Les Francs-Maçons
au Maroc
sous la IIIe République
1867 - 1940

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Odo Georges
Table Générale des matières - Bibliographie  . § 1 - 1867 Implantation au Maroc  .  § 2 - 1925 Les FF∴ et Lyautey  . § 3 - 1927 Steeg et l'extériorisation . § 4 - 1929/1930 Décret berbère . § 5 - 1931 Problèmes internes . § 6 - 1933 Politisation intensifiée§ 7 - 1934 les "Affaires"  .    § 8 - 1936 le Front Populaire  . § 9 - 1938/1940 : Fin d'une époque  .  § 10- la Franc Maçonnerie et la presse  . § 11- les loges espagnoles  .   § 12- Tanger zone internationale . § 13 - Moulay Hafid  . ............................                Tableau des Loges

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La_maçonnerie_au_Maroc_et_en_France
La_vie_inter_obédientielle
CHAPITRE    V
 

Les problèmes internes  : 1931

 

La maçonnerie au Maroc et en France

 

Tandis qu’à Vincennes, sur les bords du lac Daumesnil, le Maréchal Lyautey et le Président de la République inaugurent  en 1931, "l’Exposition Coloniale Internationale", symbole du triomphalisme du moment, la crise économique s’installe au Maroc et brise la fièvre spéculative des années 1927-1930.

 

Ce Maroc de 1931 n’est pas encore entièrement "pacifié", la période 1926-1930 s’étant caractérisée par l’arrêt de la pénétration française. Les statistiques donnent toutefois : 415.000 km2, soit les 4/10e des territoires chérifiens ; 5.400.000 habitants dont 130.000 européens, c’est-à-dire deux fois plus que cinq ans avant. Cette colonie européenne, partiellement agricole, est essentiellement urbaine.

Sur le plan économique, Casablanca constitue le centre nerveux grâce à son port et à ses industries. La composition du Chapitre est instructive : bien que le Maroc soit marqué, depuis 1927, par un afflux de fonctionnaires avec l’essor de l’administration directe, le secteur privé garde la primauté dans la Franc-Maçonnerie.

Ce phénomène est observable, avec une importance variable, dans les loges du Maroc.  Les FF:. du secteur privé ont, en effet, une position primordiale en tant que Présidents dans les  Chambres de Commerce et d’Industrie : Chapon à Casablanca, Mohring à Taza, Barraux à Fès, David à Meknès, De Perreti à Rabat, Dupré à Mazagan, Lebert à Safi, Sandillon à Mogador, Barutel à Agadir, Du Pac à Marrakech.

La montée des fonctionnaires se fait sentir tout de même et va créer quelques tensions internes. Au 3e collège il faut noter seize maçons sur vingt-quatre délégués radicaux ou socialistes. Les divergences d’analyses sociales et politiques profanes vont avoir des prolongements en loge. La création du Chapitre à Rabat, capitale administrative, face au Chapitre de Casablanca, capitale économique, est exemplaire à cet égard.

Par ailleurs, les FF:. s’inquiètent de leur "recrutement actuel qui se fait dans une génération proche de la trentaine et presque toujours dans des milieux restreints, commerçants et fonctionnaires surtout... Nous connaissons les préventions des travailleurs manuels... Quant aux techniciens, la majorité s’abstient restant fermée à la culture philosophique... Les intellectuels se défient d'une association qu’on a présentée trop souvent comme n’ayant que des buts politiques".

Les musulmans sont absents, eux aussi. Les FF:. abordent le sujet en se partageant . Les uns estiment que "les jeunes turbans s’apprêtent à jouer bientôt dans la vie politique, économique et sociale de leur pays, un rôle auquel nous les aurons préparés... Le jour n’est peut-être pas éloigné où nous entendrons : le Maroc aux Marocains ... Ce serait l’honneur de la FM\ de mettre au point ces jeunes énergies, qui veulent se dépenser à tout prix, en les enrôlant sous sa bannière... Elle parviendrait ainsi à empêcher ou retarder des événements que certains esprits pessimistes veulent prochains". D’autres jugent fallacieux ces espoirs d’admission car "le rite musulman qui domine au Maroc est moins libéral que les autres rites pratiqués dans les pays voisins où la FM\ a fait quelques adeptes". Finalement, il va s’avérer que "ces jeunes turbans", d’abord écartés de la FM\ par des problèmes de langue, se détourneront de cet organisme de laïcité militante soit pour des raisons philosophiques soit par attitude politique.

Cependant le rapprochement avec les Marocains reste à l’ordre du jour, par le biais des questions sociales : "demander l’extension au Maghreb de toutes les lois sociales de la métropole"... "ne pas apporter de barrières trop restrictives à la circulation et au séjour en France de travailleurs indigènes"... "les syndicats devraient ouvrir leurs portes indifféremment aux ouvriers européens et indigènes". Idée qui passera dans les faits seulement vers 1936-37, malgré l’opposition de la Résidence Générale qui, dans son dahir du 24 décembre 1936, octroie le droit syndical aux seuls Européens.

La crise de la démocratie est un autre sujet de préoccupation : "cette crise est due à ce que le Parlement travaille sous l’empire de l’argent, à un manque de compétence des parlementaires".  

La défense de la République "qui est née de la FM\" reste le thème central. Cette République ne saurait être si elle n’était laïque : les sujets étudiés en loges y reviennent sous des angles divers.. "contre le cléricalisme"... "pour la morale laïque"... "pour la défense de l’école laïque"... "pour la fondation de la Mission Laïque à Casablanca".

La paix, enfin, demeure avec les sujets précédents un leitmotiv. Les FF:. du Maroc ne sauraient oublier qu’en juin 1917 s’est tenu à Paris un Congrès des Francs-Maçons, alliés et neutres, en l’hôtel de la rue Cadet pour parler de la future S.D.N. Dès 1925, les Casablancais demandent que "l’école en France et en Allemagne s’abstienne d’exalter la haine et le nationalisme.. et qu’elle dispose les élèves à vouloir par-dessus tout la paix !".

Ces thèmes, discussions et conclusions de la FM\ au Maroc, correspondent parfaitement à l’optique du GODF en France puisque le TIF\ Estèbe, président du Conseil de l’Ordre, donne un remarquable coup de chapeau en plein Convent  "Au Maroc, le dernier-né à la vie maçonnique, le benjamin de notre famille.... jusqu’à ce jour, sous des Vénérables divers, il n’est pas un problème social, politique, humain, de notre expansion marocaine qui ait laissé nos FF\ indifférents....Un jour [les Marocains] s’intégreront spontanément à la Nation Française dont la Loge leur aura montré d’abord le vrai visage, toute de raison créatrice et de fraternelle équité... (Applaudissements du convent)".

 

La vie inter obédientielle

Les rapports inter obédientiels sont régulièrement à l'ordre du jour.

Le rapport avec la GLDF se révèle être un des problèmes le plus constant sur le plan purement maçonnique. L’espoir d’après guerre d’un rapprochement inter obédientiel soutient certains FF:. tandis que d’autres au contraire sont circonspects.

En 1920, déjà, est proposé par un groupe de FF:. un projet de statut de trente trois articles, dont le premier stipule "entre le GODF et la GLDF il est créé une Fédération Maçonnique Marocaine"....

Pourtant, en 1921, le S\Chapitre de Casablanca doit se pencher sur "les incidents provoqués par l’installation d’une loge de la GLDF à Mazagan"...

En 1922, la signature, par les deux obédiences, de la déclaration des principes du Congrès International de Genève détend les relations au Maroc. Une correspondance s’ouvre entre les S\ Chapitres "Le Phare de la Chaouia et du Maroc” du GODF et "Tit Anfa" de la GLDF qui vient d’allumer ses feux en présence du F:. Chapon délégué par le GO. Ce qui n’empêche nullement les FF:. du GO de rester vigilants sous la pression du F:. Cazemajou qui rapporte "les agissements de la GL pour créer dans toutes les villes du Maroc des At:." et qui fait connaître son avis "sur les procédés de recrutement et les augmentations de salaire à la loge Anfa Lumière de la GL à Casablanca".

En 1923, les TIF\Mille et Cournaud, de passage au Maroc, se documentent "sur les méthodes de recrutement et sur les modes de manifestation d’amitié maçonnique des At:. de la GL", à qui d’ailleurs il est reproché d’initier cette même année de Peretti, directeur de L’Echo du Maroc et président de la Ligue des Droits de l’Homme "bien que refusé par la loge du Phare de la Chaouia".

En 1924, l’espoir d’améliorer les contacts s’estompe, Paris informant que "les garants d’amitié ont été retirés du Suprême Conseil de France". Dès lors "les rapports sont officiellement rompus au Maroc".

En 1928, la question se pose des visites autorisées à des FF:. de la GL. Si les Casablancais, autour de Chapon, sont favorables, à condition "de réciprocité bien sûr", par contre les Rbatis, autour de Cazemajou, sont plus réticents voire opposés. Les événements se chargent bientôt de donner des arguments à ces derniers.

En effet, en 1930, le GODF rompt les relations tout en se déclarant favorable au principe de l’unité maçonnique française, sous les auspices de l’Association Maçonnique Internationale. Le débat, alors, devient vif au Maroc entre les tenants de relations maintenues sur le terrain et les FF:. favorables à la rupture.

En 1932, le F:. Tolila fait connaître qu’il a "consulté différents FF:. de la GL et notamment Penel et Dunet. Il ne croit pas à une union possible mais à une collaboration ... très large par la fréquentation assidue des FF:. des différents Ateliers les uns chez  les autres". Parmi les sceptiques se retrouvent Sabalot et surtout Cazemajou qui, lui, propose au contraire "la création d’un bloc latin contre le bloc anglo-saxon".

A partir de 1935, la FM\ étant soumise à des attaques extérieures, le besoin d’un rapprochement se fera sentir à nouveau... En 1938, le sentiment dominant est que "la FM\ latine ayant pour ainsi dire disparu dans la tourmente dictatoriale... si le rapprochement ne se fait pas, le monde risque de revivre une période aussi troublée que celle du Moyen Age". Rapprochement symbolisé par la présence, à Alger, des TIF\Groussier et Dumesnil de Gramont à la 41e Conférence Inter obédientielle des Loges d’Afrique du Nord,  à la veille de la guerre.

En fait, les fluctuations au Maroc semblent liées aux hommes en place selon que le Conseiller Fédéral de la GL s’appelait Fernandez, Celu, Lebert ou Arrensdorf ; ce dernier seul franchement hostile. Les deux obédiences n’ont pas cessé de se rencontrer régulièrement tant à la base dans les Ateliers ou dans les associations profanes qu’au sommet lors des Conférences Inter obédientielles ; au point que GO et GL organisent leurs congrès annuels dans la même ville à la même date afin de pouvoir se retrouver facilement en Conférence Inter obédientielle.

Les sujets abordés prouvent amplement que l’une et l’autre obédiences sont très voisines dans leurs préoccupations et leurs conclusions... une fois le Grand Architecte mis de côté !

La GLDF de l’époque n’a pas l’importance du GODF et selon le TIF Dumesnil de Gramont son obédience "n’a pu ouvrir et maintenir que vingt neuf Ateliers sur le territoire immense de l’Afrique du Nord, et encore certaines de ces loges mènent-elles une vie précaire... l’Ecossisme n’est pas très florissant dans les trois régions".

Pour ce qui est du Maroc on peut répertorier à cette date : à Casablanca : "La Renaissance", "L’Evolution Fraternelle" et surtout "Anfa Lumière n°480"  - à Rabat : "La Conscience" - à Kénitra : "Le Soleil du Gharb" - à Taza : "L’Avenir Berbère" - à Marrakech : "Léon Gambetta" - à Safi : "Asfy" - à Mazagan enfin : "Tit". Soit un total de onze loges ; où l’on rencontre beaucoup d’israélites, peut-être plus à l’aise qu’au GO en raison du Grand Architecte de l’Univers.

Les relations avec le DH (Droit Humain) posent moins de problème, avec un Atelier unique "Minerve 207" à Casablanca. La vie intérieure est un peu somnolente, avec une quinzaine de participants. Cependant il y a, sur les colonnes, des sœurs de talent dont le rayonnement extérieur est certain : le docteur Broïdo admirée pour ses qualités médicales et humaines, la sœur Vieilly une syndicaliste chevronnée et perspicace dont l’Atelier fera son Vénérable en 1937, la sœur Chapon qui s’occupe activement d’œuvres de bienfaisance...

D’autant moins de problème que le courant féministe n’est pas absent au sein du GO, même si tous les FF:. n’ont pas leur épouse au DH comme Chapon ou la double appartenance comme Aresten.

Dès 1921, à Casablanca, ce courant "féministe", fait admettre "la reconnaissance d’Obédiences Maçonniques acceptant déjà des femmes"... et obtient "d'établir des relations régulières avec le DH". Cette attitude se prolonge sur le plan profane où le F:. Roustan, à la CCI (Chambre de Commerce et d'Industrie) de Casablanca, fait remarquer  que "la nouvelle législation, qui a pour objet de rendre les femmes commerçantes éligibles aux Chambres de Commerce, marque un moment de l’évolution d’une grande idée généreuse...".

Donc les relations avec le DH ne peuvent qu’être bonnes au Maroc et, en 1928, le F:. Nakache "après avoir indiqué, au nom de la FM\ mixte du DH que la femme a sa place dans la maçonnerie, termine en remerciant le GODF d’avoir conclu un pacte d’amitié avec son obédience".

Disposition d'esprit profonde chez les FF\de Casablanca. Au point que, en 1930, quand les rapports se tendent à Paris entre les deux obédiences, les FF\ maintiennent leurs visites au DH. Ce qui restera un état de fait, tout au long des années suivantes.

Les relations avec les loges espagnoles, sont aussi objet de discussions. Au Maroc, ni le DH d’Espagne, ni la GL Unie, dissidente de la GL Espagnole, ne sont représentés. Par contre la GL d’Espagne, centrée sur Barcelone et le GO installé à Madrid y ont des loges, mentionnées à l'occasion  par les loges françaises au Maroc.

Du GO d’Espagne les FF:. Français au Maroc mentionnent: à Tanger "Abdel Aziz n°246", "Samuel Guitta", "Africa" et "Morayta",  à Casablanca la loge  "Casablanca n°11"  annoncée à un moment de son existence sous le  n° 346. Toutes ces loges sont coordonnées par le S\Chapitre "Samuel Guitta" de Tanger.

La GL Espagnole est connue par les FF:. du GODF et de la GLDF pour sa loge de Tanger "Paz y Trabajo" et à Casablanca, boulevard d’Anfa, pour "Fiat Lux" l’Atelier le plus important de la ville par le nombre ; les FF:. visiteurs y sont accueillis avec fraternité  dans des locaux spacieux dotés d’une riche bibliothèque.

Dans ces loges espagnoles dominent de petits industriels et des commerçants, espagnols ou israélites. Nombreux sont ceux parmi les FF:. espagnols qui ont fait de la politique en Espagne et jusqu’en 1931 le climat dans les loges s’en ressent. Une fois la République en place, les loges, tout en restant anticommunistes, font un effort pour parler de sociologie, philosophie, histoire. Avec la venue de Franco en 1936, les réfugiés républicains vont faire réapparaître au premier plan les problèmes politiques dans les loges espagnoles au Maroc, très attentives aux événements de la péninsule ibérique.

Dans leurs rapports avec le GODF, la source de désaccord réside, comme pour la GLDF, dans les initiations.

Dès 1919, les FF:. de Casablanca observent que  les loges espagnoles "initient des Français souvent refusés auparavant  par les loges françaises. Ces maçons demandent ensuite à entrer dans la maçonnerie française". Suspicion qui n’empêche pas à Tanger "La Nouvelle Volubilis" de demander asile dans le temple espagnol.

En 1924, les FF:. espagnols se plaignent auprès du Conseil de l’Ordre de ce que "Le Phare de la Chaouia" les invite à sa fête solsticiale avec la mention "quoique la régularité de votre obédience soit contestée par la FM\ internationale". La réponse de Paris est apaisante :  "il semble que notre loge ait eu un mot malheureux et inexact" puisque les TIF\ Garcia du GOE et Estaba pour la GLE ont été reçus au Convent en tant qu’invités. Pour aplanir ces petites tensions, la proposition du Conseil de l’Ordre est entérinée par les loges au Maroc : dorénavant les FF:. seront initiés par les uns et les autres en fonction de leur langue maternelle.

En 1926, au Congrès des Loges Marocaines, "ovation est faite au F:. Sanchez de la loge "Casablanca n°11" du GOE, la plus vieille loge du Maroc français. Après que ce F:. , dans sa langue maternelle, ait fait appel à l’aide des maçons pour la fondation de la République espagnole".

Viendra le temps où les FF:. des obédiences françaises auront pour priorité de porter aide aux transfuges républicains, qui auront pu rejoindre le Maroc sous protectorat français, et d’oublier les griefs d’antan, sans commune mesure avec la gravité de l'instant.

 

S    CHRONOLOGIE DU PROTECTORAT.

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