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SAINT-CYR ET LA GRANDE GUERRE
Dernier d'une famille de six enfants, Augustin Guillaume naît à
Guillestre, dans les Hautes-Alpes, le 30 juillet 1895.
II intègre la Spéciale en 1913; il appartient à la promotion de la
""Croix du Drapeau". En convalescence au moment du baptême de sa
promotion, il rapporte néanmoins dans "Homme de guerre", ouvrage
autobiographique écrit en 1977 que "quelques-uns de [ses camarades],
exaltés par l'aggravation de la situation et par la perspective de
la Revanche tant attendue, jurèrent ce soir-là de monter à l'assaut
en Casoar et en gants blancs. "
La Croix du Drapeau est envoyée au feu après un an d'école à peine.
Guillaume est affecté comme sous-lieutenant au 16ème Bataillon de
Chasseurs à Pied à Lille où il se voit confier une compagnie de 200,
puis 450 réservistes. II a alors dix-neuf ans.
Sa compagnie a pour mission de tenir les avant-postes devant Lille.
Sans avoir combattu, le 16ème BCP doit évacuer la ville et se
rabattre en marches forcées sur Béthune, puis sur Le Havre. De là,
il est porté sur Limoges par voie ferroviaire. Guillaume est mis à
la tête de 27 élèves-officiers de réserve, 20 élèves-caporaux, 120
recrues. II est chargé de les instruire. Mais son sang bouillonne à
l'idée que ses petits cos se battent sur le front tandis qu'il est
cantonné loin de la ligne de bataille, à l'instruction. II harcèle
le commandement de requêtes pour partir au combat.
Au mois d'octobre 1914, il est enfin jeté dans la fournaise à la
tête d'une compagnie. Le 4 novembre, il est cité à l'ordre de la
division et décoré de la Croix de Guerre avec étoile d'argent: "très
bon officier. A su entraîner la compagnie qui lui avait été confiée.
A toujours su se faire regretter de ses hommes par son sang-froid et
son courage". Le 11 novembre de la même année, il est fait
prisonnier: "Voulant vérifier l'état exact de mes sections qui
venaient de repousser plusieurs tentatives ennemies, je sortis d'un
trou sommairement recouvert de branchages et de terre... et me
trouvai face à une baïonnette, l'homme prit à tirer. ( ... ) J'étais
fait prisonnier."
II est maintenu en captivité jusqu'à la fin de la guerre malgré
trois tentatives d'évasion qui échouent et qui le mènent en camp de
représailles. Ces tentatives et leur préparation ne suffisant pas à
occuper tout son temps, il décide de mettre à profit les longues
heures d'ennui et se lance dans l'étude du russe et de l'arabe. La
paix le ramène en France. Sa connaissance de la langue russe lui
vaut d'être envoyé en Russie aux côtés de l'armée de volontaires de
Dénikine que les Alliés ont décidé de soutenir dans son combat. La
mission est de courte durée, car les Alliés abandonnent la partie
devant les difficultés de la tâche.
RETOUR A LA SPECIALE
De juin à septembre 1919, sa promotion est rappelée à Saint-Cyr pour y "terminer" sa scolarité. Cinq promotions, ou plutôt ce qu'il en reste, sont alors rassemblées dans les murs du Vieux Bahut. Pour sa part, la Croix du Drapeau a perdu 297 des siens: "Aussi est-ce avec une profonde tristesse que nous reprenions place dans l'amphithéâtre où, cinq ans auparavant, notre promotion avait peine à se caser et dont les bancs, maintenant, étaient aux trois quarts vides. Mais quelle ferté aussi de voir ces jeunes capitaines ayant parfois plus de trois ans de grade, pour la plupart décorés de la Légion d'Honneur. Nos supérieurs ne nous traitaient pas en élèves mais en camarades."
PREMIER SEJOUR AU MAROC
A la mi-septembre, Guillaume demande à partir pour le Service des
Renseignements du Maroc. Le 25 septembre, il est promu capitaine. II
a 24 ans.
Le Service des Renseignements au Maroc n'a rien à voir avec le
Service des Renseignements tel qu'on l'entend en métropole. II
désigne alors ce qu'on appellera par la suite le service des
affaires indigènes. Pendant deux ans, le Capitaine Guillaume reste à
Meknès, au bureau régional commandé par le général Poeymirau.
En mars 1921, il obtient le commandement du poste de Oued Amassine, occupé par le 12ème Goum. Dans une région peu sûre, il doit "apprivoiser une population extrêmement coriace". Dans cette optique, il étudie les dialectes régionaux. "J'apportais le plus grand soin à faire de mon 12ème Goum une bonne unité de combat et à me familiariser avec ce genre très particulier de troupes semi-régulières, recrutées parmi les tribus de la montagne, très rustiques, courageuses au feu, mais auxquelles il n'était pas question d'appliquer les règles de la discipline pratiquée dans les troupes régulières."
C'est dans ce poste qu'au cours d'une visite du général Poeymirau,
il fait connaissance du capitaine de Lattre, avec lequel il noue une
de ses plus belles amitiés. Elle comptera toute sa vie.
En 1922, il quitte Oued Amassine pour aller fonder un nouveau poste
à Arbalou n' Serdane. II se bat contre les Berbères insoumis,
accueille ceux qui se rendent, les réinstalle sur leurs terres, leur
offre même l'orge du poste et leur prête des semences, s'attirant
par là les foudres du service d'intendance.
L'ECOLE DE GUERRE
En 1924, il quitte le Maroc le coeur lourd pour préparer l'Ecole de Guerre. II est envoyé alors à Belgrade comme adjoint à l'attaché militaire de l'ambassade de France. II entre à l'Ecole de Guerre en 1926, honorablement classé malgré une mauvaise note en infanterie: "J'avais eu en effet une altercation avec le commandant examinateur qui exigeait de moi que je porte sur une carte d'état-major l'emplacement de pièces de mitrailleuses. Je m'y étais refusé, estimant que cet emplacement ne saurait être décidé que sur le terrain".
DEUXIEME SEJOUR AU MAROC
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A sa sortie de l'Ecole de Guerre (fin 1928), il repart pour le
Maroc qui a bien changé depuis son départ: après la guerre du Rif,
provoquée par le soulèvement d'Abri El Krim, qui s'est déroulée
pendant son séjour à l'Ecole de Guerre, le Maréchal Lyautey a été
remplacé par un fonctionnaire civil, M. Steeg, qui adopte une
attitude strictement défensive.
II faut cependant occuper l'Atlas central et le Sarhro, toujours en
dissidence, pour les mettre sous l'autorité du Sultan, de façon à
pouvoir assurer le développement du Maroc. Guillaume est nommé chef
d'état-major du groupe mobile du colonel de Lousial, chargé de la
pacification du versant atlantique de l'Atlas central. Ce sont les
hommes de ce groupe mobile qui, particulièrement entraînés à la
guerre de montagne et aux opérations de nuit, enlèvent, en septembre
1933, le dernier bastion dissident du Haut-Allas.
La guerre terminée, en octobre 1933, le chef de bataillon
Guillaume se marie avec une jeune fille de chez lui avec laquelle il
s'est fiancé au cours d'une permission en janvier 1933. II occupe au
Maroc le poste de commandant du cercle d'Azilal jusqu'en 1936. II
travaille à construire des pistes, des ponts, à faire vivre en bonne
intelligence les Berbères, de droit coutumier, vivant dans la
montagne, et les Chraa, soumis à la loi coranique, arabisés.
En septembre 1936, il est affecté à l'état-major du Conseil
supérieur de guerre du général Noguès. Ce dernier est nommé Résident
général au Maroc. Guillaume devient lieutenant-colonel au mois de
mars 1939.
LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE
II assiste impuissant à la débâcle française de mai 1940. La
situation ne permettant alors pas, faute de moyens, de continuer le
combat en Afrique,, les officiers présents en A.F.N., sous les
ordres du général Noguès au Maroc, s'attachent à conserver cette
partie de l'Afrique à la France et à préparer le combat de demain :
20.000 armes individuelles, 21.000.000 de cartouches, 60 canons, 200
mortiers, 4.000 armes automatiques, 200.000 coups de 75, 250
camions, 50 portechars, 10 chars H35 disparaissent dans la nature
avec l'arrivée des commissions allemandes et italiennes: "J'atteste
ici que, quelques heures après l'armistice, le général Noguès, de sa
propre autorité, engagea l'Afrique du Nord dans la voie de la
résistance. Sa ligne de conduite, poursuivie par le général Weygand
lorsque celui-ci sera délégué du gouvernement en Afrique du Nord,
puis par le général Juin, a permis à notre "Armée d'Afrique"
d'échapper dans une large mesure aux effets de la démobilisation et
d'intervenir en Tunisie aux têtes des Alliés dés le lendemain du
débarquement." Le colonel Guillaume se préoccupe du camouflage des
Goums marocains,conservés sous le nom de "méhallas chérifiennes"
prises en charge par le budget du protectorat grâce à une aide
discrète mais efficace du ministère des finances du gouvernement du
Maréchal Pétain. En mars 1941, la commission de contrôle allemande
au Maroc exige la dissolution des méhallas chérifiennes ou leur
intégration dans l'armée d'armistice, ce qui signifie une diminution
de leurs effectifs. Le colonel Guillaume se rend alors à Vichy d'où
il est envoyé à Wiesbaden pour défendre ses méhallas. Après une
discussion tendue, "les heures les plus douloureuses de ma vie"
dira-t-il, l'effectif des Goums est maintenu à 16.000 hommes pour
prévenir tout soulèvement interne au Maroc. Guillaume a en effet
expliqué aux Allemands que de tels troubles leur poseraient de
graves problèmes et nécessiteraient l'immobilisation sur place d'une
part non négligeable de la Wehrmacht. L'effectif des Goums sera
ensuite porté à 26.000 grâce à l'élasticité des subventions
accordées par Vichy.
C'est ainsi qu'en mai 42 une manoeuvre de deux jours se déroule dans
le plus grand secret. A l'issue, 5.000 goumiers défilent devant le
général Noguès.
Le débarquement américain ayant réussi après les heures tragiques
que l'on sait, dues à un "secret trop bien gardé" (le général Noguès
ne savait pas que l'arrivée des Alliés était si imminente), les
Goums reprennent immédiatement le combat. Le général Noguès,
pressentant que son départ sera exigé par le général De Gaulle, se
démet de ses fonctions juste après avoir nommé Guillaume à la tête
des Tabors marocains. Le général Giraud, commandant en chef en
A.F.N., nomme Guillaume général de brigade et lui donne le
commandement des Goums devant débarquer avec le corps
expéditionnaire en formation sous les ordres du général Juin. Le
général Guillaume débarque ainsi en Italie avec une part importante
de ses Goums.
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Ce sont ces mêmes Goums qui ouvrent aux Alliés la route de Rome:
en effet, les attaques frontales sur Cassino ayant échoué, le
général Juin propose aux généraux Clark et Alexander de déborder
l'ennemi par les monts Aurunci d'apparence impénétrable à l'aide de
troupes légèrement équipées comme les Goums. Après trois semaines de
combats terribles, la Ville s'ouvre aux Alliés. Les Goums
participent ensuite à la prise de Sienne avant de regagner l'A.F.N.
pour prendre pied sur le sol de la mère patrie sous les ordres du
général de Lattre de Tassigny. Le général Guillaume doit alors se
battre pour que ceux-ci aient l'honneur de participer à la
Libération: le résident général du Maroc souhaite leur présence pour
faire face à une poussée soudaine de nationalisme, et le général De
Gaulle ne souhaite pas leur participation car il croit, à la suite
de calomnies malveillantes, qu'ils se comportent en "soudards" la
bataille terminée. Finalement, 6.000 goumiers seulement sont
autorisés à débarquer. De Gaulle ne veut pas qu'ils entrent dans les
villes et veut les rapatrier le plus vite possible. A son insu, le
général Guillaume se débrouille pour faire débarquer tout son monde,
soit 12.900 goumiers!
Au lendemain de la libération de Marseille, Guillaume est nommé
général de division à la tête de la 3ème Division d'Infanterie
Algérienne tout en conservant les Goums sous son commandement. II
libère la vallée de la Durance et les Alpes et a ainsi la joie
d'entrer en vainqueur en son village natal de Guilleslre. La
division contourne Belfort et passe dans les Vosges un hiver
effroyable, l'ennemi se faisant tuer sur place. C'est à elle,
division exsangue, que de Lattre confie la défense de Strasbourg que
les Alliés veulent abandonner après l'offensive allemande des
Ardennes. Deux semaines de combats terribles s'engagent, au terme
desquelles la dernière offensive allemande sur le front occidental
est brisée.
La 8ème DLA s'enfonce ensuite en Allemagne vers la Lauter. Les
ordres du général de Lattre sont de ne pas tenir compte des
directives américaines, de façon que la France ait un créneau sur le
Rhin pour pouvoir jouer un rôle politique lors du règlement final.
La DLA passe la ligne Siegfried, contourne la Forêt Noire, occupe
Stuttgart fin avril 45.
L'URSS ET L'ALLEMAGNE
Après l'armistice, le général Guillaume est nommé attaché militaire à Moscou; le général De Gaulle lui donne pour mission de s'attacher à comprendre le comment et le pourquoi de la victoire soviétique. Au prix de bien des difficultés, il publie un ouvrage sur le sujet: "Pourquoi l'Armée Rouge a vaincu". Mais à son départ, en 1947, il s'adresse au général Saraiev, responsable des liaisons étrangères de l'Etat-major soviétique en ces termes: "J'ai admiré l'Armée Rouge pour ses magnifiques victoires et je lui conserve mon admiration. Mais je quitte l'URSS avec le sentiment que j'y ai été prisonnier".En août 1946, il est nommé général de corps d'armée. En 1947, il devient adjoint au général de Lattre, inspecteur général de l'Armée de terre, puis prend le commandement supérieur des troupes françaises d'occupation en Allemagne, qui prennent le nom de F.F.A. en 1948. En 1951, il est nommé général d'armée et devient, sur la recommandation pressante du général Juin qui quitte le poste, résident général au Maroc. L'année suivante, il reçoit la GrandCroix de la Légion d'Honneur.
RETOUR AU MAROC
Le Maroc a beaucoup changé depuis la guerre. Un parti nationaliste, l'Istiqlal, s'est créé parmi la jeunesse intellectuelle. Le Sultan, Sidi Mohammed, chef religieux et politique dont la France a assis l'autorité, prend position en faveur de ce parti. Face à lui, à la limite de la rébellion, la majorité des notables traditionnels rassemblés derrière le pacha de Marrakech ("le Glaoui") demandent le maintien du Protectorat. Les deux factions s'opposent, leurs manifestations tournent parfois à l'émeute. Face à cela, le gouvernement français tergiverse et l'O.N.U. prend fait et cause pour le Sultan contre la France. A Marrakech, les pachas et caïds se révoltent et décident de ne plus reconnaître Sidi Mohammed comme chef religieux. Ils le remplacent par Sidi Mohammed Ben Arafa. Après avoir tenté d'empêcher les pachas de se révolter, le général Guillaume décide de déposer le Sultan, avec l'accord du gouvernement. II l'éloigne du Maroc. Mais le gouvernement finit par reprocher cette destitution au général Guillaume, qui est remplacé en mai 54 par Francis Lacoste.
L'ADIEU AUX ARMES
II est nommé chef d'État- Major général des Armées. A ce titre, il participe aux discussions du gouvernement sur les problèmes de défense et représente la France auprès des grands chefs militaires de l'OTAN.
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En 1957, il reçoit la plus haute distinction des soldats et des
généraux en étant décoré de la Médaille militaire.
Le 28 février 1956, il démissionne de son poste: "Dans la matinée du
28 février 1956, au cours d'une réunion du Comité de Défense
Nationale, je me suis démis brusquement de mes fonctions de chef
d'État-major des Forces Armées. (...) En cette séance que présidait
le chef de l'État - c'était alors René Coty - le comité avait à
examiner les mesures à prendre pour faire face à la situation en
Afrique du Nord: en Algérie, la rébellion ne cessait de s'étendre,
et en Tunisie l'ordre était maintenu de justesse. Pour renforcer le
quadrillage territorial, préserver de la contamination les zones
moins touchées, augmenter les moyens opérationnels mobiles destinés
à détruire les forces adverses, l'Algérie demandait des renforts.
J'avais, dans les jours précédents, présenté au ministre une analyse
de la situation et proposé des solutions. Les différentes mesures
que je préconisais ne furent pas retenues par le Comité dont l'un
des membres alla jusqu'à déplorer que l'armée, une fois de plus
n'ait rien prévu. Cela, je ne pouvais l'accepter. J'ai donc donné ma
démission sur le champ, refermé mes dossiers, salué M. Coty et je
suis parti.
(...) Pour moi, la coupe était pleine depuis plusieurs mois. Cet
incident fut la goutte qui la fit déborder. (...) Je ne pouvais, en
effet, me résigner à mon impuissance à faire aboutir la moindre
réforme. De cette impuissance, l'une des raisons majeures était
l'instabilité ministérielle, particulièrement stérilisante en
matière de défense nationale où rien ne s'improvise : depuis vingt
et un mois que je remplissais mes fonctions, n'avais-je pas assisté
à sept changements de ministre à la tête du département de la
Défense Nationale ?
Comment, dans ces conditions, arriver à une définition des
responsabilités du Gouvernement et du Haut Commandement, d'une
politique militaire à moyen terme permettant aux armées de
construire leurs forces en fonction de leurs missions ? (...)
En Afrique du Nord, en tout cas, ma décision montrait à l'armée que
ses chefs ne subissaient pas sans réaction, n'acceptaient pas avec
résignation, que soient compromis les intérêts supérieurs de la
Patrie."
II se retire alors à Guillestre, d'où il préside l'association
"Rhin et Danube", qui regroupe les anciens de la fière Armée
française. En 1959, il est élu maire de Guillestre. II s'attache à
équiper sa commune, dans la lignée de l'oeuvre autrefois accomplie
par son père. II ouvre à la circulation le col Agnel (2.746 mètres);
en 1973, la route alors construite est baptisée "route du Général
Guillaume". Sa santé se dégradant, il ne renouvelle pas son mandat
municipal et s'offre, en 1971, une retraite méritée, en famille.
II publie en 1977 ses souvenirs, sous le titre "Homme de Guerre".
II s'éteint le 9 mars 1983, à Guillestre. C'est là que ses
compagnons de guerre viennent lui rendre un ultime et émouvant
hommage.