LA FRANC-MACONNERIE EN
ALGÉRIE, UNE VIEILLE HISTOIRE.
Par Amine Esseghir
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Des franc-maçons en Algérie, la sentence
ressemble à un scoop de tabloïd de hall de
gare. Les francs-maçons ont bien existé en
Algérie et des documents sérieux et
authentiques le prouvent.
Il y a sans conteste les maçons de la loge
algéroise de Bélisaire créée autour de 1835.
Une loge officielle que les colonisateurs
ont ramenée dans leurs bagages. Il reste que
l’ancienneté des écritures sur lesquelles se
fonde la franc-maçonnerie, la transmission
d’un savoir ésotérique qui foisonne de
références historiques, laisse penser que
les maçons existaient en Algérie bien avant
l’arrivée des Français et ce sont les
francs-maçons eux-mêmes qui le soutiennent.
Un franc-maçon de la loge de Bélisaire du nom de
Piessel, en voyage dans le sud-est algérien au
milieu du XIXe siècle parle d’une zaouia, celle
des Khouan. Pour lui, cette “secte indigène”
appartient à “la grande famille” par une
ramification oubliée ou encore un filon perdu.
La revue La Maçonnerie africaine parle encore
des Khouan et soutient que les termes utilisés
par cette société secrète ou les attouchements –
les francs-maçons ont des façons propres à eux
de se saluer et pour se reconnaître – sont liés
directement aux maçons. Des aspects
difficilement vérifiables mais qui rappellent
que la maçonnerie, par son ancienneté et les
conditions de sa création, fait que le lien
entre Orient et Occident sur ce plan est
indubitable. Mais au delà de la quête purement
intellectuelle, il y a aussi les textes
officiels des loges recueillis par Xavier Yacono
dans la revue Africiane en 1951. Ce dernier
signale que “dans le Registre des Procès-Verbaux
de la Chambre de Paris du Grand Orient en date
du 14 septembre 1785, le TCF (très cher frère en
écriture maçonnique, ndlr) Mouhammed Techeliby,
Algérien, a demandé l’entrée du temple et a été
introduit après avoir été thuilé (?) aux trois
premiers grades. Ce F (frère) étant muni d’un
certificat d’une L (loge) d’Angleterre a prié la
Chambre de le viser, ce qui a été accordé à
l’unanimité”.
Dans le même artcile de Yacono, “un
procès-verbal de la 168e assemblée générale du
Grand Orient du 7 avril 1786 dit que le F
Méhémet Celibi, maçon algérien, a dit que
s’étant trouvé à l’de Nantes et désirant
fraterniser avec les maçons français il s’était
présenté à la L de la Parfaite située sous le
même O, mais que les FF de cette L, quoiqu’il
fût connu du vénérable, lui ont refusé l’entrée
de leur temple en lui faisant dire que la
différence de religion ne leur permettait pas de
l’admettre à leurs travaux. Le même F algérien,
afin de ne plus être exposé à de semblables
refus en visitant d’autres ateliers (sic) a prié
le GO de lui accorder la faveur de viser les
patentes maçonniques qui constatent sa qualité
de frère”. Celebi, selon la graphie turque, ou
Tchelebi, a pu faire viser ses patentes prouvant
sa qualité de frère le 11 avril, alors que
devait se tenir une assemblée de trois ateliers.
Mais le Tchelebi en question n’était pas seul !
Yacono découvre, dans les archives du Grand
Orient, un autre Algérien. Dans un extrait de la
184e assemblée extraordinaire du 13 juillet 1787
: “Le R président a invité l’assemblée à
accorder des secours aux FF Abraham Gollingo,
Turc, et Abraham Baker (peut-être une mauvaise
transcription de Bakir ou Bakr, ndlr), Algérien
; il a même proposé de faire une quête
extraordinaire en leur faveur.”
Une quête qui rapporté la somme de trente livres
deux sols et on y a ajouté une somme “quelconque
prise dans la caisse des secours” pour permettre
aux deux frères de poursuivre leur route. Cela
dit, les documents trouvés par Yacono ne disent
pas où ces “frères” ont été initiés.
Abdelkader, une énigme ?
“L’Emir Abdelkader, un maçon”, la phrase fait
sursauter beaucoup monde tant l’ignorance de la
franc-maçonnerie pousse aux conclusions les plus
hâtives. Dans le même temps, le fonctionnement
secret de la franc-maçonnerie permet en fait de
taxer n’importe qui de maçon d’autant qu’il n’a
plus les moyens de remettre en question
l’assertion. L’Emir Abdelkader, fondateur
historique de l’Etat algérien moderne,
combattant et résistant à la colonisation mais
aussi grand ami de la France après avoir
intercédé en faveur des chrétiens de Damas qui
ont failli être massacrés, aurait été initié à
Alexandrie, en Egypte. Il n’est pas un ouvrage
généraliste, un texte maçon accessible aux
profanes, la moindre liste des personnalités
célèbres qui ont été franc-maçon qui ne rappelle
inlassablement que l’Emir Abdelkader était un
“frère”.
Christian Guigue, franc-maçon et historien,
interrogé à propos de l’initiation de l’Emir,
indique que “personne ne peut retirer la qualité
maçonnique d’un franc-maçon ni même ses frères
ni son obédience. On peut l’exclure mais en
aucun cas annuler sa qualité de maçon comme il
est impossible de retirer la qualité de musulman
à un homme puisque la circoncision et son
engagement devant Allah ont eu lieu”. Un texte
historique, un procès-verbal de la loge Henri VI
à Paris précise que “le F Emir Abdelkader a été
reçu en visite” dans cette loge. Mais une visite
à la loge n’est aucunement la preuve d’une
initiation. Pour Guigue, “l’Emir Abdelkader
semble le plus ancien (musulman et algérien)
sinon le premier pour l’ancienne zone
française”.
Christian Guigue indique qu’il y a non seulement
“des maçons algériens célèbres actuellement. Il
reste impossible de donner des noms de maçons
vivants”.
Quant aux loges, elles peuvent exister (Guigue
refuse d’être affirmatif), “mais travaillent
cachées”. Cette façon de faire n’est pas
nouvelle, “ce fut toujours le cas au Maghreb. Un
membre de ma famille a fondé et fait travailler
plusieurs loges en Tunisie, Maroc et Algérie
alors que cela était interdit par le pouvoir en
place. Elles ont eu une existence officielle,
ayant été soutenues par le Grand Orient de
France en ce temps-là”.
Zaouïa ou loge maçonnique ?
Mais finalement, quelle meilleure manière a-t-on
en Algérie pour cacher aux yeux indiscrets
l’existence d’une loge maçonnique ?
Effectivement les va-et-vient, les tenues (nom
donné aux réunions chez les maçons) les convents
(les assemblées générales), les initiations et
les travaux multiples et variés d’une loge
pourraient laisser supposer l’existence de
pratiques clandestines. A moins de transformer
la loge en mouhafada du FLN, la meilleure façon
de la camoufler reste la zaouïa. Si on pratique
des rites ou des rituels, cela n’offusque
personne et ne devrait pas semer le doute.
D’autant que les adeptes d’une zaouïa comme il y
en a beaucoup en Algérie peuvent venir de
partout et se réunir de manière régulière. A ce
propos, on parle d’une zaouïa à Mostaganem dont
les adeptes sont parfois des universitaires ou
des hommes d’affaires. Des gens qui ne viennent
pas pour invoquer le saint patron de la zaouïa
mais pour des réunions. Le cheikh de cette
zaouïa, qu’on s’attendrait à voir habillé d’une
gandoura et portant turban, porte un
costume-cravate, a une vie sociale tout à fait
normale et vaque à ses affaires.
Une autre zaouïa de Mostaganem se retrouve dans
le parcours de René Guénon, personnage fantasque
et célèbre pour les passionnés d’ésotérisme ; il
est considéré comme le fondateur de l’école
traditionaliste en franc-maçonnerie ou encore du
“guénonisme”. Sa quête de la “parole perdue” le
mènera vers la franc-maçonnerie puis vers
l’église gnostique avant de se convertir à
l’islam en 1910 sous l’influence d’un peintre
présenté tantôt comme suédois, tantôt comme
français, qui s’appellerait Yvan ou Gustave
Anguéli, devenu Abdoulhadi.
René Guenon devient alors Abdelwahid Yahia,
avant de recevoir la baraka en Egypte d’un
cheikh de la tariqa chadlya, Addel-Rahmân Elish
el-Kebir. Guenon fera un tour par l’Algérie en
1917 en tant qu’enseignant et séjournera près
d’une année à Sétif.
Dans les années trente, on verra se former
autour de Guénon tout un groupe d’Européens :
Schuon, Titus Burckhardt, Martin Lings, Michel
Valsan, qui ne verront de salut que dans la voie
ésotérique musulmane. Son influence est telle
qu’une loge sera créée avec son accord en France
en 1947 puis une seconde sera créée en Suisse
sous son nom. En fait, trois courants principaux
de disciples ont été esquissés à la mort de René
Guénon en Europe : ceux de Frithjof Schuon, de
Michel Valsan et de Roger Maridort.
Mais on signale aussi le rôle du cheikh Alawî de
Mostaganem (en Algérie) que Schuon rencontrera
en 1932. Alors que nous sommes à la quatrième
génération des disciples de Guénon, la majorité
s’est convertie à l’islam. Non pas à l’islam
traditionaliste ou encore aux préceptes
salafistes, mais ont rejoint cet islam
ésotérique, d’un ordre quasiment “intellectuel”
dont le représentant le plus symbolique reste
Ibn El-Arabi.
Pour Abdelouahid Yahia, des guildes de maçons
opératifs existaient dans le monde musulman.
“Ces maçons orientaux utilisaient même des
marques similaires à celles de leurs collègues
occidentaux du Moyen Age, et qui étaient
appelées en arabe khatt el-bannaïn, c’est-à-dire
‘écriture des bâtisseurs’.” Mais tout cela
appartient à un passé déjà assez lointain. Par
ailleurs, dans les turuq islamiques ou
confréries ésotériques (qui sont également
“opératives” en fait, mais évidement dans un
autre sens plus profond que le sens purement
“professionnel”), certains éléments ont été
conservés qui ressemblent étrangement au
“compagnonnage” occidental, par exemple le port
du ruban ou du bâton qui a exactement la même
forme. En ce qui concerne le symbolisme de ces
bâtons, il y aurait beaucoup à dire en rapport
avec les sciences secrètes qui sont spécialement
attribuées à Seyidnâ Suleymân.
Quand Bruno Etienne rencontre Abdelkader
Bruno Etienne, né en Algérie, est professeur de
sciences politiques à l’université
d’Aix-Marseille III. Spécialiste de l’Algérie et
de l’islam, il est l’auteur, entre autres, d’une
biographie extraordinairement détaillée sur l’Emir
Abdelkader. Il s’agit en fait d’un dialogue
imaginaire entre l’Emir et lui.
Franc-maçon et universitaire, Bruno Etienne a
écrit également Une Voie pour l’Occident avec
pour sous-titre La franc-maçonnerie à venir. Le
lien de Bruno Etienne avec l’Emir ne s’arrête
pas, bien sûr, à une rencontre intellectuelle.
Il a aidé les premiers gouvernements algériens
d’après l’indépendance. Il croyait sérieusement
à la révolution socialiste menée d’abord par Ben
Bella puis par Boumediene. Il a commis, entre
autres ouvrages, à cette époque, L’Algérie comme
montreur de conduite du Tiers-Monde. Mais cette
approche quasi révolutionnaire, à la mode dans
les années soixante, n’est pas l’essentiel dans
sa rencontre avec l’Emir.
Bruno Etienne assista au rapatriement du corps
de l’Emir Abdelkader. Cette rencontre posthume a
dû le marquer puisque, travaillant sur la
sédentarisation des nomades dans le Sud, Bruno
Etienne fit probablement les mêmes remarques que
René Guénon à son époque et vit que les
musulmans dans le désert tracent, pour la prière
dans le sable, des formes orientées. Le
rapprochement est vite fait avec les temples
maçonniques qui sont tous orientés, vers…
l’Orient.
C’est aussi le rapprochement avec le soufisme et
la spiritualité telle que définie par les
mystiques. Mais si des liens entre le mouvement
Maçonniques et les Algériens ont été tissés, ils
restent enfouis dans les méandres de l’histoire
sans que l’on sache où s’accrochent
effectivement ces mêmes fils en Algérie.
Amine Esseghir
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