Les Francs-Maçons
au Maroc
sous la IIIe République
1867 - 1940

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Odo Georges
Table Générale des matières - Bibliographie  . § 1 - 1867 Implantation au Maroc  .  § 2 - 1925 Les FF∴ et Lyautey  . § 3 - 1927 Steeg et l'extériorisation . § 4 - 1929/1930 Décret berbère . § 5 - 1931 Problèmes internes . § 6 - 1933 Politisation intensifiée§ 7 - 1934 les "Affaires"  .    § 8 - 1936 le Front Populaire  . § 9 - 1938/1940 : Fin d'une époque  .  § 10- la Franc Maçonnerie et la presse  . § 11- les loges espagnoles  .   § 12- Tanger zone internationale. § 13 - Moulay Hafid  . ............................                Tableau des Loges

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CHAPITRE     X
 
La Franc-Maçonnerie et la presse
 
Il semble difficile de faire un tableau de cette période de la F.M. au Maroc sans aborder : la F.M. et la presse, la zone internationale de Tanger, la F.M. espagnole au Maroc., sujets qui vont concerner les prochains chapitres.
 
La pénétration occidentale au Maroc vers 1880 se manifeste, entre autre, par la publication de journaux en langue espagnole à Ceuta, Tétouan, Melilla, et Tanger promue capitale diplomatique d’un Maroc encore indépendant. Ces journaux privés jouissent, malgré le Maghzen, d’une liberté totale dont ils usent grandement pour réclamer la liberté de commerce et le contrôle européen sur le Maroc. Thèses qui trouvent audience en France auprès du groupe colonial du F:. Etienne, député d’Oran.
 
A Tanger Al Maghreb al Aksa , édité par l’imprimerie Abrines et rédigé en Espagnol puis en Anglais est le doyen de cette presse ; il porte le nom d’une loge tangéroise. Suit Le Réveil du Maroc, au nom révélateur de toute une conception de la présence européenne, conception qui a influencé par la suite l’intitulé des loges au Maroc. Créé par le F:. Cohen Lévy, soutien du consul Français Ordega dans sa politique de pénétration au Maroc, ce journal tire à 700 exemplaires en 1885 et ses articles sont repris en Algérie et en France. En 1888, à la mort de Cohen, le journal est racheté par Haïm Benchimol, Vénérable de la loge, qui poursuit la pression en faveur d’une intervention européenne souhaitée par la communauté israélite. Au point que le journal va être subventionné par la France.
 
En 1891, la loge du GODF, qui vient d’être créée, "La Nouvelle Volubilis" manifeste aussitôt son intérêt pour la presse d’opinion. Parmi ses membres fondateurs, Serph Victor directeur en puissance du journal tangérois Le Maroc  créé en 1892, d’abord agressif à l’égard de la légation de France puis, après ses difficultés financières en 1895, passé sous la coupe de cette légation jusqu’à sa cessation de parution en 1905. Exemple caractéristique de cette presse épisodique et tumultueuse.
 
En 1911 parait à Tanger Le Petit Marocain dont les FF:. sont actionnaires, à raison de 100 francs par action comme l’atteste le cahier de trésorerie de la loge. Pour lancer ce journal les FF:. demandent à Paris un journaliste et vont adopter une ligne éditoriale radicale-socialiste... Toujours en 1911, la loge appuie la candidature du  F:. Estève de Laroque comme correspondant local du Radical de France... Enfin ce dispositif journalistique, à la veille du Protectorat, se complète du F:. Bringaud correspondant à Fès du Matin et Hubert Jacques correspondant à Tanger de ce même quotidien parisien. Le F:. Hubert Jacques s’en prend à Regnault signataire du traité de Fès mais en 1925 prend la défense de Lyautey contre ses FF:., qui l’attaquent dans Les Annales Tangéroises contrôlées par eux.
 
En effet d’une façon générale la presse soutenue par les FF:. est autant critique à l’égard des autorités avant le Protectorat qu’après. Attitude qui n’est pas sans risque puisque le dahir du 27 Avril 1914 relativement libéral a laissé place dès le 2 Août à l’état de siège transférant les pouvoirs à l’autorité militaire. Bien qu’assouplie par le dahir du 7 février 1920 la réglementation de l’état de siège se maintiendra pendant l’entre deux guerres. La Résidence Générale pouvant en outre disposer de fonds secrets pour orienter certaines campagnes de presse.
 
Ce cadre n’est pas celui de Tanger, ce qui permet aux FF:. Espagnols de sortir fin 1917 Fiat - Lux présenté comme  "organo de la Familia Masonica Universal" dont le comité de rédaction annoncé est la "Logia Abdel Azis" du GOE à Tanger.
 
Dans le Protectorat français, chasse gardée des Affaires Étrangères et de la Défense Nationale, ces entraves par contre sont pesantes. Ce qui donne un relief certain aux prises de positions fermes du F :. Laffite, Très Sage du Chapitre  de Casablanca et rédacteur en chef de La Vigie Marocaine, contre Lyautey. Cette opposition connaît son apogée avec le décret du 16 Novembre 1919 abrogeant la parité du franc avec la monnaie le hassani. Attaques que prolonge le F:. Dunet de la GLDF tant par ses conférences à Paris que par ses écrits virulents.
 
En 1922, une étude est réalisée, pour le compte  du GODF, par des frères Casablancais. Il en  résulte que les trois quotidiens sur Casablanca et Rabat ne publient pas les communiqués maçonniques car ils émargent de la Résidence. Par contre un quotidien La Presse Marocaine conserve son indépendance ; des contacts pris avec son directeur permettraient une cession... De plus, un hebdomadaire Le Petit Casablancais dont le directeur  "G. Stevenin, ancien officier et blessé de guerre serait d’accord pour insérer nos communiqués".
 
En Janvier 1923, Carette-Bouvet, Vénérable de la loge "Anfa Lumière" de la GLDF – mais aussi rédacteur de La Presse Marocaine et directeur-fondateur du premier journal non gouvernemental en Arabe "Al Akbar al Maghribiyya" - lance Le Cri Marocain qu’il déclare "de défense socialiste" et où  il fustige à longueur de colonnes les autorités en place. Attaques que beaucoup de FF:. reprennent à leur compte... En 1924, l’affaire de Telmest à Mogador permet à Carette-Bouvet de développer avec virulence ses reproches à l’encontre de la Résidence.
 
Après le départ de Lyautey, le F:. Carette-Bouvet n’en continue pas moins, dans son Cri Marocain, à mettre en cause les autorités françaises locales qui, pour donner un coup de semonce, l’impliquent en 1926 dans un "complot" ayant permis la désertion de quatre ou cinq légionnaires à Meknès. Le procès se termine par un non-lieu, fêté par les milieux de gauche à Casablanca.
 
A côté de La Vigie Marocaine jusqu’au départ de Laffite en 1921, à côté du Cri Marocain de Carette-Bouvet après 1921, il existe bon nombre de journaux soit nationaux soit locaux car l’information, avec la publicité,  est rentable; ce qui explique que vers 1930 le Maroc compte 7 quotidiens, dont la Vigie Marocaine sur laquelle veille le F\ Chapon, 34 hebdomadaires, plus de 30 bimensuels, mensuels ou trimestriels. La plupart sont tombés sous la coupe du groupe Mas tout en étant largement tributaires de l’agence Havas et de l’agence Fournier. Il faut citer également une grande quantité  d’hebdomadaires à vocation locales, parmi lesquelles : L’Écho du Maroc" du F:. de Peretti de la GLDF, premier président de la Ligue des Droits de l’Homme au Maroc et pendant trente et un ans à la tête de la Chambre de commerce de Rabat. Fès- Meknès du F:. David, président de la chambre de Commerce de Meknès, enfin Le Réveil de Mogador et L’Étincelle à Mogador.
 
Ces journaux locaux défendent les intérêts régionaux, mais s’efforcent de faire circuler leurs idées de libres - penseurs... A cet égard les deux hebdomadaires de Mogador sont exemplaires... Le Réveil de Mogador paraît le 4 Septembre 1921, dans la foulée de la loge "Nouvelle Tamusiga", et affiche sous la plume du F:. Sandillon sa volonté de défendre la région. Mais en Février 1922 Sandillon se retire pour fonder, le 21 Mai 1922, L’Étincelle qui survivra d’ailleurs à son aîné après Janvier 1923 et défendra "les nobles principes de Liberté, Égalité, Fraternité". Il arrive que ces hebdomadaires animés par des FF:. s’opposent en défendant leurs régions. Ainsi quand L’Atlas de Marrakech propose la ligne ferrée vers Safi, le F:. Sandillon défend vertement Mogador.
 
Par ailleurs L’Étincelle affiche ses sympathies pour la Ligue des Droits de l’Homme dont les comptes-rendus d’Assemblées sont largement repris. Ce qui n'est pas étonnant puisque le F:. Sandillon est président de la section locale... Quelques thèmes fondamentaux jalonnent l’existence de ce journal : la paix, l’armée, l’école laïque et unique, le suffrage universel, la défense de la république, la nécessité d’accroître le nombre des colons. Autant de thèmes qui prennent racines dans les loges.
 
En 1934, l’alerte est telle que les FF:. du Maroc ressentent le besoin de regrouper le GODF et la GLDF autour d’un journal républicain fait en commun. Avec d’autant plus de conviction que la grande bourgeoisie d’affaires qui truste la publicité et les journaux ne désire aucunement une presse d’opinion.
 
Une circulaire maçonnique du 25.12.34, signée conjointement par les Très Illustres Frères Cazemajou et Lebert est adressée à l’ensemble des loges du Maroc sur la nécessité de créer ce journal : "les uns préconisaient l’utilisation de journaux déjà existants d’une manière intermittente, les autres désiraient la création d’un journal contrôlé par la maçonnerie... Des essais de la première méthode ont réussi sur le plan local, mais c’est insuffisant... Nous vous serions fraternellement reconnaissants de hâter la souscription...". Ce projet, identique à celui réussi à Paris où le Très Illustre Frère Cazemajou contrôle avec une quinzaine de frères La Voix de Paris, est généralement approuvé dans les loges mais ne se réalisera pas au Maroc. Il reste aux FF:. à reprendre leurs actions ponctuelles et locales au moment où la presse de droite - La Presse Marocaine, Le Soir Marocain, La Voix Française - se déchaîne sans retenue contre "la déchéance" française.
 
Quand il s’agit de parler à l’extérieur de Franc-Maçonnerie, certains FF:. préfèrent présenter leurs écrits en loge avant publication ; à l’instar du F:. Rolland quand il traite de la justice marocaine et obtient quitus pour publier dans la revue technique La Gazette des Tribunaux du Maroc. D’autres, sous leur propre responsabilité, prennent la défense de la F.M. comme le F:. Bonnet quand il répond en 1936 aux attaques des jeunesses socialistes de Marrakech.
 
Ces actions ponctuels trouvent aussi un exutoire dans la presse syndicale. Le F:. Mattei anime le bulletin Le Journal des Fonctionnaires, organe de la plus puissante Fédération. Le F:. Hivernaud rédige nombre d’articles dans le Bulletin du Syndicat Général de l’Enseignement Laïque du Maroc dont il est le responsable. Sans oublier les articles du F:. Chaban, animateur de L’Avenir du Rail pour les cheminots.
 
L’éventail républicain de la F.M. se vérifie par la défense des valeurs de la République dans le Bulletin de la Chambre de Commerce de Casablanca sous l’impulsion du F:. Chapon, dans le Bulletin de la Chambre de  Rabat sur lequel veille le F:. de Peretti, le Bulletin de la Chambre d’Agriculture de Casablanca grâce au F:. Lebault. C’est-à-dire les bulletins des Chambres Economiques les plus influentes du Maroc.
 
Avec le temps, l’action locale s’intensifie. La Dépêche Meknessienne est rédigée par des FF:. de la région ; La Dépêche de Fès, hebdomadaire acheté par Tahar Essafi est racheté en 1932 par le F:. Debare qui en fait le point de ralliement des libéraux de Fès. D’ailleurs les FF:. de la GLDF et du GODF vont jusqu'à faire leurs tenues ensemble. Par ailleurs le journal L’Action du Peuple du Comité d’Action Marocain est imprimé avec l’aide des "Editions Internationales" de Fès dont le directeur n’est autre que le F:. Debare.
 
La Dépêche de Fès engage le fer avec les catholiques qu’anime Isnard, directeur du Maroc Rural, chacun visant le contrôle de la Caisse du Crédit Agricole. Debare se lance également dans la défense des Républicains Espagnols menacés par la Résidence Générale d’expulsion. Autre sujet : les injustices  du Protectorat. Dans ce registre, Debare lance une campagne contre des officiers du sud marocain pour détournement. Le Cri Marocain, où le F:. Montagne a succédé à Carette-Bouvet, décédé, relaie l’information. La Dépêche de Fès étant interdite, les FF:. de Fès se cotisent pour lancer le titre Journal de Fès, aussitôt interdit. Les FF:. déposent un nouveau titre La Pêche de Fès (sic) ce qui amène M. Sicot, directeur du Cabinet Civil, à convoquer le F:. Debare. Entrevue dont il ressort que quelques officiers seront mutés et que La Dépêche de Fès est autorisée.
 
La Dépêche de Fès, avec le F:. Debare, poursuivra son action sur tous ces terrains jusqu’en 1940 où, après avoir consenti "à parler de betteraves et de gazogène" pour ne pas être interdite, elle va se saborder quand les autorités voudront lui imposer d’insérer les discours de Pétain et Laval.
S    CHRONOLOGIE DU PROTECTORAT.
@  Odo G.  - "FM et Presse au Maroc de 1883 à 1973"  : Iderm Bulletin  N° 7 (1973)

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