ESTIENNE MORIN ET L’ORDRE DU ROYAL SECRET
Alain Bernheim
-
- LE “RITE DE PERFECTION” ET LE “CHAPITRE DE CLERMONT”
- J’espère que le titre que j’ai choisi a excité votre
curiosité et que vous avez été quelques-uns à être surpris de lire sur les
invitations de notre rencontre de ce matin les mots Ordre du Royal Secret au
lieu de Rite de Perfection.
- La raison en est simple: Ordre du Royal Secret est
l’expression employée par Morin lui-même dans une patente qu’il délivra et
signa un an avant sa mort. Le Rite de Perfection n’a pas davantage existé
que le Chapitre “de Clermont”, corps maçonnique français imaginaire, censé
avoir pratiqué ce rite à Paris.
- Ceci dit, il faut toujours se méfier des éléments
imaginaires de l’histoire maçonnique, parce qu’ils contiennent très souvent
une part de vérité. Le problème consiste à déterminer laquelle. Si le Rite
de Perfection en vingt-cinq grades n’a existé que dans l’imagination de
quelques historiens, une ‘Maçonnerie de Perfection’ en dix grades existait
bel et bien dans le Sud-Ouest de la France vers 1760 et un système en
vingt-cinq grades a été codifié au cours de la décennie suivante par Morin
aux Indes Occidentales, nous en constaterons l’existence tout à l’heure en
parlant des manuscrits Francken.
- De même, s’il est probable que le comte de Clermont
présidait à l’occasion sa propre loge et différents corps maçonniques
parisiens — quoique nous n’ayons aucun Livre d’Architecture faisant état de
sa présence effective lors de leurs réunions —aucun historien n’a jamais
découvert un document établissant l’existence d’un Chapitre de Clermont à
Paris. Par contre, un Chapitre de ce nom avait été créé à Berlin par un
officier français, prisonnier de guerre, en témoignage de reconnaissance
envers des Frères allemands de la Mère-Loge Aux Trois Globes qui l’avaient
autorisé à ouvrir une loge réunissant d’autres prisonniers, Français comme
lui. A ce Chapitre berlinois, ouvert le 19 juillet 1760, en pleine Guerre de
Sept Ans, cet officier avait communiqué les hauts grades français qu’il
possédait.
- (1)
Ces faits ne concernent en rien Estienne Morin. Ils montrent seulement que
la France et les Maçons français ont joué un rôle déterminant dans le
développement des Hauts Grades en Europe. Dans leur développement plus que
dans leur création. Les Français apportèrent leur génie particulier et
introduisent des notions nouvelles dans la Maçonnerie des Hauts Grades comme
dans celle des grades “bleus”, mais ils furent des créateurs moins souvent
qu’on ne l’a écrit.
- A l’époque de l’activité maçonnique d’Estienne Morin,
soit entre 1744 et 1771, l’autorité des Grandes Loges nationales qui
existaient à Londres, à Paris et à Berlin, est limitée. Les grades qui
suivent celui de Maître Maçon ne sont pas encore codifiés en rites, au sens
où existe aujourd’hui le Rite Ecossais Ancien et Accepté en trentetrois
grades avec une échelle et des rituels sensiblement identiques dans le monde
entier. Cette architecture, qui commence à naître, est différente presque
dans chaque ville, à l’intérieur d’une même nation et, naturellement, d’un
pays à l’autre. A la tête de (2) ces Hauts Grades existent quelques
organismes dont la compétence s’exerce dans un rayon géographique restreint
— la Parfaite Loge d’Ecosse de Bordeaux constitue à cet égard une exception
remarquable.
- Sans qu’existe aucun rapport entre eux, trois Maçons vont
se consacrer, presque en même temps, à mettre de l’ordre dans ce désordre
foisonnant d’invention : Carl Friedrich Eckleff, Carl Gotthelf von Hund,
Estienne Morin. A leurs trois noms on pourrait ajouter celui de
Jean-Baptiste Willermoz, mais son cas est différent dans la mesure où
l’action de Willermoz est nettement plus tardive. En novembre 1772, lorsque
commencent ses premiers rapports avec la Stricte Observance,
-
- Morin est mort depuis un an. Son travail de synthèse en
France et aux Îles, celui d’Eckleff en Suède et de von Hund en Allemagne, a
débuté vingt ans plus tôt.
Ces trois Maçons semblent avoir deux idées en commun. D’une part, faire un
choix entre les grades isolés qui ont surgi en Europe depuis l’apparition de
leur ancêtre commun, le Maître Ecossais, et tenter d’établir entre ces
grades une succession logique. Seconde idée: établir pour les systèmes ainsi
structurés des corps directeurs, ancêtres de nos Suprêmes Conseils et de nos
Grands Prieurés actuels. Pour ce faire, il leur faudra rédiger des textes.
Ainsi naîtront les Constitutions dites de Bordeaux auxquelles sera attribuée
la date de 1762 — et la même idée sera reprise trente ans plus tard avec les
Grandes Constitutions de 1786, attribuées au Roi de Prusse, Frédéric II.
Pour la Stricte Observance, ce rôle sera tenu par l’histoire légendaire de
l’Ordre des Templiers, rédigée par le cercle entourant von Hund en 1754,
modifiée par Starck en 1771. Viendront s’y ajouter les Instructions secrètes
des Profès et Grands Profès dont l’auteur fut Willermoz.
- Aucun de ces créateurs ne reconnaîtra publiquement être
l’auteur de ces légendes, ce qui est aussi humain que naturel. Tous
prétendront avoir reçu une ‘Tradition’ provenant de l’étranger, dont
l’origine se perd dans la nuit des temps. Deux siècles plus tard, la
réaction des Maçons contemporains n’est guère différente, ce qui explique
pourquoi le travail de l’historien n’est pas toujours considéré d’un oeil
favorable : il risque tout simplement de mettre en lumière la part
d’invention parfois poétique qui présida à la naissance de ces légendes
chères aux coeurs des Maçons.
- Commençons donc par examiner comment nous avons appris ce
que nous croyons savoir de l’histoire maçonnique et dans quelles
circonstances nos informations sur Estienne Morin ont été complètement
renouvelées depuis une trentaine d’années.
- L’HISTOIRE ET SES SOURCES
- Lorsque nous désirons obtenir un renseignement sur un
événement ou sur un personnage de l’histoire maçonnique, nous le recherchons
tout naturellement dans une encyclopédie ou dans un dictionnaire, puis dans
un livre, plus rarement dans un article de revue. Et nos difficultés
commencent. Il n’existe pas d’encyclopédie maçonnique fiable en langue
française, il n’en existe pas davantage en langue étrangère qui soit mise à
jour. Quant aux livres et aux revues...
- Confrontés à plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages
traitant de la Franc-Maçonnerie, publications dont les auteurs ou les
rédacteurs en chef depuis près de (3) trois siècles semblent avoir considéré
l’établissement d’un index comme la cerise sur un gâteau, en l’absence de
toute bibliographie maçonnique actualisée — la plus récente remonte à 1926,
lorsque Beyer composa un supplément aux deux volumes de Wolfstieg, parus en
1911 et 1913 — comment trouver le renseignement que nous cherchons ? Et si
nous avons la chance de le trouver, comment distinguer les renseignements
fiables de ceux qui ne le sont pas ?
- Le hasard risque de jouer un rôle considérable dans ce
qui devrait être une démarche scientifique. Qu’un livre soit accessible ou
récent, à bon ou à mauvais escient nous lui ferons confiance et recopierons
la réponse qu’il fournit à la question que nous nous posions.
- Et de deux choses l’une : nous aurons eu raison ou nous
aurons eu tort de lui faire confiance. Nous aurons eu raison si l’auteur
nous permet de distinguer ses hypothèses et ses opinions des faits
historiques établis qu’il aura lui-même vérifiés.
- Mais comment distinguer faits et opinions, si l’auteur ne
le fait pas lui-même ? De la manière suivante, fort simple une fois que
chacun de nous en a pris conscience.
- L’HISTOIRE EST UN RÉCIT
- L’histoire est d’abord un récit. Elle n’est qu’ensuite
l’interprétation de ce récit. Un récit s’appuie sur des documents à
l’authenticité établie, transcrits scrupuleusement. Un récit se fonde sur
des événements, sur des rencontres entre des personnages identifiés en des
lieux déterminés à des époques précises. S’il respecte ses lecteurs,
l’historien responsable indiquera toujours les sources qui lui auront permis
d’établir son récit. Or ces sources ne peuvent être que de deux sortes :
· celles qui sont connues — c’est-à-dire les sources imprimées et les
sources manuscrites répertoriées,
· et celles que l’historien aura découvertes lui-même.
- Il n’est nullement illicite de reprendre un récit
antérieur et de faire confiance à son auteur, mais il convient toujours de
l’indiquer clairement. Si l’historien a eu par contre la chance de découvrir
des sources inédites, il va de soi que son devoir consiste à spécifier la
cote du fonds d’archives où elles se trouvent.
- De telles références ne doivent pas être énumérées dans
le but d’éblouir un lecteur naïf, comme ce fut le cas dans un exemple
récent, évoqué dans un instant, mais afin de permettre aux historiens
présents ou à venir de contrôler le travail de leurs confrères, sa précision
et son honnêteté. Omettre ces indications sous le prétexte fréquemment
évoqué que leur mention serait susceptible de rebuter un lecteur moyen,
c’est tout simplement se moquer du monde... et des lecteurs !
- LES ÉCOLES D’HISTORIENS DE LA MAÇONNERIE
- L’école française moderne de l’histoire de la
Franc-Maçonnerie tient depuis quelques dizaines d’années une place honorable
à côté de ses devancières, mais elle était auparavant, avec d’éminentes
exceptions, par exemple Daruty, l’une des moins fiables qui soit.(4)
- Le père de l’école historique française, Claude-Antoine
Thory, fit paraître en 1815 un livre en deux volumes, les Acta Latomorum,
prétendant décrire année par année, avec une présentation d’une grande
clarté, les événements majeurs de l’histoire maçonnique des principaux pays
du monde. Les historiens recopièrent de confiance ce qui leur apparaissait
si facile à comprendre. Pour leur malheur, une partie considérable des
événements rapportés par Thory était imaginaire et l’autre gravement
inexacte. Contrairement à Clavel qui, trente ans plus tard, aura la
franchise d’intituler son livre épais ‘Histoire pittoresque’, Thory a toutes
les apparences d’un Que sais-je, collection qui mérite bien sa réputation
d’exactitude, mais il n’en a pas les qualités.
- Cependant il ne faudrait pas croire qu’à l’époque du
romantisme, l’histoire de la Franc-Maçonnerie était toujours traitée à la
manière de Thory. En 1823, huit ans après la parution des Acta, Lenning et
Mossdorf publiaient le premier volume de leur admirable Encyclopädie der
Freimaurerei. En 1844, un an après Clavel, paraissait la première
bibliographie maçonnique établie de manière professionnelle, celle du Dr.
Georg Kloss, suivie de 1848 à 1853 par trois volumes du même auteur,
consacrés à l’histoire de la Franc-Maçonnerie dans les Îles Britanniques et
en France.
- Alors que Lenning, Mossdorf et Kloss, polyglottes comme
Wilhelm Begemann, s’intéressent à l’histoire de la Franc-Maçonnerie dans le
monde, l’école anglaise qui prend forme à la fin du XIXe siècle avec la loge
de recherches Quatuor Coronati fondée au mois de novembre 1884, ira en
s’intéressant d’une manière de plus en plus restrictive à la seule histoire
de la Franc-Maçonnerie de langue anglaise, tout particulièrement à celle de
la Franc-Maçonnerie en Angleterre, fort différente au XVIIIe siècle de celle
d’Ecosse et d’Irlande. C’est qu’à de rares exceptions près, comme Lionel
Vibert, ses représentants ne connaissent pas les langues étrangères. Cela ne
les gène guère, puisque pour eux, la Franc-Maçonnerie est essentiellement
une institution britannique qui, pour son malheur, tomba entre les mains de
Continentaux auxquels on avait eu bien tort de la confier.
- Pour remarquable qu’elle fut, la loge Quatuor Coronati
dont l’heure de gloire se situa à peu près entre 1910 et 1970, est loin
d’avoir atteint les buts qu’elle s’était fixés. Ses débuts sont marqués par
la confiance imméritée qu’elle accorde à la généalogie imaginée par Anderson
— ‘nos ancêtres, les maçons de métier’ —, ce que John Hamill fut le premier
à relever avec lucidité il y a une dizaine d’années, en soulignant que ses
fondateurs se comportaient d'une manière fort peu scientifique, en
recherchant des témoignages susceptibles d'étayer leur théorie au lieu de
chercher des témoignages et de les analyser afin de voir ce que l'on pouvait
en déduire.(2)
Qu’un article aussi scandaleux ait pu être publié sur la Stricte Observance
l’année dernière dans le volume 109 d’Ars Quatuor Coronatorum, qu’il ait été
soumis par un membre actif de la loge après avoir été chaudement recommandé
par un ancien Vénérable et Prestonian Lecturer, qu’il ait été accepté puis
lu à l’une des réunions annuelles de la loge, et qu’il y ait été reçu avec
des éloges presque unanimes, illustre un déclin qu’il faut relever en
souhaitant qu’il ne soit que passager.
- (5)
-
- N. H. S. SITWELL - En 1927, dans le
volume 40 d’Ars Quatuor Coronatorum, était publié l’un des articles les plus
significatifs du XXe siècle sur les débuts de la Franc-Maçonnerie de langue
française. Son auteur, Norman Sisson Hurt Sitwell, était un major Irlandais
né en 1876, un soldat de l’armée des Indes, initié en 1904 près de Calcutta,
membre correspondant de la Loge Quatuor Coronati depuis 1910. Dix ans plus
tard, Sitwell venait se fixer en France et fondait en 1925 la loge
Saint-Claudius n° 21 de la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière,
aujourd’hui Grande Loge Nationale Française. Saint-Claudius fut la première
loge de recherches fondée en France.
- Sitwell avait fait la connaissance à
Paris de deux Maçons appartenant à la même obédience que lui, un Anglais né
en 1877, Alfred Irwin Sharp, et un Russe blanc, Nicolas Choumitzky, dont
j’eus le plaisir mitigé de faire la connaissance dans les années 1960. Tous
les deux détenaient des archives du plus haut intérêt qu’ils avaient
autorisé Sitwell à utiliser.
- LA “GRANDE LOGE D’UKRAINE” ET LES “DOCUMENTS SHARP”
- Pour justifier être le détenteur d’archives aussi
exceptionnelles, Choumitzky racontait une histoire rocambolesque. Au moment
de la Révolution Française de 1789, des Maçons russes auraient reçu en dépôt
une partie des archives du Grand Orient de France et les auraient mises en
sécurité en Russie. Une Grande Loge d’Ukraine, dont personne jusqu’alors ne
soupçonnait l’existence, les aurait conservées et, au moment de la
Révolution Russe de 1917, les aurait confiées à Choumitzky qui les avait
ramenées en France au péril de sa vie. [Choumitzky oubliait d’ajouter qu’il
avait été employé au secrétariat du Grand Orient de France dans les années
1920] .
- Je possède la liste des quelque 300 documents maçonniques
du XVIIIe siècle, saisis par la Gestapo au cours d’une perquisition
effectuée au domicile de Choumitzky. Son authenticité n’est guère discutable
car elle fut établie par Choumitzky lui-même qui, dans la lettre qui
l’accompagnait en en demandait la restitution aux Nazis, faisait état de ses
activités anti-maçonniques passées. Leur plus beau fleuron consistait en
plusieurs lettres écrites par Estienne Morin entre 1757 et 1768, qui furent
transcrites ou résumées dans le volume publié en 1928 par St. Claudius.
- Quant au Frère Sharp, sa fameuse “collection” était en
majeure partie constituée par les archives de l’une des plus anciennes loges
française, L’Anglaise, fondée à Bordeaux le 27 avril 1732. J’ai raconté
ailleurs l’odyssée de ces documents qui finirent par échouer à Lexington aux
États-Unis. En effet, une fois la seconde Guerre Mondiale terminée, Sharp
retourna en Angleterre en emmenant avec lui les archives de L’Anglaise qu’il
devait vendre en 1952 à un membre du Comité d’Histoire créé par le Suprême
Conseil de la Juridiction Nord des États-Unis deux ans plus tôt.(3)
- LA CHASSE AUX DOCUMENTS
- Confrontée à des problèmes financiers, la Loge Quatuor
Coronati déménageait il y a une trentaine d’années du petit hôtel qu’elle
occupait au 27 Great Queen Street et traversait la rue pour aller occuper
des locaux moins coûteux dans les sous-sols des bâtiments de la Grande Loge
Unie d’Angleterre. Elle mit alors en vente à des prix bradés les vieux
exemplaires d’Ars Quatuor Coronatorum dont sa cave était pleine. J’acquis
tout ce qui était à vendre et découvris ainsi l’article de Sitwell.(6)
Peu de temps après, j’allai à Londres, fis la connaissance de Harry Carr et
lui demandai s’il ne posséderait pas par hasard d’autres écrits de Sitwell
dans ses archives. Dix minutes plus tard, Carr déposait fièrement sur son
bureau près de 500 feuillets dactylographiés, datant des années 1925-1930,
inédits et couverts de poussière. Il me suffit d’y jeter un coup d’oeil pour
reconnaître leur intérêt inestimable. En effet, l’unique communication
publiée dans Ars Quatuor Coronatorum par Sitwell de son vivant ne faisait
état que d’une infime partie des archives détenues par Sharp et Choumitzky.
Carr eut la gentillesse de faire établir pour moi la photocopie intégrale de
ces inédits de Sitwell dont l’intérêt n’avait pas paru suffisant à son ami
Lionel Vibert, alors Secrétaire de la loge Quatuor Coronati, pour qu’ils
soient publiés.
- Cette première découverte me permit d’écrire un bref
article consacré à Morin dans le n° 3 de Renaissance Traditionnelle, puis de
présenter ma première étude sur les débuts de la Franc-Maçonnerie française,
le 29 janvier 1974, devant la loge Villard de Honnecourt en rendant à
Sitwell l’hommage qui lui était dû.
- Les écrits de Sitwell constituaient
une mine d’informations inédites qui renouvelaient complètement notre
connaissance des débuts de l’histoire de la Franc-Maçonnerie française et de
celle des Hauts Grades, mais ce n’était, bien sûr, que de la littérature
secondaire. Sitwell s’appuyait sur des documents que personne sauf lui
n’avait lus. Il fallait les retrouver afin d’en prendre connaissance dans
leur intégralité.
- Une longue chasse, semblable à une enquête policière, me
permit finalement de retrouver à Paris, dans un tiroir de la Bibliothèque
Nationale, deux rouleaux de microfilms dont personne ne connaissait
l’existence. Ils avaient été envoyés de Boston à Paris dans le cadre d’un
échange de documents au cours des années 1950.(4)
-
- L’un comprenait les documents Doszedardski, l’autre la
quasi-intégralité des “documents Sharp”. Par contre, malgré mes négociations
avec Choumitzky, il ne me fut pas possible de remettre la main sur les
archives de la prétendue Grande Loge d’Ukraine, son détenteur en demandait
trop d’argent. Son fils, dont je fis plus tard la connaissance [il était
alors un dignitaire de la Grande Loge Nationale Française, mais devait en
être expulsé peu de temps après], refusa de donner suite. Personne ne sait
où elles se trouvent aujourd’hui. Une première analyse des “Documents Sharp”
mit en évidence que la plupart étaient datés au moyen d’un code particulier,
jusqu’alors ignoré de tous les historiens de la Maçonnerie, et que ce code
était si complexe que les Ecossais de Bordeaux avaient eux-mêmes souvent
commis des erreurs en l’utilisant.(5)
-
- Il fallut décoder ces dates. et je n’oublierai jamais ma
joie lorsque j’y parvins une nuit vers deux heures du matin, ce qui
permettait d’établir la chronologie des événements.
- Ces éléments inédits me fournirent la matière de deux
articles publiés dans Ars Quatuor Coronatorum en 1986 et 1988, le premier
consacré aux codes de datation maçonnique au 18e siècle, le second décrivant
l’histoire maçonnique de Bordeaux depuis 1732, histoire qui était devenue
plus claire après ma découverte dans les archives de la Grande Loge Unie à
Londres d’une copie dactylographiée effectuée par Sitwell des premiers
Reglemens de la Parfaite Loge d’Ecosse, signés par Morin.
- Avant d’évoquer la vie de ce Maçon exceptionnel, résumons
ensemble ce que nous savons du développement en Europe des grades dits
Ecossois.(7)
- LES GRADES ECOSSOIS JUSQU’EN 1750
- · Depuis 1734, un grade dénommé Scots Mason ou Scots
Master Mason était pratiqué à Londres et à Bath, une loge écossaise avait
été fondée le 20 novembre 1742 à Berlin.(6)
- · Un an plus tard, le 20e et dernier article des
Reglemens Généraux adoptés par la Grande Loge réunie à Paris commençait par
constater : « Comme on apprend que depuis peu quelques frères s'annoncent
sous le nom de maîtres Ecossois... ». Une première diversification s’opère
alors, puisque les Statuts de St Jean de Jérusalem, datés du 24 juin 1745 à
Paris, stipulent que “Les Maîtres ordinaires s’assembleront avec les
maîtres, les parfaits et irlandais trois mois après la St jean, les maîtres
Elus six mois après, et ceux pourvus de grades supérieurs quand ils le
jugeront à propos” (article 40).(7)
- · Dans les Reglemens de la Parfaite Loge d’Ecosse de
Bordeaux, datés de juillet 1745, aucune mention n’est faite de plusieurs
grades ou d’une quelconque hiérarchie. Les sujets - nous dirions aujourd’hui
les candidats - sont proposés, passés au scrutin et reçus. Tout porte à
penser qu’au moment de la création de cette Parfaite Loge de Bordeaux, il
n’existait encore dans ce ‘système’ qu’un seul grade, celui de Maître
Ecossais.
- · Lorsqu’un Frère Dutillet retrouve à Paris Lamolere de
Feuillas, le Grand Maître de la Parfaite Loge d’Ecosse de Bordeaux, et lui
écrit le 21 avril 1746, il nous fournit une première indication concernant
la thématique du grade d’Ecossois : « à l’inspection de ma lettre, vous
connoîtres aisément que je suis bon E[cossois]. en tout cas je serois en
état de vous le prouver par les paroles qui sont sous la voute ». Une voûte,
donc, des paroles, et une étoile à cinq branches que Dutillet place à gauche
de sa signature. Feuillas écrit huit jours plus tard à Bordeaux: « Je le
trouvay si bien instruit, que je ne pûs m’empescher de la reconnoitres... il
m’a dit qu’il avait été admis à la G[rande]. lumiere par des officiers... ».
Sa lettre ne nous apprend rien d’autre sur ce grade sauf un détail bien
intéressant : Dutillet écrit à Feuillas qu’il y a « à Paris et ailleurs »
des E[cossismes ou Ecossais] bâtards. (8)
- · Le 2 octobre 1747, « la très sublime Loge ecossoise de
l’Union de Berlin » remet à Frédéric Dahl, gentilhomme danois, un document
attestant qu’il a été reçu « Maitre ecossois... et créé Chevalier de St.
André » dans son « très-sublime Sanctuaire des frères ainés ».(9)
- · Au mois d’avril 1748, l’article 7 [des Règlements] de
la grande loge des Maîtres Grands Ecossois à Paris nous apprend que « Tous
les maîtres Ecossois ... [ont le] droit d’établir des Loges, de faire des
maçons du premier grade dans les lieux ou il n’y aura point de Loge
Regulière établie par des maîtres Ecossois ou par une Grande Loge des Grands
Chevaliers de l’orient... »,10 Cette première mention des Chevaliers de
l’Orient est confirmée par un document inclus dans le registre de Jérôme
Dulong, témoignant de l’existence en mars 1749, d’une « grande et souveraine
Loge de l'Orient » à Paris.(11)
- · Les archives de Bordeaux nous révèlent l’existence, en
janvier 1750 à Toulouse, d’une loge d’Ecossais Trinitaires qui abandonnent
leur système pour adopter celui de Bordeaux. Ses membres profiteront de la
présence du frère Dubuisson pour se faire ‘rectifier’ le 17 mai suivant.(12)
- · En 1750, existait en Bretagne un autre système — nous
en sommes au quatrième, après ceux de Paris, de Bordeaux et de Toulouse —
celui des ‘Chevaliers Elus’ ou (8) Kadosch de Quimper.(13) Les archives de
Bordeaux nous permettent de l’identifier comme étant celui des Élus de la
loge noire de St Pierre de la Martinique. En effet les officiers de La
Parfaite Union de St Pierre écrivent le 21 mai 1750 à la Parfaite Loge d’Ecosse
de Bordeaux : « Nous avons icy une R. L. noire ou d’Elus, constituée &
annexée à notre R. L. Simbolique ». Dans la même lettre, ils regrettant
l’absence d’un de leurs membres, le Frère Veyres, auquel Bordeaux a accordé
un brevet pour créer à St Pierre une Parfaite Loge d’Ecosse.(14) Or, parmi
les Élus de Quimper, on relève un Chevalier Veyres, négociant à St Pierre de
la Martinique !
- Le procès-verbal de l’installation de la Parfaite Loge d’Ecosse
à La Martinique, le 24 mai 1750, nous montre que ses membres sont presque
tous « Me élu, chevaliers d’Orient et Parfait d’Ecosse ».15 Ainsi, des
grades aux origines différentes vont-ils se trouver superposés, comme le
montre une lettre que le Grand Secrétaire de St Pierre écrit à Bordeaux:
- Nous voyons avec une parfaite satisfaction que vous
trouvez notre L[oge] simbolique ortodoxe, elle est constituée petite fille
de Clermont ainsy que nos L. de Maîtres Parfaits & Me Elu, & de chevalier de
l’Orient, mais nous ne faisons l’exercice que de la Mrie symbolique, du Me
Parf. & du Me Elu et nous faisons passer par ces grades les ff. qui esperent
celuy de P[arfait]. d’Ec[osse].(16)
- · Le 4 juin 1750, à l’autre bout du monde, à Naumburg en
Lusace, Wolf Christian von Schönberg est reçu Maître Ecossais à la loge des
Trois Marteaux. Un an plus tard, il créera la loge de Kittlitz, Aux Trois
Colonnes, avec von Hund et sous le nom d’Eq. a Leone rubro sera le second
membre de son ‘Ordre Intérieur’. (17)
- · Nous avons un exemple précoce des ‘améliorations’ qui
sont (déjà) apportées aux rituels lorsque le frère Dupin, Grand Maître de la
Loge Ecossaise de Bordeaux, écrit le 21 juillet 1750 à sa loge-fille de
Toulouse, installée deux mois plus tôt: L’ouverture et la cloture de nos
Loges ont été rectifiées ... le Vénérable frappe 9 coups, le 2d Surveillant
(3) le 1er Surveillant (5) et le Vénérable (7) [un signe particulier est
effectué à chaque batterie. Dupin mentionne qu’un troisième mot a été ajouté
aux deux qui existaient déjà.] On nous a proposé d’autres changements que
nous n’avons point encore adoptés.
Nous avons écrit pour nous assurer qu’ils sont véritablement de notre
institution. Si on nous le certifie nous vous en ferons part.(18)
- Remarques énigmatiques ! Qui désigne cet “on”, deux fois
répété, qui propose des changements et à qui le Grand Maître de Bordeaux
demande de certifier « qu’ils sont véritablement de notre institution » ? Je
ne sais pas.(9)
- ESTIENNE MORIN
LE MORIN DES HISTORIENS
- Ouvrons deux ouvrages français récents : les quatre
éditions parues entre 1966 et 1984 d’Histoire et Rituels des Hauts Grades
Maçonniques Le Rite Ecossais Ancien et Accepté de Paul Naudon et le
Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie [paru] sous la direction de Daniel Ligou
en 1987. Nous y lisons que Morin était né à New York de parents français
venus de La Rochelle en 1693 [1691] après la Révocation de l’Edit de Nantes
[et qu’il était] incontestablement un protestant.
- Ces informations imaginaires avaient été reprises de
confiance dans des articles écrits en 1925 par Cyrus F. Willard, rédacteur
en chef d’une revue maçonnique californienne par ailleurs excellente, The
Builder. Dans les registres d’une église de New York, Willard avait
découvert un enfant Morin baptisé en 1697. Son imagination avait fait le
reste.(19) Willard avait des prédécesseurs, il aura des successeurs.
- En 1864, l’historien franco-suisse Rebold avait identifié
“le fameux Stéphen [sic] Morin” parmi les Ecossais qui s’opposaient en 1803
au Grand Orient de France.(20) En 1993, un M. Guérillot attribuait les
difficultés de Morin à Saint-Domingue au fait qu’il aurait été « un créole,
mais de sang légèrement mêlé... d’ascendance africaine » et, pour appuyer
ses dires, l’auteur n’hésitait pas à dessiner en pleine page, au début d’un
de ses livres, le portrait — imaginaire, faut-il le souligner — d’un Morin
souriant au visage négroïde ! (21)
- Naudon, dans ses deux premières éditions, faisait mourir
Morin « dans une extrême vieillesse, vers 1791 ». Mais il prétendra ensuite
avoir suivi Choumitzky — qui n’avait jamais rien écrit de tel — après avoir
pris connaissance du livre de mon ami disparu Freddie Seal-Coon qui
découvrit la tombe de Morin à la Jamaïque et la date de son enterrement, le
17 novembre, sur le registre des décès de la paroisse de Kingston pour
l’année 1771. Depuis enfin que Johel Coutura a découvert la demande de
passeport que Morin avait déposée et signée à Bordeaux le 27 mars 1762, au
moment de quitter la France pour retourner aux Îles, on sait qu’il était
alors « âgé de 45 ans, de taille moyenne, cheveux noirs, portant perruque,
natif de Cahors en Quercy [et] ancien catholique ».(22)
- Voilà le peu que nous savons de l’homme qui écrivait
lui-même être un négociant.(23) Ajoutons deux éléments tirés de l’inventaire
de ses biens, établi au moment de son décès : il mourut dans le dénuement et
possédait un violoncelle.(24)
- LE MAÇON
- Nous ne savons ni où ni quand Morin est devenu Maçon. Sa
signature apparaît pour la première fois, juste après celle de Lamolère de
Feuillas,(25) au bas des Règlements de la Parfaite Loge d’Ecosse, datés du
huitième jour du deuxième mois de l’année 5746, date qui signifie non pas 8
avril 1746, comme dans le code maçonnique français classique, mais 8 juillet
1745.(26) Cinq ans plus tard, l’avocat parisien Petit de Boulard affirmera
que Morin l’avait « initié aux mystères de la perfection ecossoise » en 1744
- Morin avait alors vingt-sept ans - malheureusement de Boulard ne dit pas
où.(27) Dans une lettre de 1757, Morin rappellera avoir reçu le 25 juillet
1747 un Certificat de Bordeaux « au pied duquel sont les Constitutions qui
m'avoient été remises par La R. (10) Mère L\ de Londres en datte du 25. du
mois de juin 1745 et que vous m'avié certiffié ».(28) Cette Mère Loge de
Londres pourrait-elle être l’Ordre Heredom de Kilwinning (29) ?
- Il faut maintenant se fier à Sitwell qui eut entre les
mains le premier Livre d’Architecture de L’Anglaise qui existait encore dans
les années 1960 mais disparut à la mort du Vénérable Maître alors en
exercice. Sitwell y avait relevé les visites de Morin. La première, le 3
mars 1746, la seconde le 10 octobre suivant, toujours en qualité de député
de La Française, seconde loge constituée à Bordeaux. Le 27 avril (ou le 27
mai) 1747, nouvelle visite en la même qualité. Morin se rend alors à
Saint-Domingue puisque la lettre que la loge écossaise du Cap adresse à
Bordeaux le 17 février 1748 est de sa main.(30) Dans une lettre de juin 1763
publiée par Choumitzky,
- Morin évoquera la loge du Cap qu’il a fondée en 1748.
Comme il retourne en France, les Frères du Cap le chargent d’une lettre pour
Bordeaux, le 29 juin 1748.31 On relève sa signature au bas des Constitutions
signées à Bordeaux par les Officiers de la Parfaite Loge d’Ecosse à
l’intention de cette loge écossaise du Cap, datées du 1 mars 1749.(32)
- A nouveau visiteur de L’Anglaise, le 30 juin 1750,
toujours comme député de La Française, Morin repart pour La Martinique. Dans
une lettre qu’ils adressent le 15 juin 1751 à Bordeaux, les Frères de
Saint-Pierre évoquent son nom à propos d’une loge de Parfaits d’Ecosse
existant alors au Fort-Royal.(33) Nous retrouvons Morin comme Orateur sur le
Tableau de la Loge d’Ecosse du Cap en 1752. Il a installé une loge à
Port-de-Paix au nom de la Mère-Loge du Cap 34 mais la lettre qui accompagne
ces nouvelles montre que les choses tournent mal.(35)
- En effet Lamolère de Feuillas a quitté Bordeaux pour les
Îles, muni de pouvoirs datés du 24 décembre 1752, qui, sans citer Morin,
n’en révoquent pas moins tous autres pouvoirs émanés de Nous à qui que ce
soit.36 Arrivé au Cap après avoir fait naufrage, Feuillas malade délègue ses
pouvoirs à Bertrand Berthomieux pour installer une Loge de Parfaits d’Ecosse
à Saint-Marc le 8 décembre 1753. (37)
- En comparant les règlements de La Martinique de 1750 avec
ceux de St Marc de 1753, on constate que dans le premier cas, il suffisait
d’être Elu pour être proposé comme Parfait d’Ecosse (art. 23), alors que
trois ans plus tard, St Marc évoque les grades (au pluriel) qu’il faut
obtenir pour parvenir à la perfection (article 11) et que par ailleurs un
visiteur éventuel, avant d’être reçu en loge, devait être examiné avec
précaution et politesse et être reconnu être Elû parfait de notre genre
(article 10).
- J’ignore où se trouve Morin entre 1752 et 1757. Je ne
sais pas qui est le ‘Très Respectable Frère’ de Bordeaux auquel il adresse
un rapport le 24 juin 1757. Morin réside alors aux Cayes, dans la partie sud
de Saint-Domingue, il y a visité la loge de la Concorde, fille de La
Française de Bordeaux. Edifié de la régularité de leurs travaux, il s’est
joint à eux. Ils m’ont prié, écrit Morin, de leur procurer les Lumieres que
je pouvais avoir dans l’Ecossisme, dont ils n’étoient pas encore munis. En
cinq ans, les grades ont évolués. Morin confère aux treize Élus de la
Concorde le grade de Parfait Elu Grand Ecossois, et ajoute: m’étant aperçu
du grand cas que ces R. F. faisaient de
ce précieux grade, je me suis déterminé à leur accorder la demande qu’ils
m’ont souvent faite et répétée de leur conférer aussi les grades de
Chevalier de l’Orient et du SO[leil]... et jeté avec eux les fondements d’un
Conseil en règle.(38)
- Deux ans plus tard, la Loge Ecossaise du Cap écrivant à
Bordeaux évoque les malheurs de la guerre, l’interruption des travaux et,
parlant du frère Morin, ajoute cette (11) remarque peu amène : si on peut
encore lui donner ce nom.(39) Il s’est donc passé des incidents dont nous ne
savons rien. Est-ce la raison pour laquelle nous retrouvons Morin à Paris où
il va recevoir au mois d’août 1761 la patente que vous savez ?
- LA PATENTE
- Pour retrouver la plus ancienne version possible de cette
patente, Daruty avait eu l’idée de s’adresser en 1877 au Grand Commandeur
Albert Pike à Charleston. Pike en recopia le texte sur le Registre que
Delahogue rédigea entre 1798 et 1799.(40) On connaît de cette patente une
douzaine de versions successivement ‘améliorées’ par les copistes et par les
historiens, mais il n’y en a aucune dont on puisse être certain qu’elle soit
strictement conforme à l’original.
- En fonction des informations qu’il avait en 1913, Wilhelm
Begemann la considérait comme un faux.(41) Grâce aux lettres publiées par
Choumitzky (42) et à la correspondance échangée en 1770 entre deux loges de
Saint-Domingue, La Concorde et La Vérité, son existence ne fait aujourd’hui
plus aucun doute.(43) La Grande Loge de France et le Grand Conseil des Loges
régulières avaient conjointement nommé Morin leur « Gd Inspecteur dans
toutes les parties du Nouveau-Monde » et lui avaient donné « pouvoir
d’établir dans toutes les parties du monde la Parfaite et Sublime Maçonnerie
». Cette Parfaite et Sublime Maçonnerie était celle que pratiquait la Grande
Loge de France depuis le début de 1761, avec le Grand Élu Chevalier Kadosch
au sommet de sa hiérarchie. Ce n’est que deux ans plus tard, le 30 septembre
1763, qu’elle décidera de ne plus s’occuper des hauts grades.(44)
- Morin quitte Paris, repasse par Bordeaux et s’embarque
fin mars 1762 pour Saint-Domingue. Son bateau est capturé par les Anglais.
Les lettres qu’il adressera à ses correspondants français en 1763 et 1764
montrent qu’il passa deux mois à Londres et fut reçu en loge par le Grand
Maître des ‘Modernes’, Lord Ferrers, qui le décora « de grades sublimes ».
Morin écrit aussi: « J'ai fait un voyage en Ecosse dans mon séjour en
Angleterre [sic] et j'ai vu un habile homme à Edimbourg; j'ai passé 3 mois
avec le maçon le plus zêlé que j'aie jamais connu... ». (45) A nouveau pris
par les Anglais durant sa seconde traversée, il sera emmené à la Jamaïque
avant de pouvoir finalement
débarquer à Saint-Marc, le 21 janvier 1763. Sans que l’on en ait la preuve,
il est probable que c’est lors de ce premier séjour forcé à la Jamaïque
qu’il rencontra Francken.(46)
- HENRY ANDREW FRANCKEN
- De Francken, dont le nom n’est jamais mentionné dans les
lettres que Morin adresse en France, nous savons peu de choses. Hollandais
émigré à la Jamaïque en 1757, naturalisé anglais l’année suivante, il fut
fonctionnaire puis interprète dans les services de l’amirauté. Son nom est
devenu célèbre en raison des manuscrits dans lesquels, traduits en anglais,
il transcrivit les grades de l’Ordre du Royal Secret.
-
- Ignorée des historiens européens, l’activité maçonnique
qu’il déploya au cours de son voyage en Amérique du Nord eut des
conséquences considérables.(47)
-
- Arrivé à New York, le 7 octobre 1767, Francken établit
une loge de Perfection à Albany par patente datée du 20 décembre dans
laquelle on lit : By Virtue of a full power and Authority committed to me by
the Most Illustrious, Most Respectable and Most Sublime Brother Stephen
Morin, Grand Inspector of all Lodges relative to the Superior Degrees of
Masonry [...] and confirmed by the Grand Council of Princes of Masons in the
Island of (12) Jamaica &c. &c. &c., We Hen: Andw Francken, Depy Inspr Genl
of all the superior Degrees of
Masons in the West Indies and North America [...]
- Ce document nous apprend qu’en 1767 Francken était Député
Inspecteur Général par pouvoir reçu de Morin, Grand Inspecteur de toutes les
loges relatives aux grades supérieurs de la maçonnerie, et que les
Princes Maçons de la Jamaïque formaient un Grand Conseil qui avait confirmé
cette autorité.
- Un an après avoir constitué la loge d’Albany, Francken
nommait à Rhode Island deux députés Inspecteurs le 6 décembre 1768 dont
l’un, Moses Michael Hays, devait être à la source de l’essor du rite en
Amérique du Nord. Francken rentra ensuite à la Jamaïque.
- L’Ordre du Royal Secret en vingt-cinq grades fut-il
élaboré, la rédaction du texte qui le régit fut-elle achevée avant le
départ, pendant l’absence ou après le retour de Francken à Kingston ? Cette
double maturation se poursuivit probablement pendant plusieurs années
jusqu’à l’établissement d’un Grand Chapitre de Princes du Royal Secret à
Kingston, le 30 avril 1770. Voici ce que nous en savons.
- LES MANUSCRITS FRANCKEN
- Francken copia à différentes reprises tout ou partie des
grades de l’Ordre du Royal Secret dans des manuscrits dont certains
comportent également d’autres textes.
- · Le plus ancien des manuscrits Francken connus fut
terminé le 30 août 1771 à Kingston,(48) moins de trois mois avant la mort de
Morin. Il se trouve aujourd’hui dans la bibliothèque du Suprême Conseil pour
l’Angleterre et le Pays de Galles.
- · Un second manuscrit porte la date du 30 octobre 1783.
Découvert à Londres en 1855, il fut acquis l’année suivante par le célèbre
collectionneur américain que fut Edward T. Carson, 33° dont l’extraordinaire
bibliothèque fut acquise par Lawrence qui la légua à la Grande Loge du
Massachusetts. Celle-ci reconnut l’importance de ce manuscrit en 1935 et
décida alors de l’offrir au Suprême Conseil de la Juridiction Nord des
États-Unis qui le détient actuellement.
- · Un troisième manuscrit fut redécouvert vers 1980 dans
les archives de la Grande Loge Provinciale du West Lancashire par Michael
Spurr. Contrairement à la description qu’en fit John Hamill, il ne porte
aucune date permettant de déterminer à quelle époque il fut rédigé.49 J’ai
pris l’habitude de le désigner sous le nom de Manuscrit Francken n° 3. Il se
trouve dans la bibliothèque de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
- · Un quatrième manuscrit que j’ai dénommé ‘manuscrit X’
dans plusieurs articles, s’est révélé cette année être identique avec ce que
nos Frères historiens américains appellent le Panama ou Jamaica Ritual,
lequel ne porte pas non plus de date.
- · Enfin un autre MS portant l’ex-libris d’Alexander
Deuchar se trouverait aux Indes à Lahore. Son existence a été mentionnée par
Lindsay mais aucun chercheur ne semble avoir eu l’occasion de l’étudier.(50)
- Ces manuscrits ne contiennent pas le rituel des mêmes
grades. Celui de 1771 reproduisait seulement les grades 15 à 25, mais le 25e
grade en a été arraché avant qu’une copie en ait été établie, alors que les
autres MS comprennent tous les grades du rite, du 4ème au 25ème.(13)
Le ‘Jamaica Ritual’ contient de plus le texte de trois autres grades (Select
Master of 27, Knight of the Royal Arch, Grand Master Ecose) précédés de la
note suivante:
- « The following three Degrees are not included in those
of Stephen Morin, but were first Introduced into the Island of Jamaica by
Moses Cohen, from North America, as Deputy Inspector ». Seuls le MS 1771 et
le MS n° 3 reproduisent, avec des variantes, le texte des Constitutions de
1762 ainsi que des Instructions complémentaires pour les Loges de
Perfection.(51)
- LE MANUSCRIT FRANCKEN 1771 - L’ÉNIGME DES CONSTITUTIONS
“DE 1762”
- La première allusion connue à un document élaboré par
neuf commissaires en 1762 se trouve dans le corps du texte signé par Morin,
établissant un Grand Chapitre de Princes du Royal Secret à Kingston, le 30
avril 1770, dont une copie effectuée en 1794 est insérée au début du MS
1783:
- [...] ye shall strictly behave yourselves to all the
Statu tes, rules & regulations, of the nine Commissioners named by the Grand
Chapter of the Sublime Princes of the R. S. at the Grand East of France &
Prussia consequent by the Deliberation dated the 7 th of Decr. 7762 to be
ratified and observed by the aforesaid Grand Chapter of Prussia and France
and by all the regular and particular Lodges, Councils, Grand Councils,
Grand Chapters, Consistories, &c. over the surface of the two Hemispheres
[...]
- Le texte des 35 articles des Constitutions de 1762 fut
imprimé pour la première fois en 1832 dans un ouvrage célèbre et rare, le
Recueil des Actes du Suprême Conseil de France, avec l’intitulé suivant: «
REGLEMENS ET CONSTITUTIONS FAITS PAR LES NEUF
COMMISSAIRES NOMMES PAR LE SOUVERAIN GRAND CONSISTOIRE DES SUBLIMES
CHEVALIERS DE
ROYAL SECRET ET PRINCES DE LA MAÇONNERIE, LE 20 SEPTEMBRE 1762, AU GRAND
ORIENT DE
BORDEAUX ».(52)
- Toujours considéré comme la version princeps des
Constitutions de 1762, (53) il était néanmoins troublant de constater que ce
texte était le seul document à faire état de l’existence de Princes du Royal
Secret à Bordeaux au cours du 18ème siècle, sur l’intitulé duquel Thory
s’était cru en droit de broder en affirmant qu’un conseil de Princes de
Royal Secret avait été fondé à Bordeaux en 1759 par le conseil des Empereurs
d’Orient et d’Occident, fondé lui-même à Paris l’année précédente.(54)
- En 1975, un membre du Suprême Conseil pour l’Angleterre
et le Pays de Galles, Arthur Reginald Hewitt, publiait une note dans Ars
Quatuor Coronatorum indiquant qu’un récent inventaire de la bibliothèque de
son Suprême Conseil avait amené la découverte d’un manuscrit de 252 folios,
écrit par Francken en 1771, contenant les rituels des grades 15 à 24 ainsi
qu’un texte en 32 articles, intitulé « THE GREAT STATUTES AND REGULATIONS
Made in Prussia and France Sepbr 7th 7762. Resolved by the Nine
Commissioners named by the Great Council of the Sublime Princes of the Royal
Secret at the Great East of France. Consequently, by the deliberations dated
as above [...] ».55 Commentant cette découverte, le Brigadier A. C. F.
Jackson écrivait en 1980: « Ceci constitue la traduction en langue anglaise
du document de 1762 et, à ce titre, représente la plus ancienne version
connue d’un document dont l’original n’ajamais été découvert. » (56)
- La comparaison entre le texte du MS de 1771 et le texte
publié en 1832 à Paris permettait de constater qu’il existait entre eux des
différences essentielles. La longue introduction, les deux premiers articles
et l’article 35 de la version imprimée ne se trouvant pas dans la version du
manuscrit de 1771 qui n’en comprenait que trentedeux, ces textes avaient
donc été interpolés à une date postérieure.(57)
-
- D’après le MS de 1771, les Constitutions avaient été
faites en Prusse et en France et non pas à (14) Bordeaux comme l’indiquaient
le Livre d’Or de Grasse-Tilly et la texte imprimé en 1832.
- Un jour de 1984, le hasard réunit sur mon bureau le texte
des Constitutions de 1762 du manuscrit Francken de 1771 et celui des Statuts
adoptés par la Grande Loge de France en 1763. Je m’aperçus alors avec
stupeur que ces deux textes étaient pratiquement identiques, sauf que
les mots qui s’appliquaient aux loges bleues en 1763 étaient remplacés dans
le MS de 1771 par des mots s’appliquant à des ateliers de hauts grades.(58)
- J’en tirai la conclusion qu’ayant reçu à Saint-Domingue
les Constitutions arrêtées à Paris par la Grande Loge après son départ,
Morin les avait modifiées de manière à en faire le texte constitutionnel qui
servirait à administrer le système de hauts grades qu’il était en train de
créer. Cette création était vraisemblablement postérieure à 1766, car dans
le rituel du grade de Prince du Royal Secret se trouvent des phrases
entières reprises d’un livre attribué à Bérage, imprimé en français à Berlin
en 1766, Les plus secrets Mystères des hauts Grades de la Maçonnerie
dévoilés.
- Le système créé par Morin comprenait trois groupes: les
trois grades symboliques étaient suivis par les onze grades de la Maçonnerie
de Perfection qui se terminait avec le Grand Ecossais ou La Perfection. A
ces onze grades de la Maçonnerie de l’Ancienne Maîtrise, Morin ajouta dix
grades choisis parmi ceux qu’il avait reçus, ou peut-être inventés, depuis
vingt ans. Le plus élevé était le Grand Elu qu’il avait reçu à Paris en 1761
où il venait d’arriver. Pour couronner l’ensemble, Morin créa le dernier
grade du système, le Prince du Royal Secret.
- L’ORDRE DU ROYAL SECRET
- Le 1 juin 1770, un mois après avoir établi un Grand
Chapitre de Princes du Royal Secret à Kingston, Morin décernait une patente
de Prince du Royal Secret à un Maçon de Saint-Domingue, Antoine Charles
Mennessier de Boissy, Sénéchal de la Juridiction Royale de Jacmel, alors
Vénérable Maître de la Loge du Choix des Hommes.
- Le hasard me fit découvrir la transcription de ce
document dans le dernier volume des Official Bulletins de la Juridiction Sud
des États-Unis. Par prudence, je n’en parlai guère, en vertu de l’adage
Testis unus, testis nullus, mais il me semble licite d’en faire état après
avoir trouvé une preuve indirecte de son authenticité.
- Le 24 juillet 1796, Grasse-Tilly, son beau-père Delahogue
et plusieurs autres Maçons français réfugiés de Saint-Domingue, créaient une
loge à Charleston en Caroline du Sud, La Candeur. L’un de ses premiers
membres était un Frère nommé Dominique Saint Paul dont je connais bien
l’activité maçonnique ultérieure. Saint Paul quitta Charleston deux ans plus
tard et retourna à Saint-Domingue. Le 22 décembre 1798, il y recevait une
patente d’Inspecteur. Comme il était alors d’usage, Saint Paul recopia dans
son registre la patente du frère qui l’avait promu au rang d’Inspecteur. Or
ce Frère était Mennessier de Boissy et la patente, celle que lui avait
remise Estienne
Morin, le 1 juin 1770.(59)
- Comme nous ne connaissons aucune patente décernée par
Estienne Morin après qu’il ait élaboré son Ordre en vingt-cinq grades, le
libellé de cette patente acquiert une importance non négligeable. En voici
le début :(15)
Du Grand Orient de Jacmel, isle de & côte de la Partie du Sud de St.
Domingue le 10 me jour du 6me mois hébraïque 1770 et de l’ère chrétienne le
1 er Juin, 1770 [...] Nous les très Ill ustres Princes Sublimes, très
Equitables & V. T. Princes Sublimes Grands
Commandeurs de l’Ordre du Royal Secret, chefs des hommes éclairés en tous
lieux, en vertu du pouvoir dont nous sommes revétus par le plus sage des
sages, le plus puissant des puissans Souverain des Souverains Grand Maîtres
& Grands Commandeurs—
-
- J’espère que vous serez d’accord avec moi pour estimer
que si Morin lui-même écrivait « Nous les très Illustres Princes Sublimes
[...] Grands Commandeurs de l’Ordre du Royal Secret », nous devons suivre
son exemple car c’est lui, n’est-ce pas, qui a créé cet Ordre ?
- NOTES
- 1 Modifiés par le pasteur Rosa, ces grades seront
pratiqués jusqu’à la fi n de la Guerre de Sept Ans par une trentaine de
Chapitres fondés en Allemagne par la Mère -Loge Aux Trois Globes. Ils se
rallieront à von Hund à la fin du Convent d’Altenberg en juin 1764 et
formeront le noyau de l’essor de la Stricte Observance qui se poursuivra
jusqu’à la mort de von Hund en novembre 1776.
2 Hamill 1985: 4.
3 Sur la base de ces archives bordelaises, l’un des membres de ce Comité,
James Fairbairn Smith, publia en 1965 une brochure d’une centaine de pages,
The Rise of Ecossais Degrees, marquée par l’amateurisme et truffée
d’erreurs. A propos de Sitwell qui mourut le 10 juin 1931 à Arcachon, de St.
Claudius, de Sharp, Choumitzky et J. F. Smith, voir Bernheim 1988: 98-104.
4 Voir Bernheim 1979: 142 et Bernheim 1988: 103.
5 Bernheim 1988: 81-82. Bernheim 1993. L’ordre numérique des ‘Documents
Sharp’ montre bien que ceux qui les classèrent ignoraient la signification
du code.
6 Bernheim 1996: 97-101.
7 Bernheim 1974-1988: 129 et 119.
8 SD 2 et 4 transcrits intégralement in Bernheim 1988: 11 4-115.
9 Bernheim 1994: 68-69, d’après Schröder 1806, Materialien I: 144.
10 Bernheim 1974-1988: 178-180.
11 Guilly 1981: 85. Le Garde des Sceaux signataire de ce document, de
Valois, avait également signé le document d’avril 1748 en tant que «
Secrétaire et archivaire ».
12 SD 12, 103, 104 et 14. Bernheim 1988: 87.
13 Bernheim 1998: xxx
14 SD 16 et 117.
15 SD 13. Bernheim 1974-1988: 130-141.
16 SD 30.
17 Transcription manuscrite des procès-verbaux de la loge de Kittlitz,
effectuée en 1842 par Merzdorf (Cirkelkorrespondenz Engbund No 130 -
Hamburger Stadt-Archiv). Schröder 1806, Materialien I: 182.
18 SD 11.
19 Bernheim 1988: 93.
20 Rebold 1864: 91.
21 Guérillot 1993: XII et 179.
16
22 Coutura 1991: 91 et 93 reproduisant le fac -similé de la demande de
passeport de Morin qui se trouve aux Archives départementales de la Gironde,
cote 3E 24413.
23 Choumitzky 1928: 45.
24 Seal-Coon 1976: document N, face à la page 27.
25 J’ai identifié la signature du même Feuillas sur le registre de la loge
Coustos -Villeroy où il reçut les trois premiers grades, le 24 mars 1737
(BN, Registre Joly de Fleury, vol. 184, f° 133 v°).
26 Si le code employé est celui des premières lettres adressées par Feuillas
de Versailles à Bordeaux entre avril et juin 1746, comme il y a tout lieu de
penser. Voir Bernheim 1988: 77, 81-82 et 113.
27 SD 15, lettre adressée à Bordeaux le 16 mai 1750, transcrite in Bernheim
1988: 117 -118..
28 SD 56. Bernheim 1988: 95.
29 Voir Bernheim 1974-1988: 100-101 et Bernheim 1996: 99-100.
30 SD 7. Date codée: ‘17e jour du 9e mois 5748’.
31 SD 6.
32 BN FM2 543. Le Bihan 1967: 390. Bernheim 1988: 87.
33 SD 30.
34 SD 38. du 7 juin 1752.
35 SD 34.
36 SD 45. Bernheim 1974-1988: 142.
37 SD 45. Bernheim 1974-1988: 141-150.
38 SD 56.
39 SD 116.
40 Daruty 1879. 193-196. Bernheim 1986-1987: 247-250.
41 Begemann 1913: 4.
42 Choumitzky 1928. Voir la lettre du 7 mars 1765.
43 Alain Le Bihan fut le premier à mentionner cette correspondance (Le Bihan
1967: 393).
44 Guilly 1992: 87-88.
45 Choumitzky 1928: 43, 44.
46 Le 10 janvier 1797, à Philadelphie, Le Barbier Du Plessis écrira: «
Franckin [Francken] had received
his patent from... Morin, 1762, at the said island of Jamaica. » (NMJ 1876:
19).
47 Résumé de ce que Richardson Wright a découvert sur Francken, décédé le 20
mai 1795 à la Jamaïque, in Bernheim 1986: 11. Voir Bernheim 1995 pour ce qui
concerne l’activité maçonnique de Francken à Albany et en Amérique du Nord.
La lignée qui aboutit au Grand Commandeur du Suprême
Conseil de Charleston en 1801, John Mitchell, commence par Moses Michael
Hays, promu député Inspecteur par Francken.
48 La date 30 juin 1771, indiquée in Hewitt 1977: 210, est erronée ainsi
qu’on peut le constater d’après le fac-similé de la certification finale du
manuscrit reproduit in Jackson 1980: 53 et 1987: 54.
49 Hamill 1984: 201.
50 Lindsay 1958: 73. Lindsay 1961: 100.
51 Pour d’autres détails sur l’économie des MS Francken, voir Bernheim [Eliah
Ben Ramin] 1995: 133 -
137.
52 Reproduction en fac-similé de ce texte imprimé en 1832 en annexe de
Bernheim 1986 -1987: 283-292.
53 Le texte des Constitutions de 1762, imprimé dans le Recueil en 1832, est
presque identique (les différences entre les deux versions sont analysées in
Bernheim 1986 -1987: 33-37) avec celui que contient le Livre d’Or du comte
de Grasse-Tilly, document conservé à la Bibliothèque Nationale sous la cote
FM1 285. Le plus ancien acte de Grasse-Tilly, consigné dans ce Livre d’Or,
est daté du 3
septembre 1796 à Charleston.
- Les deux textes s’accordent pour affirmer que les
Constitutions de 1762 furent faites à Bordeaux par neuf commissaires nommés
par des Princes du Royal Secret.
Les Constitutions de 1762 et celles de 1786 sont liées de manière
indissoluble en vertu du premier article des Constitutions de 1786, libellé
dans la Version Française comme suit : « Les constitutions et les règlemens
faits par les neuf commissaires nommés par le grand conseil des princes du
royal secret en 5762, seront strictement exécutés dans tous leurs points,
excepté dans ceux qui militent
contre les articles de la présente constitution, mentionnés dans ces
présentes. » Dans la Version Latine, cet article est rédigé différemment,
mais son sens est identique. 17
54 Acta Latomorum I: 74 et 76. Bernheim 1988: 74. Thory connaissait une
version du texte des Constitutions de 1762, puisqu’il en reproduisit
l’article II dans Histoire de la Fondation du Grand Orient de France (1812),
pp. 124-127.
55 Hewitt 1977: 208-210. La transcription de Hewitt présentant de légères
inexactitudes, je reprends ici le texte publié in Jackson 1984: 184.
56 Jackson 1980: 256.
57 Bernheim 1984: 165. Bernheim 1986-1987: 32-37.
58 Bernheim 1984: 168-169.
59 OB IX: 170.
-
- BIBLIOGRAPHIE ET ABRÉVIATIONS
- [anon.] 1832. Recueil des Actes du Suprême Conseil de
France . [Précédé d’un Prospectus signé
Charles Jubé, 33e.] O\ de Paris. Imprimerie de Sétier.
AQC. Abréviation pour Ars Quatuor Coronatorum.
Begemann, Dr Wilhelm. 1913. Der Alte und Angenommene Schottische Ritus und
Friedrich der Große .
Bernheim, Alain. 1970. [pseudonyme Henri Amblaine]. ‘Que savons-nous du
Morin de la Patente ?’. In
Renaissance Traditionnelle 3: 208-210.
— 1974. 'Contribution à la connaissance de la genèse de la première Grande
Loge de France'. In:
Travaux de Villard de Honnecourt X: 18-99. - 1988. Réimprimé in: Travaux de
la Loge nationale de
recherches Villard de Honnecourt 17: 55-197.
— 1979. ‘Compte-Rendu de Revues’. In Renaissance Traditionnelle 38: 141-143.
— 1984. 'Une découverte étonnante concernant les Constitutions de 1762'. In
Renaissance
Traditionnelle 59: 161-173.
— 1985. 'Présentation des problêmes historiques du Rite Écossais Ancien et
Accepté'. In Renaissance
Traditionnelle 61: 1-29.
— 1986. 'The Dating of Masonic Records' (Norman B. Spencer Prize Essay
1986). In AQC 99: 9-36.
— 1986-1987. 'Le "Bicentenaire" des Grandes Constitutions de 1786: Essai sur
les cinq textes de
référence historique du Rite Écossais Ancien et Accepté'. In Renaissance
Traditionnelle 68: 241-303,. 69:
29-80, 70: 99-138.
— 1988. 'Notes on early Freemasonry in Bordeaux (1732-1769)'. In AQC 101:
33-131.
— 1993. ‘Répertoire des Documents Sharp, effectué par Alain Bernheim - Mai
1993’. In Renaissance
Traditionnelle 93: 53-58.
— 1994. Les Débuts de la Franc-Maçonnerie à Genève et en Suisse. Genève:
Slatkine.
— 1995. [pseudonyme Eliah Ben Ramin]. ‘Rite Ecossais Ancien et Accepté’. In
Humanismes 220-221:
124-137.
— 1995. 'Questions about Albany'. In Heredom 4 (Washington D. C.): 139-187.
— 1996. 'Did Early "High" or Ecossais Degrees originate in France ?' In
Heredom 5 (Washington D. C.):
87-114.
— 1998. ‘La Stricte Observance’. In Ars Macionica XX: YY-YY.
BN FM. Abréviation pour Bibliothèque Nationale (Paris). Fonds maçonnique.
Choumitzky, Nicolas. 1928. ‘Etienne Morin’. In St-Claudius No 21 Compte
rendu 1927-1928: 25-47.
Clavel, François Timoléon Bègue-. 1843. Histoire pittoresque de la
Franc-Maçonnerie et des Sociétés
secrètes anciennes et modernes. - 1987. Reprint de la 3ème éd. (1844):
Paris: Ed. Artefact, Henri
Veyrier.
Coutura, Johel. 1991. ‘Deux Quercinois aux origines du Rite Ecossais’. In
Chroniques d’Histoire
Maçonnique 44: 89-95.
Daruty J. Emile. 1879. Recherches sur le Rite Ecossais Ancien Accepté .
18
Guérillot, Claude. 1993. La Genèse du Rite Ecossais Ancien et Accepté .
Paris: Guy Trédaniel.
Guilly, René. 1981. ‘Le Registre maçonnique de Messire Jérôme Dulong’ [=
Livre des registres de la
respectable Loge de la Concorde à l'Orient de Beaucaire, commencé le 24 juin
1764] in Renaissance
Traditionnelle 46: 81-90.
— 1992. ‘La Grande Loge de Paris, ditte de France, et les autres grades, de
1756 à 1766 - 3. L'affaire
de la Loge du Parfait Silence à l'Orient de Lyon.’ in Renaissance
Traditionnelle 90: 82-113.
Hamill, John. 1984. ‘A third Francken MS of the Rite of Perfection. In: AQC
97: 200-202.
— 1986. ‘Masonic History and Historians’. In AQC 99: 1-7.
Hewitt, A. R. 1977. ‘The Ancient and Accepted Rite. Another Francken
Manuscript Rediscovered. In:
AQC 89: 108-110.
Jackson, Brigadier A. C. F. 1980. Rose Croix. - 1987. Revised and enlarged
edition.
— 1984. ‘The Authorship of the 1762 Constitutions of the Ancient and
Accepted Rite’. In AQC 97: 176-
191.
Kloss, Dr. Georg. 1844. Bibliographie der Freimaurerei. Frankfurt am Main:
Johann David Sauerländer.
- 1970. Unveränderter Nachdruck. Graz: Akademische Druck - u. Verlagsanstalt.
—. 1848. Geschichte der Freimaurerei in England, Irland und Schottland.
Leipzig: Otto Klemp. - 1971.
Unveränderter Nachdruck. Graz: Akademische Druck - u. Verlagsanstalt.
—. 1852-1853. Geschichte der Freimaurerei in Frankreich. 2 vol. Darmstadt:
G. Jonghaus. - 1971.
Unveränderter Nachdruck. Graz: Akademische Druck- u. Verlagsanstalt.
Le Bihan, Alain. 1967. Loges et Chapitres de la Grande Loge et du Grand
Orient de France (2 e moitié
du XVIIIe siècle). Paris: Bibliothèque nationale.
Lenning, C. 1822-1828. Encyclopädie der Freimaurerei. 3 vol. Leipzig: F. A.
Brockhaus.
Lindsay, R. S. 1958. The Scottish Rite for Scotland. Edinburgh: The Supreme
Council for Scotland. -
1961. Le Rite Ecossais pour l’Ecosse.
NMJ. Abréviation pour Proceedings of the Supreme Council of Sov\ Gr\
Inspectors General, 33°, for
the Northern Masonic Jurisdiction of the United States . Portland 1876.
OB. Abbreviation for Official Bulletin of the Supreme Council of the 33d
Degree for the Southern
Jurisdiction of the United States. Dix volumes parus entre mai 1870 et juin
1892.
Rebold, Emmanuel. 1864. Histoire des Trois Grandes Loges. Paris: Collignon,
Libraire-Editeur.
SD. Abréviation pour Sharp Document. Voir Bernheim 1993.
Seal-Coon, F. W. 1976. An Historical Account of Jamaican Freemasonry.
Kingston: Golding Printing
Service Ltd.
Sitwell, N.S.H. 1927. ‘Some mid-eighteenth Century French manuscripts’. In:
AQC 40: 91-125.
Thory, Claude-Antoine. 1815. Acta Latomorum. 2 vol. Paris: Pierre-Elie
Dufart. - 1980. Slatkine
Reprints: Genève-Paris.
Wright, Richardson. 1939. ‘Henry Andrew Francken’ in Transactions, The
American Lodge of Research,
Free and Accepted Mason. III, Nr. 1 (October 1938-October 1939): 159-161.
19
ANNEXE
[PATENTE DELIVREE PAR ESTIENNE MORIN
A ANTOINE CHARLES MENNESSIER DE BOISSY
A JACMEL, LE 1 JUIN 1770.]
SANTÉ, STABILITÉ & POUVOIR
Du Grand Orient de Jacmel, isle de & côte de la Partie du Sud de St.
Domingue le
10me jour du 6me mois hébraïque 1770 et de l’ère chrétienne le 1er Juin,
1770 : sous la
voûte celeste au point vertical &c &c &c 18 degré 17 min. L. N.
Que la Reédification de l’édifice Saint, commencé au nom & sous la
protection du G.
A. de l’Univers, soit conduite à sa fin parfaite en bénissant nos
entreprises.
&a &a &a
SALUT
FERMETÉ & PUISSANCE.
Nous les t[rès]. Ill[ustres]. P[rin]ces S[ubli]mes, t[rès] Eq[uita]bles & V.
T. P[rin]ces
Sub[li]es G[ran]ds C[omman]deurs de l’ordre du Royal Secret, chefs des
hommes
éclairés en tous lieux, en vertu du pouvoir dont nous sommes revétus par le
plus sage
de sages, le plus puissant des puissans Souverain des Souverains Grand
Maîtres &
Grands Commandeurs—
Déclarons, Certifions & Attestons que le t. r. t. ex[cellen]t t. v[énérab]le
et t.
eq[uita]ble P[rin]ce Antoine Charles Mennessier de Boissy, Sénéchal de la
Juridiction
Royale de Jacmel V[énéra]ble M[aîtr]e actuel de la R. L. du choix des hommes
établis
en cette ville, a été reçu rég[ulièremen]t aux éminents grades de la M[açonner]ie
Sub[li]me depuis celui de M[aîtr]e S[ecre]t jusqu’au 24, & sub[li]me grade
de l’aigle
blanc & noir, qu’il nous a bien prouvé et nous a donné en tous tems des
preuves les
plus satisfaisantes de son zèle pour l’art Roy[a]l et nous [a] édifié par
son amour
fraternel ; à ces causes, voulant recompenser ses vertus l’avons initié au
sub[li]me
grade P[rin]ce G[ran]d C[ommand]eur du R[oya]l S[ecre]t le plus haut, le
plus
eminent et final grade de la Maçonnerie, longtemps enseveli sous les ruines
de nos
anciens Patriarches connu de nous seuls Sub[lim]es P[rin]ces et g[ran]ds
Com[an]d[eu]rs ; voulant en outre donner les plus fortes preuves de notre
sincère
amitié à notre t[rès]. c[her]. et t[rès]. v[énéra]ble P[rin]ce Mennessier de
Boissy en
reconnaissance des services qu’il a rendus à l’art R[oya]l Le créons notre
député
Inspecteur et Grand Commandeur, lui donnons plein et entier pouvoir
d’initier les ff.
M[aî]tres Maçons qu’il jugera la mériter aux sublimes grades depuis le 4me
jusqu’au
24e savoir M[aîtr]e S[ecre]t & Ill. Chev. de l’aigle blanc et noir. Pourvu
toutefois que
ces M[aîtr]es Maçons ayant été officiers d’une loge régulièrement constituée
&
reconnue & dans les lieux seulement où il ne se trouveraient pas d’aziles
sacrés et
sublimes régulièrement constitués des quels ffs il pourra recevoir
l’obligation requise et
la soumission authentique aux décrets émanés des Princes sub[li]mes g[ran]ds
20
C[ommand]eurs du R[oyal]e S[ecre]t toutes fois consultant et appellant à son
aide les
ff. qu’il connaître décorés des sublimes grades :—
Lui donnons pouvoir de créer et constituer les sublimes grades et aziles
sacrés à vingt
cinq lieues de distance d’un grand Conseil Souverain des P[rin]ces Sub[li]mes
et
G[ran]ds C[ommand]eurs du S[ecre]t R[oya]l ; lui donnons par ces présentes
plein et
entier pouvoir de conférer le plus haut et le plus sublime grade mentionné
ci-avant à
trois Chev[alie]rs P[rin]ces Maçons seulement par chaque année, dont il
connaîtra les
vertus et qualités requis pour mériter cette faveur : et à fin que notre t.
c. t. Ven.
P[rin]ce A. C. M. de B. ainsi décoré jouisse en ses qualités des honneurs,
droits
prérogatives, qu’il a si justement acquis et mérités par ses peinibles
travaux dans l’art
R[oya]l lui avons délivrés ces présentes en marge des quelles il a posé
devant nous
sa signature pour lui servir en tous lieux et n’être utile qu’à lui seul—
Lui donnons plein
et entier pouvoir de nommer pour le remplacer dans sa qualité de D[éput]é
I[nspecteu]r et G[ran]d C[ommand]eur, avec tous les pouvoirs qui y sont
attachés tel
frère qu’il jugera à propos le mériter après l’avoir décoré des plus
sublimes grades de
la maconnerie. Prions tous nos R. R. ff. régulièrement constitués répandus
sur les
deux hémisphères de quelques grades dont ils puissent être décorés, soit en
Loges,
Chapitres, Colleges, Conseils Souverains and Sublimes, de reconnaître et
recevoir
notre frère chery et T. ill. P[rin]ce S[ouverai]n and Sub[li]me— en tous les
grades
mentionnés ci-dessus, promettant d’avoir les mêmes égards envers ceux qui
dans nos
orients se présenteront à la porte de nos aziles sacrés munis de pareils
titres
authentiques— Donné par nous Sou[verai]n P[rin]ce Sub[li]me Grand Commandeur
I[nspecteu]r G[énéra]l dans la partie du nouveau monde en cet orient sous
nos
sceaux mistérieux & contre sein de notre grand Sécretaire les jours & an que
dessus
Signé, MORIN,
Grand Insp[ecteu]r G[ra]nd Souv. P[rin]ce de la Maç[onner]ie du R[oyal]e S[ecre]t
Le Jeune DUPARNAY,
G[ran]d Sec[rétai ]re ad hoc P[rin]ce Souv[erai ]n de la Maç[onne]rie,
&c.(*)
(*) Le texte ci-dessus est la copie exacte du document transcrit aux pages
172 -174 de la première partie
du vol. X de l’Official Bulletin de la Juridiction Sud des États-Unis
d’Amérique, parue en juin 1890 à
Charleston (Caroline du Sud). L’orthographe, la ponctuation et la
capitalisation n’ont été ni modifiées
ni modernisées. Les membres de phrases en caractères italiques reproduisent
la disposition
typographique adoptée dans la publication de 1890. Les probables erreurs de
transcription, tel
l’emploi, à deux reprises, du mot anglais and ont été respectées. Les mots
abrégés ont été complétés
[entre crochets] par le présent auteur qui a ajouté, également entre
crochets, l’intitulé du document et
un mot à l’intérieur du texte.