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- CHAPITRE X
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La Franc-Maçonnerie et la presse
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Il semble difficile de faire un tableau de cette période de la F.M.
au Maroc sans aborder : la F.M. et la presse, la zone internationale
de Tanger, la F.M. espagnole au Maroc., sujets qui vont concerner
les prochains chapitres.
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La pénétration occidentale au Maroc vers 1880 se manifeste, entre
autre, par la publication de journaux en langue espagnole à Ceuta,
Tétouan, Melilla, et Tanger promue capitale diplomatique d’un Maroc
encore indépendant. Ces journaux privés jouissent, malgré le
Maghzen, d’une liberté totale dont ils usent grandement pour
réclamer la liberté de commerce et le contrôle européen sur le
Maroc. Thèses qui trouvent audience en France auprès du groupe
colonial du F:. Etienne, député d’Oran.
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A Tanger Al Maghreb al Aksa , édité par l’imprimerie Abrines
et rédigé en Espagnol puis en Anglais est le doyen de cette presse ;
il porte le nom d’une loge tangéroise. Suit Le Réveil du Maroc,
au nom révélateur de toute une conception de la présence européenne,
conception qui a influencé par la suite l’intitulé des loges au
Maroc. Créé par le F:. Cohen Lévy, soutien du consul Français
Ordega dans sa politique de pénétration au Maroc, ce journal tire à
700 exemplaires en 1885 et ses articles sont repris en Algérie et en
France. En 1888, à la mort de Cohen, le journal est racheté par Haïm
Benchimol, Vénérable de la loge, qui poursuit la pression en faveur
d’une intervention européenne souhaitée par la communauté israélite.
Au point que le journal va être subventionné par la France.
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En 1891, la loge du GODF, qui vient d’être créée, "La Nouvelle
Volubilis" manifeste aussitôt son intérêt pour la presse d’opinion.
Parmi ses membres fondateurs, Serph Victor directeur en puissance du
journal tangérois Le Maroc créé en 1892, d’abord agressif à
l’égard de la légation de France puis, après ses difficultés
financières en 1895, passé sous la coupe de cette légation jusqu’à
sa cessation de parution en 1905. Exemple caractéristique de cette
presse épisodique et tumultueuse.
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En 1911 parait à Tanger Le Petit Marocain dont les FF:.
sont actionnaires, à raison de 100 francs par action comme l’atteste
le cahier de trésorerie de la loge. Pour lancer ce journal les FF:.
demandent à Paris un journaliste et vont adopter une ligne
éditoriale radicale-socialiste... Toujours en 1911, la loge appuie
la candidature du F:. Estève de Laroque comme
correspondant local du Radical de France... Enfin ce
dispositif journalistique, à la veille du Protectorat, se complète
du F:. Bringaud correspondant à Fès du Matin et Hubert
Jacques correspondant à Tanger de ce même quotidien parisien. Le F:.
Hubert Jacques s’en prend à Regnault signataire du traité de Fès
mais en 1925 prend la défense de Lyautey contre ses FF:., qui
l’attaquent dans Les Annales Tangéroises contrôlées par eux.
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En effet d’une façon générale la presse soutenue par les FF:.
est autant critique à l’égard des autorités avant le Protectorat
qu’après. Attitude qui n’est pas sans risque puisque le dahir du 27
Avril 1914 relativement libéral a laissé place dès le 2 Août à
l’état de siège transférant les pouvoirs à l’autorité militaire.
Bien qu’assouplie par le dahir du 7 février 1920 la réglementation
de l’état de siège se maintiendra pendant l’entre deux guerres. La
Résidence Générale pouvant en outre disposer de fonds secrets pour
orienter certaines campagnes de presse.
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Ce cadre n’est pas celui de Tanger, ce qui permet aux FF:.
Espagnols de sortir fin 1917 Fiat - Lux présenté comme "organo
de la Familia Masonica Universal" dont le comité de rédaction
annoncé est la "Logia Abdel Azis" du GOE à Tanger.
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Dans le Protectorat français, chasse gardée des Affaires Étrangères
et de la Défense Nationale, ces entraves par contre sont pesantes.
Ce qui donne un relief certain aux prises de positions fermes du F :.
Laffite, Très Sage du Chapitre de Casablanca et rédacteur en chef
de La Vigie Marocaine, contre Lyautey. Cette opposition
connaît son apogée avec le décret du 16 Novembre 1919 abrogeant la
parité du franc avec la monnaie le hassani. Attaques que prolonge le
F:. Dunet de la GLDF tant par ses conférences à Paris que par
ses écrits virulents.
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En 1922, une étude est réalisée, pour le compte du GODF, par des
frères Casablancais. Il en résulte que les trois quotidiens sur
Casablanca et Rabat ne publient pas les communiqués maçonniques car
ils émargent de la Résidence. Par contre un quotidien La Presse
Marocaine conserve son indépendance ; des contacts pris avec son
directeur permettraient une cession... De plus, un hebdomadaire
Le Petit Casablancais dont le directeur "G. Stevenin, ancien
officier et blessé de guerre serait d’accord pour insérer nos
communiqués".
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En Janvier 1923, Carette-Bouvet, Vénérable de la loge "Anfa Lumière"
de la GLDF – mais aussi rédacteur de La Presse Marocaine et
directeur-fondateur du premier journal non gouvernemental en Arabe
"Al Akbar al Maghribiyya" - lance Le Cri Marocain qu’il
déclare "de défense socialiste" et où il fustige à longueur de
colonnes les autorités en place. Attaques que beaucoup de FF:.
reprennent à leur compte... En 1924, l’affaire de Telmest à Mogador
permet à Carette-Bouvet de développer avec virulence ses reproches à
l’encontre de la Résidence.
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Après le départ de Lyautey, le F:. Carette-Bouvet n’en
continue pas moins, dans son Cri Marocain, à mettre en cause
les autorités françaises locales qui, pour donner un coup de
semonce, l’impliquent en 1926 dans un "complot" ayant permis la
désertion de quatre ou cinq légionnaires à Meknès. Le procès se
termine par un non-lieu, fêté par les milieux de gauche à
Casablanca.
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A côté de La Vigie Marocaine jusqu’au départ de Laffite en
1921, à côté du Cri Marocain de Carette-Bouvet après 1921, il
existe bon nombre de journaux soit nationaux soit locaux car
l’information, avec la publicité, est rentable; ce qui explique que
vers 1930 le Maroc compte 7 quotidiens, dont la Vigie Marocaine
sur laquelle veille le F\ Chapon, 34 hebdomadaires, plus de 30
bimensuels, mensuels ou trimestriels. La plupart sont tombés sous la
coupe du groupe Mas tout en étant largement tributaires de l’agence
Havas et de l’agence Fournier. Il faut citer également une grande
quantité d’hebdomadaires à vocation locales, parmi lesquelles :
L’Écho du Maroc" du F:. de Peretti de la GLDF, premier
président de la Ligue des Droits de l’Homme au Maroc et pendant
trente et un ans à la tête de la Chambre de commerce de Rabat.
Fès- Meknès du F:. David, président de la chambre de
Commerce de Meknès, enfin Le Réveil de Mogador et L’Étincelle
à Mogador.
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Ces journaux locaux défendent les intérêts régionaux, mais
s’efforcent de faire circuler leurs idées de libres - penseurs... A
cet égard les deux hebdomadaires de Mogador sont exemplaires...
Le Réveil de Mogador paraît le 4 Septembre 1921, dans la foulée
de la loge "Nouvelle Tamusiga", et affiche sous la plume du F:.
Sandillon sa volonté de défendre la région. Mais en Février 1922
Sandillon se retire pour fonder, le 21 Mai 1922, L’Étincelle
qui survivra d’ailleurs à son aîné après Janvier 1923 et défendra
"les nobles principes de Liberté, Égalité, Fraternité". Il arrive
que ces hebdomadaires animés par des FF:. s’opposent en
défendant leurs régions. Ainsi quand L’Atlas de Marrakech
propose la ligne ferrée vers Safi, le F:. Sandillon défend
vertement Mogador.
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Par ailleurs L’Étincelle affiche ses sympathies pour la Ligue
des Droits de l’Homme dont les comptes-rendus d’Assemblées sont
largement repris. Ce qui n'est pas étonnant puisque le F:.
Sandillon est président de la section locale... Quelques thèmes
fondamentaux jalonnent l’existence de ce journal : la paix, l’armée,
l’école laïque et unique, le suffrage universel, la défense de la
république, la nécessité d’accroître le nombre des colons. Autant de
thèmes qui prennent racines dans les loges.
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En 1934, l’alerte est telle que les FF:. du Maroc ressentent
le besoin de regrouper le GODF et la GLDF autour d’un journal
républicain fait en commun. Avec d’autant plus de conviction que la
grande bourgeoisie d’affaires qui truste la publicité et les
journaux ne désire aucunement une presse d’opinion.
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Une circulaire maçonnique du 25.12.34, signée conjointement par les
Très Illustres Frères Cazemajou et Lebert est adressée à l’ensemble
des loges du Maroc sur la nécessité de créer ce journal : "les uns
préconisaient l’utilisation de journaux déjà existants d’une manière
intermittente, les autres désiraient la création d’un journal
contrôlé par la maçonnerie... Des essais de la première méthode ont
réussi sur le plan local, mais c’est insuffisant... Nous vous
serions fraternellement reconnaissants de hâter la souscription...".
Ce projet, identique à celui réussi à Paris où le Très Illustre
Frère Cazemajou contrôle avec une quinzaine de frères La Voix de
Paris, est généralement approuvé dans les loges mais ne se
réalisera pas au Maroc. Il reste aux FF:. à reprendre leurs
actions ponctuelles et locales au moment où la presse de droite -
La Presse Marocaine, Le Soir Marocain, La Voix
Française - se déchaîne sans retenue contre "la déchéance"
française.
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Quand il s’agit de parler à l’extérieur de Franc-Maçonnerie,
certains FF:. préfèrent présenter leurs écrits en loge avant
publication ; à l’instar du F:. Rolland quand il traite de la
justice marocaine et obtient quitus pour publier dans la
revue technique La Gazette des Tribunaux du Maroc. D’autres,
sous leur propre responsabilité, prennent la défense de la F.M.
comme le F:. Bonnet quand il répond en 1936 aux attaques des
jeunesses socialistes de Marrakech.
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Ces actions ponctuels trouvent aussi un exutoire dans la presse
syndicale. Le F:. Mattei anime le bulletin Le Journal des
Fonctionnaires, organe de la plus puissante Fédération. Le F:.
Hivernaud rédige nombre d’articles dans le Bulletin du Syndicat
Général de l’Enseignement Laïque du Maroc dont il est le
responsable. Sans oublier les articles du F:. Chaban,
animateur de L’Avenir du Rail pour les cheminots.
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L’éventail républicain de la F.M. se vérifie par la défense des
valeurs de la République dans le Bulletin de la Chambre de
Commerce de Casablanca sous l’impulsion du F:. Chapon,
dans le Bulletin de la Chambre de Rabat sur lequel veille le
F:. de Peretti, le Bulletin de la Chambre d’Agriculture de
Casablanca grâce au F:. Lebault. C’est-à-dire les
bulletins des Chambres Economiques les plus influentes du Maroc.
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Avec le temps, l’action locale s’intensifie. La Dépêche
Meknessienne est rédigée par des FF:. de la région ;
La Dépêche de Fès, hebdomadaire acheté par Tahar Essafi est
racheté en 1932 par le F:. Debare qui en fait le point de
ralliement des libéraux de Fès. D’ailleurs les FF:. de la
GLDF et du GODF vont jusqu'à faire leurs tenues ensemble. Par
ailleurs le journal L’Action du Peuple du Comité d’Action
Marocain est imprimé avec l’aide des "Editions Internationales" de
Fès dont le directeur n’est autre que le F:. Debare.
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La Dépêche de Fès engage le fer avec les catholiques qu’anime
Isnard, directeur du Maroc Rural, chacun visant le contrôle
de la Caisse du Crédit Agricole. Debare se lance également dans la
défense des Républicains Espagnols menacés par la Résidence Générale
d’expulsion. Autre sujet : les injustices du Protectorat. Dans ce
registre, Debare lance une campagne contre des officiers du sud
marocain pour détournement. Le Cri Marocain, où le F:.
Montagne a succédé à Carette-Bouvet, décédé, relaie l’information.
La Dépêche de Fès étant interdite, les FF:. de Fès se
cotisent pour lancer le titre Journal de Fès, aussitôt
interdit. Les FF:. déposent un nouveau titre La Pêche de
Fès (sic) ce qui amène M. Sicot, directeur du Cabinet Civil, à
convoquer le F:. Debare. Entrevue dont il ressort que
quelques officiers seront mutés et que La Dépêche de Fès est
autorisée.
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La Dépêche de Fès, avec le F:. Debare, poursuivra son
action sur tous ces terrains jusqu’en 1940 où, après avoir consenti
"à parler de betteraves et de gazogène" pour ne pas être interdite,
elle va se saborder quand les autorités voudront lui imposer
d’insérer les discours de Pétain et Laval.