Kankurang de Mbour - A la rencontre d'un mythe accessible et hermétique

On raconte beaucoup de choses sur le Kankurang de Mbour. Une raison suffisante pour faire un tour sur les lieux. Pour les non-initiés, c'est un mythe qui présente la particularité d'être, paradoxalement, accessible et hermétique. Nous vous entraînons, à travers les ruelles et aux abords des "lël" ou résidence des circoncis, au cœur de ce phénomène.

Samedi 15 août 2009. Il est 16 heures à Mbour. C'est la veille du jour de guérison des circoncis. C'est aussi, la veille du dernier jour de l'apparition du Kankurang. Venu de Dakar, uniquement pour découvrir ce mythe, le temps nous est compté. Malheureusement, il pleut sur Mbour. Une forte pluie qui rend la route principale de la ville impraticable. Petit à petit, la chaleur cède la place à la fraîcheur. La chasse au mythe peut alors démarrer. L'information selon laquelle le Kankurang est visible partout, à Mbour, n'est pas vérifiée. Il faut plutôt partir à sa recherche.

Ripaille dans les familles

Pour le voir, il faut se rendre aux alentours de l'une des concessions où sont regroupés les circoncis. Cette année, elles sont au nombre de six à Mbour. Mais nul ne dit avec exactitude à quelle heure, il sera visible dans l'une des résidences de "Ndiouli" (circoncis) ? Trois (3) heures du matin ? Six (6) heures du matin ? Comprenez  l'heure à laquelle les circoncis seront acheminés à la mer pour le bain de guérison ? Mais, il y a des risques, car les "Salbés" (encadreurs des circoncis) ne laissent personne s'approcher ou regarder le Kankurang de très près. L'envie et la curiosité nous guident jusqu'au quartier Dialma, où il y a un "lël" (lieu de résidence des circoncis). Mais rien n'y fait. Point de Kankurang. Durant cette dernière nuit, avant le retour des circoncis chez eux, on organise des nuits blanches dans les familles. Les différentes classes d'âge se retrouvent entre elles et passent la nuit à manger, à boire, à écouter de la musique et à raconter des histoires drôles.

Enfin face au Kankurang

Après une nuit calme, on repart à la chasse du Kankurang. Le temps est moins clément. A 10 heures, le ciel est dégagé. Le soleil, déjà haut dans le ciel, dardait ses rayons sur la tête des centaines de jeunes venus de partout pour voir le mythe. Garçons et filles se sont regroupés sur un terrain vague du quartier Dialma qui fait face au "lël" du quartier. Les garçons, retrouvés sur place, sont en tenues de sport ou en tenue de combat. Bon nombre d'entre eux sont des "Salbés". Ils ont de gros bâtons, voire des chicottes, entre les mains. Les curieux sont debout ou assis aux quatre coins du terrain, attendant avec impatience la sortie. Les fausses alertes se succédaient, minute après minute. Et, à chaque fois, c'est la débandade. Mais, les curieux ne s'éloignaient pas. Ils revenaient sur leurs pas. Et cela, dès que les "Salbés" retournaient dans la cour.

Spectateurs aux anges

Ce n'est que vers 10 heures 45 minutes, au moment où on s'y attendait le moins, que le Kankurang se décide à faire son apparition. Entouré d'une vingtaine de jeunes, torses nus et armés de bâton, l'homme est couvert de fibres et d'écorces d'arbres. Il est tout rouge. Aucune partie de son corps n'est visible. Il sort, brandit deux coupe-coupe, lance un cri et se dirige tout droit devant lui. C'est alors le sauve-qui-peut. En quelques secondes, le terrain se vide de ses occupants. Deux minutes après, plus de Kankurang. Les curieux reviennent sur le terrain. Mais, à leur grande surprise, c'est un autre Kankurang qui sort du "lël". La course reprend de plus belle. Celui-là ne s'éloigne pas. Il esquisse quelques pas de danse au rythme du "Jambadon". Les spectateurs sont aux anges. Il reste quelques minutes avant de prendre une autre direction. Les spectateurs n'osent pas le suivre car ne sachant pas s'il en reste encore à l'intérieur. Juste après son départ, c'est un troisième qui sort. Apparemment plus agressif, il suit son devancier.

Course-poursuite

Se déplaçant très rapidement, le troisième Kankurang est entouré d'une quarantaine de "Salbés". Armés de bâton, ils sont tous torses nus. Le Kankurang fait le tour de certaines maisons, accompagné par la foule qui, à chaque coin de rue, est dispersée. Ce qui est pour le préserver des regards indiscrets. Les boutiques sont fermées et les gens sommés de rester chez eux. Il en est ainsi tout le long du parcours. Les enfants et les jeunes filles sont les plus visés. Et, à en croire les "Salbés", "c'est pour leur bien, ils ne doivent pas voir le Kankurang". Face à la résistance de certains, ils utilisent la force. Ainsi, il fera presque le tour de ce quartier. Et des heures durant, il se déplace au pas de course, avant de disparaître entre deux ruelles. Mais, le relais est tout de suite pris par les batteurs de Jambadon. 

La partition du Jambadon

C'est le folklore qui va avec la manifestation. Une dizaine de batteurs de tam-tam sont chargés de l'animation avec des chants et danses mandingues. Accompagnés d'une centaine de personnes, ils font le tour des maisons et reçoivent de l'argent de ces familles. Il arrive qu'ils croisent le Kankurang, et alors le groupe est dispersé. Après avoir fait un tour de la ville, ils reviennent au "lël" pour la clôture de la journée. Au coucher du soleil, les circoncis sont libérés et rejoignent leurs familles respectives. Toutes les clôtures en bambou qui protégeaient les concessions sont brûlées. C'est la fin des manifestations.   

AUX ORIGINES DU KANKURANG : Un rite centenaire hérité du Gabou

Contrairement à la croyance populaire, le Kankurang n'est pas lié à la circoncision à Mbour. La présence des circoncis est bien plus ancienne. Mais ce rite originaire du Gabou, précisément de Kang Fodiang, en Guinée-Bissau, est un secret de la communauté Mandingue très présente à Mbour. 

Le phénomène du Kankurang coïncide, à Mbour, avec la période de la circoncision. Il sort, certes, pour protéger les circoncis, mais il cache une réalité derrière le folklore qui l'entoure. "Le Kankurang est sacré". C'est en tout cas l'avis de Shérifo Daffé, gardien du patrimoine culturel historique et des sites de la collectivité Mandingue de Mbour. Ce vieux, âgé de plus de 80 ans, raconte que le Kankurang existe à Mbour depuis le 17 février 1904. En somme cela fait plus de 100 ans. Et ce n'est pas un fait du hasard. Et M. Daffé de remonter la machine du temps : "La ville avait connu un phénomène inquiétant. Il avait été enregistré durant cette période plusieurs cas de décès de jeunes garçons et filles âgés de 20 à 25 ans, mais aussi de femmes enceintes. Les vieux s'étaient alors réunis pour trouver une solution. Aussi, avaient-ils décidé d'un retour à la source : Gabou". 

Protecteur des faibles

Toujours, selon Shérifo Daffé, c'est un vieux nommé Mady Konté qui y avait été envoyé. "Non seulement il y était né, mais il avait des connaissances mystiques. C'est ainsi qu'il est revenu avec le Kankurang. Les vieux lui avaient confié la gestion. Cela n'avait pas plu aux forces qui semaient la terreur à Mbour. Il y eut des représailles. Certains vieux avaient perdu des parents. Mais, ils n'ont pas flanché. Et lorsque le Kankurang s'est finalement bien installé, il a nettoyé la ville. Certains mauvais esprits sont partis alors que d'autres ont vu leur force réduite", raconte, nostalgique, M. Daffé. Satisfaits des prouesses mystiques du Kankurang, les vieux ont décidé, avec la permission de l'autorité du Gabou, de le garder. Depuis lors, il protège tout Mbour et ne fait pas de différence entre les Mandingues et les autres ethnies. Il protège tout le monde, surtout les plus exposés, c'est-à-dire les femmes enceintes et les circoncis.

 

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