Les Francs-Maçons
au Maroc
sous la IIIe République
1867 - 1940

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Odo Georges
Table Générale des matières - Bibliographie  . § 1 - 1867 Implantation au Maroc  .  § 2 - 1925 Les FF∴ et Lyautey  . § 3 - 1927 Steeg et l'extériorisation . § 4 - 1929/1930 Décret berbère . § 5 - 1931 Problèmes internes . § 6 - 1933 Politisation intensifiée§ 7 - 1934 les "Affaires"  .    § 8 - 1936 le Front Populaire  . § 9 - 1938/1940 : Fin d'une époque  § 10- la Franc Maçonnerie et la presse  . § 11- les loges espagnoles  .   § 12- Tanger zone internationale. § 13 - Moulay Hafid  . ............................                Tableau des Loges

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Puissance_de_la_Franc-Maçonnerie_au_Maroc
Une_organisation_maçonnique_solide
Deux_personnalités :_Chapon_et_Cazemajou_
 
 
CHAPITRE     IX
 
La fin d'une époque : 1938 / 1940
 
Les FF:. se retrouvent tout de même d’accord sur les  conclusions que le F:. Chancogne présente début 1938 : "il s’agit pour l’Association Maçonnique Internationale qui compte l’élite de la FM:. mondiale de faire comprendre à tous que le temps n’est plus d’ergoter sur des mots, mais qu’est venu celui d’expliquer dans leur belle intégrité les principes fondamentaux de l’Ordre : Liberté, Égalité, Fraternité". Texte révélateur d’un état d ‘esprit marqué par l’approche de la guerre.
 
La guerre se précise. En France, le Convent de 1938, sous la présidence du TIF:. Dalloni, prendra position contre cette guerre dont on parle de plus en plus ; affirmant qu’elle ne pourrait rien résoudre et se refusant de la croire fatale. Au Maroc, même si la guerre n’est pas une menace proche, la sensibilité des habitants est en alerte et surtout chez les FF:. . Ils ont près d’eux les FF:. transfuges d’Espagne qui ne cessent de leur rappeler que : "là-bas nous souffrons des horreurs de la guerre déchaînée par les chefs d’une armée prétorienne en alliance étroite avec toutes les forces conjuguées de la réaction mondiale ... Si [tous les FF:.] ne se  défendent pas d’une manière plus efficace, vous FF:. Français vous allez courir le même sort que les FF:. d’Italie, d’Allemagne, d’Autriche, d’Espagne, car les ennemis de votre pays appliqueront, le moment venu, les mêmes procédés de persécution et d’extermination qu’ils ont l’habitude d’appliquer partout".
 
La montée du Nationalisme marocain - car les Européens même les moins avertis ne peuvent plus l'ignorer - autre sujet d’inquiétudes  malgré les mesures prises par le Résident Général Noguès pour juguler le mouvement.
 
La société européenne, consciemment ou non, reste sur ses gardes et le Protectorat devient un pays sous surveillance. Les FF:. continuent, en ce qui les concerne, à porter le même intérêt "aux populations indigènes dont l’immense majorité vit dans des conditions matérielles lamentables. Malheureusement si nous sommes riches de pensées, si nous sommes généreux dans nos sentiments, nous ne légiférons pas... c’est pour cette raison que les musulmans évolués nous accusent de ne rien faire... Ne soyez donc pas étonnés si vous ne rencontrez sur nos colonnes qu’un petit nombre d’indigènes...". Mais après  cette analyse pertinente, la proposition reste très prudente, focalisée sur un seul aspect du problème, au risque d’être décevante pour les Nationalistes : "Nous devons continuer à lutter contre leur ignorance, leurs préjugés par l’école".
 
Puissance de la Franc-Maçonnerie au Maroc
 
La FM:. puissance avec qui il faut compter, tel est le sentiment des gens avertis dans ce Maroc où inquiétudes et espoirs se mêlent. Ainsi au Conseil du gouvernement on trouve : pour la CCI de Casablanca Chapon, pour la Chambre d’Agriculture de Casablanca avec Lebault, tous deux du GODF et radicaux - pour la CCI de Rabat de Peretti GLDF et radical - pour la Chambre d’Agriculture de Rabat Brun GODF et socialiste - pour la Chambre mixte de Meknès Bozzi GODF et républicain - pour la Chambre mixte de Taza Mohring GODF et républicain modéré - pour la Chambre mixte de Marrakech Pétrignani GODF et socialisant - pour la chambre mixte d’Agadir Barutel GODF et républicain modéré - pour  la Chambre mixte de Mogador Gibert GODF et radical - pour la Chambre mixte de Safi Lebert GLDF et radical. Soit au total, une forte participation représentative de l’ensemble des forces économiques du Maroc.
 
Il y a lieu d’ajouter à cette liste, sur les vingt-quatre membres du 3e Collège, une quinzaine de FF:. : pour Taza Destreux GODF socialiste - pour Fès Fernandez GLDF radical puis socialiste et Debare GLDF radical - pour Meknès Carbuccia GODF socialiste - pour Safi Arrensdorf GLDF socialiste - pour Rabat Lacroix GLDF socialiste, Boiron GODF socialiste, Lajani GODF socialiste - pour Casablanca Parent GLDF néo-socialiste - pour Khouribga Corias socialiste - pour Mazagan Rivaud - pour Mogador  Mandiberry GODF - pour Agadir Chesneau - pour Marrakech Casanova et Fauré tous deux GODF socialistes.
 
Sans oublier tous les FF:. placés à la tête des Municipalités, comme à Casablanca où, dès 1919, le F:. Chapon rompe des lances avec M. de Tarde montrant la voie aux FF:. Sabalot, Denoueix, Roland, Andrieu, Guitton... Avec, également, de nombreux chefs de Bureaux ou Directions à l’exemple de Favereau aux Domaines, Hermelin, Pieton et Sazerac de Forges aux Finances, Hutin très proche du Résident Général.
 
Cet ensemble complète la liste déjà étoffée des FF:. responsables politiques et syndicalistes. Si l’on songe qu’à la même époque la FM:. en France joue de son côté un rôle important, il est compréhensible que les FF:. au Maroc sont pris au sérieux.
 
Une organisation maçonnique solide
 
Les sœurs et les FF:. du DH se réunissent dans leur unique atelier "Minerve 207", créé à Casablanca avec l'appui du F:. Chapon.
 
Les FF:. de la GLDF disposent d'un aréopage (30e degré) "Liberté et Conscience" à Casablanca, d'un Chapitre "Tit Anfa" dès 1922, d'une loge de perfection (4e et 14e degrés) "Tit Perfecta" en 1935 et de quatorze loges. Par ordre chronologique : "Léon Gambetta" 1919 à Marrakech, "Woodrow Wilson" 1920 à Mogador, "Anfa Lumière" 1920 à Casablanca, "Tit" 1921 à Mazagan, "Asfy" 1922 à Safi, "Le Soleil du Gharb" à Kénitra 1922, "Conscience" 1924 et "Les deux sœurs" 1924 à Rabat, "L'Union" 1925 à Tanger, "La Renaissance" 1928 à Casablanca. Il est patent que l'implantation, partie de l'intérieur, se fait dans les années 20 sur la côte Atlantique essentiellement  depuis Mogador en relation économique et humaine avec Marrakech. Dans une seconde vague, des années 30, l'obédience va étendre son réseau en pénétrant vers l'intérieur sur la route menant à l'Algérie tout en renforçant son dispositif  atlantique : "L'Évolution du Maghreb" 1929 à Fez, "L'Évolution Fraternelle" 1930 à Casablanca, "Ordre et Travail" 1932 à Meknès, "L'Avenir Berbère" à Taza, "Aurore Fraternelle" 1934 à Oujda.
 
Les FF:. du GODF, quant à eux, disposent au Maroc d’un Conseil Philosophique "Phare de la Chaouia et du Maroc" 1926 à Casablanca, de deux Chapitres le plus ancien "Le Phare du Chouia et du Maroc" 1918 à Casablanca et l ‘autre "La Fraternité Marocaine" 1930 à Rabat. De plus, aux sept loges qui représentaient le dispositif en 1924 sont venus s’ajouter huit nouveaux Ateliers, ce qui porte le total à quinze loges :
 
En 1925 à Marrakech a été ouverte la loge "Atlas" dont le F:. Valette Jérôme devient le Vénérable, avec à ses côtés le docteur Ferriol et l’architecte Gilles.
 
En 1926, à Rabat naît une seconde loge "La Fraternité Marocaine" avec pour Vénérable le F:. Favereau ayant à ses côtés les FF:. Simon, Labeyrie, Marimbert, Cazemajou, Hutin. En 1933 lors de son passage à Rabat le TIF:. Bouty se souvient que "Le Réveil du Maghreb"  est le premier Atelier dans lequel il fut reçu dans cet Orient. Plus tard il procéda non sans une certaine appréhension à l’installation de la "Fraternité Marocaine", craignant de voir naître un certain antagonisme.. Il se réjouit "de la parfaite harmonie qui règne". Ce qui doit porter ses auditeurs à sourire car, en fait, les uns trouvent les autres trop intellectuels et inversement ; l’entente est tellement "parfaite" que chacun des Ateliers soutient un club de sport Rbati de premier plan : le SM et l’OM ce qui est pour le moins original comme démonstration d’entente harmonieuse.
 
En mai 1931, sur la côte Atlantique, la loge "Lumière et Paix" allume ses feux à Safi sous l’impulsion de FF:. venus spécialement de Mazagan pour soutenir les quelques FF:. isolés dans cette ville.
 
En novembre 1931, c'est à Taza que s'ouvre la loge "Sincérité et Tolérance" sous la présidence du F:. Mohring en présence des TIF:. Bouty, Cazemajou et Dalloni. Le relais entre la côte et Oujda est enfin assuré.
 
En 1932, c’est au tour de la loge "Atlantide" de voir le jour avec l’aide cette fois des FF:. de Safi qui ont, à vrai dire, le sentiment de réactiver les feux d’une loge créée en 1912 par le F:. Pradel. Le Vénérable Roux a l’avantage de pouvoir compter sur l’actif F:. Barutel.
 
En juin 1934, la loge "Gerbe Fraternelle" de Settat est installée de par la volonté du TIF:. Cazemajou et en présence des FF:. Simon et Labeyrie de Rabat.
 
Enfin, en 1937, une dernière loge du GODF s’installe dans le réseau du GODF au Maroc avant guerre : "France-Maroc" de Casablanca ; à la demande du F:. Chapon pour des raisons internes entre Casablancais - en particulier les rapports entre radicaux et socialistes - mais aussi comme une réponse à la création à Settat de la loge du F:. Cazemajou.
 
Deux personnalités : Chapon et Cazemajou
 
Car deux FF:. ont dominé de leur personnalité cette période : Chapon et Cazemajou.
 
Le F:. Chapon, en 1922, devient Très Sage de Casablanca. Les Frères Chevaliers Rose+Croix. dont la moyenne d’âge oscille entre 30-35 ans,  confirment par ce choix qu’ils n’ont aucune  prévention contre l’engagement dynamique sur le plan profane. Chapon restera à ce poste jusqu’en 1926, date à laquelle est créé le Conseil Philosophique dont il est nommé président.
 
Ayant la pleine confiance de ses FF:.CH:. de Casablanca, Chapon aura une influence d'autant plus grande et durable que de 1918 à 1938,  comme le prouve le tableau de Loge, il ne manquera pratiquement aucune tenue. Dés lors pour approcher et comprendre en grande partie le GODF au Maroc, le personnage mérite attention.
 
Dans le bureau de1922 apparaît à ses côtés Cazemajou au poste de chevalier d'Éloquence (orateur). Ainsi se retrouvent côte à côte deux des plus représentatifs FF:. de l’entre deux guerres au Maroc... En effet, si Cazemajou marque le GODF du Maroc de sa forte personnalité, même s'il  n'est  pas toujours connu de grand public, Chapon aux yeux de ce grand public justement symbolise l'action de la FM:. dans le Maroc économique et politique, dans la mesure où d’abord pionnier puis notable puissant avec des moyens d’interventions conséquentes, sa carrière lui donne l'image type que les Européens du Maroc se font de la réussite.
 
--Chapon, entrepreneur des travaux publics à Grenoble, après un passage en Indochine, fonde avec son frère en 1912 à Casablanca "le comptoir des mines et des grands travaux du Maroc", filiale de l'entreprise dauphinoise. De plus il devient l’agent général de "la société  marocaine  d’explosifs".  
 
Le pionnier est devenu notable, puissant au point de paraître un jour tour à tour briseur et créateur de Résidents Généraux. N’est-il pas à la tête de la CCI de Casablanca qui représente, à peu de chose près tout le patronat européen, les autres Chambres de Commerce s’alignant d’autant plus naturellement que le Président de la CCI de Casablanca est généralement élu Président de la fédération des CCI du Maroc.   
 
En effet, avec les FF:. Mespoulet et Roustan ses colistiers, il entre à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Casablanca, en 1921, pour en être aussitôt le vice-président. En 1923, il est désigné rapporteur général de la commission qui vient d'être créée auprès du gouvernement à Rabat pour suivre l’élaboration du budget du Protectorat... En 1924,  il devient président de la CCI de Casablanca et le restera jusqu’en 1928 où il se retire, réellement pour raison de santé. Entre temps il accède progressivement à l'administration de plusieurs sociétés  : "La Vigie Marocaine", "la Compagnie des Autobus de Casablanca" .... Réaliste, ardent à prendre la parole, il est rappelé à l’unanimité comme président de la CCI en 1932 et le restera jusqu’en 1938 où, officiellement cette fois, il se retire pour raison de santé. Non sans que ses collègues ne le nomment président d'honneur.
 
Dans la mesure où l'action patronale - depuis les petits patrons isolés jusqu'au grand patronat anonyme - passe par les CCI, le  président de Casablanca est un porte-parole écouté. Dans ce rôle Chapon se montre aussi régulier, tenace et actif qu'il l'est en loge. Présent sans défaillance aux réunions du bureau de la CCI où ses avis sont écoutés il préside en outre, de 1921 à 1933, la principale commission, celle du budget ...
 
Cette brillante carrière se réalise au départ grâce à l’estime  de Lyautey qui a favorisé ce rôle de conseiller technique du protectorat, estimant que l’activité  économique détourne des discussions idéologiques. Une fois Lyautey parti, Chapon reste très proche de la conception lyautéenne tant dans sa défiance à l'égard des partis politiques que de la colonisation des terres qui doivent rester libres pour les marocains. Par contre rien n'empêche à ses yeux le commerce et l’industrie de prendre de l'expansion et la CCI d'avoir un rôle accru dans les destinées du Protectorat.
 
La logique du système l’amènera à exprimer la demande expresse de ses mandants de substituer dans le Protectorat un organisme délibératif à l’organisme consultatif existant. La grande offensive est lancée, en décembre 1935, par Chapon qui préside le comité de coordination des trois collèges. Il expose officiellement sa position et la CCI de Casablanca l’approuve allant jusqu’à démissionner en bloc du conseil du gouvernement, suivie par les autres CCI du Maroc. La crise se tranche par le départ du Résident Général Ponsot et la nomination de Peyrouton auquel un télégramme chaleureux est envoyé. Chapon, parfaitement intégré dans le système, est passé du rôle de conseiller toléré à celui de fondé de pouvoir influent, et même déterminant. Cette influence est mise très souvent  au crédit de la FM:. du GODF au Maroc....
 
Cette influence, quoiqu'il en soit, Chapon la met surtout au service de la liberté commerciale, thème qui d'ailleurs peut se moduler différemment suivant les intérêts du moment... En 1924, aspirant à un marché marocain ouvert, selon les prescriptions du traité d'Algésiras, il déclare que "le Maroc n'échappe pas au mouvement général des prix" ... Par contre en avril 1937, dans son discours inaugural de la Ie Foire Internationale de Casablanca, il se fait le champion de l'économie impériale. Programme qui est réalisé en 1939 par l'établissement du contrôle des changes, en contradiction avec l'Acte d'Algésiras.
 
Il s’agit donc, suivant les circonstances, de repousser l’intervention de l’état, de s’insurger contre lui s’il manifeste l'intention d’augmenter les impôts ; mais, par contre, de réclamer sa protection quand il y a nécessité. Cette attitude de défense des intérêts commerciaux et industriels face au gouvernement est aussi nette face aux autre classes sociales :  colons ou salariés !            
 
Les colons du Maroc touchés par la crise manifestent dans les rues de Rabat en 1934 ; Chapon refuse d’appuyer ce mouvement dit des " colons tondus" par une fermeture des magasins. Parce que, dit-il, oubliant un passé personnel récent, "il ne saurait admettre des manifestations sur la voie publique" pour obtenir une aide dont le commerce et l'industrie feraient les frais avec  tous les autres contribuables. Chapon est d'autant plus ferme que, républicain convaincu, il n'apprécie pas ce mouvement d'allure paramilitaire sous l’impulsion de Morlot d’Oujda, mouvement déclenché les 5 et 6 février, date décidément lourde de signification politique en cette année 1934.
 
Les salariés, dont la situation salariale après 1930 devient de plus en plus problématique, se font plus incisifs. Chapon accepte à contre cœur, en juillet 1933, la proposition par le 3e collège du contrôle des salaires par l'établissement d'un bulletin de paie... L'ampleur du chômage devient alarmant mais la patronat européen et Chapon ignorent ou négligent le danger social. Quand en juin 1936 les grèves parties de la COSUMA vont s'étendre au Maroc entier, Chapon, plutôt que d'accepter les congés payés réclamés, préconise la construction de logements ou la création de sociétés de bienfaisance.
 
Toujours, comme défenseur des commerçants et industriels, Chapon a surtout attaché son nom au développement du port de Casablanca.  Membre de la commission du port, de 1921 à 1938 sans discontinuer, il  a voulu croire au grand port contre ceux qui demandaient  un port réduit aux besoins immédiats. Attitude affirmée, sans faille, face aux Résidents Généraux successifs.
 
Le F:. Chapon est donc sur la plan profane marocain de l’entre-deux guerres un personnage écouté. Représentatif d'un type de la FM:. au Maroc, c'est incontestable ; il n'en est pas pour autant représentatif de tous les FF:. du Maroc.
 
A la CCI naissante, en 1921, le F:. Paradis s'est présenté sur une liste adverse... Toujours à la CCI, il arrive au F:. Mespoulet de  porter la contradiction aux thèses de Chapon, avec parfois l'appui du F:. Roustan.
 
Au Chapitre même, il arrive aussi au F:. Chapon d'être sévèrement contré : alors qu’il  vient d'y exposer le point de vue de la CCI, à propos du budget du Maroc, Guitton lui oppose celui des fonctionnaires... A la loge bleue de Casablanca la contradiction est bien souvent moins feutrée.... Au congrès des loges du Maroc en 1925, les thèses défendues avec succès par Chapon à la CCI sont écartées au profit de celles de Mespoulet pourtant minoritaires à la CCI.
 
Écouté mais discuté et contré à l’occasion : la F.M. au Maroc n’a rien de monolithique ! Cazemajou, l’autre personnage important du GODF au Maroc, se charge à l’occasion de le lui rappeler.
 
--Cazemajou est né à Carcassonne en Juin 1878.  Admissible à St Cyr, il obtient un diplôme d’ingénieur dans sa spécialité puis aborde la licence en droit. Il entre dans la Maçonnerie en Algérie la trentaine passée : initié en janvier 1909 par la loge "Cirta" de Constantine, compagnon et maître courant 1910, 18e en Avril 1914, 30e en 1917 à l’approche de la quarantaine.
 
En 1918, il est membre fondateur du Chapitre de Casablanca, mais sa profession d’ingénieur topographe ne lui permet pas d’être fréquemment sur place, d’autant plus qu’il est muté en 1920 à Rabat. Par contre ses nombreux déplacements lui donnent la possibilité de prendre contact avec les FF:. isolés à travers le Maroc, de les retrouver parfois même devant la tente en plein bled. De sorte qu’il est à l’origine de l’allumage de nombreux Ateliers depuis Taza jusqu’à Agadir en passant par Rabat. Cette activité lui attire vers 1922  l’hostilité du Secrétaire général du Protectorat M. de Serbier et de son éminence grise, M. Mouzon, dont l’opposition aux Maçons et aux républicains est légendaire.
 
S’il essaie d’aplanir les différents entre les FF:. du GODF par contre il suit de très près les démarches des représentants de la GLDF "qui tentent de créer des Ateliers dans toutes les villes du Maroc". Le ton de sa lettre au Conseil de l’Ordre, le 9.03.1922, est caractéristique à la fois de son franc-parler et de son antagonisme : "Nous aurions été heureux de voir le Conseil de l’Ordre se rendre utile au Maroc. C’est le Grand Maître de la GLDF qui est venu et qui a fait du très mauvais travail. Nous n’avons du reste pas voulu le recevoir officiellement à Rabat".
 
Profitant de ses voyages, le Chapitre en fait son missi dominici : à Oran pour la quatre-vingtième année de la loge "l’Union Africaine", à Marrakech pour régler des tensions dans la loge "Atlas", à Paris en tant que délégué. Peu à peu, sans titre de premier plan, il prend une place croissante au sein de la FM:. au Maroc. Une étude suivie des Congrès du Maroc ou d’Afrique du Nord le démontre.
 
En 1925, alors que Chapon, signe de la prééminence de Casablanca et de la sienne propre, est élu président du premier Congrès des Loges du Maroc, le F:. Cazemajou est simple membre du bureau.... En 1926, lors du deuxième Congrès, Griguer préside et Cazemajou délégué de Fès devient Orateur. En tant que tel il est délégué devant le prochain Congrès d’Afrique du Nord  pour demander "qu’un deuxième délégué au Conseil de l’Ordre soit désigné pour la région" ; il y est efficace puisque l’accord du Conseil de l’Ordre parvient l’année suivante...  En 1927, lors du troisième Congrès, auquel il participe en tant que délégué de la loge de Mazagan cette fois, il est à nouveau Orateur et obtient, preuve de son influence croissante, que la candidature de Rabat soit retenue au lieu de Casablanca comme siège du Congrès des loges d’Afrique du Nord ...  En 1928, il est élu à l’unanimité par acclamations au poste de président du Congrès qu’il va mener, selon le compte-rendu "de la manière lapidaire qui est la sienne et qui lui a valu amicalement de la part du TIF:. Bouty l’appellation de Clemenceau marocain".
 
En 1929, au Congrès d’Afrique du Nord, Cazemajou en tant que président de la commission des vœux et règlements fait admettre "de ne pas tolérer la création de nouvelles loges espagnoles dans la partie du Protectorat Français". C’est aussi l’occasion, après avoir obtenu précédemment deux postes de Conseillers de l’ordre pour l’Afrique du Nord de réclamer "la scission de cet ensemble en deux régions : la première avec Alger, Constantine et Tunis, la seconde réunissant Rabat et Oran".
 
Cette commission des vœux et règlements, Cazemajou l’affectionne car elle lui donne la possibilité de donner libre cours à sa rigueur de jugement et à son besoin d’organiser. En 1930, au cinquième Congrès du Maroc, il en est président et demande à ce titre "la division en deux régions de l’Afrique du Nord" en présence des invités de marque, les TIF:.  Groussier, Savoire et Bouty
 
Le Chapitre est également l’objet de toute son attention. Il s’y inquiète de la possibilité d’appartenir à la fois à un Chapitre du GODF et de la GLDF . Cette GLDF qu’il ne cesse de surveiller, les rapports étant franchement mauvais quand le Conseiller Fédéral s’appelle Arrensdorf, un peu moins quand c’est Celu et franchement meilleurs avec Fernandez ou Lebert.... Il s’y déclare partisan  de la création du Chapitre de Rabat, face à celui de Casablanca sous l’emprise de Chapon surtout sensible au secteur privé et à la primauté de Casablanca. Finalement il obtiendra du TIF:. Savoire d’installer ce second Chapitre à Rabat. La tension est telle qu’il joue une fois de plus de sa démission du Chapitre de Casablanca pour réintégrer ensuite bien qu’il soit en même temps Très Sage à Rabat. Une fois de plus, car dès 1922 il met assez régulièrement les FF:. dans l’embarras en usant de cette démission qui lui permet d’obtenir ce qu’il veut.
 
Le partage, entre les deux fortes personnalités que sont Chapon et Cazemajou, se fait par la force des choses. Le rôle important joué par le F:. Chapon dans le monde profane ne lui laisse guère le loisir de se consacrer à la FM:. au Maroc dans son ensemble. Le F:. Cazemajou, au contraire, consacre sa vie à faire du GODF une puissance dynamique et respectée. Cette ligne de partage est soulignée, dès Avril 1929, quand le TIF:. Bouty annonce que "la France a été divisée pour les Ateliers Supérieurs en 27 régions. Le Maroc étant la 27e région, notre F:. Cazemajou a été désigné par le Grand Collège comme président de la Commission Régionale...". Prenant son rôle de président de secteur avec le sérieux habituel il rappelle aux FF:. Casablancais que "ce n’est pas au Chapitre mais à une commission spéciale d’étudier les candidatures...", façon de contourner la sélection opérée par les Casablancais.
 
Si, à Rabat l’action du F:. Cazemajou est suivie avec sympathie, à Casablanca un certain froid l’accompagne. Ainsi, quand en 1933 la loge "Fraternité Marocaine" de Rabat collecte l’argent "pour l’achat d’une croix en brillants à remettre au F:. Cazemajou nommé Chevalier de la Légion d’Honneur", Casablanca décide "de s’abstenir pour éviter de froisser les FF:. précédemment décorés... mais de participer à toute manifestation pour fêter la nomination du F:. Cazemajou comme membre du Conseil de l’Ordre".
 
En effet le Conseil de l’Ordre, tenant compte de l’expansion de la FM:. en Afrique du Nord, accorde à cette région trois sièges de Conseillers et le F:. Cazemajou devient le premier Conseiller de l’Ordre pour le Maroc, aux côtés des TIF:. Daloni et Bouty qui l’on en quelque sorte parrainé. Ce poste, obtenu pour l’ensemble Maroc-Oranie, sera vite réservé au seul Maroc, Oran glissant vers Alger. En tant que Conseiller de l’Ordre, le TIF:. Cazemajou va multiplier les rapports d’inspections de loges percutants et des observations peu aimables sur la GLDF. Les exemples ne manquent pas dans sa correspondance : "Le F:. Alessandri [GODF] a hésité à prendre le premier maillet, j’ai du insister énergiquement auprès de lui". Ici, comme dans toutes les loges du Maroc, le TIF:. Cazemajou ne mâche pas ses mots et n’hésite pas à intervenir dans le choix des Vénérables. En Janvier 1934, il écrit à l’encontre du TIF:. Arrensdorf [GLDF] qui "a créé à Mazagan  la loge  "Tit" devenue le réceptacle de toutes les infériorités du cru au point que nos FF:. refusent tout contact avec elle"...
 
Très écouté à Paris par les différents Grands Maîtres qui se succèdent, et particulièrement du TIF:. Groussier, il pense devoir favoriser la nomination de FF:. pour de nombreux postes de direction à Rabat, dans le monde profane. Ceci avec l'idée  de provoquer, sur la plan local, une attraction suivie de demandes d'admission, et qu’il suffirait ensuite de sélectionner sévèrement parmi les demandes de profanes au moment de l’admission. Dans ce travail, il peut compter sur l’appui non seulement de Paris mais surtout du F:. Hutin .
 
  En 1934, quand les temps sont difficiles, il est obligé de se multiplier pour répondre aux nécessités. Il s’en ouvre au TIF:. Savoire par écrit : "je veux veiller sur nos loges nouvelles - Safi, Taza, Agadir - envers lesquelles nos pontifes de la GLDF réunis à Oran vont déclencher une offensive. La loge de Marrakech me donne beaucoup de souci".
 
En 1935, la crise dans le monde profane se prolongeant, il s’oriente très lucidement vers un rapprochement avec la GLDF à qui il déclare lors de son Congrès du Maroc en Avril : "je ne devais pas vous rendre visite.. Je suis d’accord avec vous qu’il nous faut marcher la main dans la main... je me rappelle que je n’ai pas toujours jugé aussi fraternellement... mais lorsque mon ami Lebert m’a rappelé qu’il ne fallait pas faire le jeu des anti-maçons je lui ai donné l’accolade que je me fais un plaisir de renouveler  ici..", ce qu’il fait en présence du TIF:. Dumesnil de Gramont. Rapprochement attesté par la volonté de créer ensemble un journal local républicain, projet amorcé par les FF:. Lebert et Cazemajou. Rapprochement qui se renforcera pendant le Front Populaire et à l’avant veille de la guerre.
 
La guerre approchant, le F:. Chapon, après avoir abandonné sa charge de président de la CCI de Casablanca devant la coalition du chef de région et du groupe Croze, reprend le maillet de Très Sage du Chapitre de Casablanca dont la place relative s’est progressivement réduite sur l’échiquier marocain depuis le premier Congrès des loges au Maroc et la naissance d’un second Chapitre à Rabat. Au même moment le TIF:. Cazemajou, dont la position s’est au contraire sans cesse renforcée, appuie la candidature "du F:. Besson de l’Étoile de Numidie" pour remplacer le F:. Goldzeiguer, Conseiller de l’Ordre sortant...", choix ratifié à l’unanimité par le Congrès d’Afrique du Nord à Alger en 1939. Il propose en outre, afin de respecter le tour d’ordre normal, d’organiser le Congrès de 1941 au Maroc....
 
Mais la guerre porte un coup d’arrêt brutal à la vie maçonnique : le 13 Août 1940 une loi interdit les sociétés secrètes et, le 19 Août, le Maréchal Pétain signe le décret de dissolution des obédiences maçonniques. Le TIF:. Cazemajou est touché, comme le F:. Chapon et tant d’autres. Leurs noms seront publiés avec celui de tous les FF:. ayant tenu un poste d’Officier dans les loges ou Congrès dans l’entre deux guerres. Certains de ces FF:. seront internés à Bou-Dnib dans le Sud.
 
Une période de clandestinité active s’ouvre, après laquelle il appartiendra au F:. Cazemajou de relancer les loges en Afrique du Nord en compagnie des TIF:. Daloni et Viala pour le GODF et Pinaud pour la GLDF, tandis que le F:. Chapon s’efface totalement. Enfin en 1945, le F:. Cazemajou rouvrira le Chapitre de Rabat et en 1949 le Chapitre de Casablanca, comme il l’avait fait avant guerre mais en ordre inverse.
S  Évolution de la place de France à Casablanca : le décor change
S    CHRONOLOGIE DU PROTECTORAT.
 
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