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Il est difficile d'établir la part d'héritage judéo-arabe dans la constitution du proto-capitalisme marocain. Il faut remonter à la société pré-coloniale marocaine pour identifier l'apport strictement juif. Le chercheur Simon Lévy, dans une contribution à l'ouvrage collectif « civilisation marocaine », considère que « les juifs, seule minorité religieuse au Maroc, avaient une place spécifique aux plans économique, juridique et administratif (…) une répartition tacite des tâches économiques, une spécialisation -non obligatoire- qui répondait aux besoins d'une société ». Pour S. Lévy, les juifs étaient Le joker, « l'élément mobile » d'une société qui commençait seulement à subir le choc du commerce international et la pression des puissances aux XVIIIe et XIXe siècles. Pour Louis Massignon, dans son « enquête sur les corporations musulmanes d'artisans et de commerçants », la part des traditions juives dans la vie corporative des musulmans est « certainement importante car ce sont surtout des artisans dans les villes qui figuraient parmi ces convertis passés du judaïsme à l'islam ».
 

Pour les métiers " interdits "
En milieu rural, les musulmans étaient essentiellement agriculteurs ou éleveurs, les juifs exerçaient des métiers méprisés par les tribus musulmanes ou frappés du sceau de l'interdit. Il en est ainsi du travail du métal, de la cordonnerie, de la fabrication des seaux de puits. Des pans entiers de l'artisanat marocain ont ainsi été développés par les juifs « beldyines » (berbères) dans les campagnes marocaines. En milieu urbain, outre le travail de l'orfèvrerie, du brocard et de la numismatique (frappe de monnaie). « Une main d'œuvre juive était employée à l'hôtel de la monnaie, travaillant avec d'autres artisans chrétiens sous la direction d'un amine musulman, au temps où les sultans battaient monnaie à Fès », souligne feu Haïm Zafrani dans l'immense ouvrage « deux mille ans de vie juive ».
 

A l'origine du commerce international
Les juifs qui pratiquaient couramment, en milieu urbain, un certain nombre de langues étrangères, ont été au centre du développement du commerce international. Les réseaux tissés avec des coreligionnaires établis à Manchester ou à Hambourg ont créé les premiers jalons de rapports entre un pays musulman et le monde chrétien. Le grand négoce, comme le souligne Haïm Zafrani, se trouve entre les mains d'une oligarchie qui, disposant de capitaux, de relations avec le makhzen et de moyens d'information de caractère économique grâce à leurs correspondants internationaux, monopolise l'exportation de produits locaux (céréales, cuirs et peaux) et l'importation de diverses denrées, en particulier les textiles. Les juifs ont été aussi à l'origine de la création des premières banques marocaines. S. Lévy souligne que « les couches aisées pratiquaient également les métiers du courtage, le commerce de produits agricoles et une activité interdite aux musulmans, le prêt à intérêt. A partir du XIXe siècle, ils assurèrent la représentation des banques de Tanger, dont trois avaient été créées par des juifs marocains (banques Nahon, Pariente, Benchimol) ».