-
-
-
-
- CHAPITRE VIII
-
-
Le Front Populaire : 1936
-
-
-
Les questions politiques,
progressivement éludées dans les Chapitres des deux obédiences au
Maroc, continuent à retenir toute l’attention des loges d'autant
plus que l’on retrouve de nombreux FF:. dans l’action
politique et syndicale.
-
-
-
Le syndicalisme au Maroc, jusqu’en
1930, est resté à l’état d’Amicales dispersées. Des FF\
s’étaient déjà engagés dans cette voie à l’instar de Mespoulet,
fondateur en juillet 1913 du syndicat des agents commerciaux... Ces
Amicales regroupent autant les Français que les étrangers et
quelques Marocains dont la présence est tolérée par la Résidence
malgré les textes.
-
-
En 1930 - en présence de Léon
Jouhaud, Secrétaire général de la CGT, et de son adjoint Lapierre
plus particulièrement chargé des Unions Départementales - la
décision est prise, en Congrès, de créer l’Union Départementale des
Syndicats du Maroc et de nommer le F:. Texier Secrétaire
Général avec pour adjoint le F:. Mattei. En juin 1930, le F:.
Guitton devient Président de la Fédération des Fonctionnaires, l’une
des clés de voûte du syndicalisme marocain qui comporte, à l’époque,
vingt associations d’ouvriers ou fonctionnaires face à quarante-deux
associations patronales.
-
-
A cette date, la réglementation
sociale au Maroc est pratiquement inexistante. Or l’origine
disparate des membres du mouvement syndical, l’analphabétisme d’un
grand nombre d’entre eux, compliquent les choses. Les premières
revendications portent sur la protection du travail, les garanties
aux ouvriers et l’augmentation des salaires. La patience de Texier,
le dynamisme et la diplomatie de Mattei permettent de consacrer la
légalité de mouvement syndical par l’obtention d’une Bourse du
Travail, à Casablanca, avec un permanent payé par la Municipalité.
-
-
Au Congrès de mai
1932, le F:.
Texier se retire pour raison de santé et laisse la place de
Secrétaire Général au F:. Mattei homme de dialogue et de
contact.
-
-
Le mouvement syndical prend de
l’ampleur en réaction contre la récession économique et la décision
de P.Laval, Ministre des colonies, de diminuer le budget des
colonies de 10%, ce qui touche toutes les classes sociales. Les FF:.
du Maroc considèrent que la seule opération acceptable serait "une
réforme administrative, inéluctable en France comme au Maroc".
Guitton assure que cette proposition est approuvée par les
fonctionnaires. Mais en octobre 1934, sentant son isolement, il
préfère ne pas se représenter à la Présidence laissée à Mattei dont
il avait été le parrain lors de son admission à la loge "Le Phare
de la Chaouia". Mattei connaît bien la Fédération qu'il a menée
en tant que Secrétaire Adjoint puis Trésorier Adjoint. Pris par ses
nouvelles charges, Mattei, au Congrès de l’Union départementale des
syndicats du Maroc, s’efface au profit du F:. Hivernaud qu’il
présente au poste de Secrétaire Général.
-
-
Les FF:. sont donc aux postes
de responsabilité ! Mattei, Penneteau, la sœur Vieilly, Gilles et
Ristorcelli au bureau de la Fédération des Fonctionnaires ; Arliguié
à la tête de la Fédération des PTT ; Chaban, de la GL, à la
Fédération des Cheminots ; Léandri à la Fédération des Phosphates ;
la sœur Vieilly au Syndicat Général de l’Enseignement ; le F:.
Regnault, de la GL, à la Fédération de la Police ; Abeille à la
Fédération des Personnels de la Direction de l’Economie ; Zenou à la
Fédération des Personnels civils de l’Armée.
-
-
Dans les loges, nombreux sont ceux
qui affirment : "les pouvoirs publics, dans aucun domaine, ne
pourront rien faire de profond et de grand sans les syndicats...
nous devons protéger et aider les syndicats... nous mettre à leur
tête".
-
-
En
1936, déjà actifs dans les partis
politiques et les syndicats, les FF:. animent la Ligue des
Droits de l’Homme et du Citoyen. Au XVe Congrès de la
Ligue se distinguent par leurs interventions : la sœur Broïdo et les
FF:. Faure, Faure-Muret, Mattei pour Casablanca ; Chaban pour
Rabat ; Reigner-Prat pour Oujda ; Debare pour Fez ; Arnal pour
Meknès ; Rivault pour Mazagan. Le bureau fédéral est présidé par le
F :. Marc Faure. Le Congrès en question, du mois d'avril, est
placé sous la présidence de Victor Basch qui connaît le Maroc pour y
être déjà venu en 1930 à l’occasion d’une série de conférences.
-
- Basch affirme son
espoir dans l’union des forces de gauche et leur succès aux
prochaines législatives. Le Congrès adopte la motion de Marc Faure
"pour la suppression au Maroc de l’état de siège et pour que les
pouvoirs conférés à l’autorité militaire soient confiés à l’autorité
civile...", la motion de Mattei sur "la réforme administrative...",
la motion de Chaban "pour l’application de la réglementation du
travail au Maroc et la reconnaissance du droit syndical".
-
-
Quelques jours plus tard, succès du
Front Populaire. Au Maroc le Comité anti-fasciste présidé par le F:.
Gérard, de la Ligue des Droits de l’Homme, s’est transformé en
Comité du Front Populaire. En loge, la question se pose sur
l’opportunité de l’adhésion directe à ce Comité. Certains FF:.
font observer que rien ne s’oppose à ce qu’une loge adhère, en tant
que groupement, au dit Comité. Finalement aucune loge ne le fera, le
soin étant laissé aux FF:. d’y œuvrer individuellement.
-
-
- La gauche au
pouvoir, le Résident Général Ponsot est remplacé par Peyrouton. A la
grande satisfaction de Chapon et des Casablancais qui, dès le mois
de décembre 1935, avaient adressé à toutes les loges du Maroc copie
de leur vœu "en faveur de la nomination d’un Résident Général
appartenant à notre ordre ou tout au moins sympathisant".
-
-
En mai 1936, Peyrouton est là pour
la satisfaction momentanée des CCI, et au grand dam des
organisations du Front Populaire à l’exception du parti radical. Son
action en Tunisie est diversement appréciée. A l’arrivée de
Peyrouton, le TIF\Cazemajou
prend donc la précaution de rappeler aux FF:. que "à son
arrivée en Tunisie, le Résident Général Peyrouton a pris contact
étroit avec les loges en tant que F:., puis il a été reçu 18e
au Chapitre de Tunis marquant ainsi sa volonté de collaboration
étroite. Mais en engendrant une trop grande familiarité cela a
entraîné le malentendu pour lequel le Convent de 1934 a rendu
justice au F:. Peyrouton".
-
-
Dès son arrivée, Peyrouton se veut
rassurant mais la convocation d’un Comité Permanent de Défense
Économique, qui marque l’alliance du patronat et de la Résidence,
apparaît aux forces de gauche comme une provocation, surtout en
plein Front Populaire. Brutalement, les grandes
grèves de France
font école au Maroc et vont assurer une progression très nette des
syndicats. Ce mouvement part de la Compagnie Sucrière Marocaine COSUMA à Casablanca, la décision étant prise dans la nuit du 10 au
11 juin à la Bourse du Travail et s’accompagne de l’occupation des
locaux.
-
-
Le caractère quasi dramatique de
cette occupation, dans le contexte légal du Maroc, amène les
dirigeants syndicalistes à établir rapidement leur cahier de
revendications pour faciliter l’évacuation des lieux de travail. Le
Résident promet un communiqué indiquant son accord pour des
réformes. Aussitôt la COSUMA est évacuée et le 13 juin le Résident
peut venir à Casablanca pour se poser en arbitre, arbitrage qui
aboutit à la première convention ouvrière au Maroc.
-
-
Mais la crise est si profonde que,
malgré tout, cette grève déjà suivie par les phosphates de Khouribga
va s’amplifier à travers tout le Maroc et atteindre son point
culminant le 19 juin. Ces grèves ont un bilan positif pour les
travailleurs grâce à leur ampleur renforcée par la participation des
Marocains. Ce qui cause une grande émotion dans les milieux de la
colonisation. Le Résident est très mal à l’aise devant les consignes
de P. Viennot, sous-secrétaire aux Affaires Étrangères. Son rappel
est considéré comme inévitable. D’autant plus que les milieux de
gauche ne comprennent pas comment le Général Franco, en venant des
Canaries par avion, a pu rejoindre le Maroc Espagnol sans être
signalé à l’aérodrome d’Agadir, jalousement contrôlé par le deuxième
bureau, puis à Casablanca.
-
-
Le Comité du
Front Populaire nomme
une commission de quatre membres pour réclamer à Paris le rappel de
Peyrouton : les FF:. Mattei, Bonnet et Sultan (tous deux
communistes) et Vickers La délégation en question n'est pas reçue
par Blum et Moch ; de son côté Paul Faure, qui dans son éditorial du
Populaire attaque fréquemment Peyrouton, se montre tiède. Il
faut l’intervention de Jouhaud pour que Blum les reçoive et les
informe que le Président Lebrun est saisi de l’affaire. Finalement,
Blum accepte le principe du remplacement de Peyrouton qui apprendra
sa mutation au cours d’un déplacement au Haut Comité Méditerranéen.
-
-
En septembre 1936, un nouveau
Résident est annoncé, le Général Noguès, gendre de Delcassé, envoyé
par le Front Populaire et ayant fait une partie de sa carrière au
Maroc. La nouvelle est connue de certains FF:. lors du
Convent. Sur la demande des FF:. Cazemajou et Hutin, le F\
Mattei, peu enchanté d’avoir affaire à un militaire, se rend à
l’Office du Maroc pour y saluer le Général Noguès. Le dialogue est
ouvert avant même l’arrivée du Résident au Maroc.
-
-
1937, "année de la faim" pour les
Marocains. En effet la sécheresse, surtout dans le Sud, pousse à
l’exode massif. Sur cette population sous alimentée s’abat une
épidémie de typhus. Au même moment le Maroc subit une montée des
prix qui dépasse l’augmentation des salaires.
-
Les difficultés économiques et
sociales, la menace de la guerre et une nouvelle campagne
d’agitation lancée depuis les mosquées par les Nationalistes
Marocains, maintiennent la société européenne dans l’appréhension du
lendemain.
-
-
En avril 1937, le Comité de la Paix
du GODF à Paris lance une "souscription en faveur des musulmans
affamés du Maroc". En septembre, plus de cent quatre-vingt-dix loges
de la Métropole ou de l’Extérieur ont souscrit pour un total de
18.828 francs versés au F:. Griguer de Rabat.
-
-
Les syndicats, soutenus par les
délégués socialistes du 3e Collège, réclament la
législation française de 1936. Ils se font insistants auprès d’un
Résident qui ne peut oublier qu’il est le représentant d’un
gouvernement du Front Populaire. Il s’agit de faire céder le
patronat qui retarde l’échéance des lois sociales.
-
-
En loge, les FF:. se penchent
sur la situation nouvelle : "les syndicats ont maintenant une
existence officielle. Mais alors qu’en Tunisie et en Algérie tous
les travailleurs, sans distinction de nationalité et de races,
ont le droit de se syndiquer... au Maroc il n’en va pas de même,
c’est inacceptable... c’est l’impossibilité de les éduquer, c’est
aussi les rejeter vers les Nationalistes anti-Français".
-
-
Position qui sera celle de la
Conférence Inter obédientielle, à Alger, en 1939. Il y est admis que
"le travailleur européen doit devenir l’éducateur de son camarade
musulman... Cette action demande l’effort de tous les FF:.
syndicalistes. Nos FF:. marocains signalent que le droit
d’adhésion au syndicalisme est refusé aux indigènes, il importe
d’essayer de leur faire attribuer".
-
-
Sur un autre plan, le Général Noguès
doit tenir compte de l’activisme des Croix de Feu. Il cherche donc
des appuis auprès des républicains. A ce titre, il reçoit
fréquemment le TIF\
Cazemajou ; au cabinet de la Résidence, en plus du F:. Hutin
déjà installé, il appelle le F:. Templier, un condisciple de
Jean Zay, pour le charger des affaires sociales et économiques ; il
appuie officieusement mais très efficacement le F:. Mattei.
-
-
La FM\,
disposée ainsi au milieu d’un écheveau de relations de plus en plus
dépendantes de l’action directe, éprouve le besoin par moment
d’établir publiquement sa position... Les jeunesses socialistes de
Marrakech ayant organisé une conférence sur "Franc-Maçonnerie et
Marxisme", le F:. Bonnet dans le Maroc-Socialiste
répond : "attaque sournoise contre la Maçonnerie... bon nombre de
socialistes sont également Maçons.. demandez leur de cesser leurs
attaques contre la Maçonnerie".
-
-
Les FF:. directement plongés
dans l’action, dans des directions opposées, se retrouvent à
l’occasion face à face. Le cas est des plus nets en ce qui concerne
les FF:. syndicalistes et les FF:. qui soutiennent
Chapon dont le rapport moral à la CCI, en 1937, s’élève "contre
toute législation inopportune" en visant les avancées syndicales.
-
-
La commission municipale va être, la
même année, un terrain de conflit supplémentaire. En effet, Chapon
va se heurter aux FF:. socialistes à propos de la désignation
des nouveaux membres, choisis sur listes par le Résident, chacun
ayant présenté son candidat.
-
-
Ces tensions politiques, ces
manœuvres, tout comme en France, entraînent l’absentéisme individuel
ou la séparation en blocs. Casablanca est caractéristique de ce
problème. Atelier très important avec une centaine de membres, les
tenues sont difficiles à mener tant les discussions deviennent âpres
entre d’une part les anciens, issus davantage des couches
commerçantes et industrielles plus orientées vers l’idéal radical et
républicain modéré, et d’autre part les plus jeunes, venus avec la
vague des fonctionnaires, plus ouverte au socialisme et au
syndicalisme. Ces jeunes se plaignent en outre que les portes du
Chapitre soient longues à s’entrouvrir alors que les FF:.
Chapon, Roby, Faure-Muret, Tolila s’en accommodent fort bien.
Progressivement l’atmosphère devient plus tendue ; ce qui amène le F:.
Chapon à se retirer pour créer un nouvel Atelier "France-Maroc"
dont il devient le Vénérable. La séparation est devenue effective.
Cependant par souci de ne pas couper les ponts aucune démission
n’est imposée et le F:. Tolila, bien que transfuge continue à
occuper le plateau de trésorier au "Phare de la Chaouia".
Cette attitude laisse subsister l’espoir d’aller vers une réelle
réconciliation entre les deux loges casablancaises, dont l’une a
pour Vénérable Chapon et l’autre Mattei depuis peu.
-
-
Les deux Chapitres du GODF évitent
donc soigneusement de s’attarder sur ces événements internes et les
tensions politiques. Ils se cantonnent plus volontiers dans les
questions mises à l’étude par le Grand Collège qui les encourage
d’ailleurs en ce sens.
-
- A la GLDF, le
Chapitre n'est pas épargné par ces considérations dans la mesure où
les FF\ se montrent très
engagés également sur le terrain politique. Le front commun, établi
entre les trois obédiences présentes au Maroc, s'accompagne d'une
politisation accrue des débats dans l'ensemble des Ateliers. Les
tensions ne manquent pas, dans quelque obédience que ce soit, entre
les FF\ de tendance
radicale-socialiste et ceux, nombreux, optant pour les idées
socialistes.
-
-
L'inquiétude née de la montée des
fascismes maintiendra cette sensibilité aux événements, à la
politique. Les réunions inter obédientielles des loges du Maroc et
d'Afrique du Nord se penchent sur des sujets communs qui laissent
apparaître cette préoccupation fondamentale de sauvegarder les
valeurs républicaines face au fascisme.
-
-
S
Front Populaire en France
-
S
Front Populaire et Daniel Guérin
anti-colonialiste
-
S
CHRONOLOGIE DU PROTECTORAT.
- .