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- CHAPITRE IX
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La fin d'une époque : 1938 /
1940
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Les FF:. se retrouvent tout de même d’accord sur les conclusions que le
F:. Chancogne présente début 1938 : "il s’agit pour l’Association
Maçonnique Internationale qui compte l’élite de la FM:. mondiale de faire
comprendre à tous que le temps n’est plus d’ergoter sur des mots, mais
qu’est venu celui d’expliquer dans leur belle intégrité les principes
fondamentaux de l’Ordre : Liberté, Égalité, Fraternité". Texte
révélateur d’un état d ‘esprit marqué par l’approche de la guerre.
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La guerre se précise. En France, le Convent de 1938, sous la présidence
du TIF:. Dalloni, prendra position contre cette guerre dont on parle de
plus en plus ; affirmant qu’elle ne pourrait rien résoudre et se
refusant de la croire fatale. Au Maroc, même si la guerre n’est pas une
menace proche, la sensibilité des habitants est en alerte et surtout
chez les FF:. . Ils ont près d’eux les FF:. transfuges
d’Espagne qui ne cessent de leur rappeler que : "là-bas nous souffrons
des horreurs de la guerre déchaînée par les chefs d’une armée
prétorienne en alliance étroite avec toutes les forces conjuguées de la
réaction mondiale ... Si [tous les FF:.] ne se défendent pas
d’une manière plus efficace, vous FF:. Français vous allez courir
le même sort que les FF:. d’Italie, d’Allemagne, d’Autriche,
d’Espagne, car les ennemis de votre pays appliqueront, le moment venu,
les mêmes procédés de persécution et d’extermination qu’ils ont
l’habitude d’appliquer partout".
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La montée du Nationalisme marocain - car les
Européens même les moins avertis ne peuvent plus l'ignorer - autre sujet d’inquiétudes malgré
les mesures prises par le Résident Général Noguès pour juguler le
mouvement.
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La société européenne, consciemment ou non, reste sur ses gardes et le
Protectorat devient un pays sous surveillance. Les FF:.
continuent, en ce qui les concerne, à porter le même intérêt "aux
populations indigènes dont l’immense majorité vit dans des conditions
matérielles lamentables. Malheureusement si nous sommes riches de
pensées, si nous sommes généreux dans nos sentiments, nous ne légiférons
pas... c’est pour cette raison que les musulmans évolués nous accusent
de ne rien faire... Ne soyez donc pas étonnés si vous ne rencontrez sur
nos colonnes qu’un petit nombre d’indigènes...". Mais après cette
analyse pertinente, la proposition reste très prudente, focalisée sur un
seul aspect du problème, au risque d’être décevante pour les
Nationalistes : "Nous devons continuer à lutter contre leur ignorance,
leurs préjugés par l’école".
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La FM:. puissance avec qui il faut compter, tel est le sentiment des gens
avertis dans ce Maroc où inquiétudes et espoirs se mêlent. Ainsi au
Conseil du gouvernement on trouve : pour la CCI de
Casablanca Chapon,
pour la Chambre d’Agriculture de Casablanca avec Lebault, tous deux du GODF
et radicaux - pour la CCI de Rabat de Peretti GLDF et radical - pour la
Chambre d’Agriculture de Rabat Brun GODF et socialiste - pour la Chambre
mixte de Meknès Bozzi GODF et républicain - pour la Chambre mixte de
Taza Mohring GODF et républicain modéré - pour la Chambre mixte de
Marrakech Pétrignani GODF et socialisant - pour la chambre mixte
d’Agadir Barutel GODF et républicain modéré - pour la Chambre mixte de
Mogador Gibert GODF et radical - pour la Chambre mixte de Safi Lebert
GLDF et radical. Soit au total, une forte participation représentative
de l’ensemble des forces économiques du Maroc.
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Il y a lieu d’ajouter à cette liste, sur les vingt-quatre membres du 3e
Collège, une quinzaine de FF:. : pour Taza Destreux GODF
socialiste - pour Fès Fernandez GLDF radical puis socialiste et Debare
GLDF radical - pour Meknès Carbuccia GODF socialiste - pour Safi
Arrensdorf GLDF socialiste - pour Rabat Lacroix GLDF socialiste, Boiron
GODF socialiste, Lajani GODF socialiste - pour Casablanca Parent GLDF
néo-socialiste - pour Khouribga Corias socialiste - pour Mazagan Rivaud
- pour Mogador Mandiberry GODF - pour
Agadir Chesneau - pour Marrakech
Casanova et Fauré tous deux GODF socialistes.
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Sans oublier tous les FF:. placés à la tête des Municipalités,
comme à Casablanca où, dès 1919, le F:. Chapon rompe des lances
avec M. de Tarde montrant la voie aux FF:. Sabalot, Denoueix,
Roland, Andrieu, Guitton... Avec, également, de nombreux chefs de
Bureaux ou Directions à l’exemple de Favereau aux Domaines, Hermelin,
Pieton et Sazerac de Forges aux Finances, Hutin très proche du Résident
Général.
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Cet ensemble complète la liste déjà étoffée des FF:. responsables
politiques et syndicalistes. Si l’on songe qu’à la même époque la FM:. en
France joue de son côté un rôle important, il est compréhensible que les
FF:. au Maroc sont pris au sérieux.
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Les sœurs et les FF:. du DH se réunissent dans leur unique
atelier "Minerve 207", créé à Casablanca avec l'appui du F:.
Chapon.
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Les FF:. de la GLDF disposent d'un aréopage (30e
degré) "Liberté et Conscience" à Casablanca, d'un Chapitre "Tit
Anfa" dès 1922, d'une loge de perfection (4e et 14e
degrés) "Tit Perfecta" en 1935 et de quatorze loges. Par ordre
chronologique : "Léon Gambetta" 1919 à Marrakech, "Woodrow
Wilson" 1920 à Mogador, "Anfa Lumière" 1920 à Casablanca, "Tit"
1921 à Mazagan, "Asfy" 1922 à Safi, "Le Soleil du Gharb" à
Kénitra 1922, "Conscience" 1924 et "Les deux sœurs" 1924 à
Rabat, "L'Union" 1925 à Tanger, "La Renaissance" 1928 à
Casablanca. Il est patent que l'implantation, partie de l'intérieur, se
fait dans les années 20 sur la côte Atlantique essentiellement depuis
Mogador en relation économique et humaine avec Marrakech. Dans une
seconde vague, des années 30, l'obédience va étendre son réseau en
pénétrant vers l'intérieur sur la route menant à l'Algérie tout en
renforçant son dispositif atlantique : "L'Évolution du Maghreb"
1929 à Fez, "L'Évolution Fraternelle" 1930 à Casablanca, "Ordre
et Travail" 1932 à Meknès, "L'Avenir Berbère" à Taza, "Aurore
Fraternelle" 1934 à Oujda.
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Les FF:. du GODF, quant à eux, disposent au Maroc d’un Conseil
Philosophique "Phare de la Chaouia et du Maroc" 1926 à
Casablanca, de deux Chapitres le plus ancien "Le Phare du Chouia et
du Maroc" 1918 à Casablanca et l ‘autre "La Fraternité Marocaine"
1930 à Rabat. De plus, aux sept loges qui représentaient le dispositif
en 1924 sont venus s’ajouter huit nouveaux Ateliers, ce qui porte le
total à quinze loges :
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En 1925 à Marrakech a été ouverte la loge "Atlas" dont le F:.
Valette Jérôme devient le Vénérable, avec à ses côtés le docteur Ferriol
et l’architecte Gilles.
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En 1926, à Rabat naît une seconde loge "La Fraternité Marocaine" avec
pour Vénérable le F:. Favereau ayant à ses côtés les FF:.
Simon, Labeyrie, Marimbert, Cazemajou, Hutin. En 1933 lors de son
passage à Rabat le TIF:. Bouty se souvient que "Le Réveil du Maghreb"
est le premier Atelier dans lequel il fut reçu dans cet Orient. Plus
tard il procéda non sans une certaine appréhension à l’installation de
la "Fraternité Marocaine", craignant de voir naître un certain
antagonisme.. Il se réjouit "de la parfaite harmonie qui règne". Ce qui
doit porter ses auditeurs à sourire car, en fait, les uns trouvent les
autres trop intellectuels et inversement ; l’entente est tellement
"parfaite" que chacun des Ateliers soutient un club de sport Rbati de
premier plan : le SM et l’OM ce qui est pour le moins original comme
démonstration d’entente harmonieuse.
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En mai 1931, sur la côte Atlantique, la loge "Lumière et Paix"
allume ses feux à Safi sous l’impulsion de FF:. venus
spécialement de Mazagan pour soutenir les quelques FF:. isolés
dans cette ville.
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En novembre 1931, c'est à Taza que s'ouvre la loge "Sincérité et
Tolérance" sous la présidence du F:. Mohring en présence des
TIF:. Bouty, Cazemajou et Dalloni. Le relais entre la côte et
Oujda est enfin assuré.
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En 1932, c’est au tour de la loge "Atlantide" de voir le jour
avec l’aide cette fois des FF:. de Safi qui ont, à vrai dire, le
sentiment de réactiver les feux d’une loge créée en 1912 par le F:.
Pradel. Le Vénérable Roux a l’avantage de pouvoir compter sur l’actif F:.
Barutel.
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En juin 1934, la loge "Gerbe Fraternelle" de Settat est installée
de par la volonté du TIF:. Cazemajou et en présence des FF:. Simon
et Labeyrie de Rabat.
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Enfin, en 1937, une dernière loge du GODF s’installe dans le réseau du
GODF au Maroc avant guerre : "France-Maroc" de Casablanca ; à la
demande du F:. Chapon pour des raisons internes entre
Casablancais - en particulier les rapports entre radicaux et socialistes
- mais aussi comme une réponse à la création à Settat de la loge du F:.
Cazemajou.
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Car deux FF:. ont dominé de leur personnalité cette période : Chapon et
Cazemajou.
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Le F:. Chapon, en 1922, devient Très Sage de Casablanca. Les
Frères Chevaliers Rose+Croix. dont la moyenne d’âge oscille entre 30-35
ans, confirment par ce choix qu’ils n’ont aucune prévention contre
l’engagement dynamique sur le plan profane. Chapon restera à ce poste
jusqu’en 1926, date à laquelle est créé le Conseil Philosophique dont il
est nommé président.
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Ayant la pleine confiance de ses FF:.CH:. de Casablanca, Chapon aura une
influence d'autant plus grande et durable que de 1918 à 1938, comme le
prouve le tableau de Loge, il ne manquera pratiquement aucune tenue. Dés
lors pour approcher et comprendre en grande partie le GODF au Maroc, le
personnage mérite attention.
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Dans le bureau de1922 apparaît à ses côtés Cazemajou au poste de
chevalier d'Éloquence (orateur). Ainsi se retrouvent côte à côte deux
des plus représentatifs FF:. de l’entre deux guerres au Maroc...
En effet, si Cazemajou marque le GODF du Maroc de sa forte personnalité,
même s'il n'est pas toujours connu de grand public, Chapon
aux yeux de ce grand public justement symbolise l'action de la FM:. dans le Maroc
économique et politique, dans la mesure où d’abord pionnier puis notable
puissant avec des moyens d’interventions conséquentes, sa carrière lui
donne l'image type que les Européens du Maroc se font de la réussite.
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--Chapon, entrepreneur des travaux publics à Grenoble, après un passage
en Indochine, fonde avec son frère en 1912 à Casablanca "le comptoir des
mines et des grands travaux du Maroc", filiale de l'entreprise
dauphinoise. De plus il devient l’agent général de "la société
marocaine d’explosifs".
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Le pionnier est devenu notable, puissant au point de paraître un jour
tour à tour briseur et créateur de Résidents Généraux. N’est-il pas à la
tête de la CCI de Casablanca qui représente, à peu de chose près tout le
patronat européen, les autres Chambres de Commerce s’alignant d’autant
plus naturellement que le Président de la CCI de Casablanca est
généralement élu Président de la fédération des CCI du Maroc.
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En effet, avec les FF:. Mespoulet et Roustan ses colistiers, il
entre à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Casablanca, en 1921,
pour en être aussitôt le vice-président. En 1923, il est désigné
rapporteur général de la commission qui vient d'être créée auprès du
gouvernement à Rabat pour suivre l’élaboration du budget du
Protectorat... En 1924, il devient président de la CCI de Casablanca et
le restera jusqu’en 1928 où il se retire, réellement pour raison de
santé. Entre temps il accède progressivement à l'administration de
plusieurs sociétés : "La Vigie Marocaine", "la Compagnie des Autobus de
Casablanca" .... Réaliste, ardent à prendre la parole, il est rappelé à
l’unanimité comme président de la CCI en 1932 et le restera jusqu’en
1938 où, officiellement cette fois, il se retire pour raison de santé.
Non sans que ses collègues ne le nomment président d'honneur.
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Dans la mesure où l'action patronale - depuis les petits patrons isolés
jusqu'au grand patronat anonyme - passe par les CCI, le président de
Casablanca est un porte-parole écouté. Dans ce rôle Chapon se montre
aussi régulier, tenace et actif qu'il l'est en loge. Présent sans
défaillance aux réunions du bureau de la CCI où ses avis sont écoutés il
préside en outre, de 1921 à 1933, la principale commission, celle du
budget ...
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Cette brillante carrière se réalise au départ grâce à l’estime de
Lyautey qui a favorisé ce rôle de conseiller technique du protectorat,
estimant que l’activité économique détourne des discussions
idéologiques. Une fois Lyautey parti, Chapon reste très proche de la
conception lyautéenne tant dans sa défiance à l'égard des partis
politiques que de la colonisation des terres qui doivent rester libres
pour les marocains. Par contre rien n'empêche à ses yeux le commerce et
l’industrie de prendre de l'expansion et la CCI d'avoir un rôle accru
dans les destinées du Protectorat.
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La logique du système l’amènera à exprimer la demande expresse de ses
mandants de substituer dans le Protectorat un organisme délibératif à
l’organisme consultatif existant. La grande offensive est lancée, en
décembre 1935, par Chapon qui préside le comité de coordination des
trois collèges. Il expose officiellement sa position et la CCI de
Casablanca l’approuve allant jusqu’à démissionner en bloc du conseil du
gouvernement, suivie par les autres CCI du Maroc. La crise se tranche
par le départ du Résident Général Ponsot et la nomination de Peyrouton
auquel un télégramme chaleureux est envoyé. Chapon, parfaitement intégré
dans le système, est passé du rôle de conseiller toléré à celui de fondé
de pouvoir influent, et même déterminant. Cette influence est mise très
souvent au crédit de la FM:. du GODF au Maroc....
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Cette influence, quoiqu'il en soit, Chapon la met surtout au service de
la liberté commerciale, thème qui d'ailleurs peut se moduler
différemment suivant les intérêts du moment... En 1924, aspirant à un
marché marocain ouvert, selon les prescriptions du traité d'Algésiras,
il déclare que "le Maroc n'échappe pas au mouvement général des prix"
... Par contre en avril 1937, dans son discours inaugural de la Ie
Foire Internationale de Casablanca, il se fait le champion de l'économie
impériale. Programme qui est réalisé en 1939 par l'établissement du
contrôle des changes, en contradiction avec l'Acte d'Algésiras.
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Il s’agit donc, suivant les circonstances, de repousser l’intervention
de l’état, de s’insurger contre lui s’il manifeste l'intention
d’augmenter les impôts ; mais, par contre, de réclamer sa protection
quand il y a nécessité. Cette attitude de défense des intérêts
commerciaux et industriels face au gouvernement est aussi nette face aux
autre classes sociales : colons ou salariés !
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Les colons du Maroc touchés par la crise manifestent dans les rues de
Rabat en 1934 ; Chapon refuse d’appuyer ce mouvement dit des " colons
tondus" par une fermeture des magasins. Parce que, dit-il, oubliant un
passé personnel récent, "il ne saurait admettre des manifestations sur
la voie publique" pour obtenir une aide dont le commerce et l'industrie
feraient les frais avec tous les autres contribuables. Chapon est
d'autant plus ferme que, républicain convaincu, il n'apprécie pas ce
mouvement d'allure paramilitaire sous l’impulsion de Morlot d’Oujda,
mouvement déclenché les 5 et 6 février, date décidément lourde de
signification politique en cette année 1934.
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Les salariés, dont la situation salariale après 1930 devient de plus en
plus problématique, se font plus incisifs. Chapon accepte à contre cœur,
en juillet 1933, la proposition par le 3e collège du contrôle
des salaires par l'établissement d'un bulletin de paie... L'ampleur du
chômage devient alarmant mais la patronat européen et Chapon ignorent ou
négligent le danger social. Quand en juin 1936 les grèves parties de la
COSUMA vont s'étendre au Maroc entier, Chapon, plutôt que d'accepter les
congés payés réclamés, préconise la construction de logements ou la
création de sociétés de bienfaisance.
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Toujours, comme défenseur des commerçants et industriels, Chapon a
surtout attaché son nom au développement du port de Casablanca. Membre
de la commission du port, de 1921 à 1938 sans discontinuer, il a voulu
croire au grand port contre ceux qui demandaient un port réduit aux
besoins immédiats. Attitude affirmée, sans faille, face aux Résidents
Généraux successifs.
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Le F:. Chapon est donc sur la plan profane marocain de
l’entre-deux guerres un personnage écouté. Représentatif d'un type de la
FM:. au Maroc, c'est incontestable ; il n'en est pas pour autant
représentatif de tous les FF:. du Maroc.
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- A
la CCI naissante, en 1921, le F:. Paradis s'est présenté sur une
liste adverse... Toujours à la CCI, il arrive au F:. Mespoulet
de porter la contradiction aux thèses de Chapon, avec parfois l'appui
du F:. Roustan.
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Au Chapitre même, il arrive aussi au F:. Chapon d'être sévèrement
contré : alors qu’il vient d'y exposer le point de vue de la CCI, à
propos du budget du Maroc, Guitton lui oppose celui des
fonctionnaires... A la loge bleue de Casablanca la contradiction est
bien souvent moins feutrée.... Au congrès des loges du Maroc en 1925,
les thèses défendues avec succès par Chapon à la CCI sont écartées au
profit de celles de Mespoulet pourtant minoritaires à la CCI.
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Écouté mais discuté et contré à l’occasion : la F.M. au Maroc n’a rien
de monolithique ! Cazemajou, l’autre personnage important du GODF au
Maroc, se charge à l’occasion de le lui rappeler.
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--Cazemajou est né à Carcassonne en Juin 1878. Admissible à St Cyr, il
obtient un diplôme d’ingénieur dans sa spécialité puis aborde la licence
en droit. Il entre dans la Maçonnerie en Algérie la trentaine passée :
initié en janvier 1909 par la loge "Cirta" de Constantine,
compagnon et maître courant 1910, 18e en Avril 1914, 30e
en 1917 à l’approche de la quarantaine.
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En 1918, il est membre fondateur du Chapitre de Casablanca, mais sa
profession d’ingénieur topographe ne lui permet pas d’être fréquemment
sur place, d’autant plus qu’il est muté en 1920 à Rabat. Par contre ses
nombreux déplacements lui donnent la possibilité de prendre contact avec
les FF:. isolés à travers le Maroc, de les retrouver parfois même
devant la tente en plein bled. De sorte qu’il est à l’origine de
l’allumage de nombreux Ateliers depuis Taza jusqu’à Agadir en passant
par Rabat. Cette activité lui attire vers 1922 l’hostilité du
Secrétaire général du Protectorat M. de Serbier et de son éminence
grise, M. Mouzon, dont l’opposition aux Maçons et aux républicains
est légendaire.
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S’il essaie d’aplanir les différents entre les FF:. du GODF par
contre il suit de très près les démarches des représentants de la GLDF
"qui tentent de créer des Ateliers dans toutes les villes du Maroc". Le
ton de sa lettre au Conseil de l’Ordre, le 9.03.1922, est
caractéristique à la fois de son franc-parler et de son antagonisme
: "Nous aurions été heureux de voir le Conseil de l’Ordre se rendre
utile au Maroc. C’est le Grand Maître de la GLDF qui est venu et qui a
fait du très mauvais travail. Nous n’avons du reste pas voulu le
recevoir officiellement à Rabat".
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Profitant de ses voyages, le Chapitre en fait son missi dominici :
à Oran pour la quatre-vingtième année de la loge "l’Union Africaine",
à Marrakech pour régler des tensions dans la loge "Atlas", à
Paris en tant que délégué. Peu à peu, sans titre de premier plan, il
prend une place croissante au sein de la FM:. au Maroc. Une étude suivie
des Congrès du Maroc ou d’Afrique du Nord le démontre.
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En 1925, alors que Chapon, signe de la prééminence de Casablanca et de
la sienne propre, est élu président du premier Congrès des Loges du
Maroc, le F:. Cazemajou est simple membre du bureau.... En 1926,
lors du deuxième Congrès, Griguer préside et Cazemajou délégué de Fès
devient Orateur. En tant que tel il est délégué devant le prochain
Congrès d’Afrique du Nord pour demander "qu’un deuxième délégué au
Conseil de l’Ordre soit désigné pour la région" ; il y est efficace
puisque l’accord du Conseil de l’Ordre parvient l’année suivante... En
1927, lors du troisième Congrès, auquel il participe en tant que délégué
de la loge de Mazagan cette fois, il est à nouveau Orateur et obtient,
preuve de son influence croissante, que la candidature de Rabat soit
retenue au lieu de Casablanca comme siège du Congrès des loges d’Afrique
du Nord ... En 1928, il est élu à l’unanimité par acclamations au poste
de président du Congrès qu’il va mener, selon le compte-rendu "de la
manière lapidaire qui est la sienne et qui lui a valu amicalement de la
part du TIF:. Bouty l’appellation de Clemenceau marocain".
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En 1929, au Congrès d’Afrique du Nord, Cazemajou en tant que président
de la commission des vœux et règlements fait admettre "de ne pas tolérer
la création de nouvelles loges espagnoles dans la partie du Protectorat
Français". C’est aussi l’occasion, après avoir obtenu précédemment deux
postes de Conseillers de l’ordre pour l’Afrique du Nord de réclamer "la
scission de cet ensemble en deux régions : la première avec Alger,
Constantine et Tunis, la seconde réunissant Rabat et Oran".
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Cette commission des vœux et règlements, Cazemajou l’affectionne car
elle lui donne la possibilité de donner libre cours à sa rigueur de
jugement et à son besoin d’organiser. En 1930, au cinquième Congrès du
Maroc, il en est président et demande à ce titre "la division en deux
régions de l’Afrique du Nord" en présence des invités de marque, les
TIF:. Groussier, Savoire et Bouty
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Le Chapitre est également l’objet de toute son attention. Il s’y
inquiète de la possibilité d’appartenir à la fois à un Chapitre du GODF
et de la GLDF . Cette GLDF qu’il ne cesse de surveiller, les rapports
étant franchement mauvais quand le Conseiller Fédéral s’appelle
Arrensdorf, un peu moins quand c’est Celu et franchement meilleurs avec
Fernandez ou Lebert.... Il s’y déclare partisan de la création du
Chapitre de Rabat, face à celui de Casablanca sous l’emprise de Chapon
surtout sensible au secteur privé et à la primauté de Casablanca.
Finalement il obtiendra du TIF:. Savoire d’installer ce second Chapitre à
Rabat. La tension est telle qu’il joue une fois de plus de sa démission
du Chapitre de Casablanca pour réintégrer ensuite bien qu’il soit en
même temps Très Sage à Rabat. Une fois de plus, car dès 1922 il met
assez régulièrement les FF:. dans l’embarras en usant de cette
démission qui lui permet d’obtenir ce qu’il veut.
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Le partage, entre les deux fortes personnalités que sont Chapon et
Cazemajou, se fait par la force des choses. Le rôle important joué par
le F:. Chapon dans le monde profane ne lui laisse guère le loisir
de se consacrer à la FM:. au Maroc dans son ensemble. Le F:.
Cazemajou, au contraire, consacre sa vie à faire du GODF une puissance
dynamique et respectée. Cette ligne de partage est soulignée, dès Avril
1929, quand le TIF:. Bouty annonce que "la France a été divisée pour les
Ateliers Supérieurs en 27 régions. Le Maroc étant la 27e
région, notre F:. Cazemajou a été désigné par le Grand Collège
comme président de la Commission Régionale...". Prenant son rôle de
président de secteur avec le sérieux habituel il rappelle aux FF:.
Casablancais que "ce n’est pas au Chapitre mais à une commission
spéciale d’étudier les candidatures...", façon de contourner la
sélection opérée par les Casablancais.
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Si, à Rabat l’action du F:. Cazemajou est suivie avec sympathie,
à Casablanca un certain froid l’accompagne. Ainsi, quand en 1933 la loge
"Fraternité Marocaine" de Rabat collecte l’argent "pour l’achat
d’une croix en brillants à remettre au F:. Cazemajou nommé
Chevalier de la Légion d’Honneur", Casablanca décide "de s’abstenir pour
éviter de froisser les FF:. précédemment décorés... mais de
participer à toute manifestation pour fêter la nomination du F:.
Cazemajou comme membre du Conseil de l’Ordre".
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En effet le Conseil de l’Ordre, tenant compte de l’expansion de la FM:.
en Afrique du Nord, accorde à cette région trois sièges de Conseillers
et le F:. Cazemajou devient le premier Conseiller de l’Ordre pour
le Maroc, aux côtés des TIF:. Daloni et Bouty qui l’on en quelque
sorte parrainé. Ce poste, obtenu pour l’ensemble Maroc-Oranie, sera vite
réservé au seul Maroc, Oran glissant vers Alger. En tant que Conseiller
de l’Ordre, le TIF:. Cazemajou va multiplier les rapports
d’inspections de loges percutants et des observations peu aimables sur
la GLDF. Les exemples ne manquent pas dans sa correspondance : "Le F:.
Alessandri [GODF] a hésité à prendre le premier maillet, j’ai du
insister énergiquement auprès de lui". Ici, comme dans toutes les loges
du Maroc, le TIF:. Cazemajou ne mâche pas ses mots et n’hésite
pas à intervenir dans le choix des Vénérables. En Janvier 1934, il écrit
à l’encontre du TIF:. Arrensdorf [GLDF] qui "a créé à Mazagan la loge "Tit"
devenue le réceptacle de toutes les infériorités du cru au point que nos
FF:. refusent tout contact avec elle"...
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Très écouté à Paris par les différents Grands Maîtres qui se succèdent,
et particulièrement du TIF:. Groussier, il pense devoir favoriser la
nomination de FF:. pour de nombreux postes de direction à Rabat,
dans le monde profane. Ceci avec l'idée de provoquer, sur la plan
local, une attraction suivie de demandes d'admission, et qu’il suffirait
ensuite de sélectionner sévèrement parmi les demandes de profanes au
moment de l’admission. Dans ce travail, il peut compter sur l’appui non
seulement de Paris mais surtout du F:. Hutin .
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En 1934, quand les temps sont difficiles, il est obligé de se multiplier
pour répondre aux nécessités. Il s’en ouvre au TIF:. Savoire par écrit :
"je veux veiller sur nos loges nouvelles - Safi, Taza, Agadir - envers
lesquelles nos pontifes de la GLDF réunis à Oran vont déclencher une
offensive. La loge de Marrakech me donne beaucoup de souci".
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En 1935, la crise dans le monde profane se prolongeant, il s’oriente
très lucidement vers un rapprochement avec la GLDF à qui il déclare lors
de son Congrès du Maroc en Avril : "je ne devais pas vous rendre
visite.. Je suis d’accord avec vous qu’il nous faut marcher la main dans
la main... je me rappelle que je n’ai pas toujours jugé aussi
fraternellement... mais lorsque mon ami Lebert m’a rappelé qu’il ne
fallait pas faire le jeu des anti-maçons je lui ai donné l’accolade que
je me fais un plaisir de renouveler ici..", ce qu’il fait en
présence du TIF:. Dumesnil de Gramont. Rapprochement attesté par la volonté de
créer ensemble un journal local républicain, projet amorcé par les FF:.
Lebert et Cazemajou. Rapprochement qui se renforcera pendant le Front
Populaire et à l’avant veille de la guerre.
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La guerre approchant, le F:. Chapon, après avoir abandonné sa
charge de président de la CCI de Casablanca devant la coalition du chef
de région et du groupe Croze, reprend le maillet de Très Sage du
Chapitre de Casablanca dont la place relative s’est progressivement
réduite sur l’échiquier marocain depuis le premier Congrès des loges au
Maroc et la naissance d’un second Chapitre à Rabat. Au même moment le
TIF:. Cazemajou, dont la position s’est au contraire sans cesse
renforcée, appuie la candidature "du F:. Besson de l’Étoile de
Numidie" pour remplacer le F:. Goldzeiguer, Conseiller de
l’Ordre sortant...", choix ratifié à l’unanimité par le Congrès
d’Afrique du Nord à Alger en 1939. Il propose en outre, afin de
respecter le tour d’ordre normal, d’organiser le Congrès de 1941 au
Maroc....
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Mais la guerre porte un coup d’arrêt brutal à la vie maçonnique :
le 13
Août 1940 une loi interdit les sociétés secrètes et, le 19 Août, le
Maréchal Pétain signe le décret de dissolution des obédiences
maçonniques. Le TIF:. Cazemajou est touché, comme le F:.
Chapon et tant d’autres. Leurs noms seront publiés avec celui de tous
les FF:. ayant tenu un poste d’Officier dans les loges ou Congrès
dans l’entre deux guerres. Certains de ces FF:. seront internés à
Bou-Dnib dans le Sud.
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Une période de clandestinité active s’ouvre, après laquelle il
appartiendra au F:. Cazemajou de relancer les loges en Afrique du
Nord en compagnie des TIF:. Daloni et Viala pour le GODF et Pinaud pour
la GLDF, tandis que le F:. Chapon s’efface totalement. Enfin en
1945, le F:. Cazemajou rouvrira le Chapitre de Rabat et en 1949
le Chapitre de Casablanca, comme il l’avait fait avant guerre mais en
ordre inverse.