De nombreux Vietnamiens furent
initiés en France comme l'avocat Dô
Huu Tri, un des fondateurs de "la
Ruche", première loge de la GLDF au
Viêt Nam, le caodaiste Cao Triêu
Phat qui rejoignit les rangs des
communistes (initié au GODF à
Bordeaux en 1917), Bui Quang Chiêu
2,
fondateur du Parti
Constitutionaliste avec Nguyên Phan
Long, qui préconisait la lutte pour
l'indépendance par la voie pacifique
(initié au GODF à Paris en 1925),
Hô Chi Minh,
sous le nom de Nguyên Ai Quoc,
qui a dû faire un petit tour pour
"voir" avant de trouver son vrai
bonheur dans le communisme (initié
à la loge "la Fédération
Universelle" du GODF à Paris en 1922),
Nguyên Van Thinh, Dô Huu Buu, etc.
Au Viêt Nam, les loges en place ne
commencèrent vraiment à ouvrir leur
porte aux Vietnamiens que vers la
fin des années vingt. La peur ou
plutôt la hantise d'avoir à côtoyer
à niveau égal des "indigènes" aussi
évolués - et certains même plus
cultivés - que des Français de bon
teint issus de la métropole,
l'emportait sur la "fraternité" qui
devait exister entre maçons.
A cette époque, le Grand Orient de
France disposait d'une loge à Saigon
("le Réveil de l'Orient et les
Fidèles du progrès réunis"), d'une
loge à Hanôi ("La Fraternité
Tonkinoise") et d'une loge à Hai
Phong ("l'Etoile du Tonkin"), la
GLDF d'une loge à Saigon ("la
Ruche") et d'une loge à Ha Nôi ("les
Ecossais au Tonkin"), et le Droit
Humain (DH), obédience mixte, d'une
loge à Ha Nôi ("Confucius") fondée
en 1925. Celle-ci accueillit les
trois
journalistes Nguyên Van Vinh,
Pham Huy Luc et
Pham Quynh
3.
En 1930 naquit la loge "Khong Phu
Tseu" (GLDF) dont les membres
fondateurs comprenaient, entre
autres, le dentiste Nguyên Xuân Dai
, le médecin Cao Si Tân (tous les
deux initiés à Paris), et l'avocat
Duong Van Giao (initié en 1924 à
Paris à "Jean Jaurès" de la GLDF).
Les deux avocats formés en France,
Trinh Dinh Thao
4
(initié à "la Ruche") et Vuong Quang
Nhuong, devinrent aussi membres de
cette loge. Un rapport rédigé par
Vuong Quang Nhuong fut même lu au
convent
5 de la GLDF en
France en 1936 consacré au "problème
colonial dans les sociétés
modernes".
Il faut souligner que certains
Vénérables français de loges
du GODF
6 comme Jean Lan de
la "Fraternité tonkinoise", Paquin
de "l'Etoile du Tonkin" et Bouault
du "Réveil de l'Orient" étaient
hostiles à la création de loges
dominées par des Vietnamiens,
celles-ci risquant, d'après eux, de
se transformer en "foyers de combat
contre la domination française".
Dans une lettre datée du 10 janvier
1934 adressée au Grand Maître du
GODF en France, Jean Lan dénonçait
la loge "Confucius"
où Pham
Huy Luc était élu
Vénérable avec cinq Vietnamiens
parmi les huit officiers :
"L'Administration ne voit pas sans
appréhension l'élévation d'un
Annamite à la présidence d'une loge
presque entièrement composée
d'indigènes. Tant que ceux-ci
conservaient à leur tête un
Français, le gouvernement pouvait
compter sur le patriotisme de ce
dernier pour éviter toute discussion
politique antifrançaise au cours des
réunions et pour être avisé de tout
complot qui s'y formerait".
Parmi les Vietnamiens maçons de
l'époque, citons encore
Ta Thu Thâu (dirigeant du
Parti Trotskiste Indochinois),
l'historien
Trân Trong Kim
(membre des "Ecossais du Tonkin" de
la GLDF), le président de la
Chambre des représentants du peuple
de l'Annam Pham Van Quang, le
pharmacien Tham Hoang Tin qui devint
maire de Ha Nôi à la fin de la
guerre d'Indochine, le docteur Pham
Ngoc Thach (initié en 1937) qui
devint ministre de Hô Chi Minh, Vu
Dinh Mân qui donna une conférence
prouvant qu'il n'y avait pas de
contradiction entre l'esprit
maçonnique issu des Lumières et
l'idéologie extrême-orientale
façonnée par un confucianisme qui
était "loin d'être aveuglément
traditionaliste, [mais] de beaucoup
une doctrine d'évolution, donc de
progrès". Il y avait aussi de
nombreux caodaistes comme Ngô Van
Chiêu (qui aurait été initié en
1919), Lê Van Trung, Cao Triêu Phat,
Nguyên Phan Long, Trân Quang Nghiêm,
Truong Kê An.
Un "Carrefour International de
Fraternité" fut créé en décembre
1935 aux environs de Tây Ninh par un
groupe de francs-maçons de diverses
obédiences et de divers pays : des
Français, des Vietnamiens (Trân
Trong Kim et Ta Thu Thâu), des
Américains (dont les généraux
américains Chennault et Stilwell),
des Anglais, un Japonais, un Chinois
et un Philippin (un certain Osmeña
7),
avec pour but de combattre
"l'impérialisme d'un Japon à
l'humeur belliqueuse". D'autres
maçons les
rejoignirent, dont les Vietnamiens
Bui Quang Chiêu, Trân Quang Nghiem,
Cao Triêu Phat, Dang Trung Chu, mais
certains n'y resteraient pas
longtemps (Bui Quang Chiêu, Ta Thu
Thâu, Trân Trong Kim…).. Il fut
décidé de créer des réseaux
nationaux secrets dans toute l'Asie
appelés FB3 (pour Free Brothers 3)
coordonnés par ce "Carrefour" dirigé
jusqu'en 1946 par l'avocat américain
William Donavan. C'est ainsi qu'en
1936 naquit FB3-Indochine qui
choisit de s'ouvrir largement aux
profanes (non-maçons) et qui
s'assigna le double objectif de
"lutter contre l'impérialisme nippon
de plus en plus menaçant […] et (de)
favoriser la
décolonisation de l'Indochine",
déclenchant le désaccord de certains
maçons français qui se retirèrent du
réseau, comme le lieutenant-colonel
Tutenges et le futur général Raoul
Salan.
Après les grands événements de
l'époque (le régime de Vichy
interdisant la maçonnerie au Viêt
Nam par la voix du Gouverneur
Général Decoux, coup de force des
Japonais du 9 mars 1945, épuration
antivichyste), il ne comptait plus
en 1947 qu'un Vietnamien dans les
loges qui renaissaient. Certains
étaient morts, comme Bui Quang Chiêu
et Pham Quynh, tués par le Viêt Minh
en 1945; d'autres étaient passés au
combat nationaliste. Ainsi 'la
Fraternité tonkinoise" déplora dans
un texte que tant de frères
Vietnamiens aient eu une conduite
"antimaçonnique et inhumaine à
l'égard des Français de mars 1945
jusqu'au 19 décembre 1946".
Après 1954, des loges maçonniques
sous influence anglo-saxonne
remplacèrent peu à peu les loges
d'influence française, dont la
dernière à s'éteindre fut "le Réveil
de l'Orient" (au début des années
soixante). A la chute de Saigon en
1975, leurs membres ayant quitté le
pays, ces loges se replièrent aux
Philippines et depuis, la Franc-
Maçonnerie n'existe plus au Viêt Nam
en tant qu'organisation structurée.
N.N.C. |