LA FRANC-MAÇONNERIE

dans

les   COLONIES  FRANÇAISES

 

1738 - 1960

 

 

1930 : Célébration du système colonial   et doutes

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   Odo Georges
  • Table Générale des matières - BibliographieLouis XV - Louis XVI - Tableau Loges Révolution - Napoléon/Restauration - Napoléon III - Débuts III° République - Consolidation avant 1914  - Plénitude après 1918  - Assimilation ? - Doutes après 1930 - 1940.1946 et Union Française  - 1946 Indépendances

  •              Tableau récapitulatif des loges coloniales

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    CHAPITRE  X

    Célébration et limites

    du système colonial

     

    1930-1931, célébration de « L'Empire Français » 

    Les FF\ et la représentativité des Indigènes

    Le recrutement des loges sans Indigènes

    La montée des Nationalismes dans les colonies

    Le Convent de la GLDF en 1936 : « le problème colonial devant la société moderne »

    Le F\ Viollette initiateur de réformes permettant le dialogue entre les communautés en présence

     

     

     

     

    1930-1931, célébration de « L'Empire Français »

     

    En 1930, toute une série de manifestations participent de la colonisation glorifiée : en Algérie, le Centième Anniversaire de la prise d'Alger :  à Carthage, le XXXè Congrès Eucharistique et à Tunis la statue  du Cardinal Lavigerie** et au Maroc le décret Berbère. En mai1931, l'Exposition Coloniale,, à Vincennes, exalte encore la grandeur de « L'Empire Français » ,  dénomination qui prime dorénavant. Un territoire de plus de 12 millions de kilomètres carrés, peuplé de près de 64 millions d'habitants encourage à parler de « la France des cents millions d'habitants ».(@)

     

    La Franc-Maçonnerie n'échappe pas à ce mouvement d'enthousiasme général. En 1930, le Grand Commandeur Savoire, le Président du Conseil de l'Ordre Groussier participent au congrès des loges d'Alger puis, avec le TIF\ Le Foyer GM\ de la GLDF, à la réunion inter obédientielle. En 1931, le convent se met à l'heure de Vincennes : le F\ Estèbe, à l'importante carrière coloniale (maire de Tananarive et gouverneur en Oubangui, Moyen-Congo et à la Réunion) préside les séances, le GM\ Lebey, ancien député membre de la commission coloniale, y participe activement et le F\ Martin, de Tanger, soumet un long rapport sur l'histoire des colonies demandé par le Congrès des loges coloniales. La situation, précise le F\ rapporteur, a valeur symbolique : « TIF\ Estèbe, quand le choix unanime du Conseil de l'Ordre vous a porté à la présidence… c'est en vous la Maçonnerie coloniale et la France d'Outre-Mer qui se sont senties honorées. ». La revue Acacia, elle même, participe à l'événement en se penchant, en 1929, sur l'Indochine et, en 1930, sur l'Algérie.

     

     

    Les FF\ et la représentativité des Indigènes

     

    L'Empire ne correspond ni à un Etat unitaire, ni à un Etat fédéral. Le ministère des colonies ne recouvre pas l'ensemble : l'Algérie dépend du ministère de l'intérieur et le Maroc, la Tunisie du ministère des Affaires étrangères. On distingue trois types d'hommes : les citoyens (essentiellement européens), les sujets (dans les pays d'administration directe) et les « protégés » (dans les protectorats). Ne sont représentés au Parlement que l'Algérie, les Antilles, la Guyane, la Réunion, les villes d'Asie, la Cochinchine et les quatre communes du Sénégal.

     

    Les Francs-Maçons s'associent, sans réticences, au système de représentativité offert aux populations locales puisqu'il laisse, selon eux, l'avenir ouvert à la citoyenneté. Il s'agit de surmonter deux difficultés : d'une part voir l'autorité tomber aux mains des indigènes au détriment de la souveraineté française et d'autre part, en attendant que leur assimilation soit effective, les protéger de l'autoritarisme des européens. D'où des statuts différents suivant les territoires. A titre d'exemples :

     

    Le statut de l'Algérie, hybride, constitue politiquement « une curiosité » révélatrice des contradictions non résolues par les colonisateurs. Pour les FF\ d'Algérie, « il convient que soit entrepris, sans relâche, un travail de développement intellectuel, moral et social de la masse indigène, afin de pouvoir donner à ces indigènes, dans le délai le plus court possible, la plénitude de leurs droits politiques. » En 1933, il est souhaité « l'admission systématique à la qualité de citoyen français des indigènes ayant satisfait à certaines obligations nationales et justifiant d'une certaine culture ». En attendant, le système restrictif demeure !

     

        Aux Antilles - dans la logique qui avait amené les FF\, en 1919, à prendre la tête du mouvement d'indignation contre l'idée d'une cession des Antilles aux Etats-Unis - le Congrès des loges de Martinique, en 1935, réclame « à l'occasion du tricentenaire de la réunion des Antilles à la France, l'assimilation avec des départements français ». C'est une demande que renouvelle régulièrement, depuis plusieurs années, l'ensemble des vieilles colonies ; particulièrement depuis le Congrès , en 1925, à Fort-de-France.

     

    Dans tous les cas de figure, leur « sens de l'histoire » continue à donner aux FF\ le sentiment d'un devoir impérieux pour la France : « Vis-à-vis d'une population vaincue, le peuple victorieux ne peut prétendre qu'à l'exterminer, le réduire en esclavage ou l'élever jusqu'à lui. C'est à ce dernier parti que la France s'est généreusement arrêtée ».

     

     

    Le recrutement des loges sans Indigènes

     

    Cette logique a pour conséquence directe, pour les loges, d'opérer une sélection dont les critères sont la Raison et la Laïcité. C'est une sorte de barrage insurmontable pour nombre d'autochtones, soit attachés à leurs traditions soit acquis au christianisme.

     

    Déjà, pendant les années qui précèdent la première Guerre Mondiale, les FF\ constatent en Algérie : « Nous n'avons dans les loges que des instituteurs ou des interprètes qui, par leur contact avec nous, ont dépouillé toutes leurs habitudes et tous leurs préjugés pour devenir de véritables Français. Mais le nombre trop restreint des indigènes venus à nous ne nous permet pas d'espérer jouer, pour le moment, un rôle important au point de vue de l'assimilation ».

     

    Dans le reste de l'Afrique - Afrique du Nord ou Afrique Sub-Saharienne - les loges sont vides d'Africains. Dans un premier temps, « parce qu'ils ne parlent pas la langue », puis, quand l'école a fait son œuvre, « parce que les Missions ont marqué les élites formées sous leur responsabilité ». Il est patent que, par ailleurs, les candidats ne se pressent pas pour entrer dans la Franc-Maçonnerie mise à l'index par l'Eglise et les marabouts. L'image façonnée par les milieux religieux est totalement négative. Seules les loges du Maroc Espagnol vont recevoir, au moment de la République en Espagne, des Marocains Nationalistes qui espèrent trouver des oreilles attentives à leurs revendications.

     

    En Indochine, la réticence à l'admission d'Indochinois dans les loges opère un blocage. La situation est telle que, par réaction, le DH allume, en 1923 à Hanoï, les feux de la loge «.Confucius 111 » avec cinq impétrants Indochinois. En 1930, les FF\ d'Hanoï, circonspects quant à ces initiations « rapides », expliquent leur attitude dans un opuscule largement diffusé en France et sur place : toute tentative d'assimilation est repoussée au profit d'une politique d'émancipation des Annamites … Mais, en réponse aux nationalistes, il appartient au pays Protecteur de décider des modalités et du moment de l'émancipation et non aux Annamites. Cependant, au même instant, les loges, certainement conscientes du paradoxe de leur position, affilient quelques autochtones et la GLDF installe « Kong Phu Tseu 614 » avec bientôt une trentaine d'Annamites.

     

    Dans les vieilles colonies, les loges s'ouvrent progressivement, sans distinction ethnique,  à tous les candidats qui acceptent de  militer dans une structure de défense de la laïcité. Le mouvement est irréversible et accompagne les demandes assimilationnistes des loges. 

     

     

    La montée des Nationalismes dans les colonies

     

    Le bilan avancé par les FF\ - en matière de médecine, de scolarité, d'essor économique et technique, de justice, de sécurité - est positif. Les promesses d'une évolution vers une politique démocratique sont inscrites dans les textes. Mais toute une partie des populations, qui aspirent à l'autonomie voire à l'Indépendance, ne s'en contente pas.

     

    Les FF\ d'Algérie, comme ceux d'Indochine, en sont conscients. Ils dressent un tableau qui résume la situation générale dans les colonies : « Un grand nombre de nos loges notent qu'après plus d'un siècle d'occupation les éléments qui peuplent l'Algérie forment deux groupes distincts entre lesquels les échanges de population sont pratiquement nuls. Deux sociétés basées sur des principes différents sont en perpétuel contact (affaires, travail, rue, école, syndicats…) et cependant cohabitent sans s'interpénétrer. » L'urbanisme est révélateur d'une telle évolution avec la séparation des quartiers européens et indigènes. Les mouvements Nationalistes ne tardent pas à traduire, sur le plan politique, cette distanciation entre colonisateur et colonisé.

     

    En Algérie, Messali Hadj** et le mouvement des Oulémas s'opposent à Ferhat Abbas** qui ne réclame, lui, que des réformes menant à la citoyenneté française.

     

    En Tunisie, le Néo-Destour de Habib Bourguiba** réclame l'Indépendance.

     

    Au Maroc, la résistance d'Abdel Krim** à peine éteinte, le décret Berbère de 1930 donne l'occasion aux jeunes citadins Nationalistes de se faire entendre, Chekib Arslan** étant l'un de leurs inspirateurs.  Ils créent - avec pour chefs de file  El Ouazzani (qui est F\ un court instant des loges Espagnoles)  et Allal el Fassi** - un Comité d'Action Marocaine qui obtient l'audience des campagnes jusque là éloignées des jeunes bourgeois de la ville. Abdelkahek Torres** lui-même se fait initier car il espère également trouver des contacts avec les milieux républicains dans la FM espagnole

     

    A Madagascar, un mouvement récent réclame avec force l'indépendance et se manifeste avec pour ligne « Liberté ! Indépendance ! Madagascar aux Malgaches ».

     

    En Indochine, après l'insurrection de Yen-Bay, le parti communiste avec le futur Ho Chi-Minh** prend la direction de l'opposition ; grèves dans les villes et création de soviets dans le Nord Annam cessent avec la répression mais la situation demeure préoccupante.

     

    Il n'est pas jusqu'en Syrie où les réactions sont vives : les deux Républiques - Syrie et Liban – établies par la France aspirent, aussitôt créées,  à l'Indépendance.

     

    En Afrique sub-Saharienne, la position de Diagne**, assimilationniste, est remise en cause par de jeunes intellectuels. Senghor** et Aimé Césaire** affirment les valeurs et la culture de la "négritude" (@). Mais les masses restent étrangères à  ce débat et réagissent en ralliant les « églises nègres » chrétiennes ou musulmanes : aini  l'église créée par Simon Kimbangu**  prophétisant la dipanda dianzole (deuxième indépendance).

     

    Le Convent de la GLDF en 1936 : « le problème colonial devant la société moderne »

     

    Le sujet mis à l'étude du Convent GLDF de 1936 permet de saisir l'opinion d'une bonne partie de l'obédience puisque 86 loges et 7 congrès régionaux font réponse. En fait, les analyses et conclusions reflètent le sentiment dominant de la plupart des FF\ des trois obédiences GLDF, GODF et DH.

     

    Analysant ce « frisson qui secoue les hommes de couleur »,  les FF\ restent persuadés que les peuples » ne réclament pas l'autonomie  [le mot « Indépendance » n'est pas employé] ni l'assimilation, mais une association permettant la transformation profonde du système d'assujettissement dont ils sont les victimes» ….« Il serait injuste de ne pas reconnaître les bienfaits du modernisme occidental… Mais ces améliorations nous paraissent insuffisantes parce qu'elles ne profitent qu'aux métropolitains et à une minorité d'autochtones ».

     

    Ά l'aspiration des colonisés à l'Indépendance, les FF\ répondent : « la question coloniale n'est pas limitée aux possessions françaises, elle déborde le cadre national pour envahir le domaine international », car « les Nations à régime dictatorial revendiquent la refonte de la carte coloniale »... « Les Nations d'Europe doivent encourager la répartition des produits coloniaux et des matières premières, sous contrôle de la SDN ». En réponse à l'Allemagne et à l'Italie : « le prétexte d'avoir des colonies de peuplement ne subsiste pas" quand on sait que "les colonies allemandes d'Afrique n'ont jamais eu plus de 25.0000 colons » et que « la Libye italienne ne compte pas plus de 2.500 ressortissants ».

     

    Sur le seul plan national français, les FF\ demandent avec insistance que soient prises en considération leurs dix-neuf propositions dont :

     

    - « Fixation des lois sociales existant en France à tout l'Empire…- Création d'hôpitaux, d'hospices, de dispensaires, de sanatorium, lutte contre l'alcoolisme et les maladies infantiles, augmentation du nombre des médecins…. - Extension la plus large de l'instruction laïque en Français et dans la langue du pays…- Suppression de tout soutien, subvention et prérogative officiels, aux missions catholiques ou protestantes, aux marabouts, aux sorciers de toutes catégories…- Organisation immédiate de distributions de vivres et médicaments dans toutes les colonies…- Suppression de la violence dans la perception de l'impôt par les agents européens ou indigènes…- Suppression des châtiments corporels…- Liberté de la presse et d'association, liberté d'opinion, de circulation…- Lois votées à appliquer, nos FF\ de la loge « Confucius » insistent pour qu'elles le soient…- La situation des enfants mulâtres est parfois angoissante…- Elaboration d'une politique économique et monétaire afin d'organiser des rapports normaux entre les colonies et la métropole. »

     

    Si le mot Indépendance n'est pas utilisé dans le texte, sauf pour la Syrie, c'est que l'idée elle-même est récusée. Toutes les propositions ont pour objet de conforter les liens entre les colonies et la métropole. La vue panoramique dressée par les FF\ , à la suite de ces propositions, le confirme :

     

    «- Madagascar, représentation parlementaire au suffrage universel Maroc, Tunisie, Indochine, instauration dans les brefs délais (car il y a danger d'attendre ) d'une politique de collaboration. Ces pays ne cherchent pas l'autonomie mais réclament la participation dans la direction de leur pays… La colonisation a failli à sa mission d'émancipation et d'évolution des peuples…- L'Algérie est le prolongement de la France… L'indigène musulman, comme l'israélite, est Français par ordonnance de 1834, confortée par le Sénatus-Consulte de 1865… donc admission dans le collège électoral à tout indigène, ayant servi dans l'armée française et ayant au moins le certificat d'études, sous réserve qu'il renonce, de sa propre volonté, à son statut personnel…- Pour les colonies suivantes : Réunion, Guadeloupe, Martinique, St-Pierre-et-Miquelon, cinq comptoirs des Indes, quatre villes du Sénégal, qui ont déjà la représentation parlementaire, obligation d'améliorations économiques et sociales. - Nous nous réjouissons du traité d'amitié avec la Syrie, ancien pays sous mandat, prélude de sa constitution comme Nation indépendante. »

     

    Au total, l'urgence de solutions aux colonies est ressentie par la plupart des FF\. Avec, en arrière-plan, la montée des fascismes en Europe qui préoccupe autant les loges coloniales que celles de métropole. Le pacifisme ambiant amène à espérer que le temps est encore devant soi pour trouver des réponses aux difficultés rencontrées dans l'Empire colonial.

     

    En Algérie, un membre éminent du Front Populaire, va correspondre à ce courant humaniste, porteur d'espoir d'un dialogue entre les communautés en présence : le F\ Viollette.

     

     

    Le F\ Viollette initiateur de réformes permettant le dialogue entre les communautés en présence

     

    Viollette Maurice**, en1870, est initié très jeune en 1893 dans une loge populaire du Xè arrondissement de Paris où il côtoie Groussier. Il se fait remarquer en loge par des planches sur le socialisme et le cléricalisme et dans la vie publique, par son engagement aux élections législatives. Affilié à Chinon, il se montre très actif au Convent et se retrouve au Conseil de l'Ordre en 1902.

     

    En 1925, le cartel des Gauches le nomme Gouverneur Général de l'Algérie où il mène une politique en faveur de la promotion des populations indigènes et contre l'antisémitisme. Mais son nom reste attaché à ce pays et à la colonisation par le décret Blum-Viollette portant sur le collège unique. En 1936, Blum reprend le projet déposé en 1930 à la Chambre par Viollette et repoussé pour ses avancées jugées dangereuses par les conservateurs. En effet, vingt et un mille musulmans francisés auraient reçu le droit de voter, dans un collège unique, aux côtés des deux cent trois mille Français. C'était l'amorce d'une naturalisation des Algériens musulmans.

     

    L'ajournement dilatoire du projet Blum-Viollette est lié à la conjonction des efforts de trois groupes : les colons souvent perclus de dettes, les banques lointaines mais en réalité maîtresses des moyens de pression, les concessionnaires représentant les intérêts privés et publics. L'abandon du projet va condamner définitivement, aux yeux des musulmans, la politique d'assimilation de la France, car la "citoyenneté dans le statut" était devenue l'espoir de tous les Algériens.

     

    La fin du Front Populaire renvoie dans le passé  les chances et les espoirs d'entente et de coopération sincère, entre le colonisateur et les colonisés, que défendait le F\ Maurice Viollette, représentatif en la matière de tout un courant de la pensée maçonnique en France. Dès lors, il ne reste plus au colonisateur qu'à osciller entre les concessions tactiques et la répression, avant d'en arriver à l'affrontement ultime entre les communautés en présence.

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