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LYAUTEY

Arnaud Teyssier "Lyautey" Perrin 468 pages janvier 2004. Notes de  lecture en diagonale de GEOSCOPIE

 Introduction   Genèse d'un chef   Un officier de la III° république  Le royaume arabe  La formation coloniale avec Galliéni  Le Maroc   Ephémère ministre de la guerre  Le retour au Maroc et la fin  Conclusion   Compléments

DOCUMENTS

SOURCES

GENERALITES:  

Un livre particulièrement riche sur l'ascension d'une grande figure politique sous la Troisième République

L'introduction du livre donne la tonalité "Le mémorial de Lyautey: poésie et artifice". C'est la présentation d'une légende et la biographie d' un homme politique pour le 150° anniversaire de la naissance de Lyautey. A titre complémentaire c'est un essai de politique coloniale "autour du royaume arabe".

Dans le livre, très copieuses bibliographies et présentation des fonds d'archives...

 LE XIX° SIECLE 1815-1914

 GENESE D'UN CHEF

 Le   livre -et pas seulement dans les premiers chapitres- s'attache  à la (longue) genèse d'un chef jusqu'à sa "retraite" comme Résident général au Maroc.-

Une enfance doublement corsetée  (chap.1), par suite d' une chute de balcon, un jour de défilé militaire à Nancy, ce qui entraîne des séquelles durables sur la colonne vertébrale jusque tard dans l'âge adulte. Corset aussi d'un milieu  profondément conservateur, mi-polytechnicien, mi-petite noblesse lorraine. Enfance  rêveuse et studieuse. Il en garde une tendance durable à l'egocentrisme exacerbé, à l'auto analyse, au culte de l'ennui  distingué (taedium) qui le mène un jour  au bord du suicide par crainte du mariage.

Compte tenu de ses aspirations assez parisiennes et de son goût des relations de pouvoir,  le futur maréchal aurait sans doute suivi en d'autres temps la voie des maitres des requêtes et des attachés de cabinet (pas celle des avocats comme Gambetta qu'il détestait, ni celle des professeurs de l'entre-deux guerres).

Il choisit une formation militaire certes classique pour les ambitieux de l'époque: Saint Cyr, et assez normale pour quelqu'un qui  avait le sens de sa lignée. Puis, tout de suite, l'école d' Etat Major dont il sort en 1878.

Le jeune lieutenant  Lyautey est alors envoyé en mission d'études de quelques mois en Algérie. Voyage d'initiation  au soleil et aux sables chauds...Il ne s'y trouve vraiment heureux que lorsqu'il fausse compagnie à ses camarades... Puis séjourne en France  pour "vingt années de carrière régulière alternée entre la troupe et les états-majors suivant le rite consacré pour les officiers brevetés".

 

UNE EXISTENCE D'OFFICIER SOUS LA III ° REPUBLIQUE

N'eût été son expérience coloniale, soit 15 années en tout avant l'âge de sa retraite (Indochine 1894-1897, Madagascar 1897-1902, confins algéro-marocains, puis division d'Oran 1903-1910) , Lyautey aura mené  un existence assez conventionnelle d'officier français de la IIII ° Republique en état de paix.

C'est seulement à l'âge de 41 ans,  en Indochine, que le sémillant Hubert entend siffler la première balle hostile de sa vie, dans un expédition où il était chargé... du ravitaillement..

On prend ici conscience que de 1870 à 1914, les généraux français n'ont guère connu l'épreuve du terrain, contrairement à leurs aînés de l'épopée napoléonienne ou à leurs héritiers de 1940 à nos jours.

Un officier soucieux de sa carrière

Lyautey  a du goût pour des postes "fonctionnels" auprès des puissants: état-major, inspection, officier d'ordonnance, un peu de renseignement en Indochine, voyages initiatiques dans divers pays...

Toujours "sa carrière lui fait souci. Nul  n'est plus attaché que lui aux grades et aux préséances". Sa documentation personnelle est gérée avec dévotion et aussi le souci de sa présentation physique, de la mise en scène,  de sa séduction intellectuelle auprès de jeunes disciples. La correspondance est traitée et publiée comme  moyen de notoriété, ses archives sont gérées comme celles d'un maitre de la communication. 

Il publie le récit de ses réussites malgaches. Il se fait un nom autour des deux articles "Le rôle social de l'officier"(1891)  et  "le rôle colonial de l'officier" (1900) et publie les rapports officiels de ses exploits coloniaux...Il aspire enfin à l'Académie Française où il est élu en 1912.

Mondanités de garnison

Lyautey effectue comme des corvées ses temps de commandement en province. La vie mondaine et intellectuelle y joue un grand rôle avant,  entre et même pendant ses séjours coloniaux.

Avant d'atteindre les sommets de sa gloire, Lyautey a vécu, comme beaucoup d'autres militaires (qu'il distingue des "soldats") ,  par anticipation entre des figures de cinéma, le capitaine de Boildieu de "la Grande Illusion", le Gérard Philippe des "Grandes Manoeuvres", et  Saganne, le Capitaine de meharis.

Comme le héros de ce dernier film, il est également envoyé par son chef  (Gallieni) en mission de conférences  à Paris, pour plaider la cause coloniale. Mais contrairement à Gérard Depardieu, il ne se laisse pas prendre aux filets de la belle journaliste Catherine Deneuve. Là ne sont pas ses goûts, comme le  suggère  A.Teyssier dans le chapitre 8,"Portrait d'un "aventurier". Les convenances sont respectées grâce à un mariage tardif  (à 55 ans) avec Inès de Bourgoing,  veuve énergique d'un polytechnicien...

Des idées politiques?

Mythe de l'enracinement (Lorraine et colline inspirée) . Dévotion royaliste qui pousse le jeune capitaine  à effectuer en 1883 un improbable pélerinage auprès du Comte de Chambord, malgré les sages conseils du lucide Pape Leon XIII qui sait peut-être mieux que les intérêts de l'Eglise sont dans la République.

Le bon côté de cet ennui distingué, et même des garnisons de sous-préfecture, c'est la capacité de lecture , une réelle culture, le contact avec de grands esprits de l'époque. Avec une nette préférence pour les bien-pensants (Albert de Mun, Eugène de Vogüe, plus tard Wladimir d'Ormesson) ou plus si affinités légitimistes ( Maurras , Barrès,  Bainville et même vers 1930,  le Colonel de La Rocque fondateur des Croix de Feu...)

Permanence d'un certain snobisme et préjugés de caste. "J'ai au coeur une haine féroce, celle du desordre et de la révolution. Je me sens certes plus près de tous ceux qui la combattent, de quelque nationalité  qu'ils soient, que de tels de nos compatriotes avec qui je n'ai pas une idée commune et que je regarde comme des ennemis publics" . Heureusement, il a le bon goût de dédaigner l'épisode populiste du général Boulanger et d'échapper, par prudence , à l'affaire Dreyfus.

Comme tous les militaires, il a ronchonné toute sa vie contre les "Bureaux", surtout le Quai d'Orsay,  mais aussi le Conseil supérieur de guerre et plus tard le gouvernement de la République. Il  méprise les parlementaires et critique ouvertement le manque de rigueur et de continuité des politiciens . Contre Pétain, son rival devant Abd el Krim, qui revendique l'esprit d'obéissance, Lyautey se targue d'avoir atteint le grade de maréchal grâce à sa desobéissance.   Tout ceci  est finalement assez banal pour son époque et moyennement sympathique... Cependant ce monarchiste esthétisant, hésitant entre Charlus et Richelieu, opère sa mutation dans les expériences coloniales et finit par "donner un royaume à la république".  

 

 LE ROYAUME ARABE

Au cours d'un XIX° siècle bourgeois, l'échappée coloniale a été une tentation pour des hommes noyés depuis la fin de l'épopée napoléonienne dans l'ennui de leur servitude et grandeur militaires .

L'Angleterre a eu ses homologues en aventurisme avec Kitchener, Gordon, Cecil Rhodes, Lawrence: tous ont aussi pratiqué -par pragmatisme ou par snobisme racial de la différence- le système du "royaume arabe" bien différent de l'assimilation  républicaine à la française selon Jules Ferry...

L'aventure pro-consulaire des généraux a d'abord été vécue en Algérie de 1830 à 1870, avec ses partisans de l'occupation intégrale comme Clauzel ou Bugeaud et de l'occupation restreinte comme Berthezene, Desmichels  ou Damrémont.

Au cours d'un voyage en Algérie,  Napoléon III inaugure en 1865 la politique du Royaume arabe ("Je suis l'Empereur des Arabes aussi bien que des Français") .

La III° République et la pression des colons établissent, au moins, dans les intentions, le principe de l'assimilation et de l'intégration pure et simple à la France . C'est, du moins pour l'Algérie, le principe majeur de la colonisation jusqu'au discours (inclus) de Charles de Gaulle proposant en 1959 le  Plan de Constantine qui manifeste une volonté d'intégration sociale par le développement économique, la scolarisation, le statut des femmes...

Mais il était beaucoup trop tard pour mettre en oeuvre de belles intentions d'unité nationale incluant l'outremer.... La France a procédé autrement et de manière plus pragmatique dans ses autres colonies ou protectorats d'Afrique et Asie. Lyautey en fournit un exemple prestigieux en réalisant au Maroc le rêve de Napoléon III.  

Histoire De La Colonisation Francaise de YACONO XAVIER

Le livre noir du colonialisme

Colonialisme : sites et documents francophones

Histoire de l'Outremer français

 LA FORMATION COLONIALE AVEC GALLIENI

 Jusqu'en 1894, date de son départ vers le Tonkin où il est placé sous les ordres d'un officier de grande envergure, Joseph Simon Galliéni, qualifié par le dictionnaire de "général et administrateur français" déjà  baroudeur de la guerre de 1870 puis soldat-négociateur au Niger et au Soudan. Futur vainqueur en 1914 des taxis de la Marne, Gallieni a été le mentor et le soutien de Lyautey  pour toute la partie active de sa carrière.

C'est en Indochine, à l'âge de 41 ans, que le sémillant Hubert entend siffler la première balle hostile de sa vie, dans un expédition où il était chargé du ravitaillement..

On prend ici conscience que de 1870 à 1914, les généraux français n'ont guère connu l'épreuve du terrain, contrairement à leurs aînés de l'épopée napoléonienne ou à leurs héritiers de 1940 à nos jours.

C'est aussi en Indochine que Lyautey apprend que, loin de vouloir corriger des princes locaux corrompus (voir page 132  le sinistre portrait du roi d'Annam ), il faut se servir de leur pouvoir médiatique et en tirer les ficelles. "Toute la philosophie du Protectorat est là-dedans".

En 1897, Galliéni emmène  Lyautey à Madagascar et lui confie un commandement à la fois opérationnel et territorial. Madagascar n'est pas un protectorat mais une colonie directe, depuis la déposition de la reine Ranavalo. Lyautey y réussit pleinement et publie ses résultats.

Nommé responsable des confins algéro-marocains puis de la division d'Oran (1903-1910), Lyautey se forme aux réalités du Maghreb, de la "pénétration pacifique" (?) et fréquente,  horresco referens , le pied-noir Eugène Etienne, grand manitou du parti colonial à la Chambre.  

 

 LE MAROC

C'est au Maroc, 1912-1916 puis 1917-1925, donc pendant l'âge de la retraite militaire que s'opère réellement la grande oeuvre de Lyautey.

Les circonstances internes (délabrement du pouvoir chérifien) et internationales (crises de Tanger et d'Agadir,  ambitions anglaises puis allemandes déviées vers d'autres régions du monde) ont facilité la signature du Traité de Protectorat en mars 1912.

Lyautey espérait alors le commandement d'une grande région militaire, voire la succession de Joffre au Conseil supérieur de guerre. Il accepte le poste de Résident Général au Maroc.

" Entre un homme hors série, Lyautey et une institution déjà expérimentée ailleurs qu'au Maroc, le protectorat, se produisit une conjonction, une symbiose telle qu'on peut invoquer la réalité d'un protectorat lyautéen au Maroc comme on parle du consulat de Bonaparte ou de la république gaullienne" Daniel Rivet cité page 15.

C'est une forme de gouvernement politique déjà pratiquée  par les Anglais en Asie ou en Afrique, et même par la France en Cochinchine en 1863 puis Tunisie depuis 1881.

En quelques années, Lyautey rétablit l'ordre, restaure le prestige du souverain chérifien et de l'aristocratie de Fès, reconstruit l'Etat et l'administration (le Makhzen) , aménage des villes (Rabat, Casablanca) , l'enseignement et la justice. Une oeuvre de vrai colonisateur qui respecte le colonisé...

Paul Doury: "Lyautey, un saharien atypique"

 Lyautey Ephémère ministre de la guerre

Après la disparition de Galliéni, Lyautey est appelé au Ministère de la Guerre de décembre 1916 à mars 1917. Il s'y empêtre un peu.

 "Lui dont l'autorité, le prestige,la réelle grandeur ont étincelé au Maroc, n'a pas été capable d'empêcher l'offensive de Nivelle et la tuerie du Chemin des Dames" et finit par démissionner de manière peu glorieuse. Manque de sens politique peut-être ou fatalité des péripéties parlementaires?

 

 LE RETOUR AU MAROC ET LA FIN

De 1917 à 1925, de nouveau Résident Général au Maroc. "Un seul but désormais, le Maroc. Une seule oeuvre: le Maroc . Et la mort au bout".

Mais, devant la révolte du Rif sous Abdel Krim, il doit laisser la place à Pétain, peut-être plus énergique  et surtout moins indocile envers le Bloc des Gauches...

Après le retour du Maroc en 1925, installation au "château" de Thorey (son Colombey) .

Haut Commissaire à l'Exposition coloniale de 1931.

 Amertume et mauvaises fréquentations. Barrès lui-même s'efforce de le calmer " ...toujours revenir à Boulanger? il voudrait que je lui fisse une popularité...Je ne lui cache pas que rien ne favorise plus ces idées de césarisme. Il a soixante dix ans. C'est un chef; mais il a ses limites. Je ne le vois pas en état de dominer la situation..."

Louis Hubert Gonzalve Lyautey, Maréchal de France, Grand Croix de la Légion d'Honneur, Académicien, meurt le 27 juillet 1934 à Thorey. Inhumé selon ses voeux à Rabat, il est ramené aux Invalides en 1961.

.."

 CONCLUSION

"Lyautey qui a triomphé au Maroc, mais qui en France même a manqué son destin politique, de même qu'il a manqué son rendez-vous avec la Grande Guerre de 1914". Avant tout  historien du pouvoir, Arnaud Teyssier semble  regretter cette impasse du destin politique national.

Il écrit que, malgré cette oeuvre immense,  l'aventure marocaine de Lyautey n' a été qu'un exutoire ("Au fond , j'ai raté ma vie...Le Maroc n'était qu'une province de mon rêve").

 Il entrevoit un moment un possible destin national de son héros (de préférence à  Pétain?) en évoquant les nombreuses sollicitations envers le noble vieillard dans les années précédant le Front Populaire.

Peut-être en effet: le pouvoir est parfois à portée de main et tout général (ou tout caporal autrichien) peut facilement le ramasser. Cela s'est vu  dans l'histoire de France et ce n'est pas à notre honneur...

Un point moins contesté, y compris par les Marocains eux-mêmes, est celui de la modernisation en vingt ans de l'Empire Chérifien par combinaison d'un respect du Royaume arabe et d'un "développement technocratique" .

Cette problématique, "Royaume arabe ou colonisation directe", s'est retrouvée dans les versions "Plan de Constantine" ou "Accords d'Evian" de la politique algérienne. On en trouve  encore des traces aujourd'hui dans le débat "communautarisme ou intégration civique".

Mais cela ne se passe plus seulement outre-mer et c'est une toute autre histoire...

Sur le pouvoir:

Le dernier septennat

Commentaires sur le Dernier Septennat

Bibliographie du politique

Sur l'outremer:

L'Outremer après l'indépendance: des royaumes arabes?

Le communautarisme
COMPLEMENTS:  On ne s'attend pas vraiment à trouver Lyautey (noble figure du Mallet-Isaac ou même du panthéon national) là où il s'est souvent placé sous la plume d'A.Teyssier. A savoir une culotte de peau comme il y en eut tant d'autres sous la III° République , et qui furent "rachetées " en 1914 par le sacrifice des  jeunes saint-cyriens en gants blancs et des instituteurs chefs de section d'infanterie, un peu comme les badernes de 1940 furent rachetées par l'Armée d'Afrique entre 1943 et 1945... . Au total moyennement sympathique avec son snobisme, son goût du paraitre et du plaire, ses incessantes démarches carriéristes ou politiciennes et ses tentations de droite conservatrice puis extrême. Assez banales en effet pour un militaire d'avant 1914 travaillé par le légitimisme monarchique et la colline inspirée...

Mais comment expliquer dans les années 30 une sympathie pour les Croix de Feu chez un homme d'un tel prestige? Une forme de gâtisme aigri préfigurant celui de Pétain? Dans le genre soldat contestataire, on préfère encore le quarteron de généraux de 1961 qui  n'avaient pas fait une carrière d'officier d'ordonnance esthétisant en rêvant à la majesté d'une magistrature suprême. En bref, on a  l'impression que sans l'aventure coloniale, sans Galliéni (vrai soldat républicain?) et peut-être sans l'appui d'Eugène Etienne et ses "colons" à l'âge de sa préretraite, Lyautey n'aurait pas été Lyautey, à savoir une authentique gloire nationale pour son oeuvre "civilisatrice" au Maroc...mais seulement..."poésie et artifice". L'auteur a donc montré les choses telles qu'elles sont et non telles qu'on voudrait qu'elles soient. Ce qui est après tout le devoir de l'historien . Ce faisant il a produit un bien beau livre sur un bien beau sujet.