LA FRANC-MAÇONNERIE

 

en

 

AFRIQUE  FRANCOPHONE

 

1781 - 2000

 

Union  française   et   loi  cadre

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   Odo Georges
 

CHAPITRE  VII

De  l'Union Française

à la loi-cadre Deferre

 L'Union Française à l'ordre du jour

 Adaptation des obédiences à la situation nouvelle

 La Révision de l'Article VIII de la Constitution et la loi-cadre Defferre

 Nouvelle carte d'implantation des obédiences françaises

 

 

L'Union Française à l'ordre du jour 

Fin janvier - début février 1944 (@), la France Libre organise la Conférence de Brazzaville où, en toile de fond, les nuances de la politique coloniale française s'expriment ouvertement.

 

D'une part, la volonté du Général de Gaulle de maintenir le bloc de l'Empire Français et d'éviter tout mouvement centrifuge dans cet ensemble.

 

D'autre part, les idées du F\ Eboué qui préconise la décentralisation, l'arrêt de l'administration directe, la création d'une Assemblée fédérale, une représentation élue à l'Assemblée Constituante, la suppression de l'indigénat et du travail forcé.

 

Ces idées cheminent d'autant plus que les discussions s'intensifient à propos de la rédaction de la Constitution Française qui sera votée par référendum en octobre 1946.

 

Le GODF, sensibilisé par le rôle récent joué par ses loges coloniales, après l'avoir évoqué en son Convent de 1945, met le sujet « l'Union Française » à l'étude de toutes les loges pour son convent de septembre 1946. Ce que fera à son tour la GLDF l'année suivante.

 

Le Conseil de l'Ordre, ouvert aux suggestions de son congrès des loges coloniales, du congrès des loges d'AFN tenu à Philippeville et enfin de sa Commission de la France d'Outre Mer, fait en sorte que les FF\ parlementaires de l'Assemblée Constituante soient associés à ces travaux. Car « ils sauront imprégner la naissante Union Française du respect des Droits de l'Homme, des nécessaires libertés locales et de la cohésion à maintenir avec la Métropole. »

 

Le sentiment du rapporteur, délégué des loges coloniales, est que l'on a « trop conjugué les verbes au futur, il faut des solutions concrètes d'abord dans le domaine économique, ensuite dans le développement de l'enseignement et enfin par un développement raisonné de la démocratie ».

 

Le convent du Grand Orient de France conforte la proposition des loges coloniales qu'il convient d'accorder aux indigènes les libertés les plus substantielles - liberté de presse, de réunion et d'association, liberté individuelle - par l'extension de la législation métropolitaine. Une citoyenneté uniforme risque d'être factice, aussi faut-il créer à l'intérieur du monde français, le citoyen d'Afrique, le citoyen de Madagascar, le citoyen d'Indochine, « tous imprégnés de notre culture et de nos aspirations … Il faut autant de citoyennetés qu'il y a de civilisations différentes car l'adjonction de statuts personnels à une citoyenneté unique n'amènerait pas les correctifs nécessaires et suffisants mais provoquerait une confusion redoutable pour la cohésion de l'Empire. »

 

L'inspiration fédéraliste de ce texte est identique à celle qui sous-tend quelques mois plus tard le texte constitutionnel, voté par référendum, donnant à la France mission de coordonner «.l'Union Française ».

 

En fait, dans l'un et l'autre texte, il y a recherche d'un équilibre entre l'assimilation et l'association, dilemme non résolu depuis des décennies. Ce maintien de l'Empire, sous quelque forme que ce soit, ne répond pas aux exigences des Nationalistes dont l'impact sur les populations locales est de plus en plus évident.

 

 

Adaptation des obédiences à la situation nouvelle

 

L'environnement de la Maçonnerie coloniale se transforme, mais plus ou moins rapidement selon le pays.

 

Les FF\ d'Afrique du Nord conscients de l'évolution en cours, particulièrement rapide dans leur région, cherchent à incorporer des « indigènes », en réglant le problème de la religion et celui de la langue.

 

- Au Maroc, l'objectif est de surmonter l'obstacle que peut être la religion en matière d'admission. L'argumentation insiste sur l'urgence à répondre au danger expansionniste de la Franc-Maçonnerie anglo-saxonne face au GODF. Préoccupation exprimée d'une façon générale au congrès des LL\ des colonies  en septembre 1945 et reprise au Maroc. Incidemment l'argumentation indique l'intérêt d'une telle opération face à la montée des Nationalismes, ce qui est en réalité essentiel. Cette initiative de créer une loge avec des Marocains reçoit l'aval du Résident  Labonne, confirmé par son successeur le Général Juin.

 

En 1947, la loge « Union et Progrès », à l'Orient de Rabat puis de Settat, allume donc ses feux, « milieu de dialogue loyal et d'action énergique en vue de rapprocher et associer les efforts musulmans et français pour que le Maroc arrive à jouir de la vraie liberté et de  la démocratie ». Afin que des musulmans puissent entrer dans cette loge et afin de respecter leur attachement à leur propre religion « l'At\ travaillera sous les auspices du Grand Architecte, au Rite Ancien et Accepté. Voilà donc évité un écueil religieux ». Le REAA, cher aux anglo-saxons, est utilisé pour consolider le Grand Orient de France en terre d'Islam ! 

 

En 1949, dans le but de mieux faire correspondre l'intitulé de l'atelier avec ses objectifs, les FF\ lui donnent le nom de «.Fraternité Franco Marocaine ». Cette loge, quel que soit son nom dans le temps, reste éminemment confidentielle avec dans ses rangs le Secrétaire Général de la Résidence et trois notables marocains dont un vizir.

 

En octobre 1952, les rapports Franco-Marocains sur le plan politique étant tendus, la loge demande de faire courir discrètement le bruit de sa mise en sommeil pour mettre à l'abri de sévices les FF\ Marocains. Quelques jours plus tard l'inquiétude croit, car l'Officier d'Ordonnance du Prince Moulay Hassan, futur Hassan II, s'intéresse de plus en plus à la FM\. Malgré la réponse faite : « Depuis  Moulay Hafid, ancien Sultan du Maroc retiré en France, nous n'avons aucun des vôtres parmi nous ». Inquiétude qui s'intensifie encore davantage quand le Prince lui-même interroge directement le vizir, F\ de la loge de Settat. Alarmés de cet intérêt soudain de Moulay Hassan, très proche des Nationalistes de l'Istiqlal, les FF\se sentent  menacés et demandent cette fois réellement la mise en sommeil. La tentative, tardive dans l'histoire des loges du Maroc, échoue donc, peut-être justement parce que tardive.

 

Parallèlement, il faut noter que la GLDF apparait dans le paysage maçonnique marocain pour la premirère fois en 1953 à Casablanca et sur les bases américaines installée au Maroc. La fermeture de ces dernières expliquant la mise en sommeil en 1963 des loges concernées.

 

- En Tunisie - pour répondre à la même préoccupation de favoriser l'admission de musulmans en loge - un autre choix est fait avec la création de la loge « Emir Abd el Kader » dont le nom vaut programme. Il s'agit ici de favoriser l'usage de la langue arabe.

 

Cette solution - utiliser la langue arabe en tenue - est avancée, dès 1839, en Algérie : les FF\ indigènes devraient posséder le Français et l'Arabe et, dès qu'ils seraient assez nombreux, ils constitueraient une loge particulière. Projet sans suite.

 

En 1868, en Egypte cette fois, la langue arabe est à nouveau considérée comme la solution à privilégier ; la deuxième assemblée annuelle des loges régulières de la vallée du Nil, réunies à Alexandrie, propose, après un débat fortement contradictoire : « création de tenues en langue arabe dans toutes les loges qui le pourront ; tenues dans lesquelles seront initiés les indigènes gagnés à notre cause ».

 

En 1920, c'est au Maroc qu'un F\ de la GLDF à Casablanca - délégué du comité Franco-Marocain et, l'année suivante, directeur fondateur du premier journal non gouvernemental en Arabe Al Akbar al Maghribiyya - propose la création de loges ouvertes aux arabisants l'une à Rabat et l'autre à Fez ; projet non suivi d'effet. Ce F\avance un argument qui réapparaîtra trois décennies plus tard : « je serais heureux de servir au plus grand bien de notre idéal maç\ et de l'Ecossisme. Ajouterai-je que si nous ne le faisons pas, un jour d'autres et particulièrement les Anglais le feront certainement. »

 

En 1952, c'est donc Tunis qui reprend l'idée de la langue arabe dans les tenues, pour favoriser le rapprochement des communautés et surtout « prévenir l'installation de la Grande Loge d'Amérique ». Le projet à peine initié va s'essouffler et la loge, après un court vécu, disparaître. Tentative peut-être trop tardive là comme au Maroc.

 

- Ά Alger - les FF\ du GODF se montrent réticents à l'égard de ces essais sur le REAA et la langue arabe qui « tous deux mènent à l'usage du Coran, donc contournent le principe cardinal de la laïcité » sur lequel ils s'appuient. Ils ne cachent pas dans une lettre, de juin 1955, que leur choix explique « l'absence d'initiation de musulmans dans leurs ateliers depuis 1945 » contrairement à la GLDF qui met le Coran sur la table du Vén\ et  recrute des musulmans. Mais, écrivent-ils, au moins ils n'ont pas, eux au GODF, de déceptions au moment des discussions sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'évolution de la femme musulmane.

 

 

La Révision de l'Article VIII de la Constitution et la loi-cadre Defferre

 

Ces prises de position contradictoires se font  dans un contexte de rapide transformation de l'Afrique du Nord. Le Maroc et la Tunisie en cette année 1955 sont en train de passer de l'autonomie  à « l'indépendance dans l'interdépendance ».

 

Les FF\ du GODF se penchent donc sur la question épineuse et cruciale : « Action de la Métropole pour sauvegarder l'Union Française dans la conjoncture nationale et internationale» et, par voie de conséquence, sur l'Article VIII de la Constitution dont la modification est à l'ordre du jour au gouvernement ; ce qui mènera à la loi-cadre présentée par Defferre.

 

Le rapporteur au  convent constate : « Les FF\ des LL\ d'outre mer ont fortement marqué combien est redoutable le désintéressement des Métropolitains à l'égard des problèmes coloniaux ». D'ailleurs au moment du vote un délégué va refuser de voter pour protester « contre l’absence de nombreux FF\ qui ont couvert le temple sans assister à la discussion ». Il faut dire qu’à cet instant seuls 80 votants sont dans la salle.

 

Restent les textes, où les FF\ coloniaux, comme ceux de Métropole, demandent d'assurer à chaque territoire la possibilité d'accéder progressivement à une véritable autonomie interne dont serait garante chaque assemblée locale élue au suffrage universel et au collège unique. 

 

Ils se sont prononcés en outre pour « une vaste Fédération qui  unirait, dans le respect de leurs civilisations et sur un pied d'égalité, le peuple Français et les Peuples d'Outre Mer…». La commission d'Outre Mer de la GLDF, dans un texte très court  présenté au convent la même année, souhaite « l'établissement d'une véritable communauté franco-africaine » sans en préciser les termes.

 

« Toutefois, pour l'Algérie, il convient d'examiner de façon toute particulière la nature du lien juridique susceptible de l'unir à la Métropole »… En particulier, demandent les FF\ d'Algérie, « en offrant l'application loyale du statut de 1947 qui ne fut que trop différé, mais en insistant sur la séparation du culte et de l'Etat et la laïcisation de l'Administration. »

 

Tout cela n'est pas éloigné de la philosophie de la loi-cadre de Defferre dont les dispositions sont votées par le Parlement en juin 1956.

 

Mais en septembre 1956, au moment du convent, le bilan de l'évolution en cours dans l'Union Française ne va pas dans le sens Fédéral prévu :

 

Le Maroc puis la Tunisie ont obtenu coup sur coup leur indépendance, en Algérie la fracture s'accentue, en Afrique sub-Saharienne les pressions s'organisent dans l'espoir d'autonomies plus larges que prévues. Sans oublier les articles de Raymond Cartier** qui passionnent de larges secteurs de l'opinion en parlant de désengagement sans s'embarrasser du devenir de l'Afrique.

 

Il est urgent, disent les FF\ coloniaux, de suivre de plus près l'évolution en cours : « Avant 1939 il existait au sein du GODF un Comité permanent des LL\ des Colonies et de l'Etranger. » Ils demandent de créer un Comité permanent des loges Hors Métropole venant appuyer de façon continue le travail de la Commission de l'Union Française qui siège au sein du Conseil de l'Ordre.

 

Pour ce qui est de la loi-cadre, les FF\ des colonies, appuyés par le Convent, réclament son application loyale [adjectif qui revient fréquemment dans les textes] et généreuse [tout aussi fréquemment].

 

De plus, pour l'Algérie et plus généralement pour toute l'Afrique du Nord, ils demandent d'établir entre ces pays et la Métropole de nouveaux liens politiques, économiques et culturels.

 

 

Nouvelle carte d'implantation des obédiences françaises

 

La Franc-Maçonnerie coloniale, plongée dans la question du devenir de l'Empire Français, se préoccupe également de relancer son réseau de loges sur le terrain.

 

La carte d'implantation héritée de 1940 sert de point de départ aux refondateurs en 1944.

 

Les FF\ qui se chargent de relever les colonnes ont pour premier souci de réunir les FF\ encore présents dans leurs Orients. Les problèmes ne manquent pas. Les rangs se sont clairsemés : certains FF\ sont morts, d'autres ont quitté définitivement les lieux. Sur place il y a ceux qui ne veulent pas reprendre ou qui ne sont pas repris. Sans compter qu'il y a les locaux à récupérer, parfois plus lentement que prévu.

 

¤- En Afrique du Nord, ces conditions font que la carte des loges  se reconstitue par étapes parfois lentes et avec une densité moindre.

 

C'est davantage vrai de la GLDF, peut-être en raison de la fragilité de son potentiel de départ. Le bilan dressé par les responsables de cette obédience, juste avant la guerre, en porte témoignage : « Certaines de nos loges mènent une vie précaire… l'écossisme n'est pas très florissant dans nos régions… ce qui nous préoccupe c'est le sort des petits At\ qui luttent pour ne pas mourir, qu'il ne faut pas laisser disparaître. » C'est flagrant au Maroc où elle passe de 15 loges avant guerre à 2 loges auxquelles vont s'ajouter, de façon éphémère, les trois loges créées juste avant l'indépendance.

 

Mais le GODF lui-même ne retrouve pas la totalité de son implantation, même si c'est de façon moins spectaculaire car il est plus solidement et rapidement réinstallé : de 15 loges il en vient à 10.

 

Le DH en raison de la faiblesse de son dispositif initial ne vit pas ce phénomène de resserrement d'une façon aussi sévère, mais il n'est pas épargné par cet amoindrissement maçonnique général.

 

Au total, la Maçonnerie d'Afrique du Nord ne récupère pas le poids qu'elle possédait avant guerre, même si elle reste écoutée par les instances parisiennes. Elle reste, en effet, d'une part largement majoritaire dans le bloc colonial maçonnique et d'autre part au cœur des sujets brûlants de la décolonisation.

 

Parallèlement la carte des obédiences maçonniques s'enrichit de la présence de la GLNF qui s'installe au Maroc ; c'est sa première apparition sur le sol africain.

 

Un contact est en effet établi depuis Casablanca avec des frères Anglais à Gibraltar et Tanger afin de créer une Loge casablancaise. Après avoir trouvé un endroit pour se réunir, situé dans le sous-sol du restaurant « Comédie », la Loge « Concorde n° 42 » est consacrée en février 1953. Or, dans le contexte des accords franco-américano-marocains, des bases aériennes américaines existent  à Kénitra, Sidi Slimane, Ben Guerir et Nouasseur. Dans un premier temps le commandant de la base de Nouasseur, maçon lui-même, offre donc asile à la loge casablancaise. Dans un second temps trois autres loges sont créées en profitant des autres bases.

 

Ce qui permet en 1957 d'instituer la Grande Loge de District du Maroc dépendant du District Continental (Hollande, Espagne, Maroc, Turquie).

 

En 1963, les bases étant  rétrocédées au gouvernement marocain ces loges sont ipso facto mises en sommeil par manque de support logistique. Mais ce coup d'essai du Maroc va se prolonger à travers l'Afrique, quelques années plus tard, sous l'impulsion de FF\ fondateurs de ce District Marocain.

 

En Egypte, à l'autre bout de l'Afrique méditerranéenne, si le GODF se maintient sans plus, la GLDF croit ses effectifs de façon sensible, en faisant valoir les avantages de son rite. La Grande Loge Nationale Egyptienne, pour sa part, compte en 1952 près de quatre-vingts  loges.

 

¤- En Afrique sub-Saharienne, où le GODF est seul en place comme il l'avait été avant guerre, la Franc-Maçonnerie rencontre des difficultés identiques lors de  la reprise de ses travaux. Cependant la vie des loges reprend et l'obédience s'enrichit même de nouveaux Ateliers.

 

- Au Mali, des FF\ du GODF s'insurgent en 1946 contre le vide maçonnique face à l'emprise cléricale. Ils  ouvrent donc une loge « Arts et Science » à Bamako, malgré les faibles effectifs disponibles.

 

- Au Togo s'ouvre, à son tour, une loge en 1953 ; avec la particularité de montrer la voie d'une prise en considération, dans les faits, de la réalité africaine. En effet, la loge « Fraternité du Bénin » du GODF a pour spécificité d'être la première loge en Afrique francophone ayant parmi ses membres fondateurs des FF\ Africains : Akpokli, Kpodar et Kponton. Il s'agit pour eux, initiés à la GLNF, de maintenir au Togo le dialogue au moment où les esprits se tendent, d'assurer en quelque sorte l'existence d'un « fusible de la démocratie » dans le pays. Pour ce faire, ils pensent que le GODF offre les meilleures garanties. Aussi allument-ils les feux de la loge, au nom circonstancié, avec des FF\ du Togo, du Dahomey et même de la Grande Loge d'Angleterre venus du Ghana. Et puisque nombre de participants viennent du Dahomey voisin, les tenues sont prévues, dans l'esprit recherché d'union et de fraternité, alternativement à Lomé et dans une propriété privée à Dré.

 

@  Série de videos sur l'histoire des pays africains

 

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