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Le Maroc á la veille du Protectorat
     

 

Le règne de Moulay-Hassan-I
sultan mly abderrahman meknesIl est le fils préféré du sultan Sidi Mohamed Ben-Abderrahmane qui l ’ avait désigné comme successeur. Intronisé en septembre 1873, le sultan Hassan I avait à diriger le Maroc à un moment crucial de son histoire. Le pays était soumis à une très puissante pression de l ’ impérialisme européen en pleine expansion. Moulay-Hassan-I ne ménagea aucun effort pour sauvegarder l ’ indépendance du Maroc et pour mettre sur pied les réformes nécessaires.

Voici le portrait que fait de lui Charles-André Julien: “ Intelligent et pieux, de grande culture arabe et soucieux de la pureté de la langue, il impressionna les étrangers qui l ’ approchèrent par son ouverture d ’ esprit, sa conscience du devoir et sa générosité teintée d ’ humour. Il eut par dessous tout le sens de l ’ État. ” ( Le Maroc face aux impérialismes, p. 33). Il a en effet réussi à maintenir l ’ unité du pays et à organiser des unités militaires permanentes et régulières (les tabors) encadrées par des instructeurs européens.

Il a aussi posé les bases d ’ une industrie militaire par la création d ’ une cartoucherie à Marrakech et d ’ un arsenal à Fès, la Makina. Il a résisté autant qu ’ il le pouvait et que le permettaient les rapports de forces au système des protections. Il tenta aussi des démarches auprès des puissances étrangères qui ont abouti aux conférences de Tanger (1877-1878) et de Madrid (1880). Moulay-Hassan-I était conscient de l ’ importance qu ’ avait prise la formation et l ’ acquisition des sciences et techniques modernes.

Entrée officielle á Tanger de Moulay l Hassan 1 Septembre 1889Entre 1874 et 1888, il envoya huit missions marocaines d ’ études totalisant environ 350 personnes, dans les différents pays d ’ Europe et en Egypte. Si les réformes économiques, sociales, financières et militaires initiées par le sultan Hassan I n ’ ont pas atteint leurs objectifs, c ’ est à cause notamment de l ’ insuffisance des moyens, l ’ absence de personnel qualifié et l ’ inexpérience de l ’ administration marocaine.

Cependant, comme le soulignent de nombreux historiens, aussi importants que soient ces facteurs, il restent secondaires par rapport à l ’ hostilité des pays européens comme la France et l ’ Espagne. La mort de Hassan I en 1894 va certainement accélérer la crise marocaine et mettre le pays à la merci d ’ une entente entre les différentes puissances coloniales.

Les principaux minitres de Moulay Hassan 1er Durant la seconde moitié du XIXe siècle, la pression européenne sur le Maroc avait atteint un degré tel que la politique d’isoloment suivie auparavant par
Moulay-Abderrahmane était devenu suicidaire. Aussi, Mohamed-IV et Hassan I essayaient-ils avec opiniâtreté et perséverance de mettre en œuvre une politique réformiste susceptible d’adapter le pays aux nouveaux défis internationaux.
Les réformes administratives Les deux défaites militaires de 1844 et 1860 ont fini par convaincre le Makhzen de la nécessité d’introduire des réformes profondes sur les plans administratif, militaire, économique et monétaire. En effet, avant le règne de Mohamed-IV, le sultan n’avait réellement qu’un seul ministre (Al-Sadr al-A’dham) qui était le premier collaborateur du roi et s’occupait aussi bien des affaires intérieures que des affaires extérieures du pays.

Mohamed-IV créa le ministère de la guerre dirigé par le chef suprême des armées (Al-‘allaf al-kabir), et le ministère de la justice (Wizarat al-shikayat). Quant à Hassan I, il a créé le poste de ministre de finances (Amin al-umana) qui centralise sous sa responsabilité les différentes administrations financières du royaume. Elles ont été groupées en trois sections ayant chacune à sa tête un amin: "amin al-dakhil" pour les recettes, "amin al-kharij", pour les dépenses et "amin al-hassab" pour la vérification des comptes. Ces administrateurs, écrit A. Laroui, “ont introduit une certaine "rationalisation" dans l’administration fiscale, l’intendance des palais sultaniens, l’exploitation des ‘azibs (domaines fonciers), l’organisation de la douane, des droits des ports et marchés, de la poste chérifienne, etc.; les livres de comptes qui remplissent les archives du temps de Mohamed-IV et Hassan I leur sont dus.” (A. Laroui, Les Origines sociales et culturelles du nationalsime marocain, p. 89). Hassan I a également créé le ministère des affaires extérieure et a réorganisé le service des secrétaires de la Cour (Kuttab al-dawawin).


Vue l’importance qu’avaient acquise les relations avec le monde extérieur et surtout l’Europe, le ministère des affaires extérieures était devenu une grande structure. Son responsable s’occupait notamment des affaires des protégés (Mahmiyyin), des relations entre le sultan et les ambassadeurs des pays étrangers, des traités internationaux et de la correspondance avec les gouvernements étrangers. Aussi, Mohamed Lamfadel Gharrit fut le pemier à assumer la responsabilité du ministre des affaires étrangères. Par ailleurs, le Makhzen a créé à Tanger le poste du représentant du sultan (Al-Na’ib al-sultani) auprès des représentations diplomatiques des différents pays étrangers. Cette fonction fut successivement assumée par Mohamed Al Khatib Al Titouani, Mohamed Bargach et Mohamed Torres.

L’un des aspects de la réforme inaugurée par Mohamed-IV, fut l’établissement des relations politiques, culturelles et économiques avec l’Egypte et l’Etat ottoman. C’est dans ce cadre-là que s’inscrit la mission d’ouvriers qualifiés égyptiens chargés de faire tourner l’usine de sucre fondée par Mohamed-IV à Marrakech et l’envoi en Egypte d’étudiants marocains en vue de se former dans les techniques de l’impression et dans les disciplines militaires. De son côté, Hassan I envoya une ambassade dirigée par Haj Larbi Bricha aurpès du sultan Ottoman Abdelhamid II.
Les réformes militaires Jusqu’à la défaite d’Isly (1844), l’ogranisation de l’armée marocaine était la même que Celle en vigueur sous le règne de Moulay-Smaïl. L’essentiel de l’armée était formé par les contingents guich avec un armement et une tactique archaïque.

L’armée marocaine souffrait terriblement de l’absence de discipline et de la non maîtrise des techniques et des sciences modernes. C’est Mohamed-IV, en tant que prince héritier puis sultan, qui a initié la réorganisation de l’armée en créant un corps d’infanterie à l’européenne. Hassan I en a fait un corps de soldats
permanents. Il substitua au traditionnel recrutement tribal un rectrutement plus national et passa de nombreuses commandes d’armes et de munitions auprès de
divers pays européens. Il a notamment essayé de se dégager par rapport à l’extérieur en créant des fabriques d’armes au Maroc telle la "Makina" à Fès, et
développa la cartoucherie de Marrakech qui fut crée par Mohamed-IV. Il a également accordé une grande importance à la formation en envoyant des
centaines de jeunes marocains dans des académies militaires étrangères.


Parallèlement à cela, il a fait appel à des instructeurs militaires étrangers belges, français, anglais, italiens et espagnols. Hassan I essaya aussi de doter le pays d’une marine moderne susceptible de surveiller les côtes, de faire diminuer la contrebande et développer les moyens de transport maritimes. Il a, ainsi, commandé deux canonnières et une corvette à l’Italie, a acheté un vapeur "hassani" à Liverpool qui entra en service en 1882. Son fils, Moulay-Abdelaziz a aussi acqui un vapeur moins important , le "Sid Turki", acheté en Allemagne.

Les réformes économiques et financières

Le développement économique du pays se heurtait au XIXe siècle à la situation archaïque des moyens de communication. Aussi, les efforts de Mohamed-IV et de Hassan I se portèrent sur les infrastructures de communication (routes, ponts, ports, projet de chemin de fer, etc.). Dans le domaine agricole et industriel, ils
encouragèrent les projets d’implantation de coton et de canne à sucre dans le Haouz et le Souss. Ainsi, Mohamed-IV fonda une manufacture et une cotonnade à Marrakech. A Tanger fut monté un moulin à vapeur, et à Fès fut introduite la première imprimerie. Des projets de fabrique de papier à Essaouira et de verrerie à Tanger ont été élaborés ainsi que le début d’exploitation de certains gisements miniers (charbon, plomb et cuivre).
Fels Hassani 1891 Conscient de la nécessité vitale d’une monnaie saine et solide pour toute entreprise de réforme économique, Mohamed-IV, décida en 1869 une réévaluation de la monnaie marocaine pour arrêter sa dépréciation et la diminution des revenus de l’Etat qui en résulte. Hassan I continue les réformes initiées par son père et décide en 1881 de frapper de nouvelles pièces d’argent pour donner à la monnaie marocaine l’étalon qui lui manquait.

La nouvelle monnaie frappée à Paris comprend le "Rial hassani", le "Nass-rial", le "Rbaâ-rial" et le dixième ou "Zouj Belliour". Du fait que le "Rial hassani" pèse 20% de plus que la piastre espagnole, il a été exporté frauduleusement et a fait l’objet d’une grande spéculation. Aussi, Hassan I décida-t-il en 1893 de retirer de la circulation les dernières pièces hassaniennes existantes encore.

Deux années plus tard fut frappée une nouvelle monnaie aux mêmes titre et poids que la pièce de 5 Francs, mais la stabilité monétaire n’a pas pu être atteinte Les efforts réformistes du Makhzen aboutirent à un échec quasi total. De nombreux facteurs ont contribué à ce résultat désastreux, mais la cause principale réside peut-être dans le fait que l’Etat n’a pas réussi à mobiliser la société. Le peuple, mal informé, avait une opinion négative sur les réformes initiées par le sultan et il suivait les oulémas conservateurs qui y voiyaient des innovation (bida’) contraire à l’esprit de l’Islam.

Un courant anti-réformiste très fort avait ses défenseurs au sein même du Makhzen. Les fortes pressions des puissances européennes avaient, par aulleurs, réduit la marge de manœuvre du Makhzen et avaient contribué à l’aggravation de la crise marocaine.


L ’ entrée de l ’ imprimerie au Maroc

Si le Maroc a été le dernier pays maghrébin à tomber sous la domination européenne, il fut aussi le pays qui a le plus résisté aux nouvelles techniques tels les moyens modernes de transport ou de diffusion des connaissances comme l ’ imprimerie. La technique lithographique d ’ impression a vu le jour vers la fin du 18e siècle et elle fut introduite par les français en Algérie (1845) et en Tunisie (1860).

Dans sa relation de voyage, l ’ ambassadeur Ibn Idris en a fait une description détaillée en 1860, mais la nouvelle technique ne fut introduite au pays, dans sa version arabe, que vers 1865. il a même fallu, selon A. Laroui, un subterfuge pour familiariser les Marocains avec ces nouvelles machines: “ le matériel fut acheté en Egypte par un obscur cadi de Taroudant qui, par la suite, en fit don au sultan Mohamed-IV.

Un imprimeur Egyptien, engagé pour un an, accompagna le matériel et put produire le premier livre lithographié au Maroc en mars 1865. ” (A. Laroui, Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain , p. 202) La nouvelle imprimerie arabe fut d ’ abord installé à Meknès avant d ’ être transférée à Fès où elle fonctionna jusqu ’ en 1871, au lieu dit Zankat al Barqouqa. Durant cette période, l ’ imprimerie avait produit six ouvrages dont un en cinq volumes. De nombreux artisans marocains furent formés dont le célèbre Larbi Lazrak.

A partir de 1872, elle devient une affaire privée gérée par Hadj Tayeb-Ben-Mohamed Lazrak. Ainsi, la famille Lazrak qui s ’ est spécialisée dans la technique de l ’ imprimerie a pu produire, à la fin du XIXe siècle, près de quarante ouvrages. A l ’ aube du XXe siècle, Fès comptait quatre ateliers lithographiques, dont l ’ un resta en fonction jusqu ’ en 1944. Quant à l ’ imprimerie typographique, elle fut d ’ abord introduite à Tanger en 1880 pour publier des journaux en langues européennes.

Ce n ’ est qu ’ en 1889 que fut introduite dans la même ville une imprimerie typographique arabe pour publier le journal Al-Maghrib. Il a fallu attendre 1908 pour que le sultan Moulay-Hafid fasse venir à Fès une première imprimerie typographique achetée au Caire.

Conférence de Madrid 1880
Conference Madrid 1880 Moulay-Hassan-I avait hérité du système de la protection accordé par les puissances européennes aux négociants étrangers et à leurs courtiers et collaborateurs marocains. Ce grave problème qui a marqué les relations maroco-européennes tout au long du XIX siècle, constituait une véritable atteinte à la souveraineté du pays.

Le sultan Moulay-Hassan-I et Mohamed-IV avant lui, ont essayé de maîtriser les conséquences négatives du système et d ’ éliminer les abus auxquels il a donné lieu. La conférence de Madrid s ’ inscrit dans le cadre des efforts déployés par le Makhzen afin de résoudre le problème. La réunion s ’ est tenue du 19 mai au 3 juillet 1880, avec la participation de toutes les puissances européennes ayant une représentation au Maroc.

Celui-ci, soutenu par la Grande-Bretagne et comptant sur la compréhension des Etats-Unis d ’ Amérique, demande une limitation et une réforme du système de la protection. Cependant la conférence aboutit à un résultat différent de celui souhaité par le Makhzen.

Elle a, en effet, affermit la protection en étendant ses privilèges à l ’ ensemble des puissances occidentales. L ’ intransigeance et la brutalité de la position française appuyée par l ’ Allemagne, ne facilita pas la tâche de la délégation marocaine. En reconnaissant aux européens le droit d ’ acquérir des propriétés au Maroc, la conférence de Madrid marqua ainsi la fin de l ’ indépendance du Maroc.

Les échos de la Salafiya au Maroc
Abou Chouaib Doukkali, pionier du reformisme salafiste au MarocDurant la seconde moitié du XIX siècle, un courant d ’ idées dirigé par Jamal Eddine Al-Afghani, Mohamed Abduh et Abderrahmane Al-Kawakibi s ’ est imposé en Egypte et dans le Moyen-Orient arabe en général. Il s ’ agit d ’ un courant réformiste qui tout en étant attaché aux sources de l ’ Islam (Le Coran et la Sunna), a été tourné vers le présent social et politique des sociétés arabo-musulmanes. Ses défenseurs n ’ hésitaient pas à adopter toutes les solutions technologiques, institutionnelles et culturelles modernes pourvu qu ’ elles ne s ’ opposent pas de façon directe et manifeste à la foi musulmane.

Ce courant est appelé la Salafiya ou la néo-salafiya pour la distinguer de la salafiya du mouvement wahhabite qui est né en Arabie au XVIIIe siècle. Il a eu, comme le wahhabisme, des échos au Maroc et il a trouvé parmi les oulèmas marocains de fervents défenseurs de ses thèses aussi bien théologiques que sociales.
C ’ est le cas notamment de Mohamed-Ben-Al-Madani Guennoun (mort en 1885) qui était le maître de sa génération et qui a mené, au nom d ’ une conception stricte de la "shari ’ a", une campagne contre le "sama ’ " (utilisation des instruments de musique à des fins culturelles) dans les réunions des confréries mystiques.

C ’ est le cas également de l ’ historien marocain Ahmed Ben-Khalid Al-Naciri, l ’ auteur de la fameuse chronique Al-Istiqsa ’ dont le dernier tome expose une certaine conception du salafisme. Au début du XXe siècle apparut une nouvelle génération d ’ ouléma salafistes dotés d ’ une conscience aiguë de la situation politique du Maroc et des pays musulmans en général. On compte parmi les plus illustres animateurs du salafisme de cette époque le Cheikh Mohamed-ben-Jaâfar el-Kettani (mort en 1927), auteur de la célèbre Nasihat ahl al-Islam qu ’ il lança à partir de Médine, ou Ahmed Ben-el-Mouaz, homme de lettres qui s ’ est chargé de la rédaction de la beia de Moulay-Hafid .

Cependant, la véritable implantation des idées salafistes dans la société marocaine n ’ aura lieu qu ’ au lendemain de la signature du traité du protectorat en 1912. cela grâce au dynamisme réformiste d ’ éminents savants comme Abou Chouaïb Doukkali , Mohamed-Ben-Larbi Alaoui , Mokhtar Al-Sousi , Boubker Zniber, Abdellah Guennoun , Mohamed Ghazi ou Bouchta Jamai .