DOCUMENTS
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SOURCES
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Un livre particulièrement
riche sur l'ascension d'une grande figure politique sous
la Troisième République
L'introduction du livre
donne la tonalité "Le mémorial de Lyautey: poésie et
artifice". C'est la présentation d'une légende et la
biographie d' un homme politique pour le 150°
anniversaire de la naissance de Lyautey. A titre
complémentaire c'est un essai de politique coloniale
"autour du royaume arabe". |
Dans le livre, très
copieuses bibliographies et présentation des fonds
d'archives...
LE
XIX° SIECLE 1815-1914 |
GENESE D'UN CHEF
Le livre -et pas
seulement dans les premiers chapitres- s'attache à la
(longue) genèse d'un chef jusqu'à sa "retraite" comme
Résident général au Maroc.-
Une enfance doublement
corsetée
(chap.1), par suite d' une chute de balcon, un jour de
défilé militaire à Nancy, ce qui entraîne des séquelles
durables sur la colonne vertébrale jusque tard dans
l'âge adulte. Corset aussi d'un milieu profondément
conservateur, mi-polytechnicien, mi-petite noblesse
lorraine. Enfance rêveuse et studieuse. Il en garde une
tendance durable à l'egocentrisme exacerbé, à l'auto
analyse, au culte de l'ennui distingué (taedium) qui le
mène un jour au bord du suicide par crainte du mariage.
Compte tenu de ses
aspirations assez parisiennes et de son goût des
relations de pouvoir, le futur maréchal aurait sans
doute suivi en d'autres temps la voie des maitres des
requêtes et des attachés de cabinet (pas celle des
avocats comme Gambetta qu'il détestait, ni celle des
professeurs de l'entre-deux guerres).
Il choisit une
formation militaire certes classique pour les
ambitieux de l'époque: Saint Cyr, et assez normale pour
quelqu'un qui avait le sens de sa lignée. Puis, tout de
suite, l'école d' Etat Major dont il sort en 1878.
Le jeune lieutenant
Lyautey est alors envoyé en mission d'études de quelques
mois en Algérie. Voyage d'initiation au soleil et aux
sables chauds...Il ne s'y trouve vraiment heureux que
lorsqu'il fausse compagnie à ses camarades... Puis
séjourne en France pour "vingt années de carrière
régulière alternée entre la troupe et les états-majors
suivant le rite consacré pour les officiers brevetés". |
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UNE EXISTENCE D'OFFICIER
SOUS LA III ° REPUBLIQUE
N'eût été son expérience
coloniale, soit 15 années en tout avant l'âge de sa
retraite (Indochine 1894-1897, Madagascar 1897-1902,
confins algéro-marocains, puis division d'Oran
1903-1910) , Lyautey aura mené un existence assez
conventionnelle d'officier français de la IIII °
Republique en état de paix.
C'est seulement à l'âge
de 41 ans, en Indochine, que le sémillant Hubert entend
siffler la première balle hostile de sa vie, dans un
expédition où il était chargé... du ravitaillement..
On prend ici conscience
que de 1870 à 1914, les généraux français n'ont guère
connu l'épreuve du terrain, contrairement à leurs aînés
de l'épopée napoléonienne ou à leurs héritiers de 1940 à
nos jours.
Un officier soucieux
de sa carrière
Lyautey a du goût pour
des postes "fonctionnels" auprès des puissants:
état-major, inspection, officier d'ordonnance, un peu de
renseignement en Indochine, voyages initiatiques dans
divers pays...
Toujours "sa carrière
lui fait souci. Nul n'est plus attaché que lui aux
grades et aux préséances". Sa documentation
personnelle est gérée avec dévotion et aussi le souci de
sa présentation physique, de la mise en scène, de sa
séduction intellectuelle auprès de jeunes disciples. La
correspondance est traitée et publiée comme moyen de
notoriété, ses archives sont gérées comme celles d'un
maitre de la communication.
Il publie le récit de ses
réussites malgaches. Il se fait un nom autour des deux
articles "Le rôle social de l'officier"(1891) et "le
rôle colonial de l'officier" (1900) et publie les
rapports officiels de ses exploits coloniaux...Il aspire
enfin à l'Académie Française où il est élu en 1912.
Mondanités de garnison
Lyautey effectue comme
des corvées ses temps de commandement en province. La
vie mondaine et intellectuelle y joue un grand rôle
avant, entre et même pendant ses séjours coloniaux.
Avant d'atteindre les
sommets de sa gloire, Lyautey a vécu, comme beaucoup
d'autres militaires (qu'il distingue des "soldats") ,
par anticipation entre des figures de cinéma, le
capitaine de Boildieu de "la Grande Illusion", le Gérard
Philippe des "Grandes Manoeuvres", et Saganne, le
Capitaine de meharis.
Comme le héros de ce
dernier film, il est également envoyé par son chef
(Gallieni) en mission de conférences à Paris, pour
plaider la cause coloniale. Mais contrairement à Gérard
Depardieu, il ne se laisse pas prendre aux filets de la
belle journaliste Catherine Deneuve. Là ne sont pas ses
goûts, comme le suggère A.Teyssier dans le chapitre
8,"Portrait d'un "aventurier". Les convenances sont
respectées grâce à un mariage tardif (à 55 ans) avec
Inès de Bourgoing, veuve énergique d'un
polytechnicien...
Des idées politiques?
Mythe de l'enracinement
(Lorraine et colline inspirée) . Dévotion royaliste qui
pousse le jeune capitaine à effectuer en 1883 un
improbable pélerinage auprès du Comte de Chambord,
malgré les sages conseils du lucide Pape Leon XIII qui
sait peut-être mieux que les intérêts de l'Eglise sont
dans la République.
Le bon côté de cet ennui
distingué, et même des garnisons de sous-préfecture,
c'est la capacité de lecture , une réelle culture, le
contact avec de grands esprits de l'époque. Avec une
nette préférence pour les bien-pensants (Albert de Mun,
Eugène de Vogüe, plus tard Wladimir d'Ormesson) ou plus
si affinités légitimistes ( Maurras , Barrès, Bainville
et même vers 1930, le Colonel de La Rocque fondateur
des Croix de Feu...)
Permanence d'un certain
snobisme et préjugés de caste. "J'ai au coeur une haine
féroce, celle du desordre et de la révolution. Je me
sens certes plus près de tous ceux qui la combattent, de
quelque nationalité qu'ils soient, que de tels de nos
compatriotes avec qui je n'ai pas une idée commune et
que je regarde comme des ennemis publics" .
Heureusement, il a le bon goût de dédaigner l'épisode
populiste du général Boulanger et d'échapper, par
prudence , à l'affaire Dreyfus.
Comme tous les
militaires, il a ronchonné toute sa vie contre les
"Bureaux", surtout le Quai d'Orsay, mais aussi le
Conseil supérieur de guerre et plus tard le gouvernement
de la République. Il méprise les parlementaires et
critique ouvertement le manque de rigueur et de
continuité des politiciens . Contre Pétain, son rival
devant Abd el Krim, qui revendique l'esprit
d'obéissance, Lyautey se targue d'avoir atteint le grade
de maréchal grâce à sa desobéissance. Tout ceci est
finalement assez banal pour son époque et moyennement
sympathique... Cependant ce monarchiste esthétisant,
hésitant entre Charlus et Richelieu, opère sa mutation
dans les expériences coloniales et finit par "donner un
royaume à la république". |
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LE ROYAUME ARABE
Au cours d'un XIX° siècle
bourgeois, l'échappée coloniale a été une tentation pour
des hommes noyés depuis la fin de l'épopée napoléonienne
dans l'ennui de leur servitude et grandeur militaires .
L'Angleterre a eu ses
homologues en aventurisme avec Kitchener, Gordon, Cecil
Rhodes, Lawrence: tous ont aussi pratiqué -par
pragmatisme ou par snobisme racial de la différence- le
système du "royaume arabe" bien différent de
l'assimilation républicaine à la française selon Jules
Ferry...
L'aventure pro-consulaire
des généraux a d'abord été vécue en Algérie de 1830 à
1870, avec ses partisans de l'occupation intégrale comme
Clauzel ou Bugeaud et de l'occupation restreinte comme
Berthezene, Desmichels ou Damrémont.
Au cours d'un voyage en
Algérie, Napoléon III inaugure en 1865 la politique du
Royaume arabe ("Je suis l'Empereur des Arabes aussi
bien que des Français") .
La III° République et la
pression des colons établissent, au moins, dans les
intentions, le principe de l'assimilation et de
l'intégration pure et simple à la France . C'est, du
moins pour l'Algérie, le principe majeur de la
colonisation jusqu'au discours (inclus) de Charles de
Gaulle proposant en 1959 le Plan de Constantine qui
manifeste une volonté d'intégration sociale par le
développement économique, la scolarisation, le statut
des femmes...
Mais il était beaucoup
trop tard pour mettre en oeuvre de belles intentions
d'unité nationale incluant l'outremer.... La France a
procédé autrement et de manière plus pragmatique dans
ses autres colonies ou protectorats d'Afrique et Asie.
Lyautey en fournit un exemple prestigieux en réalisant
au Maroc le rêve de Napoléon III. |
Histoire De La
Colonisation Francaise de YACONO XAVIER
Le livre noir du
colonialisme
Colonialisme
: sites et documents francophones
Histoire de l'Outremer
français |
LA FORMATION COLONIALE AVEC GALLIENI
Jusqu'en 1894, date de
son départ vers le Tonkin où il est placé sous les
ordres d'un officier de grande envergure, Joseph Simon
Galliéni, qualifié par le dictionnaire de
"général et administrateur français" déjà baroudeur de
la guerre de 1870 puis soldat-négociateur au Niger et au
Soudan. Futur vainqueur en 1914 des taxis de la Marne,
Gallieni a été le mentor et le soutien de Lyautey pour
toute la partie active de sa carrière.
C'est en Indochine,
à l'âge de 41 ans, que le sémillant Hubert entend
siffler la première balle hostile de sa vie, dans un
expédition où il était chargé du ravitaillement..
On prend ici conscience
que de 1870 à 1914, les généraux français n'ont guère
connu l'épreuve du terrain, contrairement à leurs aînés
de l'épopée napoléonienne ou à leurs héritiers de 1940 à
nos jours.
C'est aussi en Indochine
que Lyautey apprend que, loin de vouloir corriger des
princes locaux corrompus (voir page 132 le sinistre
portrait du roi d'Annam ), il faut se servir de leur
pouvoir médiatique et en tirer les ficelles. "Toute la
philosophie du Protectorat est là-dedans".
En 1897, Galliéni emmène
Lyautey à Madagascar et lui confie un
commandement à la fois opérationnel et territorial.
Madagascar n'est pas un protectorat mais une colonie
directe, depuis la déposition de la reine Ranavalo.
Lyautey y réussit pleinement et publie ses résultats.
Nommé responsable des
confins algéro-marocains puis de la division d'Oran
(1903-1910), Lyautey se forme aux réalités du Maghreb,
de la "pénétration pacifique" (?) et fréquente,
horresco referens , le pied-noir Eugène Etienne, grand
manitou du parti colonial à la Chambre. |
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LE
MAROC
C'est au Maroc, 1912-1916
puis 1917-1925, donc pendant l'âge de la retraite
militaire que s'opère réellement la grande oeuvre de
Lyautey.
Les circonstances
internes (délabrement du pouvoir chérifien) et
internationales (crises de Tanger et d'Agadir,
ambitions anglaises puis allemandes déviées vers
d'autres régions du monde) ont facilité la signature du
Traité de Protectorat en mars 1912.
Lyautey espérait alors le
commandement d'une grande région militaire, voire la
succession de Joffre au Conseil supérieur de guerre. Il
accepte le poste de Résident Général au Maroc.
" Entre un homme hors
série, Lyautey et une institution déjà expérimentée
ailleurs qu'au Maroc, le protectorat, se produisit une
conjonction, une symbiose telle qu'on peut invoquer la
réalité d'un protectorat lyautéen au Maroc comme
on parle du consulat de Bonaparte ou de la république
gaullienne"
Daniel Rivet cité page 15.
C'est une forme de
gouvernement politique déjà pratiquée par les Anglais
en Asie ou en Afrique, et même par la France en
Cochinchine en 1863 puis Tunisie depuis 1881.
En quelques années,
Lyautey rétablit l'ordre, restaure le prestige du
souverain chérifien et de l'aristocratie de Fès,
reconstruit l'Etat et l'administration (le Makhzen) ,
aménage des villes (Rabat, Casablanca) , l'enseignement
et la justice. Une oeuvre de vrai colonisateur qui
respecte le colonisé... |
Paul Doury: "Lyautey, un
saharien atypique" |
Lyautey
Ephémère ministre de la guerre
Après la disparition de
Galliéni, Lyautey est appelé au Ministère de la Guerre
de décembre 1916 à mars 1917. Il s'y empêtre un peu.
"Lui dont l'autorité,
le prestige,la réelle grandeur ont étincelé au Maroc,
n'a pas été capable d'empêcher l'offensive de Nivelle et
la tuerie du Chemin des Dames"
et finit par démissionner de manière peu glorieuse.
Manque de sens politique peut-être ou fatalité des
péripéties parlementaires? |
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LE RETOUR AU MAROC ET LA FIN
De 1917 à 1925, de
nouveau Résident Général au Maroc.
"Un seul but désormais, le
Maroc. Une seule oeuvre: le Maroc . Et la mort au bout".
Mais, devant la
révolte du Rif sous Abdel Krim, il doit laisser la
place à Pétain, peut-être plus énergique et surtout
moins indocile envers le Bloc des Gauches...
Après le retour du Maroc
en 1925, installation au "château" de Thorey (son
Colombey) .
Haut Commissaire à
l'Exposition coloniale de 1931.
Amertume et mauvaises
fréquentations. Barrès lui-même s'efforce de le calmer "
...toujours
revenir à Boulanger? il voudrait que je lui fisse une
popularité...Je ne lui cache pas que rien ne favorise
plus ces idées de césarisme. Il a soixante dix ans.
C'est un chef; mais il a ses limites. Je ne le vois pas
en état de dominer la situation..."
Louis Hubert Gonzalve
Lyautey, Maréchal de France, Grand Croix de la Légion
d'Honneur, Académicien, meurt le 27 juillet 1934
à Thorey. Inhumé selon ses voeux à Rabat, il est ramené
aux Invalides en 1961. |
.." |
CONCLUSION
"Lyautey qui a triomphé
au Maroc, mais qui en France même a manqué son destin
politique, de même qu'il a manqué son rendez-vous avec
la Grande Guerre de 1914". Avant tout historien du
pouvoir, Arnaud Teyssier semble regretter cette impasse
du destin politique national.
Il écrit que, malgré
cette oeuvre immense, l'aventure marocaine de Lyautey
n' a été qu'un exutoire ("Au fond , j'ai raté ma
vie...Le Maroc n'était qu'une province de mon rêve").
Il entrevoit un moment
un possible destin national de son héros (de préférence
à Pétain?) en évoquant les nombreuses sollicitations
envers le noble vieillard dans les années précédant le
Front Populaire.
Peut-être en effet: le
pouvoir est parfois à portée de main et tout général (ou
tout caporal autrichien) peut facilement le ramasser.
Cela s'est vu dans l'histoire de France et ce n'est pas
à notre honneur...
Un point moins contesté,
y compris par les Marocains eux-mêmes, est celui de la
modernisation en vingt ans de l'Empire Chérifien par
combinaison d'un respect du Royaume arabe et d'un
"développement technocratique" .
Cette problématique,
"Royaume arabe ou colonisation directe", s'est retrouvée
dans les versions "Plan de Constantine" ou "Accords
d'Evian" de la politique algérienne. On en trouve
encore des traces aujourd'hui dans le débat
"communautarisme ou intégration civique".
Mais cela ne se passe
plus seulement outre-mer et c'est une toute autre
histoire... |
Sur le pouvoir:
Le dernier septennat
Commentaires sur le Dernier
Septennat
Bibliographie du politique
Sur l'outremer:
L'Outremer après
l'indépendance: des royaumes arabes?
Le communautarisme |
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COMPLEMENTS:
On ne s'attend pas
vraiment à trouver Lyautey (noble figure du Mallet-Isaac ou même
du panthéon national) là où il s'est souvent placé sous la plume
d'A.Teyssier. A savoir une culotte de peau comme il y en eut
tant d'autres sous la III° République , et qui furent "rachetées
" en 1914 par le sacrifice des jeunes saint-cyriens en gants
blancs et des instituteurs chefs de section d'infanterie, un peu
comme les badernes de 1940 furent rachetées par l'Armée
d'Afrique entre 1943 et 1945... . Au total moyennement
sympathique avec son snobisme, son goût du paraitre et du
plaire, ses incessantes démarches carriéristes ou politiciennes
et ses tentations de droite conservatrice puis extrême. Assez
banales en effet pour un militaire d'avant 1914 travaillé par le
légitimisme monarchique et la colline inspirée...
Mais comment expliquer dans les
années 30 une sympathie pour les Croix de Feu chez un homme d'un
tel prestige? Une forme de gâtisme aigri préfigurant celui de
Pétain? Dans le genre soldat contestataire, on préfère encore le
quarteron de généraux de 1961 qui n'avaient pas fait une
carrière d'officier d'ordonnance esthétisant en rêvant à la
majesté d'une magistrature suprême. En bref, on a l'impression
que sans l'aventure coloniale, sans Galliéni (vrai soldat
républicain?) et peut-être sans l'appui d'Eugène Etienne et ses
"colons" à l'âge de sa préretraite, Lyautey n'aurait pas été
Lyautey, à savoir une authentique gloire nationale pour son
oeuvre "civilisatrice" au Maroc...mais seulement..."poésie et
artifice". L'auteur a donc montré les choses telles qu'elles
sont et non telles qu'on voudrait qu'elles soient. Ce qui est
après tout le devoir de l'historien . Ce faisant il a produit un
bien beau livre sur un bien beau sujet. |
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