par Virginie Gomez, Christine Holzbauer
· Notre dossier sur les relations France-Afrique
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Aujourd'hui, la franc-maçonnerie reste «le dernier réseau des réseaux franco-africains», souligne Antoine Glaser, directeur de rédaction de La Lettre du continent. La majorité des chefs d'Etat d'Afrique centrale ont été initiés. «La tendance à l'initiation des hautes personnalités se renforce», confirme un membre du GoLuc (Grand Orient et Loges unis du Cameroun). En dépit de la discrétion du président Paul Biya sur ses relations, le Cameroun est un haut lieu de la franc-maçonnerie. «J'ai rencontré des ministres en France parce qu'un franc-maçon d'ici a pris son téléphone. Le ton décontracté de la conversation m'a stupéfié», rapporte un membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le parti au pouvoir. «Dans le gouvernement, je ne vois pas un seul ministre RDPC qui ne soit pas maçon», confie un autre homme politique. Le nombre de francs-maçons camerounais est estimé à 500, contre 800 pour les deux loges nationales gabonaises, la Grande Loge symbolique - ex-Grand Rite équatorial (GRE) fondé par Omar Bongo en 1975 et récemment rebaptisée - et la Grande Loge du Gabon. La création d'une loge nationale nécessite le parrainage d'une loge à l'étranger. Sur ce terrain, le Grand Orient de tradition française, plutôt à gauche, et la Grande Loge nationale française (GNLF) de tradition anglo-saxonne, marquée à droite, de réputation plus affairiste, se concurrencent. Mais les loges africaines se sont émancipées pour entrer à leur tour dans les luttes d'influence. «Il y a eu une vive compétition entre le Gabon et le Congo pour initier le nouveau président centrafricain François Bozizé, remarque Antoine Glaser. Des gens comme Omar Bongo souhaitent créer une grande franc- maçonnerie africaine.» L'importance accordée au respect de la tradition a tendance à éloigner les Africains des obédiences européennes: «Je ne peux pas imaginer aller à une tenue sans tablier, s'insurge un maçon gabonais. En Europe, on a tendance à s'en moquer.» Une appartenance censée ouvrir des portes Au niveau national, les loges restent un instrument de pouvoir. «Les jeunes sont encadrés par un parrain régional et un grand frère initiateur, c'est un maillage très serré», explique Antoine Glaser. En retour, l'appartenance à l'obédience est censée ouvrir des portes, permettre d'obtenir des marchés ou des passe-droits. Mais le prestige de l'ordre s'est terni. Un ancien membre du GRE affirme avoir pris ses distances avec la loge après s'être rendu compte de son «degré de vénalité». «C'est une porte d'entrée obligée vers certaines positions sociales, déclare-il. Du temps où j'étais initié, on n'avait pas le droit de le dire; aujourd'hui, n'importe qui vous sert la main et vous fait le signe.» Africaine ou européenne, la franc- maçonnerie inquiète les non-initiés. Un ministre camerounais l'associe aux réseaux corses ou à l'affaire Elf, «qui incarnent l'aspect le plus rétrograde de la «Françafrique»». Protaïs Ayangma, grand maître du GoLuc de 1998 à 2000, s'amuse des fantasmes qu'inspirent l'équerre et le compas. «Certains pensent que je suis à la tête de mon entreprise parce que je suis un diable.» Selon lui, la franc-maçonnerie n'a pas l'influence qu'on lui prête. Sinon, n'aurait-elle pas été plus efficace dans ses tentatives de médiation? Un comité des puissances maçonniques d'Afrique centrale avait bien tenté d'intervenir entre Denis Sassou-Nguesso et Pascal Lissouba lors du conflit congolais, mais il est aujourd'hui dans un «état léthargique». La franc-maçonnerie serait plus mise à profit pour se rendre de menus services entre frères que pour favoriser de grands desseins diplomatiques. Reste que même les non-initiés ont leur missi dominici maçon. A l'instar de Laurent Gbagbo, dont l'oncle, Laurent Ottro, est affilié à la GLNF. |