allume les feux de « La Fraternité Africaine » à Abidjan. Les FF\, dont le noyau est constitué de fonctionnaires, sont en effet à pied d'œuvre dans cette ville promue au rang de chef-lieu.
En Guinée, au contraire, la GLDF réussit son premier essai dans la région. En 1916, en pleine guerre, elle trouve les ressources humaines suffisantes pour allumer les feux de la loge « Etoile de Guinée 468 » à Conakry, ville où le GODF n'avait pu se maintenir juste avant la guerre.
Au Congo-Brazzaville, la loge du GODF reste exemplaire de cette problématique : seule en place, elle ne laisse pas d'espace disponible pour la GLDF. Le nombre limité d'Européens et les interventions de l'Eglise sont des freins réels au rayonnement maçonnique et il n'est pas possible de multiplier les Ateliers. La première obédience arrivée a toutes les chances d'exercer un monopole dans le territoire.
Dans toutes ces colonies, donc, il se confirme que l'installation des loges ne peut se faire en nombre. Cela tient essentiellement à la faiblesse du peuplement européen, donc à la difficulté d'avoir une masse d'impétrants. D'autant plus que la pression de l'Eglise sur la société européenne limite encore davantage les possibilités de recrutement par les Francs-Maçons.
Ά contrario, en Afrique Méditerranéenne, la GLDF et le GODF peuvent se côtoyer, se concurrencer, car il y a là un peuplement suffisant pour garnir les colonnes de nombreuses loges. Le DH lui-même participe au mouvement.
En Tunisie, les deux obédiences veillent sur la pérennité de leur réseau dont le centre est Tunis, avec : pour le GODF « Nouvelle Carthage et Salammbô Réunis » - les deux loges ayant fusionné en 1919 - et pour la GLDF « Volonté » doublée de «.Véritas 351 » venue de l'obédience italienne mise à l'index par les fascistes de Rome. Ά ces loges vient s'associer « Henri Périès 201 » du DH, première loge du Droit Humain en Afrique.
L'Algérie garde une position dominante dans cet ensemble colonial, avec Alger comme pièce maîtresse. Le GODF, avec ses 21 loges, se taille la part du lion, sans pourtant accroître son potentiel entre 1918 et 1939. Son réseau de loges couvre une grande partie du territoire et sa loge doyenne « Bélisaire », à Alger, continue d'être une référence, avec deux cents inscrits et des travaux de qualité. La GLDF atteint les 11 loges : des ateliers, même modestes, voient le jour à Oran, Tizi-Ouzou, Philippeville, Constantine, Batna. Sa loge « Le Delta 225 » à Alger, comme sa rivale du GODF, possède deux cents inscrits [la taille numérique des deux loges d'Alger est exceptionnelle] et produit des travaux intéressants.. Le Droit Humain, enfin, ouvre 3 loges : « la Lumière Africaine 203 », la plus ancienne, à Philippeville, la « 206 » à Alger et la « 209 » à Constantine. A cet ensemble maçonnique, déjà étoffé, viennent s'adjoindre : 1 loge du rite de Memphis-Misraïm et 1 loge de l'Ordre Martiniste.
Point d'orgue : Cameroun, Syrie-Liban, Maroc
La paix revenue, il n'y a pas - pour sauvegarder la déclaration du Président Wilson - d'annexions aux dépens de la puissance vaincue mais on instaure le système des mandats qui permettent aux « Nations Développées » d'exercer une « tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société des Nations ». C'est dans ce cadre que les traités donnent à la France des territoires nouveaux à gérer : Togo, Cameroun et Syrie-Liban.
Le Cameroun, colonie allemande placée en 1919 sous mandat français, est l'objet, dès 1924, d'une tentative précoce d'installation de loge par la GLDF. C'est un échec parce que le recrutement n'est pas encore assuré. Dès lors, en 1933, la voie est libre devant le GODF dont « La Lumière du Cameroun » réussit grâce à des fonctionnaires arrivés progressivement pour assurer l'administration directe en honneur dans l'Empire Français.
La zone Syrie-Liban passe, au traité de San Remo en 1920, sous l'autorité de la France. La prise en main de cette région est rendue délicate par l'attitude de l'Angleterre qui veille à son pétrole du Moyen-Orient.
Au Liban, deux dates matérialisent les débuts de la Franc-Maçonnerie : 1861 avec un Atelier de la Grande Loge Ecossaise et 1869 avec « Le Liban » du GODF. Les loges, constituées en majorité de Libanais, font ouvertement appel aux obédiences étrangères et aux puissances tutélaires coloniales potentielles pour déjouer la main mise de la Sublime porte et atténuer la violence ethnique qui secoue périodiquement le pays. Les FF\ Libanais sont très attentifs, en outre, à deux éléments discordants de la vie publique locale : la misère et la violence. Lorsque le mandat français est institué, le GODF accroît sa présence par des loges, souvent précaires, à : Harissa en 1922, « Le Cèdre du Liban » à Souk-el-Gharb en 1922, Tripoli en 1923 et Beyrouth en 1925. La GLDF n'est pas moins active : « La Sagesse 493 » à Beyrouth en 1921, une loge à Baalbek en 1922, à Tripoli en 1924 et une seconde à Beyrouth en 1927.
En Syrie, le GODF a fait son apparition en deux temps. Dès 1864, l'Emir Abd el Kader, en exil forcé à Damas, est reçu Franc-Maçon, mais il reste un cas isolé. En 1866, par contre, c'est une loge « Union des Peuples » qui prend place à Rayak. Cependant, ce n'est qu'après la Grande Guerre que l'influence de l'obédience s'étend, grâce à trois nouvelles loges : à Homs en 1921 « La Fleur de l'Oronte », à Damas en 1927 et à Rayak en 1936. La GLDF, venue plus tardivement, se montre, à son tour, très entreprenante : à Damas en 1922 « Kaynoun 506 », à Alep en 1922, à Margehyoun en 1924, à Hasbaya en 1924, à Hama en 1925, à Lattaquié en 1927 et à nouveau à Damas en 1931.
Toutes ces loges du Liban et de Syrie, souvent éphémères, bénéficient de l'engouement des bourgeoisies locales. Situation atypique en matière de loges coloniales car, partout ailleurs, elles n'attirent pas les populations autochtones.
Au Maroc, le Protectorat à peine signé, en 1912, les FF\ GODF de Tanger et Casablanca voient leur élan stoppé par la Grande Guerre. Il faut attendre 1918 pour que la dynamique reprenne, d'abord en concurrence avec les FF\ Espagnols puis en accord avec eux. Très vite cette concurrence est remplacée par celle entre le GODF et la GLDF.
L'implantation s'opère, dans un premier temps, le long de la côte Atlantique puisque l'intérieur n'est pas encore « pacifié ». Ά Rabat dès 1918 le GODF allume les feux de sa troisième loge au Maroc « Le Réveil du Maghreb » tandis que la GLDF fait la première intrusion à Marrakech en 1919 avec « Léon Gambetta 474 ». Puis, pour l'une et l'autre obédience, c'est à qui s'installe à Mogador, Mazagan, Safi, Agadir, Kénitra et aussi à Meknès, Fez, Taza, Oujda c'est à dire sur l'axe de pénétration coloniale qui mène vers l'Algérie : les créations se font au fur et à mesure de la prise en main du territoire par les autorités françaises et de l'arrivée de fonctionnaires et de commerçants européens. Une trentaine de loges pour les deux obédiences - plus la loge « Minerve 207 » du DH et les nombreux ateliers espagnols - donnent au Maroc un réseau maçonnique de forte densité.
Le peuplement européen, après le départ de Lyautey, a autorisé cet essor maçonnique au point de donner à la Franc-Maçonnerie du Maroc, aux côtés de celle d'Algérie, un poids éminent dans la représentativité coloniale. Car, maintenant, ce problème se pose de façon cruciale.
Les loges coloniales dans les structures obédientielles
Il est évident que le maintien des loges dans toute une partie du dispositif colonial et la montée en puissance des ateliers en pays méditerranéens renforcent le besoin d'une structure particulière au sein des obédiences.
Le schéma général prend en compte à la fois le législatif et l'exécutif des obédiences concernées. Des Congrès Régionaux donnent la possibilité d'une concertation des loges coloniales et renforcent l'impact de leurs vœux regroupés, au moment du convent. Par ailleurs on procède à l'élection d'un représentant «.colonial » au sein de l'Exécutif et une Commission du Convent - permanente ou non - qui a pour objet de suivre les problèmes.
Dès l'avant guerre, les initiatives prises allaient dans ce sens : la « réunion inter obédientielle » d'Algérie - associée à l'Oranie et à la Tunisie - ou encore le « Congrès Régional des loges Coloniales et Etrangères », réalisé à Port-Louis la première fois et poursuivi à St-Denis de la Réunion.
Ά peine la guerre terminée, le GODF institue en septembre 1919 un « Comité des Loges d’Outre-Mer » qui deviendra « Comité permanent des loges des colonies et de l'Etranger ». La GLDF créera, quelques années plus tard, une « Commission Coloniale ». En 1922, un « Congrès des loges coloniales » est institué par le GODF dont les loges syriennes organisent, en 1924, un Congrès maçonnique Syrien. En 1924, les « Réunions inter-obédientielles » vont se renforcer, par l'adjonction de « Congrès des Loges de l'Afrique Française du Nord » GODF et GLDF. Le Maroc, qui tient son propre congrès pour la première fois en 1925, décide de s'y associer. Schéma en harmonie avec l'esprit du moment puisque, dans le monde politique, les Conférences Nord-Africaines réunissent dorénavant le Gouverneur de l'Algérie et les Résidents du Maroc et de la Tunisie. Cette même année 1925, les loges de la Martinique convoquent leur Congrès Régional. C'est dire si le mouvement général porte à la volonté de structuration de la part des loges coloniales. Les FF\ éloignés manifestent, de la sorte, leur souci de démontrer la spécificité des situations locales auxquelles ils pensent pouvoir répondre de façon plus qualifiée.
La mise en place d'une structure représentative des loges coloniales est complétée, il faut le rappeler, par l'élection de Conseillers de l'Ordre auprès du GODF et de Conseillers Fédéraux auprès de la GLDF. Ainsi, les FF\ des colonies sont dorénavant assurés d'un suivi de leurs préoccupations par les obédiences qui ont intégré la dimension coloniale dans leur mode de fonctionnement. Face à d'autres courants d'idées - principalement celui que représente la « Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi », véritable ministère des missions apostoliques - la Franc-Maçonnerie s’est elle-même organisée pour défendre une politique d’accompagnement en matière coloniale, dans le sens qu'elle souhaitait. Action qui pourtant a ses limites si l'on en juge, par exemple, à ce qui est advenu du projet Viollette, sans lendemain.
Prolongement des options des loges sur le plan profane
La question se pose de savoir si les propositions des loges coloniales, ainsi renforcées au sein des obédiences, ont eu des chances d'être prises en considération sur la plan politique. Il est difficile de préciser ce qui l'en est réellement. On peut simplement noter que dans le monde profane de nombreux FF\ sont en charge du dossier des colonies, en précisant bien que « le Maçon est libre dans une loge libre », donc libre de son action dans le cadre de ses fonctions politiques ou administratives.
Au Ministère des Colonies, la liste des ministres successifs comprend les FF\ Hesse 1925, Perrier 1926, Dalimier 1933 ; à qui s'ajoutent Sarraut et Steeg très proches des milieux maçonniques au point que les FF\ les considèrent souvent comme tels. En 1929, un Sous-Secrétariat d'Etat aux colonies est institué. Vont s'y succéder les FF\ Delmont de la Martinique 1929, Archimbaud 1930, Diagne du Sénégal 1931, Candace de la Guadeloupe 1932, Brunet de la Réunion 1933, Dalimier 1934, Monnerville de Guyane 1937.
Dans la liste des Gouverneurs Généraux des colonies, pendant la période d'une vingtaine d'années de l'entre-deux-guerres, les noms de FF\ ne manquent pas. En Algérie : Steeg 1921, Viollette 1925, Carde 1930, Le Beau 1935 qui assurent à eux quatre un total de seize ans. En AOF : Merlin 1919, Carde 1923, de Coppet 1936 soit pendant seize ans également. En AEF : Angoulvant 1918, Augagneur 1920, Reste 1935, soit quinze ans. C'est-à-dire, pour toute cette partie de l'Afrique, environ les deux tiers de la période concernée. En Indochine, la présence de Gouverneurs maçons tombe à onze années avec : Sarraut 1916, Long 1919, Merlin 1923, Varenne 1925. A Madagascar, cinq ans pour les FF\ Merlin 1917, Schrameck 1918, Brunet 1923, de Coppet 1939. Dans les Etablissements Français de l'Inde, le F\.Juvanon en 1930. Il est à remarquer que certains noms se retrouvent d'une colonie à l'autre, au gré d'une carrière coloniale.
D'autres FF\ occupent des postes de Gouverneurs d'un pays, en tant que représentants du Gouverneur Général. Quelques exemples : Estèbe gouverneur de l'Oubangui, du Congo puis de la Réunion, Eboué nommé au Gouvernement Général de la Guadeloupe puis Gouverneur du Tchad.
Dans les Protectorats, il faut noter la présence de FF\ parmi les Résidents Généraux successifs. En Tunisie : Flandin 1918 et Peyrouton 1933. Au Maroc : Steeg 1925 et Peyrouton 1936.
Pour se faire une idée plus large, il faudrait ajouter tous les FF\ responsables d'administrations locales - directement en contact avec les Gouverneurs ou les Résidents Généraux - et prolongeant leur action sur le terrain. Il faudrait également faire le relevé de tous les députés maçons participant aux commissions parlementaires, ayant trait d'une façon ou l'autre aux affaires coloniales, et susceptibles d'avoir pris connaissance des avis énoncés par les loges hors métropole.
Les « vieilles colonies » ne sont pas en reste avec leurs députés fréquemment maçons. La Martinique envoie d'abord Lagrosillière et Sévère puis Delmonte et Frossard. La Guadeloupe, sur le premier siège de député, réélit constamment Candace tandis que, sur le second siège, Satineau remplacera Boisneuf après un bref intermède non maçonnique. La Guyane fait confiance successivement à Grodet, Lautier et Monnerville. Le Sénégal envoie à Paris Diagne. La Réunion renouvelle continuellement sa confiance à Gasparin et sur le second siège Boussenot et Brunet se succèdent. Les Indes ont également, pendant quelques années, leur député maçon : Coponat.
L'Algérie ne connaît pas la même représentation maçonnique hégémonique. Seul Thomson de Constantine sera constamment réélu tandis que, sur le reste du territoire, se suivront Cuttoli, Etienne, Petit et Régis.
Les Francs-Maçons et le parti colonial
L'action de chacun de ces députés est sensible dans les commissions parlementaires mais certains sont plus actifs. Ils se mobilisent pour développer, dans la société civile, la place accordée aux colonies - Gratien Candace est certainement le plus actif, au point d'être considéré comme le continuateur de l'action de Etienne. Il est le fondateur du « Comité d'aide et d'assistance coloniale » et du « Foyer Colonial » pour les anciens combattants des colonies. En 1918 il participe, avec l'aide de Etienne, à la fondation de l'Institut Colonial Français devenu par la suite, avec Delmont et Bérenger, l'Ecole Nationale de la France d'Outre-Mer. Il anime pendant de longues années la « Section des Colonies d'Amérique et du Pacifique » et fonde, avec Bérenger, la revue Colonies et Marine - Alcide Delmont, pour regrouper les Martiniquais présents en métropole, se lance dans la création du « Dîner de la canne à sucre » qu'il réunit une fois par mois. Il est en outre président de « La Solidarité coloniale ». Il ne cesse d'intervenir à la Chambre des députés sur les problèmes économiques coloniaux - Georges Barthélémy, syndic influent de la presse coloniale, est directeur politique de La Gazette Coloniale et de L'Empire Français. Il fonde « La Fédération Française des Anciens Coloniaux » puis « La Fédération des Associations et Syndicats de Fonctionnaires Coloniaux »
Ainsi se perpétue et se consolide, avec la participation de Francs-Maçons, le groupe colonial animé avant guerre par Etienne, selon les mêmes méthodes qui allient les milieux économiques, les hommes politiques et la presse.
L'action des Francs-Maçons dans leurs Orients
Une fois assurée leur audience en métropole, une autre des préoccupations constantes des ateliers des colonies porte sur les rapports établis avec les Gouverneurs dont l'autorité est incontournable. Les courriers adressés aux Obédiences à Paris sont révélateurs de la diversité des situations. Pour certains d'entre eux - Lyautey au Maroc pour ne citer que lui - leur remplacement est demandé.. Pour d'autres - Varenne en Indochine par exemple - leurs initiatives sont fortement approuvées et défendues si nécessaire. Mais quels qu'ils soient, leurs faits et gestes ne sont jamais passés sous silence.
Partout, les FF\ - « Hommes dans la Cité » - deviennent des militants fortement engagés. Avec beaucoup de constance, les FF\ coloniaux des trois obédiences vont relancer les thèmes qui leurs sont chers. Ils font en sorte que leurs propositions soient prises en considération dans leurs Orients respectifs. Pour ce faire, ils n'hésitent pas à défendre ou mettre en pratique leurs idées dans les associations qu'ils animent sur le plan profane : la Ligue des Droits de l'Homme en particulier. Sans oublier toute association - la Ligue de l'Enseignement, les Caisses des écoles, les Coopératives scolaires, etc. - qui gravite autour de l'école. Car pour eux l'école est au cœur de la « colonisation humaniste ».
Les FF\ sont également très vigilants quant au rôle joué par la presse et à l'influence qu'ils peuvent y avoir. Nombre d'entre eux sont rédacteurs, certains même sont propriétaires de petits journaux locaux. Quand ils n'ont pas cet accès direct à la presse locale, ils font passer des communiqués. A titre individuel, les FF\ militent dans les Chambres de commerce ou d'agriculture, les syndicats, les mutuelles. Ils expriment largement leurs opinions politiques, essentiellement au parti radical et au parti socialiste quand ces partis existent sur place. Ils participent activement à l'administration des municipalités, certains accèdent au poste de maire et, de là, à celui de sénateur ou député. Quelques noms : en Algérie Aubry de Sétif, à la Réunion Benard de St-Louis et Gasparin de St-Denis, à Madagascar Estèbe de Tananarive et futur GM\ du GODF, en Guyane Monnerville de Cayenne…
En un mot, les Francs-Maçons des colonies ne se contentent pas de l'information et de l'action dirigées vers la métropole, ils sont présents dans la cité.