ARTHUR GROUSSIER

1863 - 1957

bulletin du centre de documentation du grand orient de france

SAMEDI 9 FEVRIER 1957.

La Maçonnerie française et le Parti Socialiste (S.F.I.O.), réunis par une même douleur, ont rendu un émouvant hommage à Arthur GROUSSIER lors de sa crémation. Nous en voulons la preuve dans le compte rendu de la cérémonie qui a paru dans «Le Populaire» du 11 février 1957.

Nous avons pensé que tous nos FF... seraient heureux de connaître cet hommage. Le voici

 

Les Obsèques d'Arthur Groussier

LE crématorium du Père-Lachaise était trop petit pour contenir tous ceux qui, samedi matin, avaient tenu à rendre hommage à la dépouille d'Arthur GROUSSIER et à apporter à son fils Jean, et à sa famille, la preuve de leur profonde sympathie.

Autour de Pierre HERBAUT, secrétaire général adjoint du Parti Socialiste S.F.I.O., et de la délégation du Comité directeur — avec Robert COUTANT, Jean-Jacques MARZORATI, Jean TEXCIER, Etienne WEIL-RAYNAL — on reconnaissait André LE TROQUER, Président de l'Assemblée Nationale, Georges BRIAND, directeur du Cabinet de Guy Mollet, M. ANXIONNAZ, secrétaire d'Etat à la Marine, Charles RAFFIN, représentant Albert GAZIER, ministre des Affaires Sociales, Louis HOUY, du Cabinet de TANGUY-PRIGENT, ministre des Anciens Combattants, Betty BRUN-SCHWIG, représentant Jean MINJOZ, secrétaire d'Etat au Travail, PELLAT, représentent Gérard JAQUET, secrétaire d'Etat à l'Information, Edouard DEPREUX, Daniel MEYER, Robert VERDIER, députés de la Seine, Rachel LEMPEREUR député du Nord, Gilberte BROSSOLETTE et Henri BARRE, sénateurs de la Seine, ainsi que d'importantes délégations des Anciens du parti — avec Gilbert NOWINA et Madeleine LORRIS — de la Fédération Nationale des élus socialistes — avec MARZAUK et Charles POT — des élus de la Seine — avec SALLE, GEVAUDAN, PRIOU-VALJEAN, LE GOFF, MENUET, BILLEBAULT — des femmes socialistes — avec Lucienne BORCHIO — des sections de la Fédération de la Seine, précédées de leurs drapeaux, et ayant à leur tête, parmi les membres de la C.A., Mireille OSMIN, LANCELLE, MAURIAC, ALBERTINI, THEODORE — de la Fédération de Seine-et-Oise — de la Haute-Marne, avec LAMARQUE, son Secrétaire fédéral, etc., et le conseil de l'Ordre du Grand Orient de France, conduit par son Grand Maître, M. RAVEL. ([1]).

Avec émotion, Gilbert NOWINA, au nom des vétérans du Parti Socialiste, dont Arthur GROUSSIER avec BRACKE, «fut un peu comme le drapeau vivant» — apporte un dernier salut à notre grand aine, en rappelant la carrière prestigieuse — de près de 75 années — «du grand Socialiste, du grand citoyen qui nous quitte». Il évoque le pionnier du syndicalisme qui fut le fondateur et le premier secrétaire général de la Fédération nationale de la métallurgie. Il montre ce que fut aussi l'action du militant du Parti ouvrier Socialiste Révolutionnaire, voulant ardemment l'unité socialiste, et l'œuvre parlementaire de celui qui restera pour l'histoire le Père du Code du Travail.

Le président des Anciens du parti rappelle encore comment la grande conscience d'Arthur GROUSSIER avait gagné au Parlement le respect unanime de ses collègues, et comment sa simplicité et son désintéressement étaient proverbiaux.

C'est ensuite — lorsque les échos du «Chant des Partisans» interprété à l'orgue, se sont tus — le Grand Maître du Grand Orient de France qui, dans un discours d'une haute qualité philosophique, retrace l'existence de l'homme exceptionnel qui, après avoir été plusieurs fois placé à la tête de la Maçonnerie Française, fut élu en septembre 1945, Grand-Maître d'Honneur à vie. Il fait revivre le pèlerin allant, des années et des années durant, porter des paroles de paix aux quatre coins du Monde et gagnant, partout, des amitiés sincères. Il évoque le philosophe qui, il y a quelques années, à près de 90 ans, dans son étude Philosophie de l'Energie, tentait de jeter un pont entre le matérialisme et le spiritualisme. Il pleure le juste, la grande voix dont «les échos résonnaient à l'audience internationale, pour s'élever sans cesse contre tous les genres de dictature, en faveur de la liberté des peuples, et de la liberté des individus».

Le «Chant des Adieux» s'élève tandis que le Président du Grand Orient de France s'incline devant la famille d'Arthur GROUSSIER. Puis, André LE TROQUER, avec sa chaude éloquence, vient dire «le chagrin qu'éprouvé le parti au moment de la disparition d'un homme qui l'a si grandement illustré». Il met en valeur tout ce que la classe ouvrière doit à celui qui mena «l'assaut contre la société bourgeoise à une époque où elle était plus solide qu'aujourd'hui». Mais si Arthur GROUSSIER mérite qu'on lui rende grâce pour la façon dont il a servi le Socialisme, il faut aussi qu'on sache qu'il fut, en tant que premier vice-président de la Chambre des Députés, un modèle de conscience, à l'objectivité sans faille. Dominant les débats, il savait faire respecter les droits de chacun.

André LE TROQUER évoquant ensuite l'activité du résistant — auquel Léon BLUM, du fond de sa prison, rendait déjà hommage — indique qu'Arthur GROUSSIER imposait tellement le respect que la Gestapo, si elle le vola et le pilla, le ménagea, n'osa pas le toucher.

Lentement, sur un rythme funèbre, les accents de «L'Internationale» s'élèvent, accompagnant les cendres d'Arthur GROUSSIER jusqu'au columbarium du Père-Lachaise où elles reposent maintenant près de celles de Jules GUESDE, de Léon OSMIN et de tant d'autres qui furent ses compagnons.


 

Arthur Groussier

figure de proue du Grand Orient de France ([2])

LE samedi 9 février dernier, au cimetière du Père-Lachaise, eut lieu l'incinération d'Arthur GROUSSIER, décédé à l’âge de 94 ans.

Le Président de l'Assemblée Nationale était présent.

Le Président du Conseil, empêché au dernier moment, s'était fait représenter.

De nombreux et très hauts personnages de l'Etat avaient tenu à être là.

Le Parti Socialiste avait délégué ses membres les plus éminents.

Le Grand Orient de France, derrière la famille, menait le deuil.

Une foule très nombreuse se pressait au cimetière, dont le voisinage avait cet aspect particulier aux manifestations officielles qui se déroulent dans la capitale.

Qui était donc ARTHUR GROUSSIER ?

Au physique, un petit homme, bien proportionné, dont il était impossible d'oublier le visage dès lors qu'on l'avait vu.

Le front, grand, intelligent, dominant des yeux bleus magnifiques, aux lueurs tantôt si douces et tantôt fulgurantes.

Le bas du visage était encadré, prolongé, par une moustache et une barbe tôt blanchies mais d'une longueur inhabituelle, qui lui faisaient une allure absolument particulière.

Silhouette anachronique sans doute, mais forçant le respect, par je ne sais quel fluide qui en émanait et faisait pressentir l'être extraordinaire, l'homme à part des autres hommes, l'homme dont naturellement la place se trouvait dans le haut, sans discussion possible.

Ingénieur des Arts-et-Métiers, Secrétaire de la Fédération Syndicale de la Métallurgie, il est élu en 1893, à 30 ans, député du Xe arrondissement de Paris sous l'étiquette socialiste.

C'est l'époque où ce parti siège à l'extrême gauche.

C'est l'époque héroïque des Edouard VAILLANT, des Albert THOMAS, des Paul BONCOUR, des BRACKE, des Marcel SEMBAT, des Léon BLUM et des JAURES, pour ne s'en tenir qu'à ces quelques noms.

GROUSSIER, au milieu d'une telle phalange, dont tous les membres étaient ses amis, réussit à se tailler une place de premier plan, qui le mène, après des élections successives de 1893 à 1921, à la première vice-présidence de la Chambre des Députés de 1917 à 1921, après qu'il eut été en 1914, vice-président du Comité de Défense du Camp Retranché de Paris.

...C'est alors qu'il démissionne d'une vie publique au labeur énorme, pour raisons de santé : il a 58 ans.

Mais c'est l'heure où commence pour lui une autre grande carrière, et qui le grandira encore.

Il avait été initié en Maçonnerie en 1885 à l'âge de 22 ans.

En 1907, à 44 ans, il était élu membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France.

En 1925, après qu'il eut abandonné la politique militante, il est choisi comme Président du Conseil de l'Ordre, c'est-à-dire Grand Maître du Grand Orient de France : il a 62 ans.

Dire sa vie maçonnique n'a pas sa place dans ce propos radiophonique, où le temps nous est si parcimonieusement mesuré.

Tout de même, peut-on souligner qu'après avoir eu une activité considérable sur le plan international, il avait présidé d'importantes associations et porté si haut le prestige de la France que son nom était connu et respecté dans le monde entier.

Il devait mourir en l'état de Grand-Maître d'honneur à vie, après 50 ans de présence et d'assiduité pratiquement ininterrompue au Conseil de l'Ordre, ou à la Présidence dudit Conseil.

De cette longue vie, qu'aucune tache n'a souillée, se dégage la maxime concrète d'une âme stable, sûre, paisible, qui résonne au dehors, avec la sérénité d'un accord parfait.

De cette longue vie, ressort une grande leçon : une leçon de stricte Maçonnerie, c'est-à-dire : d'humanité, de haute morale, d'équilibre jamais démenti entre une spiritualité entièrement tendue dans le sens de la promotion de l'homme, et son application matérielle, positive, dans les actes et dans les faits.

GROUSSIER, figure de proue de la Maçonnerie française du Grand Orient ?

 Parce qu'entré en Maçonnerie à 22 ans, en politique active à 30, ayant siégé 28 ans au Parlement et 72 sur les bancs de nos Temples, il est impossible de séparer dans sa vie ces deux activités qui se complètent pour former un tout indissociable.

C'est fatalement la Maçonnerie qui a façonné, pétri, imprégné cet homme, c'est elle qui l'a tenu en baleine, elle qui l'a aidé à porter ses regards très loin, et qui, peut-être, aux moments de défaillance ou d'amertume, lui a donné la grande consolation de son enseignement et le soutien moral de son Essence.

72 ans de fidélité à notre Ordre, mais d'une fidélité jusqu'au dernier jour active et influente, écoutée, respectée, si «arbitrale», pourrait-on dire, que le nom de GROUSSIER était inséparable de celui du Grand Orient de France, comme le Grand Orient de France n'arrivait plus à être conçu en dehors de la silhouette, de la présence, de la voix et du nom d'Arthur GROUSSIER... Car elle sut toujours s'élever, cette voix, non seulement pour réclamer la liberté des peuples ou des hommes, mais, dans les périodes difficiles ou dangereuses, pour rassembler ce qui risquait de s'éparpiller, pour maintenir l'équilibre, au juste lieu qu'indiqué la perpendiculaire élevée au-dessus de l'équerre et du compas entrecroisés.

On se rend malaisément compte du progrès social accompli depuis 60 ans, parce que deux guerres ont perturbé la sensation que l'on a de la marche du temps, et bousculé les évolutions en cours.

On a tendance à croire que certaines notions qui paraissent aujourd'hui naturelles ou normales, l'ont toujours été.

On ne se souvient plus des luttes ou des combats qu'il a fallu conduire, sur tous les plans, pour arriver justement à ce que deviennent normales ou naturelles des notions essentielles qui, il n'y a pas longtemps, étaient considérées comme absolument révolutionnaires, dans leur esprit et dans leur application. Or, Arthur GROUSSIER fut l'un des hommes les plus marquants de cette conquête sociale, patiente, obstinée, peut-être pas révolutionnaire au sens violent du terme, mais effective, raisonnée, raisonnable, positive, et par conséquent durable.

Au Parlement, il aurait pu traiter des questions de politique pure, car son éloquence et sa formation l'y préparaient. Mais il préféra s'occuper surtout de questions sociales, notamment de la protection légale des travailleurs, car il savait que c'était dans ce domaine que son action serait le plus utile. Bien entendu, nous n'énumérerons pas ici les détails pratiques de son œuvre parlementaire sous forme de dépôts de projets de lois ou de codifications, pas plus que nous ne donnerons la nomenclature des ouvrages qu'il a publiés. Mais nous pouvons dire que ses efforts concernèrent surtout : la législation prudhommale, avec le repos hebdomadaire, la protection des enfants et des femmes, l'hygiène et la sécurité des travailleurs sur le lieu du travail.

 

 Puis son action se tourna vers l'étude du Contrat Collectif, des conflits industriels, et, surtout, son grand acte dans ce domaine fut le Code du Travail.

Oui : Le Code du Travail... tout simplement... dans lequel sont rassemblés tous les textes qui assurent la protection légale des travailleurs, ou qui leur garantissent tant le droit d'association, que la possibilité de faire juger leurs différends par une juridiction professionnelle.

La grande novation de Groussier était celle de l'affirmation des Droits du Travail.

...Parmi les jeunes de maintenant qui, dans des syndicats ou des partis, de quelque tendance qu'ils soient, militent pour l'amélioration de leur sort, combien se souviennent encore d'Arthur GROUSSIER ? Combien savent seulement ce qu'ils lui doivent ? et combien savent qu'il était Franc-Maçon ?

Presque au terme de sa vie, au soir de sa pensée, pourrait-on dire, ce technicien d'origine s'élevant cette fois au-dessus des contingences immédiates, à près de 90 ans, écrivait un ouvrage : «LA PHILOSOPHIE DE L'ENERGIE» où il tentait, dans un effort de vaste synthèse, de rechercher la liaison systématique entre le matérialisme et le spiritualisme... Et là n'était pas le moindre miracle d'un esprit resté si clair, si lucide, et tant assoiffé de rechercher la Vérité. Le miracle d'un esprit curieux, mais non angoissé, doutant mais non sceptique, à la recherche, sans cesse poursuivie, de la concorde jusque dans les Idées.

Action maçonnique, action sociale, telles furent les deux grandes activités de la vie d'Arthur GROUSSIER.

C'était comme les deux plateaux d'une balance où s'équilibraient le caractère de l'Homme et le style de sa vie.

Comment mieux définir ce caractère, que ne le faisait Léon BLUM, qui disait ceci :

«On ne peut pas connaître GROUSSIER sans l'aimer. On ne peut pas connaître GROUSSIER, sans le respecter. La sincérité du cœur, la droiture de la raison, la pureté de l'âme éclatent sur son visage, transparaissent dans la moindre de ses paroles. On reconnaît en lui l'homme qui «n'a jamais menti, l'homme dont toutes les pensées ont été bonnes, dont tous les actes ont été justes... et l'on sent aussi, sous la tranquillité et la simplicité de l'apparence, l'homme inflexible, incorruptible, qui n'a jamais transigé avec une conviction ou avec un devoir... Personne n'a jamais exercé avec plus d'autorité la fonction difficile qu'il avait à la .Chambre, parce que personne n'a jamais disposé auprès de l'Assemblée entière, d'un plus large crédit personnel. GROUSSIER était le président qu'on ne con- teste pas, dont on ne discute pas le jugement, parce que tout le monde le sait incapable de penser autrement qu'avec rectitude, et d'agir autrement qu'il n'a pensé.»

*

* *

Et comment mieux illustrer le style de sa vie que par une anecdote ? C'était au temps de la Gestapo et où le Gouvernement dit «de Vichy» trouvait en elle un auxiliaire pratique d'exécution à notre égard.

Celle-ci vint très vite arrêter ce Grand Maître de la «Judéo-Maçonnerie toute puissante», comme ils disaient alors. Et ils s'imaginaient sans doute arriver chez un de ces mystérieux potentats occultes de la finance, en un somptueux palais, parmi d'immenses richesses. Peut-être même lui voyaient-ils un front cornu, une petite queue de bouc faisant saillie, au bas du dos, sous le veston... l'homme ainsi défini se mouvant mystérieusement au milieu d'une atmosphère soufrée, diabolique et perverse.

Les hommes de main trouvent une sorte de moine à longue barbe blanche, au regard si clair, dans une chambre aux murs nus, occupé à préparer son repas. Les yeux bleus fixèrent les policiers. Pas un geste. Pas un mot. Nulle protestation. La petite silhouette se dresse. Légèrement voûtée tout de même... car l'homme a 79 ans. Se dresse et dans son silence apparaît tout à coup si grande... qu'on n'osa point le toucher. L'arrêtèrent. Mais le relâchèrent presque aussitôt.

Quelque temps après, au cours de l'interrogatoire d'un de nos frères éminents, l'homme de la Gestapo, venant à citer le nom de GROUSSIER, eut ce mot qui vaut toutes les récompenses du monde : «GROUSSIER ? votre Grand Maître ?... Il vous protège».

Tel était Arthur GROUSSIER, ancien premier vice-président de la Chambre, sous Clemenceau, Grand Maître d'honneur du Grand Orient de France.

GROUSSIER qui vivait avec les seules ressources de sa retraite d'ancien parlementaire, dans une abstinence presque démesurée, qui, voyant à peine, dans les derniers temps, venait par le train, puis à pied, de son petite pavillon de banlieue au centre de la grande ville, où se trouve notre siège, — à pied, sans canne et sans prévenir... pour ne déranger personne.

GROUSSIER qui sut éviter toute sa vie, les honneurs qui enchaînent, les récompenses qu'on sollicite et la prison d'argent.

GROUSSIER... Homme de bien.

Homme sincère au cœur pur.

Grand Maître prestigieux entré vivant dans notre légende.

Homme social avant tout, qui aimait tant les autres hommes et qui fit tant pour eux :

Arthur GROUSSIER, figure de proue du Grand Orient de France.


 

In memoriam

LE Maître est mort... et le ciel s'enténèbre. S'élève dans le Temple l'étrange et sourde rumeur des gémissements informulés. Le Maître n'est plus...

Les Enfants de la Veuve, c'est-à-dire de la Terre, notre mère à tous, sont plongés dans la plus profonde affliction.

A l'appel du nom d'Arthur GROUSSIER, nulle voix ne répondra plus.

On vous a dit, on vous dira encore, sous ses aspects de technicien, d'activité sociale ou militante, la vie passionnante, enthousiaste et bienfaisante.

Mais, parce qu'il fut Franc-Maçon, j'ai le difficile privilège, aujourd'hui, d'avoir' à vous parler d'un aspect moins connu de sa vie — pour les non-initiés —, mais peut-être le plus important.

Arthur GROUSSIER fut reçu dans nos Loges le 25 mai 1885, à l'âge de 22 ans. Avec ses 72 années d'activité maçonnique ininterrompue, il était, sinon le doyen d'âge, en tout cas le doyen d'ancienneté de la Maçonnerie Mondiale.

Grand Maître du Grand Orient de France pour la première fois en 1925, à 62 ans, il établit une sorte de record en étant réélu quatre fois, totalisant douze années de présidence effective, pour terminer en septembre 1945 comme Grand Maître d'honneur à vie.

S'il témoigna, au début, une sorte de désaffection pour ce que nous appelons les Ateliers de Perfectionnement, il devait, par la suite, franchir leurs degrés à une cadence particulièrement inaccoutumée.

Il eut, dans cette voie, une ascension non moins brillante, puisqu'il atteignit très vite le premier fauteuil du Grand Collège des Rites, qui est notre Suprême Conseil, ou Académie spirituelle.

Dans cet aréopage fermé, aux méthodes particulières, où l'on s'occupe des hautes sciences de l'Art Royal, il termina sa carrière active avec le titre de Grand Commandeur ad vitam, 1925-1957 : 32 ans, pendant lesquels — sauf aux périodes d'inter exercice réglementaires — scintilla sur ses épaules le prestigieux cordon, si délicat et si lourd à porter, mais, s'agissant de lui, il est permis de se demander aujourd'hui lequel, du cordon ou de l'homme, donna à l'autre, plus de valeur exhaustive. Car c'est la Maçonnerie tout entière, à cette heure, dans le monde comme en France, qui pleure la disparition de cet homme exceptionnel, dont c'était le destin d'entrer vivant dans notre Histoire.

L'aspect maçonnique de sa vie fut sans doute le plus important, car il est impensable qu'entré si jeune dans l'Ordre, il n'en ait pas été marqué jusqu'aux profondeurs les plus subtiles de son être.

Imprégné de nos enseignements, de notre morale, de notre manière de sentir, de penser et d'agir, Arthur GROUSSIER transposa toute sa vie, dans son action publique et son activité sociale, ce qu'il avait acquis chez nous.

Quel plus bel hommage pouvait être rendu à ses qualités de Maçon, au travers de son comportement humain, que celui de Léon BLUM qui disait de lui :

«...On ne peut pas connaître GROUSSIER sans l'aimer. On ne peut pas connaître GROUSSIER sans les respecter. La sincérité du cœur, la droiture de la raison, la pureté de l'âme, éclatent sur son visage, transparaissent dans la moindre de ses paroles. On reconnaît en lui l'homme qui n'a jamais menti, l'homme dont toutes les pensées ont été bonnes, dont tous les actes ont été justes... et l'on sent aussi, sous la tranquillité et la simplicité de l'apparence, l'homme inflexible, incorruptible, qui n'a jamais transigé avec une conviction ou avec un devoir.

«...Personne n'a jamais exercé avec plus d'autorité la fonction difficile qu'il avait à la Chambre, parce que personne n'a jamais disposé auprès de l'Assemblée entière, d'un plus large crédit personnel. GROUSSIER était le président qu'on ne conteste pas, dont on ne discute pas le jugement parce que tout le monde le sait incapable de penser autrement qu'avec rectitude, et d'agir autrement qu'il n'a pensé.»

II y a trois semaines à peine, il me disait que lorsqu'il eut atteint la dignité suprême de notre Ordre, il dut choisir entre ses activités. Son choix fut vite fait. Il abandonna la vie publique afin de pouvoir se consacrer exclusivement aux tâches multiples, si diverses, si hautes, de 'la fonction de Grand Maître, et à l'œuvre qu'il avait entreprise sur le plan international.

...C'était la grande époque de la Société des Nations. Il avait rêvé d'une union parallèle, à action juxtaposée, dans le monde maçonnique. Il fut le pèlerin, des années et des années durant, le pèlerin qui va, portant la parole aux quatre coins du monde, le pèlerin qui voulait rassembler.

...Rassembler toutes les pierres éparses, pour, après les avoir harmonieusement taillées et accumulées avec des gens sincères et loyaux, édifier le Temple Idéal de l'union des nations, dans la Paix et la Fraternité des Hommes.

Il fut l'un des artisans d'une Association Maçonnique Internationale importante, aux destinées de laquelle il devait présider à plusieurs reprises, et qui ne devait disparaître qu'en 1940.

Il avait acquis un tel prestige, une telle audience internationale, que les Maçonneries de pays aussi divers que ceux du Proche-Orient, du Levant, des Balkans, de l'Europe Centrale, de l'Amérique Centrale ou de l'Amérique latine, l'avaient choisi pour être leur Garant d'amitié auprès du Grand Orient de France... et sans doute, n'est-il pas interdit de rappeler qu'il y a huit ou neuf ans environ, la Maçonnerie hongroise lui adressait un cordon d'honneur en gage d'amitié et témoignage d'affection.

Pourquoi Arthur GROUSSIER avait-il cette confiance et cette autorité ? Pourquoi cet ascendant ?

C'est ici que se place — après notre action insondable et certaine — le mystère du caractère de l'homme, de l'éclat de ses yeux, du son de sa voix, et de son style de vie.

Toujours, de tout temps, il fut «jeune».

Il y a quelques années seulement, n'écrivait-il pas un ouvrage intitulé :

La Philosophie de l'Energie

où, à près de 90 ans, il tentait de jeter un pont entre le matérialisme et le spiritualisme, dans un essai de synthèse absolument remarquable, qui prouvait que rien, dans l'évolution des doctrines scientifiques et philosophiques du demi-siècle écoulé, ne lui avait échappé ?

Une telle leçon de jeunesse et de fraîcheur intellectuelle, impose son signe à toute une vie.

Il était équilibré et juste.

Quelle meilleure preuve en donner, que de se reporter à l'année 1944 de notre Libération, avec l'atmosphère passionnée qui la caractérisait, où il fallait posséder une autorité personnelle unique pour promouvoir notre renaissance dans la sérénité, et où, l'Ordre choisit de se redonner comme président Arthur GROUSSIER, qu'il élevait, un an après, à la dignité de Grand Maître d'honneur à vie.

Dénudée, volontairement ascétique, sans fioriture, sa vie simple commandait le respect qu'on accorde aux choses dépouillées, strictes et droites.

L'ennemi lui-même, en des heures où il ne pardonnait guère, ne put s'empêcher de le laisser paraître et de le témoigner.

Et le regard si clair de ces yeux bleu d'azur à l'immense pureté, qui étaient, sur ce grand cœur, des fenêtres entrouvertes.

Alors, restait la voix !

Elle s'éleva toujours, cette voix, à l'aube des subversions spirituelles généreuses ;

Elle clamait, dans les Assemblées générales, comme au sein des Conseils administratifs, les accents d'une conviction profonde en la possibilité de mieux faire toujours, d'aller plus loin ;

Elle disait, cette voix, que rien n'est possible sans le don total de soi à l'œuvre envisagée, et que l'on n'avait rien donné encore si l'on n'avait pas donné tout...

...Une grande voix s'est tue, dont les échos résonnaient à l'audience internationale, pour s'élever sans cesser contre tous les genres de dictature, en faveur de la liberté des peuples et de la liberté des individus.

La mince silhouette physique d'un homme prestigieux s'est évanouie, qui était devenue légendaire.

Avec elle, une page est tournée de notre destin.

De son temps, ce destin se confondit souvent avec celui de notre pays.

Toute une époque d'influence dans les grands desseins, s'envole en fumée, où la voix de la France, qui pesait lourd alors dans le monde, et celle de la Maçonnerie française derrière elle, avec et par LUI, lançait aux peuples ensanglantés des paroles d'espoir, des paroles de lumière.

On ne les a pas crues, ces paroles, car elles venaient trop tôt, dans un monde inaccoutumé au désintéressement, qui a pris l'habitude de ne plus rien faire sans y être contraint.

Mais GROUSSIER a eu le temps de voir qu'il avait eu raison, parce qu'il avait jeté ses regards bien au-delà des objectifs limités et restreints de toutes les politiques sans prévoyance et sans grandeur.

Il avait raison :

— car il croyait d'abord en notre propre force ;

— car il n'avait jamais pratiqué cet oubli tout à coup monstrueux de la qualité même de l'homme..., parce qu'il refusait les justifications algébriques ;

— et qu'il pensait aussi que, seule, la lutte de tous les jours, la nécessité de vivre — qui ne laissent pas le temps des regrets — empêchent les hommes de tomber dans le désespoir.

GROUSSIER, mon bon Maître, GROUSSIER, Sérénissime Grand Maître du Grand Orient de France, Adieu.

Partant pour l'Orient Eternel, tu as voulu retourner à la nature par le moyen du Feu,

— parce que le Feu purifie tout,

— parce que c'est des cendres que renaît le PHENIX : Oiseau de tous les commencements, symbole de l'immortel Génie de l'Homme,

Oiseau de sang, Oiseau de Feu, Symbole de la Lumière.

Sans doute, avant de nous quitter, as-tu connu le Grand Secret ; sorte de symphonie j'imagine, trop parfaite et trop haute pour notre oreille, celle-là même qu'aucune créature ne peut entendre sans mourir ?

Alors, parce que tu restes soudé à nous dans la grande chaîne sans fin du devenir de l'homme, j'associe ta présence à mon dire d'aujourd'hui.

*

* *

Que l'harmonie, l'union et la concorde soient à jamais le triple ciment de nos Œuvres communes,

Que rentrés dans le Monde, on reconnaisse toujours à la sagesse de nos discours, à la convenance de notre maintien, à la prudence de nos actions, que nous sommes tous les vrais Enfants de la Lumière.

A la nature..., dont nous sommes issus, dans laquelle nous vivons sans encore bien la pénétrer,

Aux Vertus Inconnues,

A la vie,

A tous les Etres qui la manifestent,

A la Science notre Foi,

A la Justice notre Espérance,

A l'Amour notre Charité.

Adieu, petit homme ténu, qui tant illustra la faiblesse et l'inanité des apparences physiques devant la seule chose valable et qui compte et qui dure par le sillage d'étincelles derrière elle laissé :

La flamme de l'Esprit que l'amour des Hommes alimente sans cesse.

Adieu, Vénérable Patriarche, guide sûr et fidèle

Grand Maître GROUSSIER, mon Frère Bien-Aimé, adieu...

...La Mort de l'Homme Juste c'est la Fin d'un beau jour.


 

Hommage du Grand Collège des Rites

par son T P Souverain Grand-Commandeur

NOTRE B... A... et T... Ill... F.... Arthur GROUSSIER, notre Maître à tous, vient de passer à l'Or Eternel.

C'est une grande figure qui disparaît et dont la disparition met en deuil non seulement le Gr... Or... de France, mais aussi la Mac Universelle, car peu de Mac ont, aussi longtemps et aussi bien, représenté partout l'Idéal Maç....

Quelques semaines avant sa mort, il siégeait encore au G... Coll... des Rites et donnait son avis sur les questions à l'ordre du jour avec une étonnante lucidité.

Les Membres du Gr... Coll... des Rites ne pouvaient supporter cette brusque disparition sans éprouver un immense chagrin et sans le manifester. Ils ne pouvaient laisser passer cette triste et ultime occasion d'exprimer leurs sentiments d'affectueuse admiration pour ce grand homme de bien, dont le souvenir restera, à jamais, gravé dans notre esprit.

Sa tâche est terminée ; il nous laisse son exemple.

En ces temps troublés, où le progrès moral n'a pas suivi celui de la science, c'est un adoucissement à notre peine que d'avoir vu, au Père-Lachaise, une foule nombreuse venir lui dire adieu. Les délégués les plus représentatifs de l'Assemblée Nationale, du Parti S.F.I.O., de toutes les Obédiences Mac sont venus retracer, avec une émotion bien justifiée, la vie exemplaire de notre cher disparu.

Au cours de sa longue vie, partout où il passe, il ne voit que des êtres humains à aider, à soulager, à consoler, malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes, malgré leurs injustices !

Sa carrière politique le met en contact avec des hommes les plus divers, d'opinions opposées, souvent d'un sectarisme odieux. Dans la fougue de sa jeunesse idéaliste, il veut qu'on supprime l'armée et les tribunaux ! Générosité sans bornes d'une âme pure et naïve !

Ses discours sont écoutés dans le silence, presque religieusement ; il sait charmer son auditoire et le convaincre, non pas en s'adressant particulièrement à la raison, mais parce qu'il a le don d'émouvoir ! Il les termine généralement par un vibrant appel à l'union et à l'amour fraternel en des termes si touchants qu'en général, irrésistiblement, tous se lèvent et l'applaudissent.

Non conformiste et respectueux des convictions d'autrui, Arthur GROUSSIER était conscient de sa singularité qui ne choquait personne, tant était riche en délicatesse son exceptionnelle personnalité, si fortement et si humainement attachante.

Il n'était pas non plus de ceux qui reculent, qui changent ou qui désertent, pas plus qu'il ne transigeait avec sa conscience, si peu que ce fût.

Après avoir abandonné la politique, ou presque, sa vie se joua définitivement, sans réserve, sans rétractation, de tout son cœur, dans la ligne Maç.. , qu'il ne quitta qu'à sa mort.

Elevé au 33e degré en 1925, il fut élu membre du Conseil de l'Ordre, puis Gr Maître à plusieurs reprises. Appelé également à siéger au Gr... Coll... des Rites, il y prit tout de suite une part très active...

Nommé Gr... Com... en remplacement de notre regretté F... POURIAU, il dirigea les séances avec une remarquable compétence, aussi bien dans les questions administratives ou techniques que dans les relations humaines ou inter obédientielles, se dépensant sans compter pour le bien de la Maç....

Jusqu'à son dernier jour, il a clamé son optimisme, sa certitude dans le progrès moral, du rôle majeur de notre Ordre pour un avenir meilleur, basé sur la compréhension mutuelle et la fraternité universelle. Cette certitude et cet enthousiasme, il savait les communiquer aux autres.

Agé, très âgé, il ne fut jamais vieux, jamais découragé. L'espérance était enracinée dans son cœur, même pendant l'occupation, alors que les Allemands le menaçaient.

En 1952, devenu presque aveugle, il est obligé d'abandonner ses hautes fonctions de Gr Com pour les remettre à notre B... A... et T... I11... Fr... SOUBRET.

Il continue, néanmoins, à participer au trav du Gr... Coll.... Il y prend même une part active et ses suggestions sont toujours très favorablement accueillies.

Mais .pour, parler ce langage Maç..., qu'il connaît bien, pour crier la vérité, pour protester, pour convaincre, s'indigner et, ensuite, agir, quelle discipline personnelle on doit s'imposer, que de renoncements il faut accepter, de quelle trempe il faut être !

Aussi inspirait-il à la fois le respect et l'affection.

Des Amis m'ont demandé d'écrire ces quelques lignes. J'ai accepté cet honneur en cédant à l'amitié. Mais je crains d'avoir trahi l'un et l'autre; d'avoir mal rempli la délicate mission de parler d'un homme qui m'a surpassé, qui fut mêlé à la politique et vice-président de la Chambre des Députés, qui est resté 72 ans dans nos Ateliers, qui a occupé les postes les plus élevés de notre Ordre, enfin, un Chef remarquable d'intelligence et de sagesse.

Personnellement, j'ai eu l'honneur et la joie de vivre, pendant huit années, auprès de cette puissante personnalité, aux allures de patriarche, d'écouter ses avis, ses conseils, de connaître le fond de ses pensées et un peu de sa vie secrète.

Dans l'avenir, c'est encore lui qui restera notre guide pour faciliter l'accomplissement de notre mission maç..., en suivant son exemple, c'est-à-dire en donnant, comme lui, aux FF qui nous entourent, le meilleur de nous-mêmes.

Ainsi, nous l'espérons, tout sera fait selon ses dernières volontés. Gémissons... Gémissons... Mais, surtout, espérons !

Un livre capital de notre F Arthur Groussier

Alors que notre F... Arthur Groussier vient de passer à l'O... d'où nul n'est jamais revenu, il n'est pas inutile de rappeler que, dans l'Ordre, son activité ne s'est pas limitée à l'administration du G... O..., au rôle représentatif qui est celui d'un Membre du Conseil de l'Ordre et d'un Président de ce Conseil, en France et à l'étranger. S'il est bon de répéter que ce socialiste convaincu, ce parlementaire estimé de tous, ce Maçon d'une haute moralité, à l'intelligence si claire, était une des grandes figures de la Maçonnerie internationale, il est certainement nécessaire d'ajouter qu'il a considéré comme un devoir parmi les charges qu'il a si souvent et si bien remplies, de tenter d'organiser les archives de l'Ordre. Surtout il a essayé, avec les moyens réduits dont il disposait, de les faire connaître aux FF..., d'intéresser à l'histoire du G... O... et les Maçons et les profanes.

Et, de novembre 1928 à mars-avril 1934, Groussier va faire paraître, dans le Compte Rendu des Travaux du G O , toute une série de renseignements précis et de documents, tirés des archives de l'Ordre. Il y ajoutera des Notes établies avec un soin scrupuleux et une impartialité remarquable, notes qui restent toujours utiles à consulter.

Les Procès-verbaux des dix-neuf séances de la Grande Loge Nationale de 1773 (5 mars - ler septembre), première Assemblée Générale réelle de l'Ordre en France, figurent dans la suite de ces publications avec des notes, des références et des documents annexes. L'ensemble, avec les 34 pages d'une introduction digne d'un véritable historien, a paru en 1931 sous le titre de Constitution du Grand Orient de France par la Grande Loge Nationale, 1773 (Paris, in-8° de 264 pages).

 Nous avons là, grâce à notre grand disparu, tous les documents qui permettent de se rendre compte de la réforme rie caractère démocratique réalisée sous la direction du grand seigneur libéral que fut le duc de Montmorency-Luxembourg, par la volonté de la majorité des députés des Loges. La citation d'un passage de l'Introduction vaudra un long commentaire pour nous fixer sur la valeur historique certaine de ce livre du grand Maçon qui vient de disparaître :

Nous avons constaté, non sans surprise, que les auteurs qui ont traité de la fondation du G O D F , ne paraissent pas avoir consulté les procès-verbaux originaux qui relatent cet événement.

Aussi avons-nous pensé que, pour la vérité historique, il y avait intérêt à les publier in-extenso ainsi que les principaux documents favorables ou défavorables qui leur ont été annexés.

Commençons, les uns et les autres, par rechercher et rassembler les pièces capables d'éclairer nos Annales, comparons celles qui sont relatives aux mêmes faits, après avoir vérifié leur authenticité, discutons-les en tenant compte de la confiance que l'on peut accorder à ceux qui les ont rédigées, et jugeons-les en nous efforçant de nous inspirer des idées et des mœurs de l'époque, sans oublier de donner aux mots le sens qu'ils avaient alors.

Cette tâche préliminaire accomplie, il sera peut-être possible de tenter d'écrire la partie de notre histoire qui précède le XIXe siècle.

Quelques textes d'Arthur Groussier

NOTRE T... Ill... F...Groussier écrivait peu. C'était un administrateur de qualité, un manieur d'hommes, un propagandiste et un «debater» de grande classe. Il aurait pu dire, comme certains animateurs ou comme certains apôtres du Verbe, qu'il écrivait par personnes interposées, tellement étaient nombreux ceux qui, après l'avoir écouté, écrivaient notes, articles, études. Son Verbe rayonnant, son Amour et sa Foi les avaient inspirés.

Aussi, de ce verbe créateur, il ne nous est que peu resté, et c'est maintenant que nous comprenons combien nous avons été légers de laisser perdre sa Parole magnifiante.

La bonté native de Groussier l'avait conduit à la passion de l'unité maçonnique. Unité nationale, unité internationale... quel infatigable pèlerin ne fut-il pas ? C'est pourquoi nous reproduirons ci-après, et d'abord, trois textes sur ce sujet toujours d'actualité.

Ce premier texte est une conférence prononcée le 26 novembre 1930 à la R:. L:. «Le général Peigné» (G.L.D.F.). A ce moment, certains avaient pu croire qu'il y avait, disons un malentendu entre les deux Obédiences. Groussier en souffrit, et très rapidement s'employa à clarifier le problème.


 

L'Unité de la Maçonnerie en France

ALLOCUTION DU T... C... F... Gabriel SCELLIER, Vén...

Mon T... C... F... Groussier,

Je suis très heureux de vous recevoir, ce soir, parmi nous. Les membres de cet At vous ont voué toute l'estime et toute l'affection que vous méritez par vos qualités de grand Maçon et d'homme politique, auquel les farouches adversaires, dans la vie profane, sont obligés de rendre hommage en raison de votre probité et de votre loyauté.

Votre activité dans la vie profane, comme celle que vous déployez dans la grande famille maçonnique, est le plus bel exemple dont tout Maçon doit s'inspirer pour s'y conformer dans la vie.

Depuis la manifestation de Belgrade, où vous avez été si chaleureusement accueilli et si bien compris, même par le public profane, qui vous a entendu, vous n'avez cessé de vous intéresser à l'activité de notre L fondée par des Français et des Serbes, pour éduquer, dans l'esprit maçonnique, les jeunes intellectuels des pays de l'Europe Centrale et des Balkans, afin de leur permettre, au retour dans leur pays respectif, d'être les pionniers de la Maçonnerie universelle.

Vous nous avez toujours honorés de votre présence à nos fêtes de famille, au cours desquelles nous avons eu le bonheur de vous entendre, d'apprécier la générosité de votre cœur et votre talent de grand orateur.

Nous sommes très touchés que vous ayez accepté de venir, ce soir, nous parler du problème qui intéresse au plus haut point la Maçonnerie française. Une voix aussi autorisée que la vôtre ne peut qu'influer, d'une manière prépondérante, sur les esprits de tous les Maçons.

Votre exposé ne manquera pas de susciter de mûres réflexions chez nous tous et vos suggestions seront certainement examinées exclusivement au point de vue de l'intérêt général de la Maçonnerie en France.

Pour nous, qui avons dans notre At..., des membres actifs du G... Or... de France et de la G... L... de France, et qui entretenons des relations internationales, dans les limites que nous permettent les Règlements Généraux de la G... L... de France, nous considérons que si la Maçonnerie française est divisée au point de vue purement administratif, elle ne l'est pas au point de vue de l'idéal et des principes fondamentaux qui nous régissent en commun. Nous entendons rester fidèles à cette manière de voir et si, pour des causes qui me paraissent impossibles à se produire, nous étions obligés de le faire, nous ne manquerions pas d'affirmer cette conviction qui nous anime. Toutes les Maçonneries de l'univers ont un idéal commun et toutes tendent leurs efforts vers la réalisation de cette unité universelle. C'est un fait. Il serait donc inconcevable que la Maçonnerie française, au lieu de travailler à réaliser l'unité chez elle, s'engageât dans une voie de désunion.

Cette déclaration faite, je vous souhaite la bienvenue et vous prie de prendre la parole pour la conférence que vous voulez bien nous faire.

Le F... Arthur GROUSSIER prend alors la parole :

TTV... CC... VV... et TT... CC... FF...,

Je remercie bien vivement la R L «Le général Peigné» et son excellent V de m'avoir aimablement invité à traiter devant vous de l'Unité Maçonnique, sujet qui, comme vient de l'affirmer avec tant de force notre éminent F... Scellier, doit intéresser la Maçonnerie Française tout entière.

En ce moment, je n'occupe aucune fonction au G... O... et personne ne m'a donné mandat. Je parle simplement en mon nom personnel.

Je tiens, tout d'abord, à dissiper un malentendu.

Certains FF... ont cru que le Convent du G... O... de France, en même temps qu'il dénonçait les Conventions réglant ses rapports avec deux Obédiences françaises, avait envisagé des mesures de pression sur la G... L... de France pour l'obliger à l'unité.

C'est là une erreur.

Les arguments présentés à l'appui du décret de dénonciation ont dû être mal interprétés ou mal rapportés, mais j'affirme que le décret seul dont vous connaissez les termes a été soumis aux délibérations du Conseil de l'Ordre et de l'Assemblée générale.

Sans doute, j'ai déclaré que, personnellement, j'étais prêt à me rendre dans les ateliers du G... O... ou de la G... L..., à Paris ou en province, pour y exposer la nécessité de l'Unité Maçonnique en France, mais tout Maçon a bien le droit, il me semble, de présenter et de défendre des idées qu'il croit justes, et c'est bien mal me connaître que de qu'à l'état d'unité.

En Roumanie trois Obédiences se sont, longtemps, haineusement attaquées, mais deux d'entre elles ont déjà réalisé leur union et il semble que, se conformant aux conseils de l'A... M... I... tous les Maçons roumains se préparent à parachever cet effort d'unité.

L'A... M... I... a eu aussi à se préoccuper des difficultés nées entre deux de ses adhérents : les Puissances maçonniques espagnoles.

Parlerai-je des Maçons italiens, douloureux exemple du danger que, dans certaines périodes de réaction politique peut faire courir à la Maçonnerie, la coexistence de plusieurs Obédiences dans une même Nation ?

L'opposition entre le G... O... et la G... L... d'Italie n'a-t-elle pas favorisé le fascisme et aidé celui-ci à les briser l'un et l'autre ? Faut-il rappeler qu'au moment où l'oppression sévissait si cruellement contre le G... O... d'Italie, alors que des Maçons américains indignés, tentaient d'élever la voix en sa faveur, il s'est trouvé à la tête de la G... L... d'Italie, un G... M... assez vil pour s'efforcer de les en dissuader, en prétendant que les membres du G... O.... n'étaient pas de véritables Maçons ?

Remarquez que les difficultés naissent surtout entre des Obédiences que rapproche leur idéal commun mais dont le désir de fraternité universelle n'est pas assez puissant pour les inciter à abattre les barrières dressées entre elles.

Quoique paraissant moins vives, les mésententes ne surgissent pas moins, lorsque le nombre des Obédiences est plus élevé dans un même Etat.

En Allemagne, il existe neuf Obédiences actuellement reconnues comme régulières formant deux groupes, un moment rapprochés sous l'influence d'un grand Maçon et s'ignorant à nouveau depuis sa disparition : les trois GG... LL... prussiennes et les six GG... LL... Humanitaires. Trois de ces dernières se préparent toutefois à s'unifier.

Mais, cette dispersion de la souveraineté maçonnique en Allemagne m'apparaît comme une des principales causes de l'hésitation des GG... LL... Humanitaires à entrer en relation avec la Maçonnerie française.

J'ai eu l'occasion de converser avec quelques-uns de leurs principaux représentants, favorables à ce rapprochement, mais qui n'osaient en prendre l'initiative, par crainte d'être critiqués vivement par ceux des Maçons que les fluctuations de l'esprit public allemand préoccupent davantage que la nécessité impérieuse de réconcilier les peuples.

Sur ce dernier point, seuls jusqu'à ce jour, ont pris hardiment position, des Maçons allemands que ces Obédiences se refusent à reconnaître.

D'aucuns prétendent que la diversité des Obédiences a le grand avantage d'exciter leur émulation.

Les offices que j'ai occupés m'ont activement mêlé au monde maçonnique national et international, et j'ai eu le regret de constater que le désir de prééminence, qui peut être légitime en soi, pousse trop souvent, sinon les Obédiences elles-mêmes, du moins certains de leurs membres à user de procédés peu fraternels à l'égard des Obédiences qu'ils considèrent comme des rivales de leur Ordre.

Les avantages, s'il y en a, sont largement dépassés par les inconvénients.

La lutte d'influence n'est pas, ne peut pas être un facteur d'union de la fraternité.

On compte, en France, quatre Obédiences : la G... L... Nationale, le Droit Humain, la G... L... de France et le G... O....

La G... L... Nationale de France, qui est une filiale de la G... L... d'Angleterre, n'a pas de relations avec les autres Puissances Maçonniques Françaises et ne cherche pas à en avoir.

Le Droit Humain est une Obédience Mixte Internationale qui admet les deux sexes à participer à ses travaux.

La G... L... et le G... O... sont seuls adhérents à l'A... M... I....

Il y a actuellement, entre le Droit Humain et l'A... M... I..., une divergence fondamentale puisque celle-ci n'admet pas l'entrée de la femme dans nos Temples.

Mais existe-t-il des différences essentielles entre le G... O... et la G... L... ? Les obstacles qui les séparent sont-ils insurmontables ? Je ne le pense pas.

Maçons de la G... L... et Maçons du G... O... lors de votre initiation, connaissiez-vous les différences qui peuvent exister entre ces deux Obédiences ? Votre choix était-il réfléchi ? Evidemment non.

La plupart d'entre vous, comme moi-même, nous avons été présentés à l'une ou à l'autre Obédience, suivant le hasard de nos relations.

Nous avions simplement le désir d'appartenir à la Franc-Maçonnerie dont nous entrevoyions la haute mission de perfectionnement moral et social.

Lorsque des Maçons de la G... L... et des Maçons du G... O... se réunissent pour former une nouvelle Loge, osera-t-on prétendre que ce sont des considérations philosophiques ou symboliques qui les inclinent à demander une constitution à l'une des Obédiences de préférence à l'autre ?

D'autre part, si les divergences doctrinales, entre ces deux Puissances étaient réelles ou profondes, un .Atelier de la G... L... et un Atelier du G.'. O... pourraient-ils travailler ensemble ? Or il en est qui initient en commun.

Les principes de nos deux Obédiences sont-ils en opposition lorsqu'un Vé.... du G... O... reçoit un profane au nom de la G... L... ou inversement ? Et, s'il est vrai, que ces principes diffèrent au point de ne pouvoir être rapprochés dans une juridiction unique, comment peuvent-ils se concilier dans l'esprit des nombreux Maçons qui appartiennent en même temps à l'une et à l'autre Obédience ?

J'ai beaucoup visité la province pendant ces dernières années. Combien ai-je rencontré de Vén... et de FF... de la G... L... comme du G... O... qui considèrent que les uns et les autres nous ne formons qu'un grand Corps Maçonnique ? Et il est exceptionnel que les hostilités qu'on rencontre trop souvent dans certains OO... entre Ateliers des deux Puissances aient comme origine des divergences rituelles ou doctrinales.

Mais si à la base, les Maçons des deux Obédiences ont le plus souvent des conceptions communes, si leurs Loges dans un même Orient se rapprochent et, parfois, se pénètrent, les différences s'accentuent lorsqu'on s'élève vers les hauts offices. Les deux têtes de ce Corps Maçonnique n'ont-elles pas tendance à se devancer, à se dépasser en influence ? Ne sont-elles pas tentées, l'une et l'autre, d'exagérer mutuellement leurs défauts, montrant ainsi aux Puissances Maçonniques étrangères une image amoindrie et déformée de la Maçonnerie française ?

Il faut cependant reconnaître que les représentants de la G... L... et ceux du G... O... se sont montrés parfaitement corrects au sein du Comité consultatif de l'A... M... I....

Seulement, l'action extérieure de nos Obédiences n'est pas conduite uniquement par les Chefs d'Ordre et elle s'exerce sur un champ autrement vaste que le Comité consultatif.

Ne devrions-nous pas tous penser que si nous montrons nous-mêmes l'une quelconque de nos Obédiences sous un jour défavorable, oubliant qu'elle aussi doit bien avoir ses qualités, ce n'est pas seulement celle-ci qui se trouvera diminuée, mais le Corps Maçonnique français tout entier ?

Et je suis persuadé que, considérant l'intérêt général de la Maçonnerie, nos meilleurs amis de l'étranger qui nous connaissent sont unanimes à souhaiter notre Unité.

Pour réaliser l'Unité, il faut la vouloir fortement et être prêts à lui faire des sacrifices de part et d'autre.

Est-ce impossible ?

Le groupement d'ateliers, dont chacun a sa physionomie propre résultant de l'ensemble des Maçons qui le composent, constitue évidemment des Obédiences de nature distincte, mais il y a généralement plus de différence entre un atelier de province et un atelier de Paris, ou entre un atelier du Midi et un atelier de l'Est ou du Nord de la même Obédience qu'entre deux ateliers voisins rattachés chacun à une de nos deux Obédiences.

Les divergences rituelles se constatent plus aisément entre ateliers d'une même Obédience .qu'entre les deux Obédiences prises dans leur ensemble, et si nos deux Puissances Maçonniques ont des modalités particulières d'organisation, ce sont là distinctions qui m'apparaissent bien secondaires.

Je ne méconnais pas cependant que les difficultés à résoudre ne soient nombreuses ; il y en de divers ordres.

Elles seront insolubles si l'on ne fait pas des deux côtés un effort de conciliation fraternelle, si chaque Obédience entend doter l'Unité des seuls caractères qui lui sont propres.

Ce qu'il faut, c'est harmoniser ces caractères de telle sorte que les tendances diverses de la Maçonnerie française soient respectées et qu'elles ne puissent être brimées, ni détruites par l'intolérance des autres.

Des accords fondamentaux doivent garantir le libre exercice des rites en usage, et je serais l'un des premiers à m'opposer à l'unité de juridiction si celle-ci devait avoir pour conséquence la restriction des droits ou privilèges actuellement dévolus aux ateliers en cette matière.

Le respect absolu de toutes les conceptions doit dominer nos rapports nationaux et internationaux.

La G... L... d'Angleterre impose la croyance en la volonté révélée de la divinité.

Ce n'est pas, que je sache, à propos du dogme de la révélation qu'un désaccord apparaîtra entre la G... L... et le G... O... et j'ose dire que la Maçonnerie française, dans son ensemble, s'appuie sur un principe d'un tout autre ordre : la liberté entière de la pensée.

Elle n'impose, ni ne condamne le spiritualisme, pas plus que son contraire, car elle estime que les convictions doivent résulter du propre effort de la pensée de chacun.

Elle ne demande à tous que la plus complète sincérité.

Le principe de la tolérance est intimement lié à celui de la liberté, aussi voulons-nous conserver le plus grand respect pour les Obédiences qui ne partagent pas nos conceptions, espérant que dans un sentiment fraternel et réciproque, elles voudront bien montrer la même tolérance à notre égard.

Les divers éléments de la Maçonnerie française sont détachés du dogme, tandis qu'en matière de symbolisme, des ateliers de la G... L... ont conservé les anciens usages, se maintenant ainsi plus près de la Maçonnerie traditionaliste, que ceux du G... O..., mais l'Unité de nos Obédiences ne serait pas très différente de la Maçonnerie belge qui jouit d'une haute considération mondiale.

Certaine presse, aussi bien à l'étranger qu'en France, attaque la Franc-Maçonnerie française et s'efforce, plus particulièrement, de discréditer le G... O... en l'accusant d'actes qui sont hors de son caractère et de son pouvoir.

Des Maçons étrangers en concluent que le G... O... fait de la politique.

Certes, notre Obédience, comme beaucoup d'autres Puissances Maçonniques, comprend dans son sein des hommes politiques, mais notre Ordre en tant qu'Ordre ne participe pas aux luttes politiques, ce qui lui serait d'ailleurs impossible en raison de la diversité des opinions de ses adhérents.

Ce qui est vrai, c'est qu'au G... O..., comme à la G... L..., on étudie objectivement les grands problèmes d'ordre social ou économique et ce sont souvent les mêmes questions qui se posent devant les Loges ou les Assemblées générales des deux Obédiences.

Des délégués des Loges du G... O... et de la G... L..., se réunissent même en Congrès inter obédientiels pour traiter certains de ces problèmes intéressant plus particulièrement leur région.

Je pense qu'en ces matières nous n'avons rien à nous reprocher les uns aux autres.

Il y a d'autres points graves et délicats à aborder, mais qui doivent être examinés de préférence par les représentants officiels des Obédiences.

Ceux-ci auront à choisir entre les formes d'unité possibles et leurs divers modes de réalisation.

Je ne veux actuellement que poser le principe de l'union, car si la G.'. L.'. la considère comme impossible quel intérêt y a-t-il à entrer, dès maintenant, dans le détail des choses ?

Je ne crois pas que le régime des conventions pouvait durer.

Leur application difficile ne permettait pas de résoudre les différends qui se succèdent, et lié à des Obédiences qui ne veulent ou ne peuvent avoir de rapports entre elles, pris entre deux conventions aux effets contradictoires et dont l'esprit n'est pas respecté, le G... O... ne pouvait se ressaisir, redevenir lui-même qu'en les dénonçant.

Mais, à l'étranger comme dans notre propre pays, tout lui montre que les difficultés et les conflits naissent d'autant plus facilement entre les Obédiences, qu'exerçant leur souveraineté sur le même territoire, recrutant leurs initiés dans les mêmes milieux, poursuivant le même but, elles tâchent d'y parvenir par des modes plus rapprochés d'action nationale ou internationale, et que plus leurs conceptions sont identiques et leurs efforts similaires, plus se multiplient les occasions de friction.

Aussi, dans un intérêt maçonnique supérieur, il est prêt à entrer dans une plus vaste Unité.

Notre T... C... V..., le F... Scellier au début de cette tenue, faisait allusion à la manifestation maçonnique de Belgrade qui fut si imposante et si émouvante.

Au milieu des représentants de toutes les Obédiences des Balkans, il m'a semblé entrevoir la noble tâche que pourraient accomplir nos deux Obédiences si elles étaient unies.

Non seulement elles serviraient d'exemple aux Maçonneries encore divisées, mais par la coordination persévérante de leurs efforts, elles pourraient agir plus efficacement en faveur de la Paix.

Nous y refuserons-nous ?

Sommes-nous incapables, les uns et les autres, de sacrifier certaines de nos préférences pour permettre à la Maçonnerie française d'occuper, dans l'Universalité Maçonnique, la place que lui mériteraient notre pensée, devenue plus ample et plus nuancée dans une sereine Unité, et notre fraternelle union inspirée par un commun Idéal de Lumière, de Justice, de Bonté ?


 

Le second texte est le condensé des idées que Groussier exposa au printemps 1931, au cours de visites qu'il fit dans les Orients de Belgrade, Sofia, Constantinople, Salonique, Athènes, Budapest, Prague et Vienne, devant des auditoires enthousiastes et reconnaissants au G.M. qui venait leur apporter un message d'Amour, de Charité et d'Union.

De l'Idéal Maçonnique et du rôle de l’A... M... I...

«Vous cultiverez l'amour fraternel, qui est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre vieille Confrérie», telle est la règle fondamentale posée par Andersen, dans ses admirables Constitutions de 1723.

Pour ce grand Maçon, l'amour fraternel, la Fraternité doivent donc être l'essence de la Franc-Maçonnerie.

Mais, que faut-il entendre par Fraternité et comment peut-on devenir fraternel ?

Extraire du mot Fraternité tout le suc qu'il contient serait une tâche longue et délicate, aussi me contenterai-je de vous exposer quelques réflexions qu'il me suggère.

La Fraternité ne nécessite-t-elle pas des conditions préalables à son éclosion ?

Peut-elle exister entre des hommes que sépare la hiérarchie des astres ? Non. Elle exige la communauté des droits, ne fût-ce que dans le cadre d'un groupement. Seuls des égaux peuvent être rapprochés par Un sentiment fraternel.

L'opprimé peut-il être le frère de celui qui l'opprime ? Evidemment non.

Il n'y a pas de Fraternité sans Egalité, ni sans Liberté.

Si je rapproche ces trois termes dans l'ordre inverse, j'obtiens la devise de la Révolution française : Liberté, Egalité, Fraternité.

Mais l'Egalité, la Liberté elle-même, ne doivent-elles pas reposer sur l'Equité, sur la Justice ?

Et voilà un ternaire de droits : Egalité, Liberté, Justice, sans lesquels la Fraternité ne peut pas régner entre les hommes.

N'oublions pas, toutefois, que ces droits correspondent à des devoirs.

J'ai droit à l'Egalité, mais je dois la reconnaître aux autres.

J'ai droit à la Liberté, mais j'ai le devoir de n'en pas priver les autres.

J'ai droit à la Justice, mais je la dois à tous.

L'Egalité, la Liberté, la Justice, sont des conditions de la Fraternité, mais elles ne sont pas la Fraternité.

Examinons un autre aspect de la question.

Il ne peut pas y avoir Fraternité sans confiance, par suite, sans Franchise ou sans Loyauté.

On doit donc être loyal.

Les Maçons, comme tous les hommes, ont des défauts, des préjugés ; ils se trompent ; comment maintenir la Fraternité sans la Tolérance ?

Trop souvent les hommes sont impitoyables aux autres, indulgents à eux-mêmes ; nous, Maçons, efforçons-nous de donner le bon exemple en étant sévères pour nous-mêmes et tolérants pour les autres.

Enfin, le malheur peut frapper certains d'entre nous, la misère peut les étreindre : Pas de Fraternité sans entraide.

Dans l'ancienne Maçonnerie, on pratiquait la charité, la bienfaisance ; mais, il n'y a pas Fraternité réciproque entre l'obligé et le bienfaiteur, aussi, devons-nous nous efforcer de nous élever à la Solidarité.

Loyauté, Tolérance, Solidarité, voilà un nouveau ternaire de devoirs sans lesquels la Fraternité entre les hommes est impossible.

N'oublions pas que toujours les droits correspondent à des devoirs et les devoirs à des droits.

Je dois être loyal, mais j'ai droit à la Loyauté de mes frères.

Je dois être tolérant ; tous me doivent la même Tolérance.

Je dois être solidaire des hommes ; ils ont eux aussi le devoir de Solidarité envers moi.

Egalité, Liberté, Justice, d'une part ; Loyauté, Tolérance, Solidarité, d'autre part, réalisent-elles la Fraternité ? Non.

La Fraternité n'est pas la Liberté, car elle est un lien, mais un lien qui n'est pas imposé, qui a pour base la Liberté, qui est librement consenti ; elle est union.

La Fraternité doit reposer sur l'Egalité et la Loyauté, mais de plus, elle exige la confiance.

La Justice, la Tolérance, la Solidarité, sont nécessaires à la Fraternité, mais la Fraternité est plus haute, elle est affection.

La Fraternité, c'est l'union confiante et affectueuse.

Ne sont pas Francs-Maçons, ceux qui ne sont pas unis, ceux qui n'ont ni confiance, ni affection, ceux qui ne sont pas frères.

La Fraternité des cœurs, la Fraternité spirituelle n'est pas imposée par la nature, comme celle du sang ; recherchée dans une discipline dogmatique, elle reste imparfaite, sa plus libre expression ne peut résulter que du libre don de soi-même.

Comment pouvons-nous atteindre la Fraternité ?

Quand, profane, nous entrons dans le Temple pour y être initiés, nous avons les yeux bandés, nous sommes dans les ténèbres et pour nous préparer à devenir des hommes nouveaux, des Francs-Maçons, on nous donne la Lumière.

On nous revêt ensuite d'un tablier, emblème du Travail, et Apprenti, on nous enseigne à ébaucher la pierre brute.

La Franc-Maçonnerie honore toutes les formes du Travail : le travail manuel comme celui de la pensée, mais placée sur le terrain spéculatif, c'est à un travail intellectuel et moral qu'elle nous invite à procéder.

La pierre brute est un symbole, c'est l'image de notre personnalité intellectuelle et morale ; c'est notre esprit que nous avons à dégager de ses préjugés et de ses erreurs, c'est notre cœur que nous devons dépouiller de ses défauts et de ses vices.

Pour dégrossir la pierre brute, il faut de la vigueur, de l'énergie ; il faut employer la Force : vigueur intellectuelle, force morale.

L'une des Colonnes du Temple, celle près de laquelle doivent se ranger les Apprentis est le symbole de la Force.

Lorsque la pierre est débarrassée de ses aspérités et bien dégrossie, il faut la polir ; lorsque l'esprit est affranchi de ses erreurs, il doit tendre vers la Vérité ; lorsque le cœur est libéré de ses défauts, il doit s'orner de vertus et l'Apprenti devient Compagnon.

Ce n'est plus seulement la Force qui lui est nécessaire, c'est l'art ; ce qu'il doit chercher à réaliser, c'est la Beauté.

Le poli qu'exigé la pierre, sa parure, c'est la Beauté intellectuelle et morale.

La deuxième Colonne du Temple, celle dont s'approchent les Compagnons pour toucher leur salaire, est le symbole de la Beauté.

Ayant accompli sa tâche, le Compagnon est admis dans la Chambre du milieu et, tourné vers le Debhir, il recevra la Maîtrise.

Maître, il apprendra aux Apprentis à dégrossir la pierre, aux Compagnons à la polir et il devra acquérir la Sagesse, au sens antique, faite de vertu et de raison, qui lui permettra d'assembler les pierres, et sans laquelle il ne saurait ni rapprocher les esprits, ni lier les cœurs.

Force, Beauté, Sagesse sont, dans le Temple, les trois piliers symboliques qui soutiennent la Voûte étoilée.

L'enseignement maçonnique doit-il consister à tailler et à polir toutes les pierres sur un même modèle ?

Tous les Maçons doivent s'efforcer d'avoir un même cœur confiant, aimant, fraternel, duquel se dégage une même affection qui les cimente.

Mais, s'ils se sont façonné un même esprit, si toutes les pierres sont uniformes, que construirons-nous avec ? Un.- mur, une digue ?

Or, ce n'est pas une digue que doivent édifier les Maçons, ce ne sont pas seulement des murs, c'est le Temple.

Le Temple se compose de murs et, par suite, beaucoup de pierres devront se ressembler dans leur forme, mais il comprend aussi des Colonnes et il est surmonté d'une Voûte ; de plus, il comporte une décoration, des ornements.

Il faut donc que les pierres soient diverses.

Toutefois, ces pierres ne peuvent être difformes, elles doivent pouvoir être ajustées, assemblées. La Diversité doit donc être limitée par la Mesure.

Grâce à la Mesure, nous saurons nous écarter de toute exagération sans tomber dans l'insipide uniformité et l'Œuvre que nous édifions prendra des formes de plus en plus harmonieuses.

Tout notre Travail intellectuel et moral doit donc s'inspirer de ce nouveau ternaire : Diversité, Mesure, Harmonie.

La Beauté de la Maçonnerie c'est de maintenir son traditionalisme sans rester figée dans le passé ; sa Force, c'est de pénétrer l'esprit et non de s'attacher à la lettre ; au lieu d'enfermer des dogmes intangibles dans le symbole, sa Sagesse doit consister à dégager du symbolisme la substance qu'il peut contenir : concepts, hypothèses, croyances individuelles ; sa grandeur sera de synthétiser dans l'Harmonie, la Diversité des pensées mûries, développées avec Mesure.

Chacun doit stimuler son intelligence, améliorer son caractère et épurer son cœur par un effort personnel.

Tous, nous devons nous efforcer d'être bons, notre esprit doit s'inspirer du beau et s'élever vers le vrai.

Sachons nous défier des imperfections de notre raison ; si les autres ne partagent pas nos convictions sur un sujet quelconque, gardons-nous de penser qu'eux seuls se trompent et que c'est nous qui détenons toute la Vérité.

Permettez-moi une comparaison.

Supposez qu'un grand nombre de personnes soient disséminées autour d'un vaste monument et qu'il leur soit difficile de se déplacer ; les unes en verront l'imposante façade, d'autres seulement l'un des côtés, d'autres encore, un angle de deux faces fuyantes, celles qui sont près contempleront la délicatesse de quelques détails alors que les plus éloignées n'apercevront que des contours ou quelques grandes lignes ; si toutes ces personnes se communiquent leurs impressions, celles-ci ne seront-elles pas contradictoires ?

Cependant, c'est le même monument qu'elles ont regardé ; les unes peuvent-elles prétendre que seules les autres ont mal vu ? En aucune façon.

Quelques-unes ont pu être favorisées et s'être trouvées placées à une distance propice du monument et en face d'un de ses aspects les plus caractéristiques, mais toutes les observations peuvent être vraies et c'est  seulement par leur rapprochement, leur contrôle, leur synthèse, que peut s'acquérir une connaissance aussi exacte qu'il est possible de l'ensemble.

Or, nous sommes répartis de même suivant notre tempérament, notre milieu, nos connaissances, autour des énigmes de la nature et, plus particulièrement, vis-à-vis des problèmes que pose l'évolution de l'Humanité.

Il y a, toutefois, cette importante différence que la vue intellectuelle est moins précise que celle de notre œil et que, malgré le peu qu'aperçoit notre esprit, nous croyons pouvoir déterminer le tout.

Aussi, la vraie Sagesse consiste-t-elle à rechercher, dans chaque pensée sincèrement exprimée, la petite lueur de vérité qu'elle contient et à s'efforcer de rassembler, d'harmoniser, dans une vérité plus complète ou plus haute, les infimes parcelles du Vrai qu'il nous a été possible de dégager.

Et le travail d'une Loge pourra être d'autant plus fructueux que les membres de celle-ci seront de conditions d'éducation et de mentalité différentes. Mais, dans cette Diversité, il ne faut pas, non plus, oublier la Mesure.

L'éducation maçonnique a pour but de nous élever intellectuellement, mais surtout moralement ; elle doit nous inciter à être fraternels, non pas seulement entre nous, Maçons, mais à l'égard de tous nos semblables.

La Maçonnerie doit préparer une élite capable de servir de guide aux hommes par son action, surtout par son exemple. Elle a spécialement une mission éducatrice, elle est Lumière, elle n'a donc pas à agir en tant que corps constitué ; ce sont les Maçons, à titre individuel qui, imprégnés de son haut enseignement, ont le devoir de s'en inspirer pour aider au progrès de l'Humanité.

Les êtres humains se sont succédé dans le temps et éloignés les uns des autres sur l'étendue terrestre ; ils ont constitué des races, des nations qui se jalousent, parfois se haïssent et, hélas, trop souvent, se combattent, alors que, loin de s'arrêter aux frontières, la Fraternité devrait être la loi de la Société.

Il appartient aux Maçons qui, suivant la forte parole d'Anderson, sont «de toutes nations, de tous idiomes, de toutes parentés, de tous langages», de travailler à les rapprocher, mais là encore, ils doivent donner l'exemple.

Il ne suffit pas que les Maçons d'un Orient soient groupés en Loge, que les Loges d'une nation soient organisées en Grand Orient ou en Grande Loge, il est nécessaire, il faut que les Obédiences nationales se rapprochent les unes des autres.

Il ne suffit pas que les Puissances maçonniques échangent entre elles des Garants d'amitié, il est nécessaire, il faut que des rapports plus étroits existent entre elles et que, par leur union, elles forment une véritable Fraternité universelle.

L'effroyable conflagration générale qui a causé dans le monde tant de ravages, de souffrances et de deuils, a, en même temps, ébranlé la moralité publique et laissé après elle, des germes de nouveaux conflits.

Doit-on revoir les peuples s'entre-déchirer ?

La Franc-Maçonnerie universelle ne fera-t-elle rien pour éviter le retour de ces' conflits sanglants ?

Se désintéresse-t-elle de l'égoïsme accru qui entrave le progrès social ? Ses plus grands efforts ne doivent-ils pas tendre au maintien de la paix entre les hommes ?

Son devoir le plus étroit n'est-il pas de s'unir fortement ? De donner à tous l'exemple de la Fraternité ?

Il en est qui pensent que la guerre a toujours existé et existera toujours.

Cependant, en France, dans le passé, des provinces ont lutté contre d'autres provinces, alors qu'aujourd'hui cela serait inconcevable. Or, non seulement la France, mais l'Italie, puis l'Allemagne, ont su réaliser leur unité ; l'Europe ne le pourrait-elle à son tour ?

Elle doit le tenter et nous il faut l'y aider. Nous devons surtout veiller à ce qu'aucune étincelle ne vienne raviver les cendres encore chaudes.

La guerre ne guérit pas les blessures, elle les aggrave ; elle ne répare pas les injustices, elle les déplace. Les vainqueurs, comme les vaincus, sont ses victimes.

La Justice ne peut être réalisée que dans la Sérénité et par la Fraternité.

Maçons, sachons nous pénétrer de l'étendue de nos obligations.

Il ne suffit pas, notamment, que toutes les Puissances maçonniques des Balkans aient adhéré à l'A... M... I... et suivent ses travaux il serait utile, à mon sens, que, tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, leurs représentants se rencontrassent et que, sous la direction d'un délégué du Comité exécutif, s'il est nécessaire, ils s'efforçassent de resserrer les liens qui unissent leurs Obédiences en vue de réagir contre les antagonismes qui subsistent entre les peuples auxquels ils appartiennent.

Il est également indispensable que des rapports plus fraternels existent entre la Maçonnerie allemande et la Maçonnerie française, afin d'aider au rapprochement des deux Républiques dont l'entente assurerait la Paix.

Je puis vous affirmer que la Maçonnerie française tout entière, en ce qui la concerne, y est fermement résolue.

Que les Maçons, tous les Maçons travaillent donc, de tout leur cœur, dans la mesure de leurs possibilités, à la réalisation de leur Idéal de Fraternité.

Ah ! certes ! le Progrès est lent, trop lent au gré de nos légitimes désirs, mais quoi que certains prétendent, il se poursuit : progrès matériel, perfectionnement moral.

Si, à l'homme d'aujourd'hui, l'on compare son ancêtre se dégageant à peine de l'animalité, dans le lointain des âges, que de chemin parcouru ! Grâce à l'étincelle, peu à peu grandissante, incluse en son cerveau, révolution de la vie sociale, d'abord imperceptible, n'a-t-elle pas suivi une progression de plus en plus accélérée ?

Depuis le moment où l'homme a cassé une branche d'arbre pour se défendre ou pour tuer sa proie jusqu'au jour mémorable où il sut conserver et utiliser le feu, quelle longue période a dû s'écouler ?

Que de millénaires avant qu'il exprime des sons pour constituer un langage, qu'il abandonne les cavernes pour construire une hutte, qu'il domestique des animaux et sache cultiver la terre ?

Il y a à peine cinq siècles que Gutenberg a découvert l'imprimerie, il y en a deux que Papin utilisa la vapeur, l'industrie mécanique date d'un siècle.

C'est à des vitesses accrues que l'homme parcourt les continents et les mers ; d'abord, parvenu à plonger dans les profondeurs marines, depuis hier, il s'élance dans les airs ; enfin, un faisceau de rayon Rœntgen lui a permis de regarder au travers de sa propre chair et, aujourd'hui, il peut entendre, à son gré, les voix lointaines que d'autres radiations propagent à travers l'espace.

Son génie a mis des milliers et des milliers d'années à effectuer les premiers progrès, il ne lui a fallu ensuite que des siècles pour réaliser les plus remarquables inventions, puis seulement des années ; maintenant, presque chaque jour apporte un perfectionnement nouveau, sinon une innovation grosse de conséquences heureuses pour son bien-être. Que créera-t-il demain ?

Tous ces bienfaits ont suivi la croissance de son intelligence ; son amélioration morale ne semble pas avoir atteint la même ampleur, toutefois, nul ne peut nier que l'homme, peu à peu policé, commence à comprendre que dans les rapports sociaux le droit doit remplacer la force et la ruse, et c'est à nous qu'il appartient de lui montrer qu'il serait plus heureux si les qualités de son cœur se développaient avec la même rapidité que les aptitudes de sa raison.

Parfois, hélas ! la violence ancestrale surgit à nouveau, avec son cortège d'horreurs, la Civilisation recule, mais elle reprend sa marche en avant, et constatons qu'elle avance toujours plus qu'elle ne recule.

La route du Progrès est bordée de ronces qui déchirent, on y rencontre des obstacles qu'il faut tourner, elle est parsemée de fondrières dans lesquelles on tombe, et l'Humanité se dirige en tâtonnant ; Maçons, sachons éclairer sa marche et lorsque les anciens, leur tâche accomplie, tomberont pour ne plus se relever, que les jeunes reçoivent de leurs mains défaillantes le lumineux flambeau de notre Idéal et relèvent, à leur tour, bien haut, toujours plus haut, pour guider plus sûrement les humains vers le but de leurs espoirs et de leurs efforts : le Bonheur.

Ce troisième texte est le rapport qu'au nom du G.O.D.F. Groussier présenta à l'A.M.L, sur la «Recherche des possibilités et des moyens de rapprochement entre les diverses Puissances Maçonniques régulières du monde». Groussier s'était beaucoup donné à l'Association Maçonnique Internationale, dont nous attendions tant, et que la guerre à tuée, car elle répondait à son vœu et à son espoir de la Maçonnerie, puissance civilisatrice. Ce n'est pas le trahir que dire ici qu'il ressentait douloureusement la dissolution de cette association.


 

Maçonnerie Universelle

DANS sa séance du 22 mars 1937, le Comité exécutif de l'A... M... I... a décidé d'inscrire à l'ordre du jour du Convent qui se tiendra en septembre 1938, la question la plus importante qui se puisse poser à des Maçons, celle du rapprochement entre les Puissances maçonniques.

C'est un problème délicat et difficile à résoudre, car de sérieuses divergences séparent les conceptions que ces Puissances se font de la Maçonnerie.

Les principaux points que nous avons à examiner se rapportent à la possibilité de ce rapprochement, tant en ce qui concerne les modalités de sa forme, que les conditions qui peuvent être posées en vue de sa réalisation.

Toutefois, une question préalable nous paraît devoir être envisagée : Ce rapprochement est-il nécessaire ?

Nécessité du rapprochement

Le Grand Orient de France estime que ce rapprochement entre les divers corps maçonniques est d'une nécessité pressante si la Franc-

Maçonnerie veut vivre et travailler librement au triomphe de son Idéal.

La terrible lutte qui, de 1914 à 1919, a vu les peuples s'entr'égorger pour la suprématie de leurs intérêts ou de leurs idéologies, a déchaîné un trouble corrupteur non seulement parmi les nations européennes* mais dans tout le monde civilisé, et ces funestes conséquences s'aggravent de germes pernicieux de conflits futurs.

Le déséquilibre a sévi dans tous les domaines : politique, économique, moral, et, loin de s'apaiser, il s'aggrave ; les races se replient sur elles-mêmes, les nations se divisent.

La concorde à l'intérieur comme la paix à l'extérieur sont menacées.

Les humains s'élanceront-ils à nouveau les uns contre les autres et, de leurs propres mains, sous les plus terribles et sanglantes horreurs, enseveliront-ils la civilisation, la culture que nos pères ont si péniblement édifiées et dont nous sommes si justement fiers ?

Que les hommes ou que les peuples qui paraissent éloignés du danger ne l'envisagent pas avec indifférence, car la perturbation est trop générale et trop profonde; ils seraient eux aussi entraînés dans la tourmente où pour longtemps pourrait sombrer tout idéal.

Dans des circonstances aussi graves, la Maçonnerie a-t-elle fait et fait-elle son devoir ? Elle se prétend une grande Puissance morale. Or, à quel moment a-t-elle parlé ? Quand a-t-elle agi ? Pas plus que les églises, elle n'a su accomplir sa mission, en s'élevant contre les intérêts égoïstes et les passions raciales.

Profondément divisée, elle ne pouvait agir avec quelque efficacité et elle a été, elle est victime de son inaction.

La Maçonnerie a laissé porter atteinte à la Liberté, et comme elle est, plus que toute autre organisation, imprégnée de l'esprit de liberté, c'est elle qui, la première, a été visée par la Dictature se dressant brutalement en face de la Démocratie.

En Europe, près de la moitié des Puissances maçonniques ont déjà succombé, dissoutes ou cruellement persécutées; d'autres sont encore menacées.

Peut-être certains penseront-ils qu'elles ont payé leurs propres fautes. Nous ne le croyons pas.

Nous ne raconterons pas l'histoire douloureuse des Obédiences disparues, ni le calvaire ou l'assassinat de grands Maçons, estimés, honorés par leurs concitoyens et que nous vénérons comme des maîtres éclairés.

Parlons de la dernière disparue : la Grande Loge de Vienne.

Quelle fut sa faute ? Avait-elle eu une action qu'on pût lui reprocher ?

Etait-elle en marge de la régularité maçonnique et payait-elle ce que certains considèrent comme des imprudences ?

Figurait-elle parmi ces Puissances maçonniques qu'on accuse de se
mêler à la vie sociale ?

Certainement non.

Elle n'avait que vingt ans d'existence, mais elle s'était élevée à un rang honorable parmi ses aînées. Ses relations maçonniques étaient nombreuses. Elle échangeait des Garants d'amitié avec la Grande Loge Unie d'Angleterre qui, à un moment difficile, lui avait manifesté une sympathie agissante ; elle en échangeait également avec le Grand Orient de France.

Elle avait compris, elle, la nécessité de l'union entre toutes les Puissances symboliques.

Allons-nous laisser s'éteindre la Lumière maçonnique, au moment où jamais les peuples n'en ont eu un aussi pressant besoin ?

Rapprochons-nous, unissons-nous, si nous voulons que l'Etoile brille et que le flambeau qui nous a été transmis par nos anciens éclaire, pour les hommes de bonne volonté, la voie salvatrice de l'amour fraternel.

Forme du rapprochement

La forme la plus ancienne de rapprochement permanent entre les Puissances maçonniques a été celle de la connaissance comportant l'échange de Garants d'amitié.

Certes, elle n'est pas à dédaigner. Elle a rendu de grands services dans le passé et peut en rendre encore dans l'avenir, mais à une double condition : qu'elle soit généralisée, et en quelque sorte animée par des rapports suivis entre les dignitaires de ces Puissances.

Si les Puissances maçonniques voisines ne se reconnaissent pas ; si deux Puissances qui échangent des Garants d'amitié avec une troisième n'ont aucun rapport entre elles, le réseau d'amitié qui s'étend sur la Maçonnerie universelle ne peut former un tissu solide, que seule l'homogénéité pourrait rendre efficace.

Le premier échange de Garants d'amitié, dont nous ayons trouvé trace, date de cent soixante ans.

En 1778, le Grand Orient de Hollande ayant chargé un député de le représenter auprès du Grand Orient de France, celui-ci désignait, à son tour, auprès de cette Puissance maçonnique, un député ayant des pouvoirs analogues.

Il a fallu attendre cent vingt-cinq ans pour rencontrer d'autres formes permanentes de rapprochement international :

a) Bureau de relations et d'informations maçonniques ;

b) Association de Puissances maçonniques ;

c) Ligue de Francs-Maçons.

Il y a eu également des formes de rapprochement non permanentes : manifestations ou Convents internationaux.

C'est à la suite des Convents qui eurent lieu à Paris en 1889, à Anvers en 1894, à La Haye en 1896, à Paris en 1900, puis à Genève en 1902, que la Grande Loge Suisse Alpina ouvrit, le 1er janvier 1903, un Bureau International de Relations maçonniques.

Son but était de faciliter les relations entre les Puissances maçonniques adhérentes, sans porter aucune atteinte à leur indépendance et à leur souveraineté; de leur transmettre des informations et résolutions intéressant la Franc-Maçonnerie, de publier un Bulletin en différentes langues et un Annuaire de la Maçonnerie Universelle, etc.

Sous l'habile impulsion du F... Edouard QUARTIER-LA-TENTE, Grand-Maître de cette Grande Loge, et grâce à son dévouement inlassable, ce Bureau prospéra.

Toutefois, s'il comprenait 29 Puissances maçonniques adhérentes en 1918, il n'en possédait plus que 24 en 1921 : 18 puissances symboliques et 6 de hauts grades.

Notons que les Grandes Loges allemandes de Bayreuth, de Francfort et les Loges Indépendantes de Leipzig n'y figuraient plus à cette dernière date.

Ni l'un ni l'autre tableau ne comprenait une Grande Loge Scandinave, une Grande Loge britannique ou une Grande Loge des Etats-Unis d'Amérique.

L'organisation très souple de ce Bureau lui permettait de recueillir, de Loges ou de Maçons, des abonnements ou des dons leur donnant droit de recevoir le Bulletin rédigé en français, en allemand ou en anglais ; plusieurs numéros furent imprimés en espagnol et en italien.

Sans avoir adhéré, quelques Grandes Loges américaines adressèrent des dons : les Grandes Loges de New York, de Massachusetts, de Maryland, de North Dakota, de South Carolina, de l'Utah, ainsi que la Grande Loge canadienne du Manitoba.

C'est au Convent convoqué à Genève en octobre 1921, par la Grande Loge Suisse Alpina que fut fondée l'association Maçonnique Internationale, à laquelle adhérèrent 17 Puissances symboliques, et qui remplaça le Bureau dont nous venons de parler.

Au Congrès de 1923 figuraient 19 Puissances adhérentes, auxquelles furent jointes 7 admissions, ce qui portait à 26 le nombre des Puissances symboliques constituant l'Association ; de plus, 8 adhésions nouvelles étaient proposées.

Parmi les Grandes Loges qui participèrent à ce Congrès se trouvait celle de New York qui ne maintint pas son adhésion.

Aujourd'hui, malgré les vides causés par la dissolution forcée de Puissances maçonniques européennes, l'Association Maçonnique Internationale comprend encore 30 Puissances, dont le siège est en Europe, en Amérique Centrale ou en Amérique du Sud.

Le but de l'Association Maçonnique Internationale n'était pas très différent de celui du Bureau auquel elle succédait : maintenir et développer les relations existantes entre les Puissances maçonniques et en créer de nouvelles ; mais elle constituait un Comité consultatif qui permit à des représentants des Puissances adhérentes de se rencontrer, de se mieux connaître et d'avoir une compréhension plus approfondie des conceptions particulières à chacune de leurs Obédiences.

Dès son premier Congrès en 1921, l'Association avait cru pouvoir adopter une déclaration de principes qu'elle fut obligée de considérer comme non obligatoire à son Convent suivant, tenu en 1923.

Peut-être avait-elle voulu aller trop vite ?

Mais on doit reconnaître que tout en respectant l'autonomie absolue des Puissances maçonniques adhérentes, l'A... M... I... a étudié un certain nombre de règlements qui, tout en restant facultatifs, font autorité dans une grande partie du monde maçonnique.

Enfin, en 1913, avait été fondée une Ligue Internationale de Francs-Maçons qui fut dispersée en 1914 et reconstituée en août 1923, à Baie, sous la Présidence de notre F... UHLMANN qui en avait été le secrétaire lors de sa création.

Cette Ligue a pour but de rapprocher les Francs-Maçons de tous les Rites et de tous les pays, sans intervenir dans les affaires intérieures des Puissances maçonniques, et sans traiter de questions rituelles.

Nous ne croyons pas devoir parler ici des manifestations de Francs-Maçons français et allemands, dont la première eut lieu en 1907 à la Schlucht, ni des Convents très spéciaux qui se tinrent au XVIIe siècle ou des Convents trop restreints qui eurent lieu à la fin du XIXe siècle et qui ne peuvent nous donner aucune indication à retenir pour résoudre la question posée.

On peut toutefois signaler le mode de rapprochement des Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien Accepté, constitués en Confédération destinée à maintenir l'unité du Rite par l'affiliation réciproque des Conseils confédérés, tout en garantissant l'indépendance de chacun d'eux.

En vertu du traité de Lausanne de 1875, ces Suprêmes Conseils ne s'assemblent qu'en Convent général se réunissant à intervalles réguliers.

Remarquons que ce mode d'organisation, moins centralisé que celui de l'A... M... I..., repose sur l'unité de Rite, ce qui ne peut être le cas des Puissances symboliques.

Enfin, on a préconisé une forme plus simple de rapprochement qui consisterait en. des réunions de Chefs d'Ordre.

Chacune des formes de rapprochement que nous avons rappelées a des avantages et des inconvénients ; on peut choisir entre un simple bureau de renseignements et une Association de Puissances maçonniques ; on peut donner à ce groupement une organisation plus ou moins souple ; mais il n'y a pas opposition entre un rapprochement des corps maçonniques par leurs représentants officiels et un rapprochement, à la base, de simples Maçons, sous réserve que cette ligue ait pour unique but de faire se rencontrer des Maçons de langues et de nations différentes et que, comme les précisent ses statuts, elle ne puisse prendre aucune décision engageant la Franc-Maçonnerie.

A côté de la forme d'organisation à déterminer, il y a un point extrêmement important à fixer : son siège. La Suisse est à la fois un centre territorial pour l'Europe et un centre au point de vue rituel, mais Genève ou Baie sont loin des deux Amériques, et quoique les Grandes Loges de l'Amérique du Sud se soient ralliées à l'A... M... I..., peut-on penser que les Grandes Loges des Etats-Unis et du Canada seraient disposées à accepter un siège aussi lointain pour elles, surtout si un grand nombre d'entre elles adhéraient à une organisation commune ?

Il y aurait sans doute lieu de prévoir des sections : Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, etc., mais un organisme central resterait difficile à situer.

Le Grand Orient de France, qui a participé à la constitution du Bureau de relations maçonniques, puis à sa transformation en Association Maçonnique Internationale, est très attaché à cette dernière, mais il estime que ce qui importe, c'est l'union. Aussi serait-il prêt à se rallier à toute forme de rapprochement qui rencontrerait l'assentiment le plus général.

Il constate que les organismes symboliques cités ont obtenu des adhésions à peu près identiques, mais qu'aucun n'a pu recueillir ou retenir l'adhésion d'une Puissance maçonnique Scandinave, britannique ou des Etats-Unis d'Amérique.

Les raisons pour lesquelles les Puissances maçonniques anglo-saxonnes sont restées à l'écart de ces organisations nous paraissent complexes, et peut-être quelque peu différentes, mais il semble bien que ces Puissances, jusqu'à ce jour, ne croient pas devoir accepter des liens plus suivis ou plus intimes que ceux qui résultent de la reconnaissance complétée par l'échange de Garants d'amitié.

S'il en était ainsi, toutes propositions que nous pourrions faire n'auraient aucune suite utile pour préparer l'universalité de la Franc-Maçonnerie.

Dans ces conditions, est-ce à nous de rechercher des formes nouvelles de rapprochement ? Ne serait-ce pas plutôt aux Puissances non adhérentes à l'A... M... I..., à préciser quel pourrait être le mode d'union plus intime qu'elles seraient disposées à accepter ?

Nous estimons, toutefois, que tout rapprochement qui ne reposerait que sur la simple reconnaissance serait sans grand intérêt, si les dignitaires de ces Puissances ne se rencontraient jamais ou rarement, et si ce lien n'était renforcé par une pénétration réciproque et constante des Maçons, dans les diverses Loges de ces Puissances amies.

Conditions du rapprochement

La question la plus importante à examiner est moins celle de la forme du rapprochement que celle des conditions mises par certaines Obédiences, non pas même à un rapprochement plus étroit, mais à la simple reconnaissance.

C'est la question de régularité qui se pose.

La Franc-Maçonnerie possède un triple caractère : initiatique, symbolique, rituel ; mais aucune Puissance maçonnique ne travaille avec les anciens rituels, ni n'a conservé les formes initiatiques de nos origines ; il ne peut donc pas y avoir uniformité en ces matières ; des Rites différents sont pratiqués et nul ne pense à les uniformiser ou à imposer son propre Rite.

Nous ne connaissons d'ailleurs pas le texte du ou des rituels qui étaient en usage au moment où la Franc-Maçonnerie moderne a été fondée à Londres en 1717.

Quels documents peut-on invoquer pour -fixer les conditions de la régularité maçonnique ?

Le seul document officiel qui nous a été conservé de l'époque à laquelle la Franc-Maçonnerie spéculative a succédé à la Franc-Maçonnerie opérative est intitulé : «Constitutions des Francs-Maçons contenant «l'histoire, les obligations, règlements, etc. ; de cette très ancienne et «très vénérable confrérie, à l'usage des Loges, dans la rédaction d'ANDBRSON publiée, en 1723, après approbation de la Grande Loge de Londres.

Les règlements généraux qui figurent dans ces constitutions ont été souvent modifiés par la Grande Loge Unie d'Angleterre, au fur et à mesure que des améliorations à ces règles lui ont paru nécessaires à son taon fonctionnement.

Chaque Puissance maçonnique a adopté les règlements qui lui ont paru le mieux convenir à son développement, et aucune difficulté ne peut naître de cette divergence.

La partie essentielle des Constitutions d'Anderson est celle concernant «Les Obligations d'un Franc-Maçon extraites des anciennes archives des Loges au delà de la mer et de celles d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande à l'usage des Loges de Londres ; à lire lors de l'admission de Nouveaux Frères, ou quand le Maître en donnera l'ordre.»

Ces obligations sont la véritable Charte de la Franc-Maçonnerie spéculative ou moderne.

C'est à elles qu'il faut se référer pour connaître le véritable esprit des fondateurs de l'Ordre maçonnique.

Certains prétendent compléter ces «Obligations» par d'autres «Landmarks». Sans doute, l'article 39 des règlements généraux de 1723 précise que : «Chaque Grande Loge annuelle a le pouvoir inhérent et l'autorité de faire de nouveaux règlements ou de modifier ceux-ci en vue de l'avantage réel de cette ancienne Confrérie. Mais il faut toujours que les «ancient Landmarks» (anciennes limites), soient maintenues soigneusement...».

En vertu de cette disposition, les obligations devraient donc être complétées par les anciennes règles essentielles de la Confrérie.

Des auteurs maçonniques ont pu en donner des listes, mais ils ne se sont trouvés d'accord ni sur le nombre, si sur le texte de ces «land-marks».

Aussi, considérerons-nous qu'il est absolument impossible, sous peine d'arbitraire, d'invoquer pour conditions de la régularité, ces «landmarks» dont nul texte vérifié n'a été présenté, ni garanti exact par aucune autorité reconnue.

A notre avis, seul le document des «Obligations» de 1723 peut être invoqué universellement pour décider de la régularité.

Ne doit-on pas tenir compte de l'évolution qu'ont subie pendant deux siècles les diverses Puissances maçonniques, par suite de la différence de la langue, de la religion, de l'histoire, du droit et des mœurs des races qui les ont fondées et développées ?

En 1911, le F... QUARTIER-LA-TENTE distinguait «trois groupes particuliers dans la Maçonnerie universelle, distincts non pas au point de vue des principes, mais en ce qui concerne leur activité et leurs tendances.

«Ces groupes, écrivait-il, sont : la Maçonnerie anglo-saxonne, la «Maçonnerie germanique et la Maçonnerie latine.»

II ajoutait : «Si la Maçonnerie anglo-saxonne est plutôt rituélique et charitable, la Maçonnerie germanique est plutôt philosophique et traditionaliste, la Maçonnerie latine, à laquelle se rattache la Maçonnerie hongroise, est plutôt très active, très humanitaire, très vaillante «pour le bien social.

«Elles travaillent toutes les trois au bien de l'humanité, elles méritent toutes également le respect et l'estime et l'on se demande à quel degré de bien-être l'humanité serait arrivée si une fraternité réelle et sincère avait toujours présidé aux relations de ces Groupements entre eux.»

Et ce grand Maçon suisse terminait en disant : «Que serait devenue la société si la Maçonnerie n'avait pas rencontré sur son chemin le plus redoutable ennemi de l'humanité, celui qui a si longtemps opprime les consciences et arrêté les progrès des lumières, l'ennemi qu'il faudra bien vaincre un jour, aussi bien en Espagne qu'ailleurs, et qui se nomme le cléricalisme, ce cléricalisme qui a fait tant de mal et qui en fait encore non seulement à la Maçonnerie, mais à la religion qu'il prétend défendre.»

Ne résulte-t-il pas des différences si clairement précisées par le F... Edouard QUARTIER-LA-TENTE qu'une réglementation trop rigide ne pourrait que séparer plus profondément les anneaux de la chaîne maçonnique qui, bien qu'imparfaitement sans doute, relient la Grande Loge Unie d'Angleterre aux Puissances qu'elle considère comme régulières, et dont certaines à leur tour rejoignent à l'autre extrémité le Grand Orient de France ?

En 1929, la Grande Loge Unie d'Angleterre a édicté huit principes fondamentaux pour la reconnaissance des Grandes Loges. C'est évidemment le droit absolu de cette Puissance maçonnique, de poser certaines conditions aux Grandes Loges qui sollicitent son amitié ; mais elle n'a pas, que nous sachions, le pouvoir de fixer les principes de régularité s'appliquant à la Maçonnerie universelle, et comme il semble que certaines Puissances soient disposées à généraliser ces conditions, on nous permettra d'examiner certaines questions qui découlent, directement ou indirectement, des principes arrêtés par cette Grande Loge.

Les points essentiels sur lesquels porte notre désaccord sont visés aux conditions 2, 3 et 6 et concernent : le Livre de la Loi Sacrée ; la révélation d'en Haut et la croyance au G.'. A.', de l'U.'. et en sa volonté révélée ou plus simplement la Bible et le Dogme.

La Bible

Dans ses principes 3 et 6, la Grande Loge Unie d'Angleterre ne prescrit pas expressément la présence de la Bible pendant la durée des travaux maçonniques, mais celle du Livre de la Loi Sacrée.

Sans doute cette Puissance maçonnique admet que les Loges qui ne se composent pas de chrétiens puissent remplacer la Bible par le Livre Sacré de la Religion à laquelle appartiennent leurs membres : le Coran pour les musulmans, les Védas pour les Hindous, etc., mais elle paraît admettre que la Bible doit être le Livre de la Loi Sacrée pour la Maçonnerie européenne.

Dans tous les cas, c'est de la Bible qu'on nous parle, à nous Maçons français, comme devant être le Livre de notre Loi.

Une première question se pose : en vertu de quelle ancienne obligation exige-t-on la présence de la Bible ? Quel est le «Old Landmark» qui le prescrit ?

Si loin que l'on remonte dans le passé, on ne trouvera nulle trace de cet usage, et encore moins si l'on remonte au-delà de la Réforme.

On nous concédera que les premières confraternités de Maçons opératifs qui se formèrent au moyen âge pour construire les cathédrales se composèrent exclusivement de catholiques.

Or, non seulement la Bible ne figure pas dans la liturgie de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, mais les conciles de Toulouse et de Tarragone avaient interdit aux fidèles l'usage de sa traduction en langue vulgaire ; la Papauté devint plus sévère, au XVIe siècle, à l'apparition de la Réforme.

Si nous consultons les manuscrits anglais relatant les «Old charges» des Francs-Maçons opératifs, et conservés au British Muséum, que ce soit le «Regius manuscrit» ou les manuscrits Cooke, William Watson, Tew, nous constaterons que dans aucune des obligations qui y sont contenues la Bible n'est citée.

Il apparaît même, quelle qu'ait pu être la confession à laquelle appartenaient les Maçons opératifs anglais des XVIe et XVIIe siècles, que depuis les ordonnances qui régissaient la guilde des charpentiers de Norwich vers la fin du XIVe siècle, jusqu'aux «Old charges» encore en usage au début du  XVIIIe siècle, la rédaction des devoirs religieux qui y étaient prescrits avait conservé la marque catholique.

Le manuscrit Cooke, qui est probablement la source principale à laquelle Andersen a puisé, précise «qu'il est séant d'aimer Dieu, la sainte Eglise et tous les saints», et les manuscrits Watson, Tew (1680), ainsi que l'édition Roberts (1722), recommandent de ne pas se laisser entraîner à l'hérésie, au schisme.

D'autre part, les diverses parties des Constitutions d'Anderson ne portent nulle trace de la Bible ou d'un autre Livre sacré.

Remarquons que les devoirs religieux que prescrivent les manuscrits que nous venons de rappeler n'ont pas conservé une forme confessionnelle ; ils se résolvent, dans les «Obligations», en un haut devoir moral : «être des gens de bien» et «cultiver l'amour fraternel» qui lie les uns aux autres les membres de la confraternité. L'œuvre d'Anderson marquait une orientation nouvelle des esprits.

De plus, on sait qu'à ses origines la Grande Loge d'Angleterre ne mettait pas la Bible sur l'autel et c'est seulement en 1760 qu'elle l'a considérée comme une grande' Lumière.

Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que des Grandes Loges fassent prêter aux profanes l'obligation sur la Bible, lors de leur initiation.

Ce rite peut être recommandé au nom du protestantisme, mais on ne peut pas l'exiger, légitimement, de nous, en vertu des «Old Land-marks» de la Maçonnerie.

Le Grand Orient de France peut rappeler qu'il descend directement de la première Grande Loge de France qui a eu des Maçons britanniques parmi ses fondateurs, voici deux siècles ; qu'il n'a jamais considéré la Bible comme une grande Lumière, et qu'il n'y a nulle trace qu'à aucun moment le travail en Loge se soit effectué en présence de la Bible ou même des Evangiles.

Si anciens que soient les rituels que nous avons conservés, on doit se rendre compte que les récipiendaires ont toujours prêté leur obligation sur notre Constitution et sur l'épée.

Prendre le Livre Sacré d'une des religions comme principale lumière ne peut pas permettre de réaliser l'unité en cette matière, puisque les hommes se répartissent en de nombreux cultes différents les uns des autres.

De plus, on place les initiés d'origine catholique dans une situation particulièrement délicate.

On semble oublier que le Saint-Siège a lancé ses foudres contre les Francs-Maçons.

Tant que l'Eglise de France est restée gallicane et que les Bulles des papes Clément XII et Benoît XIV n'ont pas été enregistrées par le Parlement, les prêtres et les moines ont pu participer aux travaux maçonniques sans perdre leur qualité de catholiques.

Mais la situation changea à partir du Concordat de l'an IX et surtout dans la période qui suivit 1815, où l'on vit l'élimination progressive du gallicanisme de l'Eglise de France, qui devint ultramontaine.

L'excommunication qui frappait les Francs-Maçons depuis 1738, et qui fut confirmée par la papauté à de nombreuses reprises, devint applicable aux catholiques de France.

Il s'ensuit que tout catholique qui se fait recevoir Franc-Maçon n'appartient plus, dès ce moment, à l'Eglise catholique, apostolique et romaine.

Il ne peut honnêtement se réclamer d'une Religion, d'une Communion dont le retranche un décret du Chef infaillible.

Comment pourrions-nous lui demander de prêter son Obligation sur le Livre Sacré d'une Eglise qui le rejette de son sein à l'instant même où, dans nos Temples, nous lui ferions étendre la main sur ce livre ?

Quelle serait la valeur religieuse ou morale d'une Obligation ainsi prêtée ?

Faudrait-il que ce récipiendaire se rattache à une autre Confession en lui empruntant le Livre de sa Loi Sacrée ? Mais n'oublions pas que le catholique n'a pas la formation religieuse du protestant ; pour celui-ci la Bible est un livre dans lequel il est habitué, dès l'enfance, à puiser l'enseignement de sa croyance, alors que le simple fidèle de l'Eglise catholique ignore l'ancien Testament dans son texte, et ne doit connaître l'Ecriture que d'après l'interprétation dogmatique que l'autorité ecclésiastique peut, seule, lui enseigner.

La Papauté l'exclut parce qu'il est devenu Franc-Maçon ; il n'a donc plus aucun lien avec l'Eglise romaine et son enseignement ; dans ces conditions ne peut-on admettre qu'il se rattache exclusivement à la Franc-Maçonnerie, qu'il se place au-dessus des Confessions particulières et obéisse simplement à la Loi morale, qu'Anderson à précisée en cette belle formule : «Etre des hommes de bien et loyaux, des hommes d'honneur et de probité.» ?

Ne pourra-t-il prendre comme Livre de sa Loi celui des «Obligations» publié par la Grande Loge de Londres en 1723 et qui a fixé, pour lui comme pour tous les Francs-Maçons, les règles morales auxquelles il doit obéir ?

Sera-ce parce qu'il préfère ce Livre maçonnique, qui nous oblige tous, à l'un des Livres sacrés qui n'obligent que les croyants d'une confession particulière, que vous, Francs-Maçons, ses Frères, vous refuserez de le reconnaître ?

Les «Obligations» d'Anderson de 1723 sont le seul texte auquel puissent être universellement rattachés tous les Corps maçonniques.

Ce précieux document a été écrit en langue anglaise, mais en langue anglaise du commencement du XVIIIe siècle, avec le sens que les mots avaient alors ; certes il fut imprégné des conceptions spiritualistes qui étaient universellement admises alors, mais pour ceux qui veulent en pénétrer le sens profond, il apparaît d'une hauteur de vue remarquable pour l'époque ; il est animé d'un esprit de mesure et d'un grand souffle de tolérance que nous devrions toujours imiter ; il exprime les plus nobles aspirations et il exalte la fraternité dans d'admirables passages que nous ne saurions trop relire et méditer.

Malgré la modification proposée par Anderson en 1738, la Grande Loge d'Angleterre a conservé longtemps la rédaction de 1723 ; elle ne l'a modifiée qu'en 1815.

Toutes les autres Puissances maçonniques, de leur côté, ont rédigé des Constitutions ou des Obligations qui leur sont personnelles.

On le comprend d'autant mieux que les idées ont évolué depuis deux siècles.

La pensée, que la Réforme avait commencé d'émanciper, a continué de se dégager du dogme, grâce au merveilleux développement de la science et au perfectionnement de sa méthode.

Est-ce à dire que le Grand Orient de France rejette les Obligations de 1723 ? En aucune façon.

Elles sont loin d'ailleurs d'être animées d'un étroit dogmatisme et nous les considérons comme un vénérable et remarquable document de notre passé.

Aussi, pour bien affirmer que non seulement nous ne renions pas nos origines, mais que nous leur restons fidèles, le Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France a décidé que, lors de leur initiation, les récipiendaires prêteront leur Obligation sur la Constitution de l'Ordre à laquelle seront jointes les «Obligations» d'Anderson dans la rédaction originale de 1723, telles que les plus anciennes Loges françaises les ont reçues de la Grande Loge d'Angleterre. Ce Livre de la Loi, ainsi que l'Equerre et le Compas devront reposer sur l'Epée, emblème de la Condition libre des premiers Francs-Maçons.

Le Dogme

Lorsque la Grande Loge Unie d'Angleterre précise dans son troisième principe fondamental pour la reconnaissance de Grandes Loges que «le Livre de la Loi Sacrée» exprime «la révélation d'en Haut», elle paraît oublier que, chez les bouddhistes, surtout depuis l'avènement du Mahayana, la Loi ne s'établit pas par autorité, ni par révélation, mais par compréhension et que, par suite, le dogme de la révélation ne peut pas être légitimement imposé dans le nord de l'Inde, ni dans les pays d'Extrême-Orient.

Elle méconnaît également que les sociétés chrétiennes représentant le protestantisme libéral : unitaires, remontrants, sociniens, ont pour principe formel le libre examen, placé au-dessus de toute autorité extérieure, y compris l'Ecriture sainte elle-même, et qu'elles ont rejeté tous les dogmes qui leur ont paru incompréhensibles.

La Grande Loge Unie d'Angleterre prétend-elle que ces bouddhistes et que ces chrétiens libéraux ne peuvent pas faire partie de la Franc-Maçonnerie ?

Par son deuxième principe : «que la croyance au Grand Architecte de l'Univers et en sa volonté révélée, sera une condition essentielle pour l'admission des membres», la Grande Loge Unie d'Angleterre ne se contente pas de rappeler un symbole, mais là encore, par la croyance en la volonté révélée, elle affirme le dogme.

Ce n'est pas seulement un sens spirituel qu'elle donne au symbole, elle lui applique un sens confessionnel.

D'autre part les Obligations qu'elle a adoptées en 1723 déclarent que dans les temps anciens, les Maçons étaient tenus d'être de la religion de leur pays, mais que maintenant il est plus à propos de les obliger seulement à cette religion en laquelle tous les hommes sont d'accord... c'est-à-dire d'être «des gens de bien et loyaux, des hommes d'honneur et de probité» et Anderson a bien précisé «en laissant à chacun ses opinions particulières».

N'avons-nous pas le droit de penser, en nous référant à ce texte, que si le dogme de la révélation peut faire l'objet d'une croyance personnelle, le fait de l'imposer à tous les Maçons est formellement contraire à la lettre et à l'esprit des «Old charges» de 1723 ?

La Liberté de la Pensée

Par ses «Constitutions» de 1723, la Grande Loge Unie d'Angleterre avait dégagé la Maçonnerie de la religion catholique et l'avait placée au-dessus des diverses confessions ; par ses «Principes fondamentaux» de 1929, elle rapproche la Maçonnerie de la Réforme, non pas dans son libéralisme, mais dans son orthodoxie, découlant des enseignements de Luther et de Calvin.

Le Grand Orient de France a suivi une voie différente. Créé il y a deux siècles avec l'esprit des Constitutions de 1723, il a essayé de se rattacher au catholicisme en 1849, puis il s'en est dégagé en 1877 pour dépasser le protestantisme libéral et se placer sur le terrain de la liberté de pensée.

Les fluctuations qu'ont subies les pensées et les croyances des Maçons anglais et français ne devraient-elles pas les inciter à user de plus de tolérance les uns à l'égard des autres et, s'ils avaient su conserver et accroître leurs rapports fraternels, n'est-il pas à penser que leurs divergences de conceptions eussent pu être moins accusées ?

N'oublions pas que dès le XVIIIe siècle, le Grand Orient de France sous l'influence de la philosophie de l'époque, était devenu très libéral qu'à côté des ecclésiastiques qui restaient attachés à l'Eglise catholique gallicane, il accueillait toutes les tendances philosophiques : spiritualistes ou rationalistes.

Mais en 1849, rompant avec son passé, il introduisit dans sa Constitution la formule dogmatique de «la croyance en Dieu et en l'immortalité Aucune autorité maçonnique ne le lui demandait.

Lorsque, 28 ans après, le 13 septembre 1877, il effaça cette affirmation du texte de sa Constitution, on crut y voir une interdiction formelle de glorifier le G... A... D... L'U... ce qui était inexact.

On ne comprit pas ou on ne voulut pas comprendre que par décision, le Grand Orient de France revenait simplement à sa trac constante du respect non seulement des rites et des croyances, également de toutes les conceptions philosophiques.

Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter au document ci-après :

Dans une planche du Conseil de l'Ordre adressée au Garant d'amitié du Grand Orient de France près de la Grande Loge d'Irlande, qui avait renoncé à ses fonctions en raison de cette décision qui venait d'intervenir, le F... de SAINT-JEAN écrivait :

«Qu'il me suffise de vous affirmer qu'en modifiant un article d Statuts, le Grand Orient de France n'a pas entendu faire profession d'athéisme, ni de matérialisme, comme on semblerait le croire, n'est changé ni dans les principes, ni dans les pratiques de la Maçonnerie. La Franc-Maçonnerie française reste ce qu'elle a toujours été Maçonnerie fraternelle et tolérante. Respectant la foi religieuse < convictions politiques de ses adeptes, elle laisse à chacun, dan délicates questions, la liberté de sa conscience.»

Remarquons que le texte de cette planche avait été décidé en si
du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France et qu'elle porta
tête la formule :

A... L... G... D... G... A... D... L'U...

— 54 —


 

La décision de l'Assemblée Générale de 1877, et depuis il n'y en

a pas eu d'autres en la matière, n'avait donc pas supprimé expressément ce symbole, comme on l'a prétendu.

Sur le rapport d'un pasteur protestant, elle abrogeait simplement une formule dogmatique dans le but, précise le F.'. DESMONS, de placer le Grand Orient «au-dessus de tous les cultes et de toutes les religions».

S'inspirant de la mesure et de la tolérance puisées dans Anderson, l'Ordre, restant fermement attaché à la Loi morale, entendait ne recommander, ni interdire aucune croyance ou conception philosophique particulière.

Le Grand Orient de France se déclare partisan de la liberté dans tous les domaines ; il estime qu'elle doit être absolue dans l'ordre de la pensée.

Il n'accepte pas plus de se rallier à un dogmatisme qui enchaîne l'esprit, qu'à la dictature qui supprime la liberté individuelle.

Il ne demande à aucune Puissance maçonnique de changer ses formes de pensée, de renoncer à ses usages, de modifier son rite, d'abolir ses croyances ; il souhaite simplement qu'on ait la même tolérance à son égard.

D'ailleurs il entend montrer, non seulement dans ses rapports avec les Puissances maçonniques qu'il respecte leurs croyances et leurs rites, mais qu'il permet, dans son propre sein, la pratique des divers rites et l'usage de leur symbolisme particulier.

En 1776, 1804, 1862, le Grand Orient de France s'est agrégé plusieurs Rites ; les Loges de sa correspondance peuvent être autorisées à les pratiquer et même à travailler en se conformant aux rituels d'une autre Puissance maçonnique régulière.

Des Maçons américains, Scandinaves ou anglais désirant fonder une Loge rattachée au Grand Orient de France, pourraient se servir des rituels en usage dans leur Grande Loge d'origine.

Les Loges écossaises faisant partie du Grand Orient de France travaillent avec le rituel régulier de leur Rite, qui comporte le symbolisme du Grand Architecte de l'Univers, et une Loge composée de Yougoslaves a été autorisée à travailler en présence de la Bible, conformément aux règles rituelles de la Grande Loge «Yougoslavia».

Enfin, la Loge «Tawe», puis «Harmony» à l'O.'. de Swansea en Grande-Bretagne, n'a-t-elle pas travaillé de 1893 à 1925, pendant 32 ans, avec le rituel de la Grande Loge Unie d'Angleterre, alors qu'elle appartenait à la Juridiction de G:. O:. D:. F.'. ?

Les «Obligations» d'Anderson avaient écarté la Maçonnerie du théisme catholique mais, nous devons le reconnaître, elles avaient conservé un certain caractère religieux, bien compréhensible pour le  XVIII" siècle, comme nous l'avons déjà remarqué.

Toutefois, à tort ou à raison, nous estimons que l'on ne peut arrêter l'essor de la Pensée ; de même que les Institutions des hommes, l'esprit humain évolue fatalement et continuera d'évoluer.

Parfois il tire des conséquences trop hâtives des découvertes de la science ; d'autres fois il semble se rattacher à un passé qui paraît périmé, mais malgré ses oscillations, parfois décevantes, rendons-nous compte qu'il s'achemine vers sa complète libération.

Si l'on peut reprocher au Grand Orient de France de ne pas s'attacher à la lettre des «Obligations», ne voudra-t-on pas reconnaître qu'il s'est efforcé de se pénétrer de leur large esprit de tolérance et de leur profond sentiment de fraternité ?

D'autres pensent-ils qu'en restant attachés à la lettre, à la lettre. figée, de ces «Obligations», les dépouillant de toute vie, ils leur sont, plus que nous, restés fidèles ?

En 1913, le Pro-Grand-Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre prononçait à Berlin les paroles suivantes :

«La Maçonnerie a une grande mission ; le perfectionnement individuel du Maçon ou de la Loge est en somme peu de chose comparé à l'immense édifice que la Maçonnerie veut construire. Cet édifice n'est rien de moins qu'une union plus intime de toutes -les Grandes Loges de vrais Francs-Maçons, afin que la Maçonnerie devienne une puissance civilisatrice, à laquelle rien ne puisse être comparé, et qui permettra aux nations de laisser de côté la méfiance et les malentendus... Il est temps que nous affirmions ce que doit être notre idéal. Nous sommes tous obligés de reconnaître cet idéal supérieur que les Maçons bien pensants ont placé devant nous : l'Union plus intime de toute la fraternité maçonnique. Depuis deux cents ans nous avons accumulé et taillé les pierres qui doivent nous servir pour la construction de l'édifice, il est maintenant temps de bâtir. Bâtissons ensemble !»

Le Grand Orient de France approuve pleinement cette admirable page maçonnique, sous la seule réserve de ce que Lord AMPTHILL entendait par «vrais Francs-Maçons» ou «Maçons bien pensants», et du mode de «l'union .plus intime de toutes les Grandes Loges» qu'admet, que propose la Grande Loge Unie d'Angleterre.

Ce n'est pas le fond qui nous divise, c'est la forme ; nous sommes d'accord sur les principes à défendre et le but à poursuivre, nous ne différons que par nos méthodes, par nos modes de pensée.

Est-il impossible de nous rendre compte qu'il n'y a pas plus d'Obédience élue que de Peuple élu ?

Ce n'est pas seulement entre les nations, mais aussi entre les Puissances maçonniques qu'il faut supprimer «les méfiances et les malentendus» si l'on veut que «la Maçonnerie devienne une Puissance civilisatrice à laquelle rien ne puisse être comparé».

Voudrons-nous, pourrons-nous, tous, nous rendre compte que le rapprochement ne peut être tenté que s'il est basé sur le respect des croyances et conceptions des divers Rites particuliers, sur la compréhension du développement historique des diverses Puissances maçonniques, sur l'estime et la tolérance mutuelles ?

C'est en rassemblant toutes les pierres que les diverses tendances maçonniques, trop longtemps séparées, ont «accumulées et taillées», c'est en harmonisant les efforts de tous ceux qui sont sincèrement et profondément Maçons, «gens de bien et loyaux», que la Franc-Maçonnerie Universelle pourra accomplir «sa grande mission» : bâtir, édifier le Temple idéal qui réalisera l'union des nations, dans la Paix, par la Fraternité des hommes.


 

Enfin, pour terminer, un quatrième texte. C'est une étude que Groussier rédigea en 1948. Il avait 80 ans passés, il l'intitula Philosophie de l'Energie. C'est, pensons-nous, une sorte de testament moral ou philosophique. A la fin de sa vie, l'homme qui a pensé et beaucoup agi, fait le point de ses connaissances et de ses espérances, sans regret pour le passé, tendu vers l'Avenir, mais toujours confiant, dans ses successeurs, ses Frères, et dans le Progrès universel.

Philosophie de l'Energie

PREMIERE PARTIE

Son unité physique et psychique

DANS la période précédant le XXe siècle, il pouvait sembler que l'évolution universelle avait dû commencer par l'organisation de corpuscules atomiques pour former la matière "dont l'énergie, n'aurait été qu'une propriété.

Depuis les dernières découvertes de la science qui ont bouleversé nos connaissances en physique, il est permis de supposer que l'univers ne devait comprendre que l'énergie avant l'apparition de la matière.

Il aurait donc existé un stade pendant la durée duquel on n'aurait rencontré que de l'énergie sous l'aspect de particules, de rayons et d'ondes ou, si l'on préfère, de projections, de radiations, de rayonnements, d'ondulations ou encore de bandes, de couches, de nuages énergétiques.

Des particules d'énergie électrisées et neutres auraient constitué les atomes.

Ces éléments atomiques combinés en molécules seraient devenus les constituants de la matière minérale.

Plus tard, certaines molécules, en s'agglutinant, auraient composé des cellules ; celles-ci, à leur tour, se seraient divisées pour proliférer afin de donner naissance aux êtres animés.

L'évolution se serait poursuivie par le développement de la longue série des espèces biologiques, disparues ou vivantes, depuis les plus anciennes, les espèces unicellulaires, formées de matière qui commençait à s'organiser jusqu'à celles dont la structure, de plus en plus perfectionnée, comportait un système nerveux couronné par un cerveau.

En même temps devait se développer la sensibilité nerveuse complétée par l'activité instinctive avant qu'apparaissent les premières lueurs de l'intelligence.

Les activités psychiques se manifestèrent plus particulièrement dans le cerveau dont est douée la race humaine, notamment la sentimentalité, l'entendement et l'activité réfléchie.

L'observation nous montre que la matière est mue ; d'où provient ce mouvement ?

On parle de force, de cause ; actuellement, il semblerait que pour les physiciens ces mots désigneraient plutôt des notions symboliques que des réalités.

Les sciences physiques reposent uniquement sur les rapports, les relations existant entre les phénomènes qui se succèdent les uns aux autres, par suite de désagrégation, de combinaison, de transformation.

Les organismes vivants doués d'irritabilité et de sensibilité se meuvent- ; l'esprit s'émeut, pense et veut ; comment toutes ces activités s'exercent-elles ?

Quelle est leur véritable cause, si elles ont une cause ? Comment l'univers, la matière, la vie, l'esprit peuvent-ils exister et pour quel devenir ? Jusqu'où peut-on atteindre dans la recherche de la réalité ?

Les réponses que la science donne à l'homme lui sont, certes, utiles, mais elles ne sont que relatives ; elles n'approchent pas de l'essence des choses, si l'apparence de celles-ci recouvre quelque essence ?

Doit-on rechercher la vérité par la philosophie ou enfermer notre esprit dans l'une des croyances qui en s'opposant se partagent la direction des esprits ?

Des problèmes paraissent posés depuis que la pensée s'efforce de s'affranchir des premières emprises dogmatiques. Ils restent toujours posés.

On a dressé des hypothèses les unes contre les autres ; on les a entremêlées sans qu'aucune solution satisfaisante ne se dessine.

N'est-ce pas parce qu'elles sont mal posées, ou que partant de faits évidents, ne montrant qu'un aspect des choses, on les généralise sans mesure ?

On admet communément que l'homme est composé d'un corps et d'un esprit.

On a étudié l'un et l'autre en eux-mêmes et dans leurs rapports.

Des méditations des philosophes et des travaux effectués par les savants se sont dégagés deux groupes de systèmes philosophiques dans lesquels la matière ou l'esprit domine.

Le fait que depuis tant de siècles le matérialisme et le spiritualisme ([3]) ont brillé tour à tour sans réussir à triompher l'un de l'autre ne montre-t-il pas qu'il faut tenter de trouver une voie encor e inexplorée pour esquisser une hypothèse qui ne s'oppose pas aux données scientifiques et ne puisse être repoussée par la raison ?

Toute personne ne peut acquérir de connaissances sans les qualités de, son esprit et sans que des images, des représentations aient été projetées et se soient manifestées dans sa conscience.

Seuls les organes ou tissus sensoriels peuvent projeter dans la conscience les impressions qu'ils reçoivent du milieu, que ces impressions soient physiques ou psychiques.

Toutefois des images, des idées peuvent être remémorées, évoquées, conçues par l'esprit lui-même.

La conscience est un attribut de l'esprit ; les organes et tissus sensoriels sont composés de matière biologique.

La matière et l'esprit sont-ils des réalités au sens absolu et profond que l'on donne à ce mot ?

Qui pourrait le prouver ?

Ce que je sais, ce que je sens, ce que je constate, c'est qu'il existe des phénomènes matériels et des phénomènes spirituels.

Si j'avais d'autres sens ou des sens plus subtils, je percevrais des représentations très différentes de celles qui me semblent provenir des objets matériels.

Objectivement, scientifiquement, les images des perceptions de la matière ne peuvent être que de simples apparences.

Nous savons depuis longtemps qu'entre les molécules d'un corps dont la surface est polie et qui nous paraît compact, il existe de grands intervalles dont on peut avoir quelque idée au moyen d'un fort microscope.

Mais la découverte de la structure des atomes nous a appris qu'entre tous les éléments atomiques, les distances sont immenses par rapport à leur petitesse.

Par le calcul on peut se rendre compte du volume auquel pourrait se réduire l'ensemble de ces masses infimes composant un corps s'il était possible de les rapprocher en un bloc compact. En voici un exemple : «Dans dix mètres cubes de cuivre, le volume occupé par les noyaux et les électrons ne dépasse guère un millimètre cube, tout le reste est aussi vide que les espaces interplanétaires ([4]).»

«De même, si dans le corps d'un homme on parvenait à éliminer tout espace dépourvu de matière et à rassembler jusqu'à les mettre en contact les noyaux et les électrons des atomes, l'ensemble dans lequel se concentrerait tout le poids du corps humain aurait un volume comparable à celui d'un des grains de poussière qui dansent dans un rayon de soleil ([5]).»

Ce qui doit tromper nos sens, c'est d'une part le mouvement microscopique incessant et très rapide des particules et d'autre part, la résistance de la structure électriquement édifiée.

A côté des impressions purement représentatives, je ressens des émotions, je conçois des idées, j'accomplis des actes voulus ou inconscients sans que je puisse saisir avec précision de quel principe ces manifestations psychiques sont les représentations.

Toutefois, sans oublier les remarques que je viens d'exposer, je puis affirmer que l'on ne peut refuser toute réalité objective à la matière et subjective à l'esprit, mais cette réalité relative ne se manifeste qu'à l'échelle humaine.

Si je me blessais grièvement, mon sang s'échapperait et mon existence serait compromise. Quand les miens ont disparu, j'ai été profondément ému.

Sans entrer dans de plus longs développements, nous pouvons constater que, même en ce qui concerne les choses qui nous sont les plus familières, leur connaissance est limitée, relative, humaine.

Grâce à leur effort désintéressé, à leurs observations et à leurs expériences, une longue et glorieuse lignée de savants a accumulé des lois qui paraissent très approchées de celles de la nature ; c'est en se soumettant à celles-ci que l'on peut poursuivre la conquête du monde, explorer son étendue immense et pénétrer dans l'infiniment petit.

Puisse la nature ne pas trop se rebeller contre cette emprise de l'homme qui permet à celui-ci, par sa technique, d'accroître ses commodités et ses biens, et trop souvent ses malheurs.

C'est par la spécialisation et le perfectionnement des tissus biologiques et de leurs structures que l'esprit, ou du moins ses manifestations, ont pu se développer et se hausser à la place éminente qu'ils ont atteinte chez certaines personnalités.

Remarquons cependant que les phénomènes psychiques ne peuvent se manifester que par l'intermédiaire des circonvolutions cérébrales, ou au moins d'un tissu nerveux.

Lorsque certains lobes du cerveau sont blessés, les facultés spirituelles dégénèrent.

Quand des maladies ou des infirmités l'atteignent, le cerveau peut perdre de ses qualités spirituelles et même ne plus penser.

Jusqu'à l'invention de la radiophonie on ne connaissait pas de manifestations psychiques indépendantes d'un support matériel.

C'est en s'appuyant sur ce fait que certains concluent que l'esprit n'est qu'une simple émanation de la matière.

En sens inverse, les spiritualistes montrent, conformément à l'observation, eux aussi, que les phénomènes matériels ne peuvent être représentés que dans la conscience psychologique, que d'ailleurs les organes des sens ont besoin de l'aide de l'esprit afin que leur éducation les mette à même d'obtenir des images utilisables pour le comportement de l'individu.

Que résulte-t-il de mon exposé ? C'est que, sans corps organisé, il n'y a pas d'esprit et que sans esprit il ne peut y avoir aucune connaissance, ni celle de la matière qu'on n'atteint pas, ni celle des propriétés apparentes de cette matière.

Sans doute, l'état du corps, la maladie, l'infirmité peuvent avoir une grave influence sur l'esprit, mais le contraire est également vrai.

L'influence de la volonté peut aider à améliorer et à guérir certaines maladies ou des infirmités provenant d'accidents ; je ne parle pas seulement de la volonté réfléchie, mais d'une volonté instinctive qui parfois fait merveille pour aider aux soins de l'homme de l'art.

Le corps et l'esprit sont nécessaires l'un à l'autre ; pourquoi diminuer l'un au profit de l'autre sans aboutir à une solution acceptable ?

Ne serait-il pas préférable de les unir dans une synthèse qui envisagerait avec plus d'ampleur et d'exactitude ces deux manifestations, ces deux aspects de la personne humaine ?

II

Les savants ont réussi à pénétrer profondément dans la matière et commencent à connaître les éléments qui la constituent et qui ne sont saisissables qu'à l'échelle atomique.

La matière est discontinue et formée d'agrégats de molécules composées elles-mêmes d'atomes, éléments des corps simples.

La structure atomique paraît comprendre un noyau, édifice déjà complexe, comprenant des protons chargés positivement, et -des neutrons ; autour de ce noyau gravitent des électrons satellites électrisés négativement dont le nombre normal égale celui des protons pour les neutraliser, et qui sont étages en couches sur plusieurs orbites ou niveaux d'énergie.

L'électron est un grain d'énergie qui paraît être le constituant universel de la matière.

Les atomes sont semblables pour un même corps simple.

Ils ne se différencient d'un corps simple à un autre que par le nombre normal de leurs électrons, ainsi que par leur agencement et non par leur nature, car les protons, les neutrons et les électrons sont identiques pour tous les atomes.

Dans le tableau périodique des corps simples, le nombre normal des électrons varie de l'un à l'autre suivant la suite naturelle des nombres à partir de l'unité.

Tous les corps peuvent passer par des phases semblables, mais possèdent certaines propriétés qui leur, sont particulières.

D'autre part, les masses énergétiques des électrons et du noyau atomique constituant la masse de l'atome et la masse des corps matériels sont la somme des masses atomiques qui entrent dans leur composition.

Il me paraît évident que l'énergie ne peut se distribuer en grains ou s'étaler en nappes et les mouvoir que si elle en a la possibilité.

Les particules d'énergie ne peuvent se diviser ou s'unir, composer un noyau et édifier un atome que si elles sont douées de ces possibilités qui se développent au fur et à mesure que les structures le permettent en se compliquant dans un milieu favorable. N'en est-il pas de même lorsque les atomes se combinent et quand les molécules s'édifient en matière ?

L'énergie doit donc avoir de multiples propriétés qui ne peuvent d'ailleurs se réaliser que si le milieu le permet aux éléments énergétiques considérés et à leur structure, le milieu étant l'ensemble de tous les autres éléments et structures.

Les manifestations de l'énergie que l'on observe dans la matière, ou les éléments mêmes de l'énergie, se présentent sous plusieurs formes ou modes, de l'état corpusculaire à l'état de mouvement, que celui-ci soit de nature mécanique, atomique ou ondulatoire.

Ce dernier peut concerner un milieu liquide ou sonore ou avoir un caractère électromagnétique.

Les mouvements moléculaires ou atomiques semblent correspondre à la chaleur, ceux des électrons à l'électricité ; l'énergie cinétique résulte de la chute ou du choc des corps et l'énergie latente semble être emmagasinée dans les corps que l'on élève au-dessus du sol ou lors de leurs changements d'état, etc...

Tous ces modes d'énergie se transforment les uns dans les autres en des proportions équivalentes.

Ne paraît-il pas résulter de ce fait que la quantité d'énergie ou de mouvement resterait constante ?

Dès maintenant nous pouvons constater une unité profonde de l'énergie dans ses manifestations matérielles qui s'étendent de son activité à sa quantité.

La lumière est activité et quantité, ondulatoire et granulaire

D'un côté le rayon lumineux, ou photon, s'apparente au rayon X, puis au rayon cathodique qui est un électron sur lequel s'échafaude la matière.

De l'autre côté, les ondes lumineuses ne font-elles pas partie de la série des ondes électromagnétiques qui parcourent l'étendue ? Celles-ci ne présentent-elles pas une grande analogie avec les ondes sonores et les ondes liquides ?

Par celles-ci nous rejoignons les mouvements vibratoires des solides, le mouvement pendulaire, et celui de la balance avec lequel se manifeste la sensibilité mécanique.

C'est donc dans les manifestations de la lumière que se rejoignent les mouvements de la matière et les éléments qui la constituent.

La diversité de cet ensemble de manifestations énergétiques, dynamiques et statiques, et la difficulté de percevoir les plus infimes m'incitent à penser que nous ne percevons que des aspects, des apparences des éléments énergétiques, comme je l'ai indiqué en ce qui concerne les corps matériels.

Sous ces apparences, l'énergie paraît composer la matière, la mouvoir, l'organiser et, en même temps que sa structure se perfectionne, développer ses nombreuses propriétés ; seule, sa quantité paraît rester inchangée.

Sous ses multiples manifestations, l'énergie se présente sous deux principaux aspects : quantitatif et qualitatif ; si je ne considère que sa quantité sous forme de corpuscules, elle paraît finie et douée de caractère électrique, de masse et de fréquence.

La matière organique est constituée des mêmes éléments simples que la matière minérale.

La cellule biologique n'est qu'une structure perfectionnée édifiée par les éléments énergétiques de plusieurs molécules ou atomes qui présentent un ensemble plus complexe ; elle est à l'origine des êtres doués de fonctions qui caractérisent la vie.

Toutes ces propriétés nouvelles ne venaient-elles pas des possibilités que l'énergie possède de les produire ?

L'élan vital, cher à l'école de Montpellier, qui semblait animer la matière, perdit de sa valeur dès que fut démontrée l'identité de nature entre la combustion organique et celle de la chimie minérale, et après que Berthelot eut réalisé la synthèse des matières organiques.

C'est donc bien l'énergie qui a constitué la matière vivante comme la matière minérale et a permis de poursuivre l'évolution par une structure de plus en plus complexe de l'organisme animal jusqu'à l'apparition des circonvolutions qui dominent le cerveau de l'homme.

N'est-ce pas toujours l'énergie qui, grâce à ses possibilités, après avoir doté la matière de propriétés, puis des fonctions que comporte la vie, a dégagé du cerveau les premières manifestations spirituelles ?

L'esprit serait-il, comme certains le prétendent, une sécrétion, une simple émanation de la matière ?

Non : l'esprit, comme la vie, comme la matière, résulte des possibilités que possède l'énergie de produire tous les phénomènes que nous constatons dans l'univers.

L'esprit d'une personne m'apparaît hypothétiquement comme étant la synthèse de toutes les possibilités que possède non un cerveau, mais l'énergie organisée de ce cerveau et du système nerveux, de produire des manifestations sensibles, émotives, intellectuelles et volontaires.

Je fais remarquer, d'autre part, que les qualités psychiques de l'énergie, transmises à un cerveau, influent à la fois sur l'organisme et l'esprit, favorablement ou défavorablement, suivant la nature de ses qualités.

L'énergie commande les activités de l'esprit comme celles de la matière et développe les qualités spirituelles comme les propriétés matérielles.

L'énergie confère à la matière non seulement des propriétés physiques, mais certains caractères d'utilité, de sensibilité, d'affectivité.

Tous ces aspects sont objectifs ; c'est l'esprit humain qui, avec ses qualités, constate ces propriétés apparentes de la matière, la sensibilité de la boussole et de certains appareils scientifiques, l'utilité que peuvent avoir pour l'homme certaines des propriétés matérielles et l'impression affective qu'elles peuvent lui procurer.

Cela est vrai, qu'il s'agisse de la matière inorganique ou de la matière vivante.

L'énergie dote l'animal de qualités pré-spirituelles, notamment la sensibilité nerveuse et l'instinct, qui se développent avec l'évolution des espèces.

La sensibilité animale n'est plus la sensibilité de la balance ou de la boussole et n'est pas encore la sensibilité morale, mais les caractères différents de ces sensibilités sont de nature énergétique.

La grâce d'une forme matérielle, la splendeur d'une nuit étoilée, la majesté d'une cime élevée couverte de neige sont des beautés que ne ressentent ni la matière dont elles sont l'expression, ni la grande majorité des animaux, ni même trop d'êtres humains, mais qui émeuvent ceux qui savent goûter les joies esthétiques.

L'image de la forme est projetée dans la conscience par le sens visuel, et c'est l'émotivité qui est impressionnée par cette image.

N'est-ce pas l'énergie qui a développé dans les esprits les qualités qui peuvent leur permettre d'apprécier cette expression, et n'est-ce pas grâce à ses possibilités que cette énergie a dégagé cette expression de la matière ?

Ne sont-ce pas des qualités esthétiques, spirituelles que doit posséder l'énergie pour en imprégner la matière en l'embellissant comme elle inspire et perfectionne peu à peu l'esprit ?

III

La cellule vivante est composée d'atomes et par conséquent d'énergie ; l'être animé, sa structure, l'agencement de son cerveau comprennent une multitude de cellules ; nous sommes toujours en présence de manifestations énergétiques.

Lorsqu'un chien montre sa colère pour un coup de pied qu'il reçoit ou la joie de revoir son maître, ne s'agit-il pas encore de manifestations de l'énergie qui compose et anime la structure biologique de ce chien ? Sinon, que serait-ce en dehors de cette interprétation ?

N'en est-il pas de même lorsqu'un très jeune enfant crie parce qu'il souffre ou sourit à sa mère qu'il aperçoit ?

Ces manifestations présentent un caractère physique par les mouvements qu'exécutent les organes du chien et de l'enfant et un aspect psychique qui en est l'expression.

Ces deux aspects sont déterminés par une dépense d'énergie transformée.

Lorsque l'enfant grandit et devient un homme, ses manifestations d'émotivité ou d'intelligence changent-elles de nature ?

Les mouvements des cellules du corps, du cerveau provenant de ces activités spirituelles seront encore de caractère énergétique et correspondront à la transformation d'une quantité d'énergie tandis que l'expression spirituelle proviendra de la qualité de cette même énergie.

Il n'y a pas de principe vital qui modifie la composition de la matière minérale pour lui donner la vie, par conséquent pour doter l'être de sensibilité ; peut-il y avoir un principe spirituel qui influe sur la matière vivante pour que l'esprit se manifeste ?

N'est-ce pas toujours l'énergie qui dégage l'instinct de l'animal puis le commencement de l'intelligence que l'on constate chez les animaux supérieurs ?

S'il n'y en a pas pour l'animal comment pourrait-il y en avoir pour l'homme qui est sorti de l'animalité ?

A quel stade du développement des espèces ce principe pourrait-il intervenir, puisqu'il n'y a pas solution de continuité entre l'être humain et l'animalité ?

Comme la lumière, la vie végétative ou la vie animale, l'esprit de la sensibilité à l'entendement et à la volonté réfléchie me paraît provenir des qualités que possède l'énergie et qui déterminent des manifestations lumineuses, biologiques et psychiques dès que la structure énergétique, matérielle, biologique, nerveuse et cérébrale constitue une organisation et un milieu favorables à leur production.

Pour entendre un morceau de musique, je puis être mêlé à des auditeurs dans une salle de concert ou seul, chez moi, près d'un appareil radiophonique.

Aurai-je le même plaisir dans l'un et l'autre cas ? Certainement non.

Si je suis dans la salle, la vue de l'artiste, de son jeu, surtout si son instrument est à cordes, la vue de la salle et de l'assemblée influeront sur ma sensibilité et sur celle d'autres auditeurs ; notre émotion résultant de la beauté de l'œuvre et du talent de l'exécutant impressionnera favorablement ce dernier et notre émotion s'intensifiant nous élèvera à peu près tous au-dessus de nos tracas journaliers.

Bien des formes d'énergie interviennent : celle dépensée par le compositeur en écrivant la partition et dont on retrouve une partie en la jouant ; celle dont on a été imprégné l'instrument par la main experte qui, en le façonnant, l'a doté de sa sonorité ; celle qui correspond au talent de l'artiste ; celle qui résulte de l'acoustique de la salle ; celle des ondes sonores et visuelles qui, perçues par nos sens, rejoignent celles de nos esprits attentifs, pour les charmer.

Une certaine quantité d'énergie se trouve dépensée, ou plus exactement transformée, et ce sont les manifestations de sa qualité qui est sans mesure, que chacun des auditeurs peut goûter suivant les possibilités dont est douée sa sentimentalité.

Mon plaisir ne sera-t-il pas moins vif si je suis seul à entendre ce morceau de musique à côté de mon poste ?

Dans un repas la quantité des vivres se partage entre les convives, tandis que l'agrément de prendre ce repas en commun n'est pas restreint en quantité et ne se divise pas.

Les biens matériels sont limités, les joies spirituelles s'accroissent lorsqu'on les partage ; ce sont elles qui se multiplient, et non le pain.

La satisfaction peut même provenir du don que l'on fait de sa part de nourriture.

J'ouvre un volume de philosophie scientifique ; je constate que des caractères noirs sont imprimés sur le papier blanc ; je reconnais que ces caractères représentent des lettres, mais si je ne connais pas la langue je n'irai pas plus loin ; dans le cas où l'œuvre est écrite dans ma langue maternelle, j'assemble les lettres et je lis des mots dont je connais le sens et des phrases que je cherche à comprendre.

Je puis saisir la pensée qu'a voulu exprimer l'auteur ; il est possible que je croie seulement la comprendre.

Inconsciemment je cherche peut-être à y retrouver nos propres idées.

Quoi qu'il en soit, si je constate que le livre renferme une conception qui m'était inconnue ou est présentée sous une forme qui m'est plus accessible, j'aurai le sentiment que cette doctrine ou sa démonstration, nouvelle pour moi, n'est pas de moi, et qu'elle provient de l'auteur qui l'a conçue ou rédigée et l'a fait imprimer.

Cet auteur aurait pu m'exposer son œuvre au moyen du langage.

Conçue par les qualités énergétiques de son cerveau, l'expression de sa pensée aurait été portée par l'énergie qui détermine les sens de sa voix jusqu'à mes oreilles, et mon sens de l'ouïe aurait projeté ces mots dans ma conscience où mon intelligence aurait dégagé leur signification et compris la pensée exprimée.

De son cerveau au mien, où semble résider la conscience, et enveloppée par le langage, la pensée paraît toujours portée par un support superficiellement matériel mais plus profondément énergétique.

D'ailleurs le langage, et par conséquent la pensée, peut être également transporté à travers l'étendue par les ondes électromagnétiques.

Dans le livre, la pensée a encore comme support l'énergie atomique constituant la matière de ce livre.

Cette pensée n'a-t-elle pas elle-même un caractère énergétique qui est à l'état statique, latent dans le livre fermé, mais qui prend un caractère actif, dynamique, dans la lecture comme dans l'audition ?

Dans la lecture ce sont bien les caractères typographiques que je perçois, mais c'est la pensée, l'énergie de la pensée qui impressionne mon intelligence, modifiant ma connaissance plus ou moins heureusement.

Il s'agit bien là d'une action énergétique qui peut passer par des circuits différents de l'esprit de l'auteur au mien, qui d'ailleurs peut se répercuter sur mon état physique, suivant la satisfaction ou la déception qui pourrait accompagner cette transmission de pensée.

Je puis regarder une statue au lieu d'un livre ; c'est l'expression d'art, de beauté que l'artiste a cherché à réaliser dans son œuvre qui m'impressionne et qui là encore, partie d'un cerveau, parvient au mien pour l'émouvoir.

C'est toujours de l'énergie qui se transmet, dont nous ne percevons pas la quantité mais la qualité.

Ce qui est vrai de l'œuvre de l'artiste ne l'est-il plus lorsqu'il s'agit de l'œuvre de la nature ?

Le spectacle de gerbes marines qui scintillent à la lumière du jour en frappant les roches, la vue d'un beau corps humain comme celle d'une statue ou d'un temple grec résultent de gouttes d'eau jaillissant devant moi, de cellules vivantes ou de molécules minérales qui constituent ces matières ; les unes comme les autres sont imprégnées de beauté ; je ne suis ému que parce que ces matières composées d'énergie portent en elles la possibilité de m'émouvoir comme celles qui composaient le cerveau de l'auteur m'incitaient à penser.

La lecture de l'ouvrage peut être faite par plusieurs personnes qui comme moi seront plus ou moins impressionnées.

Il en sera de même de la vue de la statue ou des œuvres de la nature ; certains pourront ne pas comprendre, rester indifférents à la pensée ou à l'œuvre artistique ou naturelle ; cela prouve simplement que, comme les graines ne germent pas dans tous les terrains, les œuvres de la pensée, de l'art ou de la nature n'impressionnent pas également tous les esprits.

IV

Pour établir une hypothèse, embrassant l'ensemble des phénomènes, qui puisse être acceptée par ma raison, j'ai voulu tenir compte de la connaissance de notre temps et je me suis efforcé de m'appuyer sur une base solide résultant de l'observation pour remonter vers l'idéal dans la mesure où l'homme est capable de s'élever au-dessus de ses tendances trop personnelles et trop ambitieuses.

De l'ensemble de mes observations, j'estime pouvoir déduire que sous les manifestations qui parviennent à ma conscience, celles qui ont

un caractère matériel correspondent à une quantité d'énergie, et que celles qui ont un caractère spirituel correspondent à une qualité de cette même énergie.

Toutes les manifestations phénoménales de l'univers dépendent les unes des autres, depuis les premières qui sont énergétiques jusqu'à celles qui sont idéalistes, en passant par celles de la matière, de la vie, de l'esprit.

Comme rien ne paraît s'ajouter à l'énergie, celle-ci dès l'origine doit donc disposer des possibilités de produire toutes les qualités qui se manifestent au cours de l'évolution, et par suite posséder elle-même ces qualités.

L'énergie est donc douée de multiples propriétés et notamment d'un double caractère quantitatif et qualitatif, physique et psychique, dont les effets se manifestent successivement sous des aspects matériels ou spirituels plus ou moins perceptibles à nos sens.

La quantité énergétique se présente en masses corpusculaires infiniment petites, finies en quantité mais sous forme définie, qui paraissent douées de fréquence et d'un état électrique positif, négatif ou neutre ; ces éléments s'organisent en structure depuis le noyau de l'atome jusqu'à l'édifice extrêmement complexe que constitue le cerveau de l'homme.

La qualité dégage des premières combinaisons matérielles les propriétés particulières aux corps simples et composés, notamment une forme dont l'expression peut être appréciée par notre esprit.

Ne pouvons-nous en déduire que le psychisme se manifeste dès les premières qualités de ces édifices, ne fût-ce qu'à l'état de trace, pour se développer peu à peu avec la complexité des organismes biologiques, .faisant apparaître la sensibilité, l'instinct suivis de traces d'intelligence chez les mammifères supérieurs ?

Partant de la lumière qui brille au firmament, la qualité de l'énergie est parvenue aux plus hautes facultés de l'esprit humain.

Toutes ces catégories de manifestations se mêlent en agissant et réagissant les unes sur les autres, conformément à un ensemble de lois.

La recherche de ces lois est la tâche que s'impose la science ; elle la poursuit jour après jour, mais la connaissance de ces lois est statique, tandis que dans l'univers tout se meut et que ce mouvement correspond nécessairement à une activité, à un principe qui possède la possibilité, le pouvoir de faire évoluer le monde conformément à ses lois.

Que peut-on connaître de ce principe ?


 

DEUXIEME PARTIE

Son principe et son cadre

Je me suis efforcé d'établir l'hypothèse d'un principe qui possède le pouvoir de produire des manifestations énergétiques. Celles-ci, en déterminant des phénomènes représentant des corps matériels, édifient des structures de plus en plus complexes et perfectionnées.

L'ensemble de ces combinaisons ou constructions, provenant de l'agrégation d'éléments énergétiques, se succède suivant une évolution qui des minéraux se poursuit par les organismes vivants vers l'esprit sans que je puisse en prévoir le développement ultérieur.

Comme on le voit, je donne au mot «principe» le sens de puissance active.

Les lois de l'univers dont les savants cherchent à rapprocher les leurs sont l'expression de cette activité.

Les lois sont de nature passive, et ce serait ce principe actif qui déterminerait suivant ces lois les conditions de la production des phénomènes et réglerait leurs rapports entre eux.

La science peut ne pas avoir besoin de cette hypothèse pour poursuivre ses recherches, mais l'esprit humain a le droit de ne pas plus se laisser enchaîner par des postulats scientifiques que par des dogmes religieux et de tenter, en pleine liberté, d'élargir le champ de ses explorations philosophiques sous la réserve de ne rien avancer qui soit en contradiction formelle avec l'observation et l'expérience scientifiques ou les exigences de la raison.

La science ne dépasse-t-elle pas elle-même ses méthodes lorsqu'elle généralise les résultats de ses travaux ou quand elle appuie ses théories sur des éléments qui ne sont pas perçus par les sens comme elle l'a fait à maintes reprises, notamment avec l'emboîtement des germes de Swammerdam, le phlogistique de Stahl, la fixité des espèces de Linné et de Cuvier, la conservation de la matière de Lavoisier, le vitalisme de Bichat, ou l'éther de Fresnel ?

Est-il certain que la physique corpusculaire ne soit pas entrée dans cette voie ?

On a toujours le droit d'émettre des hypothèses ou de concevoir des constructions utiles au développement scientifique, mais non de les présenter comme étant des réalités si elles ne correspondent à des perceptions contrôlées.

L'esprit humain semble se trouver en face d'un inconnu, et probablement d'un inconnaissable ; cela est vrai en science comme en philosophie.

Cette dernière ne peut connaître qu'une vérité imparfaite mais de plus en plus approfondie, comme la science ne perçoit qu'une réalité relative, mais de plus en plus approchée.

Ne peut-on aborder le domaine philosophique de l'inconnu même s'il est difficile de projeter quelque clarté dans l'ombre qui dérobe le principe du inonde à notre entendement ?

Dans l'univers tout est mouvement, ou plus généralement changement qui représente un ensemble de mouvements.

Rien n'est stable ; ce qui nous paraît immobile ne l'est que relativement ou en apparence.

Un corps peut paraître immobile par rapport à un autre corps entraîné avec lui dans un même mouvement.

De plus, les éléments d'un corps ne nous semblent stables qu'en raison de l'imperfection de nos sens, car nous ne percevons ni le mouvement des molécules qui les composent, ni les vibrations extrêmement rapides des rayons lumineux qui, éclairant ce corps, sont projetés vers notre œil et nous donnent l'impression que les éléments de sa surface sont au repos.

L'immobilité absolue ne pourrait provenir que de l'absence de tout changement, ce qui est impossible dans l'univers.

Remarquons que les mouvements, les changements effectués ne sont pas eux-mêmes des activités, ils ne figurent que les signes, les représentations de celles-ci.

C'est l'activité génératrice de tout changement qui s'effectue dans la nature que je considère comme étant le principe de l'énergie qui est le constituant du monde ; pour produire des phénomènes matériels et spirituels, l'énergie doit en avoir la possibilité et, à cet effet, posséder les qualités qui, au cours de l'évolution déterminée par elle, font apparaître les manifestations matérielles que nos sens peuvent percevoir et projeter dans notre conscience sous forme d'images visuelles, sonores, tactiles et autres.

De ces images notre émotivité et notre intelligence dégagent les expressions spirituelles dont elles peuvent être le support.

Pour approfondir notre connaissance, il faut avoir grand soin de distinguer une vue objective d'une vue subjective, et une idée générale d'une représentation réellement perçue.

L'être humain subit les effets de la température ; il a chaud quand la température monte, il a froid quand elle descend.

La chaleur correspond à un mouvement moléculaire ; lorsque l'intensité de ce mouvement s'accroît la température monte ; elle décroît lorsque la température descend.

Il y a donc chaleur tant que les molécules sont en mouvement.

Les notions de chaleur et de froid ont par suite des sens différents suivant qu'on rapporte le chaud et le froid subjectivement à nous, ou qu'ils sont considérés objectivement dans la nature.

Il est normal que l'homme ait commencé à considérer la température par rapport à lui, car sa vie ne peut se maintenir, persister qu'entre certaines limites de température comme de pression.

Dans l'univers, le froid absolu ne pourrait correspondre théoriquement qu'à l'absence totale de chaleur, ce qui apparaît impossible, car les éléments matériels comme les éléments énergétiques ne peuvent constituer la nature qu'à l'état de mouvement.

En l'absence de celui-ci, on ne peut concevoir que le néant.

En sens inverse, on ne sait jusqu'à quel degré de chaleur la température pourrait s'élever ; on prétend toutefois que dans certaines étoiles elle atteint plusieurs millions de degrés centigrades ; de plus, il est probable que la température ne doit pas pouvoir dépasser un certain maximum puisqu'il en existe un pour la vitesse.

Les corps matériels doivent donc avoir, comme les organismes vivants, des limites de température en dehors desquelles on ne peut les rencontrer.

Nous savons déjà que tous les corps changent d'état lorsqu'ils atteignent certaines températures dans différentes conditions de pression.

Ce mouvement moléculaire, qui nous fait éprouver une sensation de chaleur ou de froid suivant qu'il s'intensifie ou se ralentit, et peut brûler ou geler nos tissus, est bien une réalité à l'échelle humaine.

D'autre part, ce mouvement des molécules s'accroît ou décroît lorsqu'il reçoit de la chaleur d'autres corps ou qu'il leur en transmet ; la chaleur s'équilibre d'un corps à l'autre.

De plus, l'énergie calorifique qui correspond à ce mouvement moléculaire peut se transformer en un autre mode d'énergie.

La conservation de la matière ne peut plus être considérée comme un postulat exact. Seule l'énergie se conserve.

Il est admis que l'énergie a une niasse et que la masse, de la matière est la somme des masses énergétiques qui entrent dans cette matière.

Si l'on chauffe ou si l'on refroidit un corps matériel, la masse de ce corps se trouve augmentée ou diminuée sans qu'on lui ait ajouté ou retranché une quantité quelconque de matière.

Il ne peut en être ainsi en ce qui concerne l'énergie.

Sans doute, d'après le principe de la relativité, la formule concernant la quantité d'énergie ou de mouvement n'est plus valable ; elle est remplacée par celle d'Einstein. -

Celui-ci a démontré, en étudiant l'énergie intra-atomique, que la vitesse de celle-ci est considérable lorsqu'elle est mise en liberté et que c'est sa masse qui, en s'accroissant rapidement, limite par son inertie la vitesse de la lumière. Cette énergie intra-atomique, qui est en puissance dans l'atome, se dégage lors de la désintégration des noyaux atomiques.

Mais cette énergie, comme celle des éléments qui composent l'atome, ainsi que celle des modes énergétiques qui se transforment les uns dans les autres : énergie thermique, électromagnétique, cinétique, peut être évaluée en travail mécanique, c'est-à-dire en joules et en ergs.

Toutes ces transformations ont montré l'équivalence de ces divers modes, y compris les modes utilisés pour les transformations de la matière qui semblent disparaître, mais qui reparaissent dans les transformations contraires comme les modes latents d'énergie utilisés dans les transformations chimiques, les changements d'état de la matière, la cohésion et la résistance à la gravitation.

L'énergie qui compose et anime la matière peut augmenter ou diminuer, mais qu'elles soient dans la matière ou hors d'elle, les quantités énergétiques qui ont une commune mesure peuvent passer d'un mode à l'autre ; il leur est possible de se disperser ou -de se dérober provisoirement, mais elles ne peuvent ni augmenter, ni s'évanouir. La quantité d'énergie ne peut être modifiée.

D'autre part, à quoi peuvent se réduire les éléments provenant des désintégrations, des décompositions énergétiques ? A des quanta finis, doués de fréquence, qui déterminent des vibrations, des ondulations, des projections, ou plus généralement de l'attraction, du mouvement, de l'inertie, de la lumière.

Ces conséquences ne nous incitent-elles pas à penser qu'il n'existe qu'un principe d'une prodigieuse activité dont nous ne pouvons percevoir que les apparences physiques ou psychiques dont il se revêt dans son évolution universelle ?

II

Je regarde une chaise ; est-ce ce siège que je perçois ? Ne sont-ce pas plutôt certaines des propriétés qui la caractérisent et me permettent d'en avoir une idée : sa forme, son volume, ses dimensions, sa matière, sa couleur, etc ? Sa vue ne me rappelle-t-elle pas surtout son utilité et, si j'en ai l'usage, sa commodité ?

Son volume correspond à l'emplacement qu'elle occupe dans l'étendue. En son absence, en l'absence de tout objet, de toute matière, que puis-je percevoir de l'étendue ?

Il m'est possible de concevoir un vide, qui n'est que relatif, mais non de le percevoir.

L'étendue dans laquelle nous nous déplaçons n'est pas vide de matière, elle est remplie d'air et nous ne percevons celui-ci que lorsqu'il se déplace avec quelque vitesse, et par exemple quand il nous caresse ou nous frappe au visage.

Ce qui existe physiquement à l'échelle humaine, ce sont l'énergie et la matière que nous percevons, et non le vide; en dehors d'eux il n'existerait rien physiquement.

Je ne puis concevoir l'étendue que parce que je ne perçois pas l'air qui m'environne ou sépare les objets que je perçois.

L'eau dans laquelle je plonge et me déplace me donne-t-elle l'impression du vide ?

L'air, bien plus difficilement perceptible, est un fluide comme l'eau.

De même que je conçois l'idée de chaise détachée du siège que je vois, pour me remémorer une autre forme de chaise que j'ai vue ou en inventer une différente, l'espace et le temps ne sont que des généralisations de l'étendue et de la durée des corps, c'est-à-dire des conceptions qui peuvent être utiles mais qui ne me paraissent pas correspondre à des réalités physiques.

Les trajectoires des mobiles ont une longueur, les corps solides ont un volume qui peuvent être mesurés suivant les dimensions que l'homme détermine.

Seules, la matière et les trajectoires de ses mouvements ou celles de radiations énergétiques peuvent avoir des dimensions.

Une dimension se mesure d'un point à un autre, d'une surface à une autre, d'un volume à un autre.

L'espace vide de toute énergie ou matière n'a ni point, ni surface, ni volume ; pourrait-il être considéré comme autre chose que le néant ?

Il serait possible de lui attribuer une dimension ou une infinité, mais non de pouvoir en mesurer aucune.

L'espace ne saurait être considéré que comme un cadre enveloppant l'ensemble des phénomènes matériels et énergétiques.

Les philosophes ne définissent-ils pas un espace selon leurs aspirations, tandis que les savants le construisent en tenant compte des solutions de leurs équations ?

C'est ainsi que parlant de l'espace ou plus précisément de la nature, dans une image magnifique, Pascal, après Empédocle, l'a comparé à une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Les anciens limitaient l'espace par la voûte céleste, tandis qu'Einstein, par l'analyse, démontre que l'espace est à la fois fini et illimité.

Il me paraît bien difficile de concevoir cet espace malgré les analogies que nous connaissons.

Une route qui représente une courbe fermée possède une dimension finie que l'on peut poursuivre indéfiniment ; une surface sphérique ou ellipsoïdale a une étendue finie et mesurable, tandis qu'elle est sans borne, donc illimitée pour ceux qui l'explorent.

Mais nous voyons l'extérieur de la sphère et nous ne pouvons pas considérer l'extérieur de l'univers puisque nous y sommes inclus.

On attribue généralement une durée aux phénomènes ou à cet ensemble de phénomènes que l'on appelle un événement. C'est cette durée qui a été généralisée sous le nom de temps.

Cette notion, que l'antiquité gréco-romaine avait divinisée, est fort imparfaite, car elle ne peut avoir un caractère universel.

L'être humain ne perçoit que des phénomènes ; il conçoit la durée dont il a inventé la mesure.

C'est le mouvement apparent du soleil autour de notre globe qui règle sur celui-ci la durée du jour ; cependant les hommes ne le voient pas apparaître au même instant ; si la durée est sensiblement la même, quoique le mouvement des astres ne soit pas absolument régulier, les heures varient de lieu en lieu, actuellement de fuseau à fuseau qui se suivent d'heure en heure.

Or, des travaux d'Einstein, il résulte que pour des corps en mouvement les uns par rapport aux autres, non seulement l'heure du jour ne peut être la même pour les deux mobiles, mais la durée se différencie de l'un à l'autre.

Enfin, l'apparition des phénomènes semble ne pas s'effectuer dans le même ordre pour les personnes qui l'observent, selon leur position par rapport au lieu où le phénomène se produit, et aussi en raison de leur mouvement les uns par rapport aux autres.

D'autre part, la durée est-elle la même pour tous les hommes ?

Ne semble-t-elle pas varier suivant l'âge, l'état de santé, l'occupation agréable ou pénible, etc... ?

Il n'y a pas de commune mesure pour la durée des phénomènes, et le moment et l'ordre de leur apparition peuvent être différents pour les observateurs.

Un certain mode de durée a été établi pour les hommes habitant la terre afin de faciliter leurs rapports et leur permettre de régler les conditions de leur existence, mais il n'y a pas de construction temporelle qui puisse s'appliquer à l'ensemble de l'univers.

Comme l'a prouvé Einstein, il n'y a pas de temps absolu.

Tout mouvement a une trajectoire et une vitesse ; la trajectoire se mesure dans l'étendue ou l'espace, la vitesse dans la durée ou le temps.

Je viens d'indiquer que, d'après Einstein, la durée n'est pas la même pour deux mobiles qui se déplacent l'un par rapport à l'autre.

D'autre part, Einstein, après Lorentz, démontre que, pour un mobile, la matière qui est emportée par l'autre mobile paraît subir une contraction dans le sens de son mouvement ; ne puis-je en conclure que non seulement le temps mais l'espace n'est pas le même pour les deux mobiles ?

Or Minkowski a proposé un continuum à quatre dimensions : trois spatiales et une temporelle.

On est tenté de s'y rallier en se rappelant que le mouvement s'effectue à la fois dans une ou plusieurs dimensions spatiales et une dimension temporelle ; cependant si le temps pour un mobile n'est pas le même que pour l'autre, et si la mesure d'une dimension spatiale se différencie également d'un mobile à l'autre, comment ces mobiles pourront-ils avoir un continuum commun ?

Toutefois, si je comprends les équations de Lorentz, qu'utilisé Einstein, tandis que la mesure et la durée du mouvement et celle de la trajectoire diffèrent pour deux mobiles, l'intensité de la vitesse que ces mesures déterminent leur est commune et se substitue à ses éléments dans le continuum.

L'énergie a une quantité qui se meut.

Le mouvement s'effectue dans l'étendue, mais la quantité qui d'après l'expérimentation scientifique paraît être invariable ne doit pas être plus dans le temps que l'esprit n'est dans l'espace.

Si cette quantité ne s'est pas modifiée dans le temps, comment aurait-elle pu avoir un commencement ?

Est-elle éternelle ?

Cette question ne me paraît pas pouvoir se poser.

Le mot éternité comme celui d'immensité sont des modalités de l'infini : l'infini temporel, l'infini spatial ; or je ne parviens pas à comprendre ce que peut signifier exactement le mot «infini». Il est un proverbe qui dit que les extrêmes se touchent. < J'ai souvent vérifié que, dans la vie sociale notamment, on passe facilement d'un extrême à l'autre. Je me contente de prendre un exemple mécanique.

Je suppose qu'une roue effectue autour de son axe un mouvement de rotation dont la vitesse est croissante. S'il était possible que cette vitesse devînt infinie, ne constaterait-on pas que chacun des points de la roue se trouverait à tout instant au même emplacement, quoique ayant fait un tour, et paraîtrait ne pas l'avoir quitté ? Le mouvement infini se confondrait avec l'immobilité.

Cette hypothèse n'est que théorique puisqu'on sait qu'aucune vitesse ne peut dépasser celle de la lumière, mais elle me confirme dans le sentiment que tout infini s'apparente au rien, au vide, au néant.

Les durées et les étendues relatives peuvent être des réalités humaines comme les mouvements et les formes, tandis que le temps et l'espace ne sont que des généralisations, des abstractions comme lorsque je parle du mouvement ou de la forme.

Toutefois le temps et l'espace peuvent représenter des constructions théoriques ou hypothétiques utiles au développement scientifique.

L'infini m'apparaît être, comme le zéro, une simple notion mathématique.

Cependant, dans le sens pascalien, l'infini que je considère comme un concept métaphysique peut, ainsi que les expressions «immensité, éternité et absolu», représenter quelque aspiration idéale de l'esprit ([6]).

III

Nos ancêtres avaient cru constater dans la nature que des catégories de phénomènes avaient eu des origines distinctes.

Leurs méditations les conduisirent à concevoir que la lumière, la matière, les végétaux, les animaux et l'homme avaient été créés les uns après les autres.

Nous savons aujourd'hui, grâce à l'observation approfondie et à l'expérimentation contrôlée, que dans l'ensemble de l'évolution du monde tous les phénomènes dépendent des phénomènes antécédents dont ils proviennent, et interviennent dans le développement de ceux qui leur succèdent.

Pour les examiner en eux-mêmes, il faut les séparer plus ou moins arbitrairement du milieu dans lequel ils se manifestent.

Le commencement ainsi que la terminaison d'un phénomène ne sont que des apparences, car tous les phénomènes sont liés et entremêlés et ne se présentent à nous que sous un de leurs aspects plus ou moins relatifs et généralement à l'échelle humaine.

(1) .

L'univers ne peut être étudié qu'à plusieurs échelles ; au-dessus de l'échelle humaine, on utilise l'échelle stellaire ; au-dessous, l'échelle atomique, ondulatoire ou quantique.

Dans chaque échelle on peut considérer des plans différents s'étageant ou se succédant, et qui peuvent se classer en plans énergétiques, matériels, biologiques, psychiques, sociaux.

La plupart des phénomènes peuvent être observés dans plusieurs plans et plusieurs échelles et certains phénomènes se développent très lentement, passant d'une forme à l'autre de telle sorte qu'il est impossible de préciser à quel instant une forme phénoménale apparaît.

La sensibilité, par exemple, se présente sous deux aspects : biologique et psychique.

Biologiquement, me dira-t-on, elle commence avec le système nerveux ; mais quand commence le système nerveux ? Quand se dégage-t-il de l'irritabilité de la cellule ? Retrouve-t-on les éléments de cette irritabilité dans les molécules qui ont formé la cellule ? Les reconnaîtrait-on dans la propriété électrique des particules composant l'atome ?

La sensibilité psychique n'apparaît-elle que dans l'esprit de l'homme ? Les animaux supérieurs n'en manifestent-ils pas ? Jusqu'où faut-il descendre dans l'échelle des êtres pour en découvrir l'origine ?

Considérons le plus complexe des phénomènes : l'homme. On le détache entièrement de son milieu. Est-ce légitime ?

Un milieu atmosphérique lui est indispensable, il ne peut vivre que dans certaines conditions de chaleur et de pression ; les cellules qui le composent lui viennent de sa nourriture qu'il transforme en substances circulant en lui ; cette circulation porte la vie aux cellules et celles-ci, par division, en forment d'autres pour remplacer celles qui, usées, se détachent ou sont expulsées.

Au bout d'une certaine durée, toutes les cellules d'un corps sont renouvelées.

Que reste-t-il de la naissance à la mort, sinon une structure organique qui s'est modifiée, mais formée d'énergie qui maintient la cohésion physique et le système nerveux par l'intermédiaire duquel s'exprime la sensibilité, le sentiment, l'intelligence et la volonté de la personne ?

On peut sans doute considérer que la vie humaine commence avec la première aspiration d'air et finit avec la dernière expiration. Mais en réalité, après le dernier soupir, des tissus et même des organes immédiatement détachés du cadavre peuvent se régénérer et continuer à vivre quelque temps si on les place dans des milieux favorables.

D'autre part, avant la naissance le corps humain était en gestation et, avant la procréation, les chromosomes et .leurs gènes destinés à développer leurs qualités physiques et psychiques existaient déjà chez les géniteurs.

L'être humain appartient à une race qui, comme les espèces animales, se transforme lentement de génération en génération. .

La race humaine n'est-elle pas l'aboutissement de la transformation résultant de l'évolution biologique ?

Il n'y a pas solution de continuité entre l'être humain et les autres êtres vivants.

Pourrait-on préciser à quel stade un animal est devenu un homme ?

Le premier homme fut-il le premier être vivant qui a su utiliser le feu, celui qui a taillé la pierre pour en faire une arme ou un outil ou

celui qui a eu le génie d'articuler des sons pour se faire comprendre de ses semblables ?

Ces miracles ont dû mettre bien du temps avant d'aboutir à ces précisions encore bien primitives.

Dans le plan des atomes et des molécules gui le composent ou celui de l'énergie qui l'anime, que peut représenter l'homme ?

Comment un être dont les sens ne percevraient que l'infiniment petit pourrait-il concevoir que de nombreuses particules, séparées les unes des autres par de grandes distances comme les étoiles du firmament, peuvent constituer un homme ?

En fait, l'esprit peut considérer l'homme sous diverses apparences, notamment sous celles d'une personne, d'un membre du corps social ou sur le plan atomique comme un ensemble d'éléments énergétiques mêlés à tous ceux qui, de même nature, peuplent l'univers.

Il me semble résulter, des données actuelles de la science, qu'il n'a pas pu y avoir de commencement, de création au cours de l'évolution, mais l'évolution elle-même n'a-t-elle pas eu une origine ?

Cette dernière ne pouvait se produire que dans la durée et correspondre au commencement d'un premier mouvement relatif entre deux éléments.

Or on ne peut observer un mouvement qu'entre deux corps ou deux particules énergétiques, car il est impossible de rencontrer un point fixe dans l'univers, et la durée, comme l'étendue, n'apparaît qu'avec le mouvement.

Les molécules et les atomes existaient sans doute avant les corps pour les former ; de leur côté les mouvements moléculaires et atomiques se manifestèrent préalablement aux mouvements mécaniques de la matière.

De plus, on sait que dans un gaz, les mouvements moléculaires sont désordonnés et n'obéissent pas aux lois classiques de la mécanique ; le développement de la connaissance corpusculaire a conduit les savants à utiliser les lois statistiques pour étudier les phénomènes à l'échelle atomique. Au lieu d'appliquer des lois qui nous paraissent précises, nous sommes obligés de nous contenter de règles plus générales qui sont entachées d'indétermination.

Les mouvements désordonnés des atomes dépendent eux-mêmes des mouvements antérieurs de la mécanique ondulatoire et quantique, d'une indétermination plus subtile encore, ainsi que l'a démontré Heisenberg.

Pourrions-nous découvrir l'origine de la durée par le mouvement des électrons ou la fréquence des radiations électromagnétiques ?

Passant du déterminé à l'indéterminé, remontant dans l'évolution à une période antérieure à la révolution des astres qui fixe pour nous la durée actuelle, n'aboutissons-nous pas à des règles moins ordonnées qui pouvaient correspondre à un état plus imprécis d'un univers uniquement composé de quanta animés de fréquence et infiniment minuscules ?

Il n'existe pas de temps absolu, dit Einstein. Chaque mobile a son temps propre.

Si un mouvement a commencé l'évolution, il n'y avait pas de durée avant ce commencement, l'énergie qui devait le commencer n'était pas dans la durée, et parler de temps n'aurait pas eu de sens.

IV

Je considère la quantité énergétique comme étant mue par un principe actif, qui est sa qualité, ne pouvant être ni dans la durée ni dans l'étendue.

La durée et l'étendue ne sont pas antérieures au mouvement, car en son absence il ne peut y avoir ni durée, ni étendue ; elles ne peuvent commencer à se manifester qu'avec lui.

C'est le principe actif qui détermine la trajectoire d'un mouvement et sa durée, en produisant ce mouvement.

Le mouvement mécanique n'a pu apparaître qu'avec la matière ; le mouvement d'une quantité énergétique lui est nécessairement antérieur, sans cela elle n'existerait pas.

On admet que l'énergie est douée de fréquence et forcément se meut ; d'autre part, la durée dépend du mouvement et non le mouvement de la durée.

La quantité énergétique est constante ; à moins d'avoir été créée dans Un temps absolu, elle n'a pas pu avoir de commencement pas plus que sa fréquence, son agitation, c'est-à-dire le mouvement qui lui est lié.

Or Einstein a démontré qu'il ne peut y avoir que des durées relatives et non un temps généralisé.

La durée, le temps ne me paraissent avoir un sens défini qu'après l'apparition du mouvement des astres.

Peut-on m'objecter qu'il n'y a pas plus de principe énergétique que de principe vital ?

Il ne me semble pas, car l'énergie manifeste son activité en la montrant sous des modalités différentes : thermique, électromagnétique, cinétique, etc...

Selon les connaissances actuelles, il ne peut être ajouté aux éléments minéraux aucun principe nouveau susceptible de leur conférer la vie.

Aussi dans mon hypothèse de l'unité de l'énergie, c'est le principe actif de cette énergie qui doit détenir toutes les possibilités de déterminer des phénomènes matériels, vitaux et spirituels à mesure que les structures agencées par lui se perfectionnent en se succédant au cours de révolution.

Si l'on découvrait que l'énergie elle-même peut se décomposer, ce serait l'activité de ses constituants que je considérerais comme étant le principe du monde.

Les éléments primitifs se meuvent parce qu'ils ont en eux un principe actif qui les anime ou parce qu'ils sont mus par un principe actif extérieur à eux.

Cette alternative se présente nécessairement à notre esprit en ce qui concerne l'énergie : se meut-elle, est-elle mue ?

Il ne me semble pas possible de dissocier l'activité de l'énergie, car celle-ci m'apparaît active par essence.

L'activité énergétique, du moins les lois suivant lesquelles les modes énergétiques se transforment et les mouvements de ses éléments s'effectuent, dépendrait-elle d'une puissance extérieure à l'univers ?

Rien ne peut sortir de rien. Mon esprit se refuse à concevoir que quelque chose ait pu se dégager du néant en se donnant l'existence à elle-même.

Je ne sais que vaguement ce que je suis, ce qu'est la nature, le milieu qui m'environne, mais j'ai le sentiment profond qu'il existe un univers dans lequel je suis physiquement, psychiquement, socialement.

Cet univers a-t-il été créé ou est-il incréé ?

Tant que l'on sépare l'esprit de la matière on peut être amené à penser que l'esprit a créé la matière ; mais on sait aujourd'hui, scientifiquement, que l'énergie n'est pas la matière ; elle la constitue et l'anime; c'est de la structure des organismes qu'elle édifie que l'énergie dégage l'esprit humain, car d'après mon hypothèse c'est elle qui doit posséder, dans son principe, les possibilités, les qualités nécessaires à cet effet.

L'énergie doit être dotée de deux caractères, de deux aspects : physique et psychique.

Si ce principe a été créé par un autre principe, celui-ci est nécessairement incréé ou alors on remonterait à une infinité de créations.

Il y aurait donc un principe incréé.

Pourquoi ce principe incréé aurait-il créé un autre principe actif possédant toutes les qualités, le rendant apte à développer tous les phénomènes qui se manifestent dans la nature ?

Quelle raison avons-nous de supposer l'existence de ces deux principes, l'un créé qui manifeste son activité dans la nature, et l'autre qui l'a simplement créé ? Or il faut absolument que mon esprit admette un principe incréé, quoique cela dépasse mon entendement ; ne dois-je pas me ranger à la conception la plus rationnelle en admettant que le principe actif de l'énergie antérieur au mouvement, puisque c'est lui qui le commande, n'est pas soumis à la durée et est par conséquent incréé ?

D'autre part, Maupertuis n'a-t-il pas établi que dans la nature toutes les manifestations s'effectuaient par les moyens nécessitant la moindre action ?

Pourquoi supposer que dans l'univers ou hors de lui, il existe à côté du principe de l'énergie un autre principe hypothétique apparaissant superflu ? N'est-il pas plus simple et plus vraisemblable de n'en retenir qu'un seul ?

J'estime pouvoir émettre l'hypothèse qu'il n'existe qu'un principe possédant toutes les qualités qui ont animé l'énergie, l'animent et l'animeront conformément à ses lois pour produire tous les phénomènes qui se manifestent dans l'univers.

De ces phénomènes nous ne percevons que certaines apparences encadrées dans nos conceptions d'espace et de temps et mises en valeur par les autres constructions et inventions dues au génie de l'esprit humain ([7]).


 

TROISIEME PARTIE

Quelques tendances de l'évolution

LE principe de l'énergie confère à celle-ci deux formes essentielles d'activité : l'activité physique qui est le caractère quantitatif, et l'activité psychique, qui apparaît de caractère qualitatif. Ces activités se manifestent conformément aux lois de la nature à mesure que le milieu devient favorable à ces manifestations.

Il faut que des conditions nécessaires soient en présence pour qu'un phénomène se réalise.

Tout élément énergétique est une activité active et finie ; il a des propriétés : sa masse, sa fréquence et généralement son caractère électrique.

De plus, il a la possibilité de se grouper avec d'autres corpuscules pour constituer plus ou moins rapidement des structures énergétiques, puis matérielles, de plus en plus complexes. Ces groupements bénéficient de possibilités, de propriétés et de qualités nouvelles qui varient suivant l'importance et la constitution des structures édifiées.

La matière minérale puise ses propriétés dans les éléments de ses molécules et la matière organique dans ceux de ses cellules.

L'énergie finie dans ses éléments, par conséquent dans sa quantité, semble illimitée dans sa qualité ; par son principe, elle possède une gamme indéfinie de possibilités d'acquérir des qualités qui se sont manifestées successivement au cours de l'évolution de l'univers.

Le cerveau humain est l'organe biologique le plus perfectionné que 'nous connaissions actuellement.

Je tiens à faire remarquer qu'aucune structure matérielle, qu'aucun organisme ne peut posséder des propriétés ou des qualités innées, mais seulement des possibilités d'en acquérir par leur édification ; de même, il n'y a pas d'idées innées ; l'esprit ne peut avoir que la prédisposition d'en concevoir ou d'en recueillir.

Les phénomènes se manifestent dans des plans différents : énergétiques, physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychiques, etc...

Leurs propriétés ou qualités peuvent se présenter à notre observation dans un état actif ou passif, dynamique ou statique.

Pour établir une hypothèse objective des qualités du principe énergétique, il faut considérer les phénomènes dans les divers états et dans les divers plans pour déterminer les possibilités, les prédispositions ou plus généralement les tendances résultant de l'activité de ce principe, et en construire autant que possible une hypothèse qui satisfasse la raison.

Il sera prudent d'éviter les généralisations trop poussées, car souvent les points de vue contraires peuvent être sérieusement envisagés.

Les vues subjectives doivent être évidemment transférées dans le plan objectif.

Les tendances devront être d'autant plus retenues que nous les rencontrerons dans un plus grande nombre des plans qui correspondent aux diverses périodes de l'évolution.

*

* *

On sépare arbitrairement le corps humain du milieu sans lequel il n'existerait pas. On agit de même en opposant l'esprit au corps sans lequel il ne pourrait apparaître.

Il semble que seules les manifestations conscientes sont des phénomènes spirituels, comme s'il ne se produisait pas des manifestations inconscientes de l'esprit qui présentent, même pour l'homme, une plus grande importance, une plus certaine nécessité que les premières.

Je ne parle pas seulement de l'inconscient duquel jaillissent les idées, les inventions, les aspirations ou les émotions, mais de l'ensemble des manifestations organiques résultant de l'activité énergétique ou plus exactement de son principe.

Quand on parle de volonté, on ne pense guère qu'à sa forme consciente dont l'homme use si peu ou si mal en général, et on semble ignorer qu'il y a en nous une volonté inconsciente qui tend à régulariser le fonctionnement de nos organes.

La volonté consciente ou inconsciente n'est pas une force particulière, un élan qui s'unit à la matière, ce n'est que la synthèse de modes énergétiques, de qualités que la structure organique et le milieu permettent à l'activité de manifester.

Tout ce qui est qualité, quels que soient les phénomènes que je considère, appartient au domaine psychique ou spirituel.

Nous rencontrerons d'ailleurs des analogies qui décèlent une évidente parenté entre les qualités de l'énergie, de la matière minérale ou organique, de la société, de l'esprit.

*

* *

Dans l'univers, rien ne paraît absolu, tout est relatif dans quelque domaine que ce soit.

Les tendances que manifeste la qualité du principe de l'énergie paraissent s'unir, se déformer, s'opposer.

La qualité fondamentale de ce principe paraît être l'activité que l'on doit considérer dans son sens le plus large.

Cette activité se manifeste dans tous les plans de l'univers, où tout se meut, même ce qui nous paraît immobile : les faits et les événements résultent eux-mêmes d'un ensemble de mouvements.

Tout mouvement a tendance à persister et résiste à tout autre mouvement ou tout obstacle qui s'oppose à lui, et s'il est mécanique modifie sa trajectoire ou se transforme en mouvements moléculaires.

Toute matière minérale ou biologique tend à conserver ses propriétés tant que d'autres matières n'interviennent pas pour la modifier ou la détruire.

D'autre part, nous pouvons constater des analogies plus ou moins approchées entre les phénomènes de la nature, de l'esprit, de la société.

La conservation, la constance sont les tendances les plus générales, à côté desquelles se place la progression.

Tout agrégat, toute structure, tout organisme, tout groupement, tout, en général, tend à s'accroître, en quantité, à consolider son agencement, à perfectionner ses qualités.

Ce sont les tendances que le développement de l'évolution manifeste devant nous.

Considérée dans son ensemble, l'évolution paraît progressive puisqu'elle fait apparaître successivement la matière, la vie, l'esprit.

Toutefois, cette progression n'a pas suivi une courbe régulière ; celle-ci monte, descend, puis remonte un peu plus haut, comme si elle prenait son élan pour rebondir au-dessus du sommet précédent.

La forme de cette courbe présente un caractère oscillatoire.

Ces oscillations proviennent de la complexité des phénomènes qui se mêlent, s'opposent, se combinent et se succèdent pour constituer l'évolution universelle.

*

* *

Si je considère seulement les ères de notre planète, je constate que celle-ci a subi successivement des bouleversements géologiques ; sur les couches qui se sont accumulées, la vie est peu à peu apparue, les espèces végétales et animales se sont montrées et avec les races humaines, l'esprit s'est développé à son tour.

Puis les civilisations se suivirent, paraissant, disparaissant, remplacées par d'autres qui entraînèrent et entraînent l'humanité vers un destin inconnu, en semant sur sa route quelques joies entremêlées de souffrances et de deuils.

De même, les espèces vivantes apparaissent, croissent, dépérissent; dans chaque espèce, les individus naissent, se développent, vieillissent, meurent.

Les organismes vivants et les institutions sociales se succédant présentent une limite qui ne peut être dépassée que par d'autres organismes ou d'autres sociétés.

Les sommets de certaines oscillations augmentent tandis que d'autres paraissent à peu près stables comme ceux de quelques arts conquérant des formes nouvelles qui ne sont ni plus belles ni plus émotives que celles du passé.

ces Puissances, jusqu'à ce jour, ne croient pas devoir accepter des liens plus suivis ou plus intimes que ceux qui résultent de la reconnaissance complétée par l'échange de Garants d'amitié.

S'il en était ainsi, toutes propositions que nous pourrions faire n'auraient aucune suite utile pour préparer l'universalité de la Franc-Maçonnerie.

Dans ces conditions, est-ce à nous de rechercher des formes nouvelles de rapprochement ? Ne serait-ce pas plutôt aux Puissances non adhérentes à l'A.'. M.'. I.'., à préciser quel pourrait être* le mode d'union plus intime qu'elles seraient disposées à accepter ?

Nous estimons, toutefois, que tout rapprochement qui ne reposerait que sur la simple reconnaissance serait sans grand intérêt, si les dignitaires de ces Puissances ne se rencontraient jamais ou rarement, et si ce lien n'était renforcé par une pénétration réciproque et constante des Maçons, dans les diverses Loges de ces Puissances amies.

Conditions du rapprochement

La question la plus importante à examiner est moins celle de la forme du rapprochement que celle des conditions mises par certaines Obédiences, non pas même à un rapprochement plus étroit, mais à la simple reconnaissance.

C'est la question de régularité qui se pose.

La Franc-Maçonnerie possède un triple caractère : initiatique, symbolique, rituel ; mais aucune Puissance maçonnique ne travaille avec les anciens rituels, ni n'a conservé les formes initiatiques de nos origines ; il ne peut donc pas y avoir uniformité en ces matières ; des Rites différents sont pratiqués et nul ne pense à les uniformiser ou à imposer son propre Rite.

Nous ne connaissons d'ailleurs pas le texte du ou des rituels qui étaient en usage au moment où la Franc-Maçonnerie moderne a été fondée à Londres en 1717.

Quels documents peut-on invoquer pour -fixer les conditions de la régularité maçonnique ?

Le seul document officiel qui nous a été conservé de l'époque à laquelle la Franc-Maçonnerie spéculative a succédé à la Franc-Maçonnerie opérative est intitulé : «Constitutions des Francs-Maçons contenant «l'histoire, les obligations, règlements, etc. ; de cette très ancienne et «très vénérable confrérie, à l'usage des Loges», dans la rédaction d'ANDBRSON publiée, en 1723, après approbation de la Grande Loge de Londres.

Les règlements généraux qui figurent dans ces constitutions ont été souvent modifiés par la Grande Loge Unie d'Angleterre, au fur et à mesure que des améliorations à ces règles lui ont paru nécessaires à son taon fonctionnement.

Chaque Puissance maçonnique a adopté les règlements qui lui ont paru le mieux convenir à son développement, et aucune difficulté ne peut naître de cette divergence.

La partie essentielle des Constitutions d'Anderson est celle concernant «Les Obligations d'un Franc-Maçon extraites des anciennes archi-»ves des Loges au delà de la mer et de celles d'Angleterre, d'Ecosse . «et d'Irlande à l'usage des Loges de Londres ; à lire lors de l'admission «de Nouveaux Frères, ou quand le Maître en donnera l'ordre.»

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Ces obligations sont la véritable Charte de la Franc-Maçonnerie spéculative ou moderne.

C'est à elles qu'il faut se référer pour connaître le véritable esprit des fondateurs de l'Ordre maçonnique.

Certains prétendent compléter ces «Obligations» par d'autres «Landmarks». Sans doute, l'article 39 des règlements généraux de 1723 précise que : «Chaque Grande Loge annuelle a le pouvoir inhérent et l'autorité de faire de nouveaux règlements ou de modifier ceux-ci en vue de l'avantage réel de cette ancienne Confrérie. Mais il faut toujours que les «ancient Landmarks» (anciennes limites), soient maintenues soigneusement...».

En vertu de cette disposition, les obligations devraient donc être complétées par les anciennes règles essentielles de la Confrérie.

Des auteurs maçonniques ont pu en donner des listes, mais ils ne se sont trouvés d'accord ni sur le nombre, si sur le texte de ces «land-marks».

Aussi, considérerons-nous qu'il est absolument impossible, sous peine d'arbitraire, d'invoquer pour conditions de la régularité, ces «landmarks» dont nul texte vérifié n'a été présenté, ni garanti exact par aucune autorité reconnue.

A notre avis, seul le document des «Obligations» de 1723 peut être invoqué universellement pour décider de la régularité.

Ne doit-on pas tenir compte de l'évolution qu'ont subie pendant deux siècles les diverses Puissances maçonniques, par suite de la différence de la langue, de la religion, de l'histoire, du droit et des mœurs des races qui les ont fondées et développées ?

En 1911, le F.'. QUARTIER-LA-TENTE distinguait «trois groupes «particuliers dans la Maçonnerie universelle, distincts non pas au point «de vue des principes, mais en ce qui concerne leur activité et leurs «tendances.

«Ces groupes, écrivait-il, sont : la Maçonnerie anglo-saxonne, la «Maçonnerie germanique et la Maçonnerie latine.»

II ajoutait : «Si la Maçonnerie anglo-saxonne est plutôt rituélique «et charitable, la Maçonnerie germanique est plutôt philosophique et «traditionaliste, la Maçonnerie latine, à laquelle se rattache la Maçon-»nerie hongroise, est plutôt très active, très humanitaire, très vaillante «pour le bien social.

«Elles travaillent toutes les trois au bien de l'humanité, elles méri-»tent toutes également le respect et l'estime et l'on se demande à quel «degré de bien-être l'humanité serait arrivée si une fraternité réelle et «sincère avait toujours présidé aux relations de ces Groupements entre «eux.»

Et ce grand Maçon suisse terminait en disant : «Que serait devenue «la société si la Maçonnerie n'avait pas rencontré sur son chemin le «plus redoutable ennemi de l'humanité, celui qui a si longtemps oppri-»me les consciences et arrêté les progrès des lumières, l'ennemi qu'il «faudra bien vaincre un jour, aussi bien en Espagne qu'ailleurs, et «qui se nomme le cléricalisme, ce cléricalisme qui a fait tant de mal et «qui en fait encore non seulement à la Maçonnerie, mais à la religion «qu'il prétend défendre.»

Ne résulte-t-il pas des différences si clairement précisées par le F.'. Edouard QUARTIER-LA-TENTE qu'une réglementation trop rigide ne pourrait que séparer plus profondément les anneaux de la chaîne

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maçonnique qui, bien qu'imparfaitement sans doute, relient la Grande Loge Unie d'Angleterre aux Puissances qu'elle considère comme régulières, et dont certaines à leur tour rejoignent à l'autre extrémité le Grand Orient de France ?

En 1929, la Grande Loge Unie d'Angleterre a édicté huit principes fondamentaux pour la reconnaissance des Grandes Loges. C'est évidemment le droit absolu de cette Puissance maçonnique, de poser certaines conditions aux Grandes Loges qui sollicitent son amitié ; mais elle n'a pas, que nous sachions, le pouvoir de fixer les principes de régularité s'appliquant à la Maçonnerie universelle, et comme il semble que certaines Puissances soient disposées à généraliser ces conditions, on nous permettra d'examiner certaines questions qui découlent, directement ou indirectement, des principes arrêtés par cette Grande Loge.

Les points essentiels sur lesquels porte notre désaccord sont visés aux conditions 2, 3 et 6 et concernent : le Livre de la Loi Sacrée ; la révélation d'en Haut et la croyance au G.'. A.', de l'U.'. et en sa volonté révélée ou plus simplement la Bible et le Dogme.

La Bible

Dans ses principes 3 et 6, la Grande Loge Unie d'Angleterre ne prescrit pas expressément la présence de la Bible pendant la durée des travaux maçonniques, mais celle du Livre de la Loi Sacrée.

Sans doute cette Puissance maçonnique admet que les Loges qui ne se composent pas de chrétiens puissent remplacer la Bible par le Livre Sacré de la Religion à laquelle appartiennent leurs membres : le Coran pour les musulmans, les Védas pour les Hindous, etc., mais elle paraît admettre que la Bible doit être le Livre de la Loi Sacrée pour la Maçonnerie européenne.

Dans tous les cas, c'est de la Bible qu'on nous parle, à nous Maçons français, comme devant être le Livre de notre Loi.

Une première question se pose : en vertu de quelle ancienne obligation exige-t-on la présence de la Bible ? Quel est le «Old Landmark» qui le prescrit ?

Si loin que l'on remonte dans le passé, on ne trouvera nulle trace de cet usage, et encore moins si l'on remonte au-delà de la Réforme.

On nous concédera que les premières confraternités de Maçons opé-ratifs qui se formèrent au moyen âge pour construire les cathédrales se composèrent exclusivement de catholiques.

Or, non seulement la Bible ne figure pas dans la liturgie de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, mais les conciles de Toulouse et de Tarragone avaient interdit aux fidèles l'usage de sa traduction en langue vulgaire ; la Papauté devint plus sévère, au XVIe siècle, à l'apparition de la Réforme.

Si nous consultons les manuscrits anglais relatant les «Old charges» des Francs-Maçons opératifs, et conservés au British Muséum, que ce soit le «Regius manuscrit» ou les manuscrits Cooke, William Wat-son, Tew, nous constaterons que dans aucune des obligations qui y sont contenues la Bible n'est citée.

Il apparaît même, quelle qu'ait pu être la confession à laquelle appartenaient les Maçons opératifs anglais des XVIe et XVIIe siècles, que . depuis les ordonnances qui régissaient la guilde des charpentiers de Nor- 'F wich vers la fin du XIVe siècle, jusqu'aux «Old charges» encore en usage

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au début du  XVIIIe siècle, la rédaction des devoirs religieux qui y étaient prescrits avait conservé la marque catholique.

Le manuscrit Cooke, qui est probablement la source principale à laquelle Andersen a puisé, précise «qu'il est séant d'aimer Dieu, la sainte Eglise et tous les saints», et les manuscrits Watson, Tew (1680), ainsi que l'édition Roberts (1722), recommandent de ne pas se laisser entraîner à l'hérésie, au schisme.

D'autre part, les diverses parties des Constitutions d'Anderson ne portent nulle trace de la Bible ou d'un autre Livre sacré.

Remarquons que les devoirs religieux que prescrivent les manuscrits que nous venons de rappeler n'ont pas conservé une forme confessionnelle ; ils se résolvent, dans les «Obligations», en un haut devoir moral : «être des gens de bien» et «cultiver l'amour fraternel» qui lie les uns aux autres les membres de la confraternité. L'œuvre d'Anderson marquait une orientation nouvelle des esprits.

De plus, on sait qu'à ses origines la Grande Loge d'Angleterre ne mettait pas la Bible sur l'autel et c'est seulement en 1760 qu'elle l'a considérée comme une grande' Lumière.

Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que des Grandes Loges fassent prêter aux profanes l'obligation sur la Bible, lors de leur initiation.

Ce rite peut être recommandé au nom du protestantisme, mais on ne peut pas l'exiger, légitimement, de nous, en vertu des «Old Land-marks» de la Maçonnerie.

Le Grand Orient de France peut rappeler qu'il descend directement de la première Grande Loge de France qui a eu des Maçons britanniques parmi ses fondateurs, voici deux siècles ; qu'il n'a jamais considéré la Bible comme une grande Lumière, et qu'il n'y a nulle trace qu'à aucun moment le travail en Loge se soit effectué en présence de la Bible ou même des Evangiles.

Si anciens que soient les rituels que nous avons conservés, on doit se rendre compte que les récipiendaires ont toujours prêté leur obligation sur notre Constitution et sur l'épée.

Prendre le Livre Sacré d'une des religions comme principale lumière ne peut pas permettre de réaliser l'unité en cette matière, puisque les hommes se répartissent en de nombreux cultes différents les uns des autres.

De plus, on place les initiés d'origine catholique dans une situation particulièrement délicate.

On semble oublier que le Saint-Siège a lancé ses foudres contre les Francs-Maçons.

Tant que l'Eglise de France est restée gallicane et que les Bulles des papes Clément XII et Benoît XIV n'ont pas été enregistrées par le Parlement, les prêtres et les moines ont pu participer aux travaux maçonniques sans perdre leur qualité de catholiques.

Mais la situation changea à partir du Concordat de l'an IX et surtout dans la période qui suivit 1815, où l'on vit l'élimination progressive du gallicanisme de l'Eglise de France, qui devint ultramontaine.

L'excommunication qui frappait les Francs-Maçons depuis 1738, et qui fut confirmée par la papauté à de nombreuses reprises, devint applicable aux catholiques de France.

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l s'ensuit que tout catholique qui se fait recevoir Franc-Maçon n'appartient plus, dès ce moment, à l'Eglise catholique, apostolique et romaine.

Il ne peut honnêtement se réclamer d'une Religion, d'une Communion dont le retranche un décret du Chef infaillible.

Comment pourrions-nous lui demander de prêter son Obligation sur le Livre Sacré d'une Eglise qui le rejette de son sein à l'instant même où, dans nos Temples, nous lui ferions étendre la main sur ce livre ?

Quelle serait la valeur religieuse ou morale d'une Obligation ainsi prêtée ?

Faudrait-il que ce récipiendaire se rattache à une autre Confession en lui empruntant le Livre de sa Loi Sacrée ? Mais n'oublions pas que le catholique n'a pas la formation religieuse du protestant ; pour celui-ci la Bible est un livre dans lequel il est habitué, dès l'enfance, à puiser l'enseignement de sa croyance, alors que le simple fidèle de l'Eglise catholique ignore l'ancien Testament dans son texte, et ne doit connaître l'Ecriture que d'après l'interprétation dogmatique que l'autorité ecclésiastique peut, seule, lui enseigner.

La Papauté l'exclut parce qu'il est devenu Franc-Maçon ; il n'a donc plus aucun lien avec l'Eglise romaine et son enseignement ; dans ces conditions ne peut-on admettre qu'il se rattache exclusivement à la Franc-Maçonnerie, qu'il se place au-dessus des Confessions particulières et obéisse simplement à la Loi morale, qu'Anderson à précisée en cette belle formule : «Etre des hommes de bien et loyaux, des hommes d'honneur et de probité.» ?

Ne pourra-t-il prendre comme Livre de sa Loi celui des «Obligations» publié par la Grande Loge de Londres en 1723 et qui a fixé, pour lui comme pour tous les Francs-Maçons, les règles morales auxquelles il doit obéir ?

Sera-ce parce qu'il préfère ce Livre maçonnique, qui nous oblige tous, à l'un des Livres sacrés qui n'obligent que les croyants d'une confession particulière, que vous, Francs-Maçons, ses Frères, vous refuserez de le reconnaître ?

Les «Obligations» d'Anderson de 1723 sont le seul texte auquel puissent être universellement rattachés tous les Corps maçonniques.

Ce précieux document a été écrit en langue anglaise, mais en langue anglaise du commencement du  XVIIIe siècle, avec le sens que les mots avaient alors ; certes il fut imprégné des conceptions spiritualistes qui étaient universellement admises alors, mais pour ceux qui veulent en pénétrer le sens profond, il apparaît d'une hauteur de vue remarquable pour l'époque ; il est animé d'un esprit de mesure et d'un grand souffle de tolérance que nous devrions toujours imiter ; il exprime les plus nobles aspirations et il exalte la fraternité dans d'admirables passages que nous ne saurions trop relire et méditer.

Malgré la modification proposée par Anderson en 1738, la Grande Loge d'Angleterre a conservé longtemps la rédaction de 1723 ; elle ne l'a modifiée qu'en 1815.

Toutes les autres Puissances maçonniques, de leur côté, ont rédigé des Constitutions ou des Obligations qui leur sont personnelles.

On le comprend d'autant mieux que les idées ont évolué depuis deux siècles.

La pensée, que la Réforme avait commencé d'émanciper, a continué de se dégager du dogme, grâce au merveilleux développement de la science et au perfectionnement de sa méthode.

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Est-ce à dire que le Grand Orient de France rejette les Obligations de 1723 ? En aucune façon.

Elles sont loin d'ailleurs d'être animées d'un étroit dogmatisme et nous les considérons comme un vénérable et remarquable document de notre passé.

Aussi, pour bien affirmer que non seulement nous ne renions pas nos origines, mais que nous leur restons fidèles, le Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France a décidé que, lors de leur initiation, les récipiendaires prêteront leur Obligation sur la Constitution de l'Ordre à laquelle seront jointes les «Obligations» d'Anderson dans la rédaction originale de 1723, telles que les plus anciennes Loges françaises les ont reçues de la Grande Loge d'Angleterre. Ce Livre de la Loi, ainsi que l'Equerre et le Compas devront reposer sur l'Epée, emblème de la Condition libre des premiers Francs-Maçons.

Le Dogme

Lorsque la Grande Loge Unie d'Angleterre précise dans son troisième principe fondamental pour la reconnaissance de Grandes Loges que «le Livre de la Loi Sacrée» exprime «la révélation d'en Haut», elle paraît oublier que, chez les bouddhistes, surtout depuis l'avènement du Mahâyâna, la Loi ne s'établit pas par autorité, ni par révélation, mais par compréhension et que, par suite, le dogme de la révélation ne peut pas être légitimement imposé dans le nord de l'Inde, ni dans les pays d'Extrême-Orient.

Elle méconnaît également que les sociétés chrétiennes représentant le protestantisme libéral : unitaires, remontrants, sociniens, ont pour principe formel le libre examen, placé au-dessus de toute autorité extérieure, y compris l'Ecriture sainte elle-même, et qu'elles ont rejeté tous les dogmes qui leur ont paru incompréhensibles.

La Grande Loge Unie d'Angleterre prétend-elle que ces bouddhistes et que ces chrétiens libéraux ne peuvent pas faire partie de la Franc-Maçonnerie ?

Par son deuxième principe : «que la croyance au Grand Architecte de l'Univers et en sa volonté révélée, sera une condition essentielle pour l'admission des membres», la Grande Loge Unie d'Angleterre ne se contente pas de rappeler un symbole, mais là encore, par la croyance en la volonté révélée, elle affirme le dogme.

Ce n'est pas seulement un sens spirituel qu'elle donne au symbole, elle lui applique un sens confessionnel.

D'autre part les Obligations qu'elle a adoptées en 1723 déclarent que dans les temps anciens, les Maçons étaient tenus d'être de la religion de leur pays, mais que maintenant il est plus à propos de les obliger seulement à cette religion en laquelle tous les hommes sont d'accord... c'est-à-dire d'être «des gens de bien et loyaux, des hommes d'honneur et de probité» et Anderson a bien précisé «en laissant à chacun ses opinions particulières».

N'avons-nous pas le droit de penser, en nous référant à ce texte, que si le dogme de la révélation peut faire l'objet d'une croyance personnelle, le fait de l'imposer à tous les Maçons est formellement contraire à la lettre et à l'esprit des «Old charges» de 1723 ?

53 —


 

La Liberté de la Pensée

Par ses «Constitutions» de 1723, la Grande Loge Unie d'Angleterre avait dégagé la Maçonnerie de la religion catholique et l'avait placée au-dessus des diverses confessions ; par ses «Principes fondamentaux» de 1929, elle rapproche la Maçonnerie de la Réforme, non pas dans son libéralisme, mais dans son orthodoxie, découlant des enseignements de Luther et de Calvin.

Le Grand Orient de France a suivi une voie différente. Créé il y a deux siècles avec l'esprit des Constitutions de 1723, il a essayé de se rattacher au catholicisme en 1849, puis il s'en est dégagé en 1877 pour dépasser le protestantisme libéral et se placer sur le terrain de la liberté de pensée.

Les fluctuations qu'ont subies les pensées et les croyances des Maçons anglais et français ne devraient-elles pas les inciter à user de plus de tolérance les uns à l'égard des autres et, s'ils avaient su conserver et accroître leurs rapports fraternels, n'est-il pas à penser que leurs divergences de conceptions eussent pu être moins accusées ?

N'oublions pas que dès le XVIIIe siècle, le Grand Orient de France sous l'influence de la philosophie de l'époque, était devenu très libéral qu'à côté des ecclésiastiques qui restaient attachés à l'Eglise catholique gallicane, il accueillait toutes les tendances philosophiques : spiritualistes ou rationalistes.

Mais en 1849, rompant avec son passé, il introduisit dans sa Constitution la formule dogmatique de «la croyance en Dieu et en l'immortalité de l'âme».

Aucune autorité maçonnique ne le lui demandait.

Lorsque, 28 ans après, le 13 septembre 1877, il effaça cette affirmation du texte de sa Constitution, on crut y voir une interdiction formel! de glorifier le G... A... D... L'U..., ce qui était inexact.

On ne comprit pas ou on ne voulut pas comprendre que par cet décision, le Grand Orient de France revenait simplement à sa tradition constante du respect non seulement des rites et des croyances, ma également de toutes les conceptions philosophiques.

Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter au document ci-après

Dans une planche du Conseil de l'Ordre adressée au Garant d’Amitié du Grand Orient de France près de la Grande Loge d'Irlande avait renoncé à ses fonctions en raison de cette décision qui venait d’d’intervenir, le F... de SAINT-JEAN écrivait :

«Qu'il me suffise de vous affirmer qu'en modifiant un article d Statuts, le Grand Orient de France n'a pas entendu faire profession d'athéisme, ni de matérialisme, comme on semblerait le croire, n'est changé ni dans les principes, ni dans les pratiques de la Maçonnerie. La Franc-Maçonnerie française reste ce qu'elle a toujours été Maçonnerie fraternelle et tolérante. Respectant la foi religieuse < convictions politiques de ses adeptes, elle laisse à chacun, dan délicates questions, la liberté de sa conscience.»

Remarquons que le texte de cette planche avait été décidé en siège du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France et qu'elle porta en tête la formule :

A... L... G... D... G... A... D... L'U...

La décision de l'Assemblée Générale de 1877, et depuis il n'y en a pas eu d'autres en la matière, n'avait donc pas supprimé expressément ce symbole, comme on l'a prétendu.

Sur le rapport d'un pasteur protestant, elle abrogeait simplement une formule dogmatique dans le but, précise le F.'. DESMONS, de placer le Grand Orient «au-dessus de tous les cultes et de toutes les religions».

S'inspirant de la mesure et de la tolérance puisées dans Anderson, l'Ordre, restant fermement attaché à la Loi morale, entendait ne recommander, ni interdire aucune croyance ou conception philosophique particulière.

Le Grand Orient de France se déclare partisan de la liberté dans tous les domaines ; il estime qu'elle doit être absolue dans l'ordre de la pensée.

Il n'accepte pas plus de se rallier à un dogmatisme qui enchaîne l'esprit, qu'à la dictature qui supprime la liberté individuelle.

Il ne demande à aucune Puissance maçonnique de changer ses formes de pensée, de renoncer à ses usages, de modifier son rite, d'abolir ses croyances ; il souhaite simplement qu'on ait la même tolérance à son égard.

D'ailleurs il entend montrer, non seulement dans ses rapports avec les Puissances maçonniques qu'il respecte leurs croyances et leurs rites, mais qu'il permet, dans son propre sein, la pratique des divers rites et l'usage de leur symbolisme particulier.

En 1776, 1804, 1862, le Grand Orient de France s'est agrégé plusieurs Rites ; les Loges de sa correspondance peuvent être autorisées à les pratiquer et même à travailler en se conformant aux rituels d'une autre Puissance maçonnique régulière.

Des Maçons américains, Scandinaves ou anglais désirant fonder une Loge rattachée au Grand Orient de France, pourraient se servir des rituels en usage dans leur Grande Loge d'origine.

Les Loges écossaises faisant partie du Grand Orient de France travaillent avec le rituel régulier de leur Rite, qui comporte le symbolisme du Grand Architecte de l'Univers, et une Loge composée de Yougoslaves a été autorisée à travailler en présence de la Bible, conformément aux règles rituelles de la Grande Loge «Yougoslavia».

Enfin, la Loge «Tawe», puis «Harmony» à l'O... de Swansea en Grande-Bretagne, n'a-t-elle pas travaillé de 1893 à 1925, pendant 32 ans, avec le rituel de la Grande Loge Unie d'Angleterre, alors qu'elle appartenait à la Juridiction de G... O... D... F... ?

Les «Obligations» d'Anderson avaient écarté la Maçonnerie du théisme catholique mais, nous devons le reconnaître, elles avaient conservé un certain caractère religieux, bien compréhensible pour le XVIIIe siècle, comme nous l'avons déjà remarqué.

Toutefois, à tort ou à raison, nous estimons que l'on ne peut arrêter l'essor de la Pensée ; de même que les Institutions des hommes, l'esprit humain évolue fatalement et continuera d'évoluer.

Parfois il tire des conséquences trop hâtives des découvertes de la science ; d'autres fois il semble se rattacher à un passé qui paraît périmé, mais malgré ses oscillations, parfois décevantes, rendons-nous compte qu'il s'achemine vers sa complète libération.

Si l'on peut reprocher au Grand Orient de France de ne pas s'attacher à la lettre des «Obligations», ne voudra-t-on pas reconnaître qu'il s'est efforcé de se pénétrer de leur large esprit de tolérance et de leur profond sentiment de fraternité ?

D'autres pensent-ils qu'en restant attachés à la lettre, à la lettre. figée, de ces «Obligations», les dépouillant de toute vie, ils leur sont, plus que nous, restés fidèles ?

En 1913, le Pro-Grand-Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre prononçait à Berlin les paroles suivantes :

«La Maçonnerie a une grande mission ; le perfectionnement individuel du Maçon ou de la Loge est en somme peu de chose comparé à l'immense édifice que la Maçonnerie veut construire. Cet édifice n'est rien de moins qu'une union plus intime de toutes -les Grandes Loges de vrais Francs-Maçons, afin que la Maçonnerie devienne une puissance civilisatrice, à laquelle rien ne puisse être comparé, et qui permettra aux nations de laisser de côté la méfiance et les malentendus... Il est temps que nous affirmions ce que doit être notre idéal. Nous sommes tous obligés de reconnaître cet idéal supérieur que les Maçons bien pensants ont placé devant nous : l'Union plus intime de toute la fraternité maçonnique. Depuis deux cents ans nous avons accumulé et taillé les pierres qui doivent nous servir pour la construction de l'édifice, il est maintenant temps de bâtir. Bâtissons ensemble !»

Le Grand Orient de France approuve pleinement cette admirable page maçonnique, sous la seule réserve de ce que Lord AMPTHILL entendait par «vrais Francs-Maçons» ou «Maçons bien pensants», et du mode de «l'union .plus intime de toutes les Grandes Loges» qu'admet, que propose la Grande Loge Unie d'Angleterre.

Ce n'est pas le fond qui nous divise, c'est la forme ; nous sommes d'accord sur les principes à défendre et le but à poursuivre, nous ne différons que par nos méthodes, par nos modes de pensée.

Est-il impossible de nous rendre compte qu'il n'y a pas plus d'Obédience élue que de Peuple élu ?

Ce n'est pas seulement entre les nations, mais aussi entre les Puissances maçonniques qu'il faut supprimer «les méfiances et les malentendus» si l'on veut que «la Maçonnerie devienne une Puissance civilisatrice à laquelle rien ne puisse être comparé».

Voudrons-nous, pourrons-nous, tous, nous rendre compte que le rapprochement ne peut être tenté que s'il est basé sur le respect des croyances et conceptions des divers Rites particuliers, sur la compréhension du développement historique des diverses Puissances maçonniques, sur l'estime et la tolérance mutuelles ?

C'est en rassemblant toutes les pierres que les diverses tendances maçonniques, trop longtemps séparées, ont «accumulées et taillées», c'est en harmonisant les efforts de tous ceux qui sont sincèrement et profondément Maçons, «gens de bien et loyaux», que la Franc-Maçonnerie Universelle pourra accomplir «sa grande mission» : bâtir, édifier le Temple idéal qui réalisera l'union des nations, dans la Paix, par la Fraternité des hommes.


 

Enfin, pour terminer, un quatrième texte. C'est une étude que Groussier rédigea en 1948. Il avait 80 ans passés, il l'intitula Philosophie de l'Energie. C'est, pensons-nous, une sorte de testament moral ou philosophique. A la fin de sa vie, l'homme qui a pensé et beaucoup agi, fait le point de ses connaissances et de ses espérances, sans regret pour le passé, tendu vers l'Avenir, mais toujours confiant, dans ses successeurs, ses Frères, et dans le Progrès universel.

Philosophie de l'Energie

PREMIERE PARTIE

Son unité physique et psychique

DANS la période précédant le XXe siècle, il pouvait sembler que l'évolution universelle avait dû commencer par l'organisation de corpuscules atomiques pour former la matière "dont l'énergie, n'aurait été qu'une propriété.

Depuis les dernières découvertes de la science qui ont bouleversé nos connaissances en physique, il est permis de supposer que l'univers ne devait comprendre que l'énergie avant l'apparition de la matière.

Il aurait donc existé un stade pendant la durée duquel on n'aurait rencontré que de l'énergie sous l'aspect de particules, de rayons et d'ondes ou, si l'on préfère, de projections, de radiations, de rayonnements, d'ondulations ou encore de bandes, de couches, de nuages énergétiques.

Des particules d'énergie électrisées et neutres auraient constitué les atomes.

Ces éléments atomiques combinés en molécules seraient devenus les constituants de la matière minérale.

Plus tard, certaines molécules, en s'agglutinant, auraient composé des cellules ; celles-ci, à leur tour, se seraient divisées pour proliférer afin de donner naissance aux êtres animés.

L'évolution se serait poursuivie par le développement de la longue série des espèces biologiques, disparues ou vivantes, depuis les plus anciennes, les espèces unicellulaires, formées de matière qui commençait à s'organiser jusqu'à celles dont la structure, de plus en plus perfectionnée, comportait un système nerveux couronné par un cerveau.

En même temps devait se développer la sensibilité nerveuse complétée par l'activité instinctive avant qu'apparaissent les premières lueurs de l'intelligence.

Les activités psychiques se manifestèrent plus particulièrement dans le cerveau dont est douée la race humaine, notamment la sentimentalité, l'entendement et l'activité réfléchie.

L'observation nous montre que la matière est mue ; d'où provient ce mouvement ?

On parle de force, de cause ; actuellement, il semblerait que pour les physiciens ces mots désigneraient plutôt des notions symboliques que des réalités.

Les sciences physiques reposent uniquement sur les rapports, les relations existant entre les phénomènes qui se succèdent les uns aux autres, par suite de désagrégation, de combinaison, de transformation.

Les organismes vivants doués d'irritabilité et de sensibilité se meuvent- ; l'esprit s'émeut, pense et veut ; comment toutes ces activités s'exercent-elles ?

Quelle est leur véritable cause, si elles ont une cause ? Comment l'univers, la matière, la vie, l'esprit peuvent-ils exister et pour quel devenir ? Jusqu'où peut-on atteindre dans la recherche de la réalité ?

Les réponses que la science donne à l'homme lui sont, certes, utiles, mais elles ne sont que relatives ; elles n'approchent pas de l'essence des choses, si l'apparence de celles-ci recouvre quelque essence ?

Doit-on rechercher la vérité par la philosophie ou enfermer notre esprit dans l'une des croyances qui en s'opposant se partagent la direction des esprits ?

Des problèmes paraissent posés depuis que la pensée s'efforce de s'affranchir des premières emprises dogmatiques. Ils restent toujours posés.

On a dressé des hypothèses les unes contre les autres ; on les a entremêlées sans qu'aucune solution satisfaisante ne se dessine.

N'est-ce pas parce qu'elles sont mal posées, ou que partant de faits évidents, ne montrant qu'un aspect des choses, on les généralise sans mesure ?

On admet communément que l'homme est composé d'un corps et d'un esprit.

On a étudié l'un et l'autre en eux-mêmes et dans leurs rapports.

Des méditations des philosophes et des travaux effectués par les savants se sont dégagés deux groupes de systèmes philosophiques dans lesquels la matière ou l'esprit domine.

Le fait que depuis tant de siècles le matérialisme et le spiritualisme ([8]) ont brillé tour à tour sans réussir à triompher l'un de l'autre ne montre-t-il pas qu'il faut tenter de trouver une voie encor e inexplorée pour esquisser une hypothèse qui ne s'oppose pas aux données scientifiques et ne puisse être repoussée par la raison ?

Toute personne ne peut acquérir de connaissances sans les qualités de, son esprit et sans que des images, des représentations aient été projetées et se soient manifestées dans sa conscience.

Seuls les organes ou tissus sensoriels peuvent projeter dans la conscience les impressions qu'ils reçoivent du milieu, que ces impressions soient physiques ou psychiques.

Toutefois des images, des idées peuvent être remémorées, évoquées, conçues par l'esprit lui-même.

La conscience est un attribut de l'esprit ; les organes et tissus sensoriels sont composés de matière biologique.

La matière et l'esprit sont-ils des réalités au sens absolu et profond que l'on donne à ce mot ?

Qui pourrait le prouver ?

Ce que je sais, ce que je sens, ce que je constate, c'est qu'il existe des phénomènes matériels et des phénomènes spirituels.

Si j'avais d'autres sens ou des sens plus subtils, je percevrais des représentations très différentes de celles qui me semblent provenir des objets matériels.

Objectivement, scientifiquement, les images des perceptions de la matière ne peuvent être que de simples apparences.

Nous savons depuis longtemps qu'entre les molécules d'un corps dont la surface est polie et qui nous paraît compact, il existe de grands intervalles dont on peut avoir quelque idée au moyen d'un fort microscope.

Mais la découverte de la structure des atomes nous a appris qu'entre tous les éléments atomiques, les distances sont immenses par rapport à leur petitesse.

Par le calcul on peut se rendre compte du volume auquel pourrait se réduire l'ensemble de ces masses infimes composant un corps s'il était possible de les rapprocher en un bloc compact. En voici un exemple : «Dans dix mètres cubes de cuivre, le volume occupé par les noyaux et les électrons ne dépasse guère un millimètre cube, tout le reste est aussi vide que les espaces interplanétaires ([9]).»

«De même, si dans le corps d'un homme on parvenait à éliminer tout espace dépourvu de matière et à rassembler jusqu'à les mettre en contact les noyaux et les électrons des atomes, l'ensemble dans lequel se concentrerait tout le poids du corps humain aurait un volume comparable à celui d'un des grains de poussière qui dansent dans un rayon de soleil ([10]).»

Ce qui doit tromper nos sens, c'est d'une part le mouvement microscopique incessant et très rapide des particules et d'autre part, la résistance de la structure électriquement édifiée.

A côté des impressions purement représentatives, je ressens des émotions, je conçois des idées, j'accomplis des actes voulus ou inconscients sans que je puisse saisir avec précision de quel principe ces manifestations psychiques sont les représentations.

Toutefois, sans oublier les remarques que je viens d'exposer, je puis affirmer que l'on ne peut refuser toute réalité objective à la matière et subjective à l'esprit, mais cette réalité relative ne se manifeste qu'à l'échelle humaine.

Si je me blessais grièvement, mon sang s'échapperait et mon existence serait compromise. Quand les miens ont disparu, j'ai été profondément ému.

Sans entrer dans de plus longs développements, nous pouvons constater que, même en ce qui concerne les choses qui nous sont les plus familières, leur connaissance est limitée, relative, humaine.

Grâce à leur effort désintéressé, à leurs observations et à leurs expériences, une longue et glorieuse lignée de savants a accumulé des lois qui paraissent très approchées de celles de la nature ; c'est en se soumettant à celles-ci que l'on peut poursuivre la conquête du monde, explorer son étendue immense et pénétrer dans l'infiniment petit.

Puisse la nature ne pas trop se rebeller contre cette emprise de l'homme qui permet à celui-ci, par sa technique, d'accroître ses commodités et ses biens, et trop souvent ses malheurs.

C'est par la spécialisation et le perfectionnement des tissus biologiques et de leurs structures que l'esprit, ou du moins ses manifestations, ont pu se développer et se hausser à la place éminente qu'ils ont atteinte chez certaines personnalités.

Remarquons cependant que les phénomènes psychiques ne peuvent se manifester que par l'intermédiaire des circonvolutions cérébrales, ou au moins d'un tissu nerveux.

Lorsque certains lobes du cerveau sont blessés, les facultés spirituelles dégénèrent.

Quand des maladies ou des infirmités l'atteignent, le cerveau peut perdre de ses qualités spirituelles et même ne plus penser.

Jusqu'à l'invention de la radiophonie on ne connaissait pas de manifestations psychiques indépendantes d'un support matériel.

C'est en s'appuyant sur ce fait que certains concluent que l'esprit n'est qu'une simple émanation de la matière.

En sens inverse, les spiritualistes montrent, conformément à l'observation, eux aussi, que les phénomènes matériels ne peuvent être représentés que dans la conscience psychologique, que d'ailleurs les organes des sens ont besoin de l'aide de l'esprit afin que leur éducation les mette à même d'obtenir des images utilisables pour le comportement de l'individu.

Que résulte-t-il de mon exposé ? C'est que, sans corps organisé, il n'y a pas d'esprit et que sans esprit il ne peut y avoir aucune connaissance, ni celle de la matière qu'on n'atteint pas, ni celle des propriétés apparentes de cette matière.

Sans doute, l'état du corps, la maladie, l'infirmité peuvent avoir une grave influence sur l'esprit, mais le contraire est également vrai.

L'influence de la volonté peut aider à améliorer et à guérir certaines maladies ou des infirmités provenant d'accidents ; je ne parle pas seulement de la volonté réfléchie, mais d'une volonté instinctive qui parfois fait merveille pour aider aux soins de l'homme de l'art.

Le corps et l'esprit sont nécessaires l'un à l'autre ; pourquoi diminuer l'un au profit de l'autre sans aboutir à une solution acceptable ?

Ne serait-il pas préférable de les unir dans une synthèse qui envisagerait avec plus d'ampleur et d'exactitude ces deux manifestations, ces deux aspects de la personne humaine ?

II

Les savants ont réussi à pénétrer profondément dans la matière et commencent à connaître les éléments qui la constituent et qui ne sont saisissables qu'à l'échelle atomique.

La matière est discontinue et formée d'agrégats de molécules composées elles-mêmes d'atomes, éléments des corps simples.

La structure atomique paraît comprendre un noyau, édifice déjà complexe, comprenant des protons chargés positivement, et -des neutrons ; autour de ce noyau gravitent des électrons satellites électrisés négativement dont le nombre normal égale celui des protons pour les neutraliser, et qui sont étages en couches sur plusieurs orbites ou niveaux d'énergie.

L'électron est un grain d'énergie qui paraît être le constituant universel de la matière.

Les atomes sont semblables pour un même corps simple.

Ils ne se différencient d'un corps simple à un autre que par le nombre normal de leurs électrons, ainsi que par leur agencement et non par leur nature, car les protons, les neutrons et les électrons sont identiques pour tous les atomes.

Dans le tableau périodique des corps simples, le nombre normal des électrons varie de l'un à l'autre suivant la suite naturelle des nombres à partir de l'unité.

Tous les corps peuvent passer par des phases semblables, mais possèdent certaines propriétés qui leur, sont particulières.

D'autre part, les masses énergétiques des électrons et du noyau atomique constituant la masse de l'atome et la masse des corps matériels sont la somme des masses atomiques qui entrent dans leur composition.

Il me paraît évident que l'énergie ne peut se distribuer en grains ou s'étaler en nappes et les mouvoir que si elle en a la possibilité.

Les particules d'énergie ne peuvent se diviser ou s'unir, composer un noyau et édifier un atome que si elles sont douées de ces possibilités qui se développent au fur et à mesure que les structures le permettent en se compliquant dans un milieu favorable. N'en est-il pas de même lorsque les atomes se combinent et quand les molécules s'édifient en matière ?

L'énergie doit donc avoir de multiples propriétés qui ne peuvent d'ailleurs se réaliser que si le milieu le permet aux éléments énergétiques considérés et à leur structure, le milieu étant l'ensemble de tous les autres éléments et structures.

Les manifestations de l'énergie que l'on observe dans la matière, ou les éléments mêmes de l'énergie, se présentent sous plusieurs formes ou modes, de l'état corpusculaire à l'état de mouvement, que celui-ci soit de nature mécanique, atomique ou ondulatoire.

Ce dernier peut concerner un milieu liquide ou sonore ou avoir un caractère électromagnétique.

Les mouvements moléculaires ou atomiques semblent correspondre à la chaleur, ceux des électrons à l'électricité ; l'énergie cinétique résulte de la chute ou du choc des corps et l'énergie latente semble être emmagasinée dans les corps que l'on élève au-dessus du sol ou lors de leurs changements d'état, etc...

Tous ces modes d'énergie se transforment les uns dans les autres en des proportions équivalentes.

Ne paraît-il pas résulter de ce fait que la quantité d'énergie ou de mouvement resterait constante ?

Dès maintenant nous pouvons constater une unité profonde de l'énergie dans ses manifestations matérielles qui s'étendent de son activité à sa quantité.

La lumière est activité et quantité, ondulatoire et granulaire

D'un côté le rayon lumineux, ou photon, s'apparente au rayon X, puis au rayon cathodique qui est un électron sur lequel s'échafaude la matière.

De l'autre côté, les ondes lumineuses ne font-elles pas partie de la série des ondes électromagnétiques qui parcourent l'étendue ? Celles-ci ne présentent-elles pas une grande analogie avec les ondes sonores et les ondes liquides ?

Par celles-ci nous rejoignons les mouvements vibratoires des solides, le mouvement pendulaire, et celui de la balance avec lequel se manifeste la sensibilité mécanique.

C'est donc dans les manifestations de la lumière que se rejoignent les mouvements de la matière et les éléments qui la constituent.

La diversité de cet ensemble de manifestations énergétiques, dynamiques et statiques, et la difficulté de percevoir les plus infimes m'incitent à penser que nous ne percevons que des aspects, des apparences des éléments énergétiques, comme je l'ai indiqué en ce qui concerne les corps matériels.

Sous ces apparences, l'énergie paraît composer la matière, la mouvoir, l'organiser et, en même temps que sa structure se perfectionne, développer ses nombreuses propriétés ; seule, sa quantité paraît rester inchangée.

Sous ses multiples manifestations, l'énergie se présente sous deux principaux aspects : quantitatif et qualitatif ; si je ne considère que sa quantité sous forme de corpuscules, elle paraît finie et douée de caractère électrique, de masse et de fréquence.

La matière organique est constituée des mêmes éléments simples que la matière minérale.

La cellule biologique n'est qu'une structure perfectionnée édifiée par les éléments énergétiques de plusieurs molécules ou atomes qui présentent un ensemble plus complexe ; elle est à l'origine des êtres doués de fonctions qui caractérisent la vie.

Toutes ces propriétés nouvelles ne venaient-elles pas des possibilités que l'énergie possède de les produire ?

L'élan vital, cher à l'école de Montpellier, qui semblait animer la matière, perdit de sa valeur dès que fut démontrée l'identité de nature entre la combustion organique et celle de la chimie minérale, et après que Berthelot eut réalisé la synthèse des matières organiques.

C'est donc bien l'énergie qui a constitué la matière vivante comme la matière minérale et a permis de poursuivre l'évolution par une structure de plus en plus complexe de l'organisme animal jusqu'à l'apparition des circonvolutions qui dominent le cerveau de l'homme.

N'est-ce pas toujours l'énergie qui, grâce à ses possibilités, après avoir doté la matière de propriétés, puis des fonctions que comporte la vie, a dégagé du cerveau les premières manifestations spirituelles ?

L'esprit serait-il, comme certains le prétendent, une sécrétion, une simple émanation de la matière ?

Non : l'esprit, comme la vie, comme la matière, résulte des possibilités que possède l'énergie de produire tous les phénomènes que nous constatons dans l'univers.

L'esprit d'une personne m'apparaît hypothétiquement comme étant la synthèse de toutes les possibilités que possède non un cerveau, mais l'énergie organisée de ce cerveau et du système nerveux, de produire des manifestations sensibles, émotives, intellectuelles et volontaires.

Je fais remarquer, d'autre part, que les qualités psychiques de l'énergie, transmises à un cerveau, influent à la fois sur l'organisme et l'esprit, favorablement ou défavorablement, suivant la nature de ses qualités.

L'énergie commande les activités de l'esprit comme celles de la matière et développe les qualités spirituelles comme les propriétés matérielles.

L'énergie confère à la matière non seulement des propriétés physiques, mais certains caractères d'utilité, de sensibilité, d'affectivité.

Tous ces aspects sont objectifs ; c'est l'esprit humain qui, avec ses qualités, constate ces propriétés apparentes de la matière, la sensibilité de la boussole et de certains appareils scientifiques, l'utilité que peuvent avoir pour l'homme certaines des propriétés matérielles et l'impression affective qu'elles peuvent lui procurer.

Cela est vrai, qu'il s'agisse de la matière inorganique ou de la matière vivante.

L'énergie dote l'animal de qualités pré-spirituelles, notamment la sensibilité nerveuse et l'instinct, qui se développent avec l'évolution des espèces.

La sensibilité animale n'est plus la sensibilité de la balance ou de la boussole et n'est pas encore la sensibilité morale, mais les caractères différents de ces sensibilités sont de nature énergétique.

La grâce d'une forme matérielle, la splendeur d'une nuit étoilée, la majesté d'une cime élevée couverte de neige sont des beautés que ne ressentent ni la matière dont elles sont l'expression, ni la grande majorité des animaux, ni même trop d'êtres humains, mais qui émeuvent ceux qui savent goûter les joies esthétiques.

L'image de la forme est projetée dans la conscience par le sens visuel, et c'est l'émotivité qui est impressionnée par cette image.

N'est-ce pas l'énergie qui a développé dans les esprits les qualités qui peuvent leur permettre d'apprécier cette expression, et n'est-ce pas grâce à ses possibilités que cette énergie a dégagé cette expression de la matière ?

Ne sont-ce pas des qualités esthétiques, spirituelles que doit posséder l'énergie pour en imprégner la matière en l'embellissant comme elle inspire et perfectionne peu à peu l'esprit ?

 

III

La cellule vivante est composée d'atomes et par conséquent d'énergie ; l'être animé, sa structure, l'agencement de son cerveau comprennent une multitude de cellules ; nous sommes toujours en présence de manifestations énergétiques.

Lorsqu'un chien montre sa colère pour un coup de pied qu'il reçoit ou la joie de revoir son maître, ne s'agit-il pas encore de manifestations de l'énergie qui compose et anime la structure biologique de ce chien ? Sinon, que serait-ce en dehors de cette interprétation ?

N'en est-il pas de même lorsqu'un très jeune enfant crie parce qu'il souffre ou sourit à sa mère qu'il aperçoit ?

Ces manifestations présentent un caractère physique par les mouvements qu'exécutent les organes du chien et de l'enfant et un aspect psychique qui en est l'expression.

Ces deux aspects sont déterminés par une dépense d'énergie transformée.

Lorsque l'enfant grandit et devient un homme, ses manifestations d'émotivité ou d'intelligence changent-elles de nature ?

Les mouvements des cellules du corps, du cerveau provenant de ces activités spirituelles seront encore de caractère énergétique et correspondront à la transformation d'une quantité d'énergie tandis que l'expression spirituelle proviendra de la qualité de cette même énergie.

Il n'y a pas de principe vital qui modifie la composition de la matière minérale pour lui donner la vie, par conséquent pour doter l'être de sensibilité ; peut-il y avoir un principe spirituel qui influe sur la matière vivante pour que l'esprit se manifeste ?

N'est-ce pas toujours l'énergie qui dégage l'instinct de l'animal puis le commencement de l'intelligence que l'on constate chez les animaux supérieurs ?

S'il n'y en a pas pour l'animal comment pourrait-il y en avoir pour l'homme qui est sorti de l'animalité ?

A quel stade du développement des espèces ce principe pourrait-il intervenir, puisqu'il n'y a pas solution de continuité entre l'être humain et l'animalité ?

Comme la lumière, la vie végétative ou la vie animale, l'esprit de la sensibilité à l'entendement et à la volonté réfléchie me paraît provenir des qualités que possède l'énergie et qui déterminent des manifestations lumineuses, biologiques et psychiques dès que la structure énergétique, matérielle, biologique, nerveuse et cérébrale constitue une organisation et un milieu favorables à leur production.

Pour entendre un morceau de musique, je puis être mêlé à des auditeurs dans une salle de concert ou seul, chez moi, près d'un appareil radiophonique.

Aurai-je le même plaisir dans l'un et l'autre cas ? Certainement non.

Si je suis dans la salle, la vue de l'artiste, de son jeu, surtout si son instrument est à cordes, la vue de la salle et de l'assemblée influeront sur ma sensibilité et sur celle d'autres auditeurs ; notre émotion résultant de la beauté de l'œuvre et du talent de l'exécutant impressionnera favorablement ce dernier et notre émotion s'intensifiant nous élèvera à peu près tous au-dessus de nos tracas journaliers.

Bien des formes d'énergie interviennent : celle dépensée par le compositeur en écrivant la partition et dont on retrouve une partie en la jouant ; celle dont on a été imprégné l'instrument par la main experte qui, en le façonnant, l'a doté de sa sonorité ; celle qui correspond au talent de l'artiste ; celle qui résulte de l'acoustique de la salle ; celle des ondes sonores et visuelles qui, perçues par nos sens, rejoignent celles de nos esprits attentifs, pour les charmer.

Une certaine quantité d'énergie se trouve dépensée, ou plus exactement transformée, et ce sont les manifestations de sa qualité qui est sans mesure, que chacun des auditeurs peut goûter suivant les possibilités dont est douée sa sentimentalité.

Mon plaisir ne sera-t-il pas moins vif si je suis seul à entendre ce morceau de musique à côté de mon poste ?

Dans un repas la quantité des vivres se partage entre les convives, tandis que l'agrément de prendre ce repas en commun n'est pas restreint en quantité et ne se divise pas.

Les biens matériels sont limités, les joies spirituelles s'accroissent lorsqu'on les partage ; ce sont elles qui se multiplient, et non le pain.

La satisfaction peut même provenir du don que l'on fait de sa part de nourriture.

J'ouvre un volume de philosophie scientifique ; je constate que des caractères noirs sont imprimés sur le papier blanc ; je reconnais que ces caractères représentent des lettres, mais si je ne connais pas la langue je n'irai pas plus loin ; dans le cas où l'œuvre est écrite dans ma langue maternelle, j'assemble les lettres et je lis des mots dont je connais le sens et des phrases que je cherche à comprendre.

Je puis saisir la pensée qu'a voulu exprimer l'auteur ; il est possible que je croie seulement la comprendre.

Inconsciemment je cherche peut-être à y retrouver nos propres idées.

Quoi qu'il en soit, si je constate que le livre renferme une conception qui m'était inconnue ou est présentée sous une forme qui m'est plus accessible, j'aurai le sentiment que cette doctrine ou sa démonstration, nouvelle pour moi, n'est pas de moi, et qu'elle provient de l'auteur qui l'a conçue ou rédigée et l'a fait imprimer.

Cet auteur aurait pu m'exposer son œuvre au moyen du langage.

Conçue par les qualités énergétiques de son cerveau, l'expression de sa pensée aurait été portée par l'énergie qui détermine les sens de sa voix jusqu'à mes oreilles, et mon sens de l'ouïe aurait projeté ces mots dans ma conscience où mon intelligence aurait dégagé leur signification et compris la pensée exprimée.

De son cerveau au mien, où semble résider la conscience, et enveloppée par le langage, la pensée paraît toujours portée par un support superficiellement matériel mais plus profondément énergétique.

D'ailleurs le langage, et par conséquent la pensée, peut être également transporté à travers l'étendue par les ondes électromagnétiques.

Dans le livre, la pensée a encore comme support l'énergie atomique constituant la matière de ce livre.

Cette pensée n'a-t-elle pas elle-même un caractère énergétique qui est à l'état statique, latent dans le livre fermé, mais qui prend un caractère actif, dynamique, dans la lecture comme dans l'audition ?

Dans la lecture ce sont bien les caractères typographiques que je perçois, mais c'est la pensée, l'énergie de la pensée qui impressionne mon intelligence, modifiant ma connaissance plus ou moins heureusement.

Il s'agit bien là d'une action énergétique qui peut passer par des circuits différents de l'esprit de l'auteur au mien, qui d'ailleurs peut se répercuter sur mon état physique, suivant la satisfaction ou la déception qui pourrait accompagner cette transmission de pensée.

Je puis regarder une statue au lieu d'un livre ; c'est l'expression d'art, de beauté que l'artiste a cherché à réaliser dans son œuvre qui m'impressionne et qui là encore, partie d'un cerveau, parvient au mien pour l'émouvoir.

C'est toujours de l'énergie qui se transmet, dont nous ne percevons pas la quantité mais la qualité.

Ce qui est vrai de l'œuvre de l'artiste ne l'est-il plus lorsqu'il s'agit de l'œuvre de la nature ?

Le spectacle de gerbes marines qui scintillent à la lumière du jour en frappant les roches, la vue d'un beau corps humain comme celle d'une statue ou d'un temple grec résultent de gouttes d'eau jaillissant devant moi, de cellules vivantes ou de molécules minérales qui constituent ces matières ; les unes comme les autres sont imprégnées de beauté ; je ne suis ému que parce que ces matières composées d'énergie portent en elles la possibilité de m'émouvoir comme celles qui composaient le cerveau de l'auteur m'incitaient à penser.

La lecture de l'ouvrage peut être faite par plusieurs personnes qui comme moi seront plus ou moins impressionnées.

Il en sera de même de la vue de la statue ou des œuvres de la nature ; certains pourront ne pas comprendre, rester indifférents à la pensée ou à l'œuvre artistique ou naturelle ; cela prouve simplement que, comme les graines ne germent pas dans tous les terrains, les œuvres de la pensée, de l'art ou de la nature n'impressionnent pas également tous les esprits.

IV

Pour établir une hypothèse, embrassant l'ensemble des phénomènes, qui puisse être acceptée par ma raison, j'ai voulu tenir compte de la connaissance de notre temps et je me suis efforcé de m'appuyer sur une base solide résultant de l'observation pour remonter vers l'idéal dans la mesure où l'homme est capable de s'élever au-dessus de ses tendances trop personnelles et trop ambitieuses.

De l'ensemble de mes observations, j'estime pouvoir déduire que sous les manifestations qui parviennent à ma conscience, celles qui ont

un caractère matériel correspondent à une quantité d'énergie, et que celles qui ont un caractère spirituel correspondent à une qualité de cette même énergie.

Toutes les manifestations phénoménales de l'univers dépendent les unes des autres, depuis les premières qui sont énergétiques jusqu'à celles qui sont idéalistes, en passant par celles de la matière, de la vie, de l'esprit.

Comme rien ne paraît s'ajouter à l'énergie, celle-ci dès l'origine doit donc disposer des possibilités de produire toutes les qualités qui se manifestent au cours de l'évolution, et par suite posséder elle-même ces qualités.

L'énergie est donc douée de multiples propriétés et notamment d'un double caractère quantitatif et qualitatif, physique et psychique, dont les effets se manifestent successivement sous des aspects matériels ou spirituels plus ou moins perceptibles à nos sens.

La quantité énergétique se présente en masses corpusculaires infiniment petites, finies en quantité mais sous forme définie, qui paraissent douées de fréquence et d'un état électrique positif, négatif ou neutre ; ces éléments s'organisent en structure depuis le noyau de l'atome jusqu'à l'édifice extrêmement complexe que constitue le cerveau de l'homme.

La qualité dégage des premières combinaisons matérielles les propriétés particulières aux corps simples et composés, notamment une forme dont l'expression peut être appréciée par notre esprit.

Ne pouvons-nous en déduire que le psychisme se manifeste dès les premières qualités de ces édifices, ne fût-ce qu'à l'état de trace, pour se développer peu à peu avec la complexité des organismes biologiques, .faisant apparaître la sensibilité, l'instinct suivis de traces d'intelligence chez les mammifères supérieurs ?

Partant de la lumière qui brille au firmament, la qualité de l'énergie est parvenue aux plus hautes facultés de l'esprit humain.

Toutes ces catégories de manifestations se mêlent en agissant et réagissant les unes sur les autres, conformément à un ensemble de lois.

La recherche de ces lois est la tâche que s'impose la science ; elle la poursuit jour après jour, mais la connaissance de ces lois est statique, tandis que dans l'univers tout se meut et que ce mouvement correspond nécessairement à une activité, à un principe qui possède la possibilité, le pouvoir de faire évoluer le monde conformément à ses lois.

Que peut-on connaître de ce principe ?


 

DEUXIEME PARTIE

Son principe et son cadre

Je me suis efforcé d'établir l'hypothèse d'un principe qui possède le pouvoir de produire des manifestations énergétiques. Celles-ci, en déterminant des phénomènes représentant des corps matériels, édifient des structures de plus en plus complexes et perfectionnées.

L'ensemble de ces combinaisons ou constructions, provenant de l'agrégation d'éléments énergétiques, se succède suivant une évolution qui des minéraux se poursuit par les organismes vivants vers l'esprit sans que je puisse en prévoir le développement ultérieur.

Comme on le voit, je donne au mot «principe» le sens de puissance active.

Les lois de l'univers dont les savants cherchent à rapprocher les leurs sont l'expression de cette activité.

Les lois sont de nature passive, et ce serait ce principe actif qui déterminerait suivant ces lois les conditions de la production des phénomènes et réglerait leurs rapports entre eux.

La science peut ne pas avoir besoin de cette hypothèse pour poursuivre ses recherches, mais l'esprit humain a le droit de ne pas plus se laisser enchaîner par des postulats scientifiques que par des dogmes religieux et de tenter, en pleine liberté, d'élargir le champ de ses explorations philosophiques sous la réserve de ne rien avancer qui soit en contradiction formelle avec l'observation et l'expérience scientifiques ou les exigences de la raison.

La science ne dépasse-t-elle pas elle-même ses méthodes lorsqu'elle généralise les résultats de ses travaux ou quand elle appuie ses théories sur des éléments qui ne sont pas perçus par les sens comme elle l'a fait à maintes reprises, notamment avec l'emboîtement des germes de Swammerdam, le phlogistique de Stahl, la fixité des espèces de Linné et de Cuvier, la conservation de la matière de Lavoisier, le vitalisme de Bichat, ou l'éther de Fresnel ?

Est-il certain que la physique corpusculaire ne soit pas entrée dans cette voie ?

On a toujours le droit d'émettre des hypothèses ou de concevoir des constructions utiles au développement scientifique, mais non de les présenter comme étant des réalités si elles ne correspondent à des perceptions contrôlées.

L'esprit humain semble se trouver en face d'un inconnu, et probablement d'un inconnaissable ; cela est vrai en science comme en philosophie.

Cette dernière ne peut connaître qu'une vérité imparfaite mais de plus en plus approfondie, comme la science ne perçoit qu'une réalité relative, mais de plus en plus approchée.

Ne peut-on aborder le domaine philosophique de l'inconnu même s'il est difficile de projeter quelque clarté dans l'ombre qui dérobe le principe du inonde à notre entendement ?

Dans l'univers tout est mouvement, ou plus généralement changement qui représente un ensemble de mouvements.

Rien n'est stable ; ce qui nous paraît immobile ne l'est que relativement ou en apparence.

Un corps peut paraître immobile par rapport à un autre corps entraîné avec lui dans un même mouvement.

De plus, les éléments d'un corps ne nous semblent stables qu'en raison de l'imperfection de nos sens, car nous ne percevons ni le mouvement des molécules qui les composent, ni les vibrations extrêmement rapides des rayons lumineux qui, éclairant ce corps, sont projetés vers notre œil et nous donnent l'impression que les éléments de sa surface sont au repos.

L'immobilité absolue ne pourrait provenir que de l'absence de tout changement, ce qui est impossible dans l'univers.

Remarquons que les mouvements, les changements effectués ne sont pas eux-mêmes des activités, ils ne figurent que les signes, les représentations de celles-ci.

C'est l'activité génératrice de tout changement qui s'effectue dans la nature que je considère comme étant le principe de l'énergie qui est le constituant du monde ; pour produire des phénomènes matériels et spirituels, l'énergie doit en avoir la possibilité et, à cet effet, posséder les qualités qui, au cours de l'évolution déterminée par elle, font apparaître les manifestations matérielles que nos sens peuvent percevoir et projeter dans notre conscience sous forme d'images visuelles, sonores, tactiles et autres.

De ces images notre émotivité et notre intelligence dégagent les expressions spirituelles dont elles peuvent être le support.

Pour approfondir notre connaissance, il faut avoir .• grand soin de distinguer une vue objective d'une vue subjective, et une idée générale d'une représentation réellement perçue.

L'être humain subit les effets de la température ; il a chaud quand la température monte, il a froid quand elle descend.

La chaleur correspond à un mouvement moléculaire ; lorsque l'intensité de ce mouvement s'accroît la température monte ; elle décroît lorsque la température descend.

Il y a donc chaleur tant que les molécules sont en mouvement.

Les notions de chaleur et de froid ont par suite des sens différents suivant qu'on rapporte le chaud et le froid subjectivement à nous, ou qu'ils sont considérés objectivement dans la nature.

Il est normal que l'homme ait commencé à considérer la température par rapport à lui, car sa vie ne peut se maintenir, persister qu'entre certaines limites de température comme de pression.

Dans l'univers, le froid absolu ne pourrait correspondre théoriquement qu'à l'absence totale de chaleur, ce qui apparaît impossible, car les éléments matériels comme les éléments énergétiques ne peuvent constituer la nature qu'à l'état de mouvement.

En l'absence de celui-ci, on ne peut concevoir que le néant.

En sens inverse, on ne sait jusqu'à quel degré de chaleur la température pourrait s'élever ; on prétend toutefois que dans certaines étoiles elle atteint plusieurs millions de degrés centigrades ; de plus, il est probable que la température ne doit pas pouvoir dépasser un certain maximum puisqu'il en existe un pour la vitesse.

Les corps matériels doivent donc avoir, comme les organismes vivants, des limites de température en dehors desquelles on ne peut les rencontrer.

Nous savons déjà que tous les corps changent d'état lorsqu'ils atteignent certaines températures dans différentes conditions de pression.

Ce mouvement moléculaire, qui nous fait éprouver une sensation de chaleur ou de froid suivant qu'il s'intensifie ou se ralentit, et peut brûler ou geler nos tissus, est bien une réalité à l'échelle humaine.

D'autre part, ce mouvement des molécules s'accroît ou décroît lorsqu'il reçoit de la chaleur d'autres corps ou qu'il leur en transmet ; la chaleur s'équilibre d'un corps à l'autre.

De plus, l'énergie calorifique qui correspond à ce mouvement moléculaire peut se transformer en un autre mode d'énergie.

La conservation de la matière ne peut plus être considérée comme un postulat exact. Seule l'énergie se conserve.

Il est admis que l'énergie a une niasse et que la masse, de la matière est la somme des masses énergétiques qui entrent dans cette matière.

Si l'on chauffe ou si l'on refroidit un corps matériel, la masse de ce corps se trouve augmentée ou diminuée sans qu'on lui ait ajouté ou retranché une quantité quelconque de matière.

Il ne peut en être ainsi en ce qui concerne l'énergie.

Sans doute, d'après le principe de la relativité, la formule concernant la quantité d'énergie ou de mouvement n'est plus valable ; elle est remplacée par celle d'Einstein. -

Celui-ci a démontré, en étudiant l'énergie intra-atomique, que la vitesse de celle-ci est considérable lorsqu'elle est mise en liberté et que c'est sa masse qui, en s'accroissant rapidement, limite par son inertie la vitesse de la lumière. Cette énergie intra-atomique, qui est en puissance dans l'atome, se dégage lors de la désintégration des noyaux atomiques.

Mais cette énergie, comme celle des éléments qui composent l'atome, ainsi que celle des modes énergétiques qui se transforment les uns dans les autres : énergie thermique, électromagnétique, cinétique, peut être évaluée en travail mécanique, c'est-à-dire en joules et en ergs.

Toutes ces transformations ont montré l'équivalence de ces divers modes, y compris les modes utilisés pour les transformations de la matière qui semblent disparaître, mais qui reparaissent dans les transformations contraires comme les modes latents d'énergie utilisés dans les transformations chimiques, les changements d'état de la matière, la cohésion et la résistance à la gravitation.

L'énergie qui compose et anime la matière peut augmenter ou diminuer, mais qu'elles soient dans la matière ou hors d'elle, les quantités énergétiques qui ont une commune mesure peuvent passer d'un mode à l'autre ; il leur est possible de se disperser ou -de se dérober provisoirement, mais elles ne peuvent ni augmenter, ni s'évanouir. La quantité d'énergie ne peut être modifiée.

D'autre part, à quoi peuvent se réduire les éléments provenant des désintégrations, des décompositions énergétiques ? A des quanta finis, doués de fréquence, qui déterminent des vibrations, des ondulations, des projections, ou plus généralement de l'attraction, du mouvement, de l'inertie, de la lumière.

Ces conséquences ne nous incitent-elles pas à penser qu'il n'existe qu'un principe d'une prodigieuse activité dont nous ne pouvons percevoir que les apparences physiques ou psychiques dont il se revêt dans son évolution universelle ?

II

Je regarde une chaise ; est-ce ce siège que je perçois ? Ne sont-ce pas plutôt certaines des propriétés qui la caractérisent et me permettent d'en avoir une idée : sa forme, son volume, ses dimensions, sa matière, sa couleur, etc ? Sa vue ne me rappelle-t-elle pas surtout son utilité et, si j'en ai l'usage, sa commodité ?

Son volume correspond à l'emplacement qu'elle occupe dans l'étendue. En son absence, en l'absence de tout objet, de toute matière, que puis-je percevoir de l'étendue ?

Il m'est possible de concevoir un vide, qui n'est que relatif, mais non de le percevoir.

L'étendue dans laquelle nous nous déplaçons n'est pas vide de matière, elle est remplie d'air et nous ne percevons celui-ci que lorsqu'il se déplace avec quelque vitesse, et par exemple quand il nous caresse ou nous frappe au visage.

Ce qui existe physiquement à l'échelle humaine, ce sont l'énergie et la matière que nous percevons, et non le vide; en dehors d'eux il n'existerait rien physiquement.

Je ne puis concevoir l'étendue que parce que je ne perçois pas l'air qui m'environne ou sépare les objets que je perçois.

L'eau dans laquelle je plonge et me déplace me donne-t-elle l'impression du vide ?

L'air, bien plus difficilement perceptible, est un fluide comme l'eau.

De même que je conçois l'idée de chaise détachée du siège que je vois, pour me remémorer une autre forme de chaise que j'ai vue ou en inventer une différente, l'espace et le temps ne sont que des généralisations de l'étendue et de la durée des corps, c'est-à-dire des conceptions qui peuvent être utiles mais qui ne me paraissent pas correspondre à des réalités physiques.

Les trajectoires des mobiles ont une longueur, les corps solides ont un volume qui peuvent être mesurés suivant les dimensions que l'homme détermine.

Seules, la matière et les trajectoires de ses mouvements ou celles de radiations énergétiques peuvent avoir des dimensions.

Une dimension se mesure d'un point à un autre, d'une surface à une autre, d'un volume à un autre.

L'espace vide de toute énergie ou matière n'a ni point, ni surface, ni volume ; pourrait-il être considéré comme autre chose que le néant ?

Il serait possible de lui attribuer une dimension ou une infinité, mais non de pouvoir en mesurer aucune.

L'espace ne saurait être considéré que comme un cadre enveloppant l'ensemble des phénomènes matériels et énergétiques.

Les philosophes ne définissent-ils pas un espace selon leurs aspirations, tandis que les savants le construisent en tenant compte des solutions de leurs équations ?

C'est ainsi que parlant de l'espace ou plus précisément de la nature, dans une image magnifique, Pascal, après Empédocle, l'a comparé à une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Les anciens limitaient l'espace par la voûte céleste, tandis qu'Einstein, par l'analyse, démontre que l'espace est à la fois fini et illimité.

Il me paraît bien difficile de concevoir cet espace malgré les analogies que nous connaissons.

Une route qui représente une courbe fermée possède une dimension finie que l'on peut poursuivre indéfiniment ; une surface sphérique ou ellipsoïdale a une étendue finie et mesurable, tandis qu'elle est sans borne, donc illimitée pour ceux qui l'explorent.

Mais nous voyons l'extérieur de la sphère et nous ne pouvons pas considérer l'extérieur de l'univers puisque nous y sommes inclus.

On attribue généralement une durée aux phénomènes ou à cet ensemble de phénomènes que l'on appelle un événement. C'est cette durée qui a été généralisée sous le nom de temps.

Cette notion, que l'antiquité gréco-romaine avait divinisée, est fort imparfaite, car elle ne peut avoir un caractère universel.

L'être humain ne perçoit que des phénomènes ; il conçoit la durée dont il a inventé la mesure.

C'est le mouvement apparent du soleil autour de notre globe qui règle sur celui-ci la durée du jour ; cependant les hommes ne le voient pas apparaître au même instant ; si la durée est sensiblement la même, quoique le mouvement des astres ne soit pas absolument régulier, les heures varient de lieu en lieu, actuellement de fuseau à fuseau qui se suivent d'heure en heure.

Or, des travaux d'Einstein, il résulte que pour des corps en mouvement les uns par rapport aux autres, non seulement l'heure du jour ne peut être la même pour les deux mobiles, mais la durée se différencie de l'un à l'autre.

Enfin, l'apparition des phénomènes semble ne pas s'effectuer dans le même ordre pour les personnes qui l'observent, selon leur position par rapport au lieu où le phénomène se produit, et aussi en raison de leur mouvement les uns par rapport aux autres.

D'autre part, la durée est-elle la même pour tous les hommes ?

Ne semble-t-elle pas varier suivant l'âge, l'état de santé, l'occupation agréable ou pénible, etc... ?

Il n'y a pas de commune mesure pour la durée des phénomènes, et le moment et l'ordre de leur apparition peuvent être différents pour les observateurs.

Un certain mode de durée a été établi pour les hommes habitant la terre afin de faciliter leurs rapports et leur permettre de régler les conditions de leur existence, mais il n'y a pas de construction temporelle qui puisse s'appliquer à l'ensemble de l'univers.

Comme l'a prouvé Einstein, il n'y a pas de temps absolu.

Tout mouvement a une trajectoire et une vitesse ; la trajectoire se mesure dans l'étendue ou l'espace, la vitesse dans la durée ou le temps.

Je viens d'indiquer que, d'après Einstein, la durée n'est pas la même pour deux mobiles qui se déplacent l'un par rapport à l'autre.

D'autre part, Einstein, après Lorentz, démontre que, pour un mobile, la matière qui est emportée par l'autre mobile paraît subir une contraction dans le sens de son mouvement ; ne puis-je en conclure que non seulement le temps mais l'espace n'est pas le même pour les deux mobiles ?

Or Minkowski a proposé un continuum à quatre dimensions : trois spatiales et une temporelle.

On est tenté de s'y rallier en se rappelant que le mouvement s'effectue à la fois dans une ou plusieurs dimensions spatiales et une dimension temporelle ; cependant si le temps pour un mobile n'est pas le même que pour l'autre, et si la mesure d'une dimension spatiale se différencie également d'un mobile à l'autre, comment ces mobiles pourront-ils avoir un continuum commun ?

Toutefois, si je comprends les équations de Lorentz, qu'utilisé Einstein, tandis que la mesure et la durée du mouvement et celle de la trajectoire diffèrent pour deux mobiles, l'intensité de la vitesse que ces mesures déterminent leur est commune et se substitue à ses éléments dans le continuum.

L'énergie a une quantité qui se meut.

Le mouvement s'effectue dans l'étendue, mais la quantité qui d'après l'expérimentation scientifique paraît être invariable ne doit pas être plus dans le temps que l'esprit n'est dans l'espace.

Si cette quantité ne s'est pas modifiée dans le temps, comment aurait-elle pu avoir un commencement ?

Est-elle éternelle ?

Cette question ne me paraît pas pouvoir se poser.

Le mot éternité comme celui d'immensité sont des modalités de l'infini : l'infini temporel, l'infini spatial ; or je ne parviens pas à comprendre ce que peut signifier exactement le mot «infini». Il est un proverbe qui dit que les extrêmes se touchent. < J'ai souvent vérifié que, dans la vie sociale notamment, on passe facilement d'un extrême à l'autre. Je me contente de prendre un exemple mécanique.

Je suppose qu'une roue effectue autour de son axe un mouvement de rotation dont la vitesse est croissante. S'il était possible que cette vitesse devînt infinie, ne constaterait-on pas que chacun des points de la roue se trouverait à tout instant au même emplacement, quoique ayant fait un tour, et paraîtrait ne pas l'avoir quitté ? Le mouvement infini se confondrait avec l'immobilité.

Cette hypothèse n'est que théorique puisqu'on sait qu'aucune vitesse ne peut dépasser celle de la lumière, mais elle me confirme dans le sentiment que tout infini s'apparente au rien, au vide, au néant.

Les durées et les étendues relatives peuvent être des réalités humaines comme les mouvements et les formes, tandis que le temps et l'espace ne sont que des généralisations, des abstractions comme lorsque je parle du mouvement ou de la forme.

Toutefois le temps et l'espace peuvent représenter des constructions théoriques ou hypothétiques utiles au développement scientifique.

L'infini m'apparaît être, comme le zéro, une simple notion mathématique.

Cependant, dans le sens pascalien, l'infini que je considère comme un concept métaphysique peut, ainsi que les expressions «immensité, éternité et absolu», représenter quelque aspiration idéale de l'esprit ([11]).

III

Nos ancêtres avaient cru constater dans la nature que des catégories de phénomènes avaient eu des origines distinctes.

Leurs méditations les conduisirent à concevoir que la lumière, la matière, les végétaux, les animaux et l'homme avaient été créés les uns après les autres.

Nous savons aujourd'hui, grâce à l'observation approfondie et à l'expérimentation contrôlée, que dans l'ensemble de l'évolution du monde tous les phénomènes dépendent des phénomènes antécédents dont ils proviennent, et interviennent dans le développement de ceux qui leur succèdent.

Pour les examiner en eux-mêmes, il faut les séparer plus ou moins arbitrairement du milieu dans lequel ils se manifestent.

Le commencement ainsi que la terminaison d'un phénomène ne sont que des apparences, car tous les phénomènes sont liés et entremêlés et ne se présentent à nous que sous un de leurs aspects plus ou moins relatifs et généralement à l'échelle humaine.

L'univers ne peut être étudié qu'à plusieurs échelles ; au-dessus de l'échelle humaine, on utilise l'échelle stellaire ; au-dessous, l'échelle atomique, ondulatoire ou quantique.

Dans chaque échelle on peut considérer des plans différents s'étageant ou se succédant, et qui peuvent se classer en plans énergétiques, matériels, biologiques, psychiques, sociaux.

La plupart des phénomènes peuvent être observés dans plusieurs plans et plusieurs échelles et certains phénomènes se développent très lentement, passant d'une forme à l'autre de telle sorte qu'il est impossible de préciser à quel instant une forme phénoménale apparaît.

La sensibilité, par exemple, se présente sous deux aspects : biologique et psychique.

Biologiquement, me dira-t-on, elle commence avec le système nerveux ; mais quand commence le système nerveux ? Quand se dégage-t-il de l'irritabilité de la cellule ? Retrouve-t-on les éléments de cette irritabilité dans les molécules qui ont formé la cellule ? Les reconnaîtrait-on dans la propriété électrique des particules composant l'atome ?

La sensibilité psychique n'apparaît-elle que dans l'esprit de l'homme ? Les animaux supérieurs n'en manifestent-ils pas ? Jusqu'où faut-il descendre dans l'échelle des êtres pour en découvrir l'origine ?

Considérons le plus complexe des phénomènes : l'homme. On le détache entièrement de son milieu. Est-ce légitime ?

Un milieu atmosphérique lui est indispensable, il ne peut vivre que dans certaines conditions de chaleur et de pression ; les cellules qui le composent lui viennent de sa nourriture qu'il transforme en substances circulant en lui ; cette circulation porte la vie aux cellules et celles-ci, par division, en forment d'autres pour remplacer celles qui, usées, se détachent ou sont expulsées.

Au bout d'une certaine durée, toutes les cellules d'un corps sont renouvelées.

Que reste-t-il de la naissance à la mort, sinon une structure organique qui s'est modifiée, mais formée d'énergie qui maintient la cohésion physique et le système nerveux par l'intermédiaire duquel s'exprime la sensibilité, le sentiment, l'intelligence et la volonté de la personne ?

On peut sans doute considérer que la vie humaine commence avec la première aspiration d'air et finit avec la dernière expiration. Mais en réalité, après le dernier soupir, des tissus et même des organes immédiatement détachés du cadavre peuvent se régénérer et continuer à vivre quelque temps si on les place dans des milieux favorables.

D'autre part, avant la naissance le corps humain était en gestation et, avant la procréation, les chromosomes et .leurs gènes destinés à développer leurs qualités physiques et psychiques existaient déjà chez les géniteurs.

L'être humain appartient à une race qui, comme les espèces animales, se transforme lentement de génération en génération. .

La race humaine n'est-elle pas l'aboutissement de la transformation résultant de l'évolution biologique ?

Il n'y a pas solution de continuité entre l'être humain et les autres êtres vivants.

Pourrait-on préciser à quel stade un animal est devenu un homme ?

Le premier homme fut-il le premier être vivant qui a su utiliser le feu, celui qui a taillé la pierre pour en faire une arme ou un outil ou

celui qui a eu le génie d'articuler des sons pour se faire comprendre de ses semblables ?

Ces miracles ont dû mettre bien du temps avant d'aboutir à ces précisions encore bien primitives.

Dans le plan des atomes et des molécules gui le composent ou celui de l'énergie qui l'anime, que peut représenter l'homme ?

Comment un être dont les sens ne percevraient que l'infiniment petit pourrait-il concevoir que de nombreuses particules, séparées les unes des autres par de grandes distances comme les étoiles du firmament, peuvent constituer un homme ?

En fait, l'esprit peut considérer l'homme sous diverses apparences, notamment sous celles d'une personne, d'un membre du corps social ou sur le plan atomique comme un ensemble d'éléments énergétiques mêlés à tous ceux qui, de même nature, peuplent l'univers.

Il me semble résulter, des données actuelles de la science, qu'il n'a pas pu y avoir de commencement, de création au cours de l'évolution, mais l'évolution elle-même n'a-t-elle pas eu une origine ?

Cette dernière ne pouvait se produire que dans la durée et correspondre au commencement d'un premier mouvement relatif entre deux éléments.

Or on ne peut observer un mouvement qu'entre deux corps ou deux particules énergétiques, car il est impossible de rencontrer un point fixe dans l'univers, et la durée, comme l'étendue, n'apparaît qu'avec le mouvement.

Les molécules et les atomes existaient sans doute avant les corps pour les former ; de leur côté les mouvements moléculaires et atomiques se manifestèrent préalablement aux mouvements mécaniques de la matière.

De plus, on sait que dans un gaz, les mouvements moléculaires sont désordonnés et n'obéissent pas aux lois classiques de la mécanique ; le développement de la connaissance corpusculaire a conduit les savants à utiliser les lois statistiques pour étudier les phénomènes à l'échelle atomique. Au lieu d'appliquer des lois qui nous paraissent précises, nous sommes obligés de nous contenter de règles plus générales qui sont entachées d'indétermination.

Les mouvements désordonnés des atomes dépendent eux-mêmes des mouvements antérieurs de la mécanique ondulatoire et quantique, d'une indétermination plus subtile encore, ainsi que l'a démontré Heisenberg.

Pourrions-nous découvrir l'origine de la durée par le mouvement des électrons ou la fréquence des radiations électromagnétiques ?

Passant du déterminé à l'indéterminé, remontant dans l'évolution à une période antérieure à la révolution des astres qui fixe pour nous la durée actuelle, n'aboutissons-nous pas à des règles moins ordonnées qui pouvaient correspondre à un état plus imprécis d'un univers uniquement composé de quanta animés de fréquence et infiniment minuscules ?

Il n'existe pas de temps absolu, dit Einstein. Chaque mobile a son temps propre.

Si un mouvement a commencé l'évolution, il n'y avait pas de durée avant ce commencement, l'énergie qui devait le commencer n'était pas dans la durée, et parler de temps n'aurait pas eu de sens.

IV

Je considère la quantité énergétique comme étant mue par un principe actif, qui est sa qualité, ne pouvant être ni dans la durée ni dans l'étendue.

La durée et l'étendue ne sont pas antérieures au mouvement, car en son absence il ne peut y avoir ni durée, ni étendue ; elles ne peuvent commencer à se manifester qu'avec lui.

C'est le principe actif qui détermine la trajectoire d'un mouvement et sa durée, en produisant ce mouvement.

Le mouvement mécanique n'a pu apparaître qu'avec la matière ; le mouvement d'une quantité énergétique lui est nécessairement antérieur, sans cela elle n'existerait pas.

On admet que l'énergie est douée de fréquence et forcément se meut ; d'autre part, la durée dépend du mouvement et non le mouvement de la durée.

La quantité énergétique est constante ; à moins d'avoir été créée dans Un temps absolu, elle n'a pas pu avoir de commencement pas plus que sa fréquence, son agitation, c'est-à-dire le mouvement qui lui est lié.

Or Einstein a démontré qu'il ne peut y avoir que des durées relatives et non un temps généralisé.

La durée, le temps ne me paraissent avoir un sens défini qu'après l'apparition du mouvement des astres.

Peut-on m'objecter qu'il n'y a pas plus de principe énergétique que de principe vital ?

Il ne me semble pas, car l'énergie manifeste son activité en la montrant sous des modalités différentes : thermique, électromagnétique, cinétique, etc...

Selon les connaissances actuelles, il ne peut être ajouté aux éléments minéraux aucun principe nouveau susceptible de leur conférer la vie.

Aussi dans mon hypothèse de l'unité de l'énergie, c'est le principe actif de cette énergie qui doit détenir toutes les possibilités de déterminer des phénomènes matériels, vitaux et spirituels à mesure que les structures agencées par lui se perfectionnent en se succédant au cours de révolution.

Si l'on découvrait que l'énergie elle-même peut se décomposer, ce serait l'activité de ses constituants que je considérerais comme étant le principe du monde.

Les éléments primitifs se meuvent parce qu'ils ont en eux un principe actif qui les anime ou parce qu'ils sont mus par un principe actif extérieur à eux.

Cette alternative se présente nécessairement à notre esprit en ce qui concerne l'énergie : se meut-elle, est-elle mue ?

Il ne me semble pas possible de dissocier l'activité de l'énergie, car celle-ci m'apparaît active par essence.

L'activité énergétique, du moins les lois suivant lesquelles les modes énergétiques se transforment et les mouvements de ses éléments s'effectuent, dépendrait-elle d'une puissance extérieure à l'univers ?

Rien ne peut sortir de rien. Mon esprit se refuse à concevoir que quelque chose ait pu se dégager du néant en se donnant l'existence à elle-même.

Je ne sais que vaguement ce que je suis, ce qu'est la nature, le milieu qui m'environne, mais j'ai le sentiment profond qu'il existe un univers dans lequel je suis physiquement, psychiquement, socialement.

Cet univers a-t-il été créé ou est-il incréé ?

Tant que l'on sépare l'esprit de la matière on peut être amené à penser que l'esprit a créé la matière ; mais on sait aujourd'hui, scientifiquement, que l'énergie n'est pas la matière ; elle la constitue et l'anime; c'est de la structure des organismes qu'elle édifie que l'énergie dégage l'esprit humain, car d'après mon hypothèse c'est elle qui doit posséder, dans son principe, les possibilités, les qualités nécessaires à cet effet.

L'énergie doit être dotée de deux caractères, de deux aspects : physique et psychique.

Si ce principe a été créé par un autre principe, celui-ci est nécessairement incréé ou alors on remonterait à une infinité de créations.

Il y aurait donc un principe incréé.

Pourquoi ce principe incréé aurait-il créé un autre principe actif possédant toutes les qualités, le rendant apte à développer tous les phénomènes qui se manifestent dans la nature ?

Quelle raison avons-nous de supposer l'existence de ces deux principes, l'un créé qui manifeste son activité dans la nature, et l'autre qui l'a simplement créé ? Or il faut absolument que mon esprit admette un principe incréé, quoique cela dépasse mon entendement ; ne dois-je pas me ranger à la conception la plus rationnelle en admettant que le principe actif de l'énergie antérieur au mouvement, puisque c'est lui qui le commande, n'est pas soumis à la durée et est par conséquent incréé ?

D'autre part, Maupertuis n'a-t-il pas établi que dans la nature toutes les manifestations s'effectuaient par les moyens nécessitant la moindre action ?

Pourquoi supposer que dans l'univers ou hors de lui, il existe à côté du principe de l'énergie un autre principe hypothétique apparaissant superflu ? N'est-il pas plus simple et plus vraisemblable de n'en retenir qu'un seul ?

J'estime pouvoir émettre l'hypothèse qu'il n'existe qu'un principe possédant toutes les qualités qui ont animé l'énergie, l'animent et l'animeront conformément à ses lois pour produire tous les phénomènes qui se manifestent dans l'univers.

De ces phénomènes nous ne percevons que certaines apparences encadrées dans nos conceptions d'espace et de temps et mises en valeur par les autres constructions et inventions dues au génie de l'esprit humain ([12]).


 

TROISIEME PARTIE

Quelques tendances de l'évolution

LE principe de l'énergie confère à celle-ci deux formes essentielles d'activité : l'activité physique qui est le caractère quantitatif, et l'activité psychique, qui apparaît de caractère qualitatif. Ces activités se manifestent conformément aux lois de la nature à mesure que le milieu devient favorable à ces manifestations.

Il faut que des conditions nécessaires soient en présence pour qu'un phénomène se réalise.

Tout élément énergétique est une activité active et finie ; il a des propriétés : sa masse, sa fréquence et généralement son caractère électrique.

De plus, il a la possibilité de se grouper avec d'autres corpuscules pour constituer plus ou moins rapidement des structures énergétiques, puis matérielles, de plus en plus complexes. Ces groupements bénéficient de possibilités, de propriétés et de qualités nouvelles qui varient suivant l'importance et la constitution des structures édifiées.

La matière minérale puise ses propriétés dans les éléments de ses molécules et la matière organique dans ceux de ses cellules.

L'énergie finie dans ses éléments, par conséquent dans sa quantité, semble illimitée dans sa qualité ; par son principe, elle possède une gamme indéfinie de possibilités d'acquérir des qualités qui se sont manifestées successivement au cours de l'évolution de l'univers.

Le cerveau humain est l'organe biologique le plus perfectionné que 'nous connaissions actuellement.

Je tiens à faire remarquer qu'aucune structure matérielle, qu'aucun organisme ne peut posséder des propriétés ou des qualités innées, mais seulement des possibilités d'en acquérir par leur édification ; de même, il n'y a pas d'idées innées ; l'esprit ne peut avoir que la prédisposition d'en concevoir ou d'en recueillir.

Les phénomènes se manifestent dans des plans différents : énergétiques, physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychiques, etc...

Leurs propriétés ou qualités peuvent se présenter à notre observation dans un état actif ou passif, dynamique ou statique.

Pour établir une hypothèse objective des qualités du principe énergétique, il faut considérer les phénomènes dans les divers états et dans les divers plans pour déterminer les possibilités, les prédispositions ou plus généralement les tendances résultant de l'activité de ce principe, et en construire autant que possible une hypothèse qui satisfasse la raison.

Il sera prudent d'éviter les généralisations trop poussées, car souvent les points de vue contraires peuvent être sérieusement envisagés.

Les vues subjectives doivent être évidemment transférées dans le plan objectif.

Les tendances devront être d'autant plus retenues que nous les rencontrerons dans un plus grande nombre des plans qui correspondent aux diverses périodes de l'évolution.

*

* *

On sépare arbitrairement le corps humain du milieu sans lequel il n'existerait pas. On agit de même en opposant l'esprit au corps sans lequel il ne pourrait apparaître.

Il semble que seules les manifestations conscientes sont des phénomènes spirituels, comme s'il ne se produisait pas des manifestations inconscientes de l'esprit qui présentent, même pour l'homme, une plus grande importance, une plus certaine nécessité que les premières.

Je ne parle pas seulement de l'inconscient duquel jaillissent les idées, les inventions, les aspirations ou les émotions, mais de l'ensemble des manifestations organiques résultant de l'activité énergétique ou plus exactement de son principe.

Quand on parle de volonté, on ne pense guère qu'à sa forme cons ciente dont l'homme use si peu ou si mal en général, et on semble ignorer qu'il y a en nous une volonté inconsciente qui tend à régulariser le fonctionnement de nos organes.

La volonté consciente ou inconsciente n'est pas une force particulière, un élan qui s'unit à la matière, ce n'est que la synthèse de modes énergétiques, de qualités que la structure organique et le milieu permettent à l'activité de manifester.

Tout ce qui est qualité, quels que soient les phénomènes que je considère, appartient au domaine psychique ou spirituel.

Nous rencontrerons d'ailleurs des analogies qui décèlent une évidente parenté entre les qualités de l'énergie, de la matière minérale ou organique, de la société, de l'esprit.

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* *

Dans l'univers, rien ne paraît absolu, tout est relatif dans quelque domaine que ce soit.

Les tendances que manifeste la qualité du principe de l'énergie paraissent s'unir, se déformer, s'opposer.

La qualité fondamentale de ce principe paraît être l'activité que l'on doit considérer dans son sens le plus large.

Cette activité se manifeste dans tous les plans de l'univers, où tout se meut, même ce qui nous paraît immobile : les faits et les événements résultent eux-mêmes d'un ensemble de mouvements.

Tout mouvement a tendance à persister et résiste à tout autre mouvement ou tout obstacle qui s'oppose à lui, et s'il est mécanique modifie sa trajectoire ou se transforme en mouvements moléculaires.

Toute matière minérale ou biologique tend à conserver ses propriétés tant que d'autres matières n'interviennent pas pour la modifier ou la détruire.

D'autre part, nous pouvons constater des analogies plus ou moins approchées entre les phénomènes de la nature, de l'esprit, de la société.

La conservation, la constance sont les tendances les plus générales, à côté desquelles se place la progression.

Tout agrégat, toute structure, tout organisme, tout groupement, tout, en général, tend à s'accroître, en quantité, à consolider son agencement, à perfectionner ses qualités.

Ce sont les tendances que le développement de l'évolution manifeste devant nous.

Considérée dans son ensemble, l'évolution paraît progressive puisqu'elle fait apparaître successivement la matière, la vie, l'esprit.

Toutefois, cette progression n'a pas suivi une courbe régulière ; celle-ci monte, descend, puis remonte un peu plus haut, comme si elle prenait son élan pour rebondir au-dessus du sommet précédent.

La forme de cette courbe présente un caractère oscillatoire.

Ces oscillations proviennent de la complexité des phénomènes qui se mêlent, s'opposent, se combinent et se succèdent pour constituer l'évolution universelle.

*

* *

Si je considère seulement les ères de notre planète, je constate que celle-ci a subi successivement des bouleversements géologiques ; sur les couches qui se sont accumulées, la vie est peu à peu apparue, les espèces végétales et animales se sont montrées et avec les races humaines, l'esprit s'est développé à son tour.

Puis les civilisations se suivirent, paraissant, disparaissant, remplacées par d'autres qui entraînèrent et entraînent l'humanité vers un destin inconnu, en semant sur sa route quelques joies entremêlées de souffrances et de deuils.

De même, les espèces vivantes apparaissent, croissent, dépérissent; dans chaque espèce, les individus naissent, se développent, vieillissent, meurent.

Les organismes vivants et les institutions sociales se succédant présentent une limite qui ne peut être dépassée que par d'autres organismes ou d'autres sociétés.

Les sommets de certaines oscillations augmentent tandis que d'autres paraissent à peu près stables comme ceux de quelques arts conquérant des formes nouvelles qui ne sont ni plus belles ni plus émotives que celles du passé.

Certains sommets décroissent comme ceux du mouvement du pendule dont l'amplitude diminue pour se terminer dans une stabilité relative ; il en est de même pour l'amplitude des ondulations liquides ou sonores et du mouvement d'une balle d'enfant qui tombe à terre, rebondit, retombe et continue ce mouvement dont la hauteur décroît jusqu'à ce que la balle s'immobilise.

Tous les mouvements, les transformations dont la synthèse est révolution tendent à s'effectuer en ne dépensant que le minimum de quantité d'énergie.

Cette tendance à la moindre action et la tendance à l'équilibre sont très générales.

La tendance à l'équilibre apparaît lorsque des mouvements se contrarient, s'opposent ; sous l'effet de cette tendance, ils sont obligés de se transformer en se combinant, en se divisant ou en s'annulant s'ils sont semblables et de sens contraire, et en donnant naissance dans un autre plan à d'autres modes d'énergie qui les remplacent partiellement ou totalement.

Les oscillations de l'évolution me paraissent dues à la tendance vers l'équilibre, contrariée par la tendance progressive.

Remarquons que l'énergie qui produit ces phénomènes provenait d'autres phénomènes pour participer à la production de nouveaux phénomènes.

L'énergie conservant sa quantité, on ne peut présumer que l'évolution puisse avoir un terme. Mais quelle courbe poursuivra-t-elle ?

II

Tous les mouvements, les changements, les phénomènes sont déterminés par le principe actif de l'énergie suivant un ensemble de lois qui paraissent immuables comme la quantité énergétique ; celle-ci évolue suivant ces règles qui doivent être des qualités du principe et exprimer ses possibilités, ses tendances, son idéalité.

Ces lois sont la représentation passive de son pouvoir qui possède un caractère actif, dynamique.

C'est de l'application de ces lois que paraissent découler les tendances du principe.

Ces règles se présentant avec un caractère intangible, il ne semble pas qu'il puisse être dérogé à leurs rapports, ce qui découvre une nouvelle tendance, celle de l'ordre qui montre ce principe lié par ses propres lois.

*

* *

Parmi les tendances, il en est une que l'on rencontre au plus profond de l'énergie : c'est l'attraction.

L'électricité se présente sous deux caractères opposés : l'électricité négative des électrons planétaires, et l'électricité positive des protons nucléaires qui, avec les neutrons, constituent le noyau de l'atome; les éléments électrisés de même signe se repoussent, tandis que ceux de signe .contraire s'attirent ; dans l'atome, protons et électrons de même nombre -se neutralisent, s'équilibrent.

L'attraction est à l'origine de l'agglomération des éléments énergétiques et de la constitution de la matière.

Elle joue un rôle important dans les combinaisons chimiques unissant, liant les atomes en molécules.

Dans un gaz, les molécules se repoussent en s'agitant ; elles s'écartent les unes des autres aussi loin que sur la terre la pesanteur équilibre leur répulsion.

Si le gaz se refroidit, ou plus exactement perd de sa chaleur, les molécules se rapprochent et l'attraction qui prend forme de cohésion transforme le gaz en liquide puis en solide.

L'attraction, ou du moins ce qui apparaît comme tel, constitue, édifie les noyaux d'atomes, les atomes, les molécules et des corps minéraux simples ou composés.

C'est toujours l'attraction qui a dû permettre aux molécules de s'agréger en cellules.

Lorsque les corps sont chauffés, la cohésion diminue et la tendance à la répulsion reparaît.

L'accroissement de la vitesse des éléments énergétiques et des molécules, qui correspond à une augmentation de chaleur, apparaît donc comme un agent de répulsion de ces éléments.

Sous des conditions multiples, des décompositions succèdent aux combinaisons, et des attractions plus puissantes peuvent désagréger, décomposer des corps pour en constituer d'autres.

La cellule vivante tend à se diviser pour donner naissance à plusieurs cellules vivantes, ou à proliférer pour édifier des êtres poly-cellulaires.

Les cellules de ceux-ci, lorsqu'ils ont pris un certain développement, tendent à se spécialiser en appareils, en systèmes et en organes pour se perfectionner ; lorsque les organes sont trop complexes, ils dépérissent puis s'atrophient ou disparaissent.

Les noyaux de certains atomes eux-mêmes, surtout s'ils sont trop lourds, tendent à se désintégrer spontanément.

Passant de la matière à la vie, il est indéniable que l'évolution progresse malgré ses oscillations.

La quantité énergétique étant constante, c'est évidemment sa qualité qui progresse en se développant, et nous retrouvons les tendances de l'énergie et de la matière dans les phénomènes biologiques puis, en continuant la progression, dans les phénomènes sociaux et psychiques.

Chez certaines espèces animales, la tendance à persister, l'instinct de conservation de l'individu et de l'espèce, ou de la race a incité les êtres de ces espèces à se, réunir, à se grouper en troupes pour leur sauvegarde sous la conduite d'un guide expérimenté ; quelques rares espèces animales se sont organisées en société pour le travail et la vie en commun.

Ces êtres d'une même espèce se rapprochent, s'unissent ainsi que semblent se lier par la cohésion les molécules d'une même matière.

Peut-être trouverait-on aussi des analogies plus ou moins lointaines avec les conditions dans lesquelles des êtres vivent en symbiose.

A leur tour, les premières races humaines se sont groupées successivement en hordes, en clans, en empires pour se protéger contre tout danger ou pour attaquer l'adversaire ; en même temps, par l'utilisation du feu, la fabrication de l'outil et l'invention du langage, les hommes de la préhistoire amorçaient la civilisation.

L'être humain, à son tour, tend à persister dans sa vie, à se continuer dans sa descendance à se survivre par sa terre, ses biens, sa fondation ou son œuvre ; certains croient se rappeler ou se figurent qu'ils sont passés ou passeront d'une existence à une autre, et d'autres espèrent en une vie éternelle.

La diversité de ces tendances à se survivre dépend de la variété des tempéraments et des caractères qui résultent eux-mêmes des structures physiques et psychiques de chaque homme, et de l'influence qu'exercent les qualités physiques et psychiques du milieu matériel et moral dans lequel évoluent ces tempéraments et ces caractères.

Une tendance peut donc être dispersée en plusieurs modes qui constituent des tendances particulières.

Cette tendance à la diversité provenant de la différence des tempéraments et caractères humains est très générale.

Non seulement l'homme tend à durer, mais aussi à progresser, quoiqu'il n'en prenne pas toujours le chemin.

La tendance vers la supériorité est souvent déformée ; l'homme s'efforce plus souvent d'être quelque chose que quelqu'un ; il aspire à commander, à conduire, à dominer, quelquefois à tyranniser.

Le plus autoritaire à l'égard de ses subordonnés est souvent très courbé devant ses supérieurs ; chez le même homme se dégagent parfois les plus criantes contradictions.

Plus l'homme est fortement soumis à un dogme religieux, politique ou économique qu'il n'a pas étudié ni surtout compris, plus il tente de l'imposer à d'autres par la pression, et parfois par la violence à défaut de persuasion.

L'homme veut être libre, et pour se dégager de certaines réglementations qui demandent simplement à être assouplies, il acclame le despote.

La soumission et la révolte font quelquefois bon ménage dans un même cerveau, mais s'appliquent à des préoccupations différentes.

Que dégager de cet ensemble de contradictions ?

Les phénomènes humains, comme les phénomènes matériels, dépendant les uns des autres, sont liés par une solidarité nécessaire : la liberté et la dignité de chacun doivent tendre à s'équilibrer entre tous par une solidarité consentie, organisant une répartition équitable des biens produits en commun et un égal équilibre entre les droits essentiels dont chacun doit bénéficier pour s'épanouir physiquement et intellectuellement.

L'attraction et la répulsion que nous constatons entre les éléments énergétiques se manifestent également entre les humains et leurs tempéraments sous l'aspect de sympathie et d'antipathie, d'amour et de haine.

La sympathie et l'amour élèvent vers le bien, l'antipathie et la haine conduisent à faire le mal.

Une société ne peut persister qu'entre des limites de bien et de mal, d'altruisme et d'égoïsme, comme l'organisme entre des limites de chaleur et de froid.

Le mal n'est-il pas l'absence de bien, comme objectivement le froid ne peut être que l'absence de chaleur, c'est-à-dire de mouvement moléculaire ? Est-ce au contraire le bien qui est l'absence du mal comme la vérité doit être l'absence de l'erreur ?

L'égoïsme apparaît comme étant le caractère fondamental de l'individu, tandis que l'interdépendance est celui de la société.

C'est l'égoïsme qui permet à l'homme de persister dans sa vie et dans sa race, mais l'être humain au lieu de nuire à autrui ou de chercher à le dominer, ne devrait-il pas tendre à se rapprocher de la solidarité ?

L'égoïsme devrait s'élever de la personne à la famille, à la cité, à la société en s'épanouissant dans l'altruisme sans lequel il ne peut y avoir de vie sociale supportable.

III

La grande majorité des hommes pensent plus ou moins superficiellement ; parfois ils réfléchissent plus ou moins profondément ; rarement ils méditent avec quelque persévérance.

L'esprit humain est crédule ou sceptique, souvent les deux, suivant la matière qu'il envisage.

Toujours, depuis les premières lueurs de sa pensée, l'homme a montré une tendance religieuse.

Celle-ci, qui est très générale, a pour objet de lier, de relier, d'organiser les êtres humains, de les unir dans une croyance commune, qu'elle repose sur la crainte ou l'espoir, qu'elle soit de caractère spirituel ou social.

Dans un certain sens, elle est donc une tendance vers l'unité.

Cette tendance pousse les adeptes d'une croyance confessionnelle, politique ou économique, à faire du prosélytisme par la persuasion ou la contrainte, suivant qu'elle est minorité ou dominante dans le milieu social où elle s'est propagée.

Ces divers modes de croyances se développent plus ou moins suivant le caractère des hommes, leur éducation, leurs aspirations ou ce qu'ils estiment être leur intérêt.

A côté du sentiment religieux et se mêlant à lui, figurent la curiosité, l'imagination et l'attrait du merveilleux auxquels nous devons les légendes, les contes, la fable, la poésie et l'art.

*

* *

L'intuition a précédé la réflexion dans l'esprit humain, et souvent le jugement a dépassé les données de l'observation. Aussi doit-on confronter ce qui provient de l'intuition et ce qui résulte de l'expérience et de la réflexion.

Dans le clan, nos ancêtres pour se garantir contre les dangers qui les menaçaient, ont invoqué la protection de l'esprit d'un animal qu'ils considéraient comme leur ancêtre commun, leur totem, dont ils pensaient avoir conservé les qualités, ou encore les esprits ou les génies dont ils dotaient les astres, des montagnes des fleuves et d'autres manifestations de la nature.

N'avaient-ils pas le sentiment obscur, mais profond, de l'évolution, puis de la vie que répand le soleil par l'énergie de sa lumière, de la qualité psychique de l'énergie qui compose et anime l'univers ?

C'est de ces premiers balbutiements de l'esprit humain, qui s'est également penché sur les problèmes du comportement social, que découlent les civilisations du monde.

Les totems et les génies protecteurs de l'homme préhistorique se sont lentement transformés en divinités immortelles tout au long de l'antiquité.

Ces divinités ont été personnifiées, tout en gardant longtemps la tête des totems qui ne furent plus que des symboles lorsque les dieux prirent un visage humain.

Ces dieux présidèrent aux grandes activités de la nature ou de la vie sociale : aux moissons comme à la guerre, à la fécondité comme aux arts, et on les dota des vertus et des vices de l'homme.

Moïse, lui, ne reconnaissait qu'un seul dieu, créateur de l'univers, protecteur de son peuple, celui des douze tribus d'Israël envers lequel il se montrait sévère.

Moïse ne l'avait jamais vu que sous la forme d'un buisson ardent.

A leur tour, les disciples de Jésus de Nazareth, guidés par Paul de Tarse, considérèrent le dieu unique comme un pur esprit, tout puissant et miséricordieux aux hommes de bonne volonté.

Un grand nombre d'autres religions, confessions ou philosophies découlant les unes des autres, sont plus ou moins pratiquées sur la surface de la terre.

On me permettra de ne pas les citer toutes, ni de les comparer entre elles, ni de les juger ; il me suffit d'avoir montré la différence de quelques-unes, dont d'autres sont encore plus éloignées, pour faire entrevoir la grande diversité de leurs doctrines, et qui sont, dans leur généralité, attachées à un étroit dogmatisme.

Les dangers, et l'inexpérience pour s'en protéger, avaient dû inciter les membres du clan primitif à adopter des règles rigides dont la violation était sévèrement punie, tant en ce qui concerne les actes de la vie individuelle que ceux de la vie sociale, qu'ils fussent matériels ou religieux.

Avec les progrès de l'intelligence, ces règles, sans doute indispensables lorsque l'homme sortait à peine de l'animalité, parurent insupportables en plusieurs matières, et peu à peu les mœurs, puis les conceptions, furent soustraites à certains tabous et aux pratiques trop strictes imposées à tous.

La vie domestique avec, aussi, la vie civile et militaire, ne purent se dégager que partiellement de leur caractère religieux, car les collèges de prêtres n'entendirent pas se laisser enlever l'autorité qu'ils exerçaient sur le spirituel au nom de leurs divinités.

Les prêtres gardaient jalousement la connaissance de leur temps, et firent reposer les religions antiques sur des légendes, des dogmes, des rites qui permettaient à leurs adeptes la satisfaction de leurs aspirations, et surtout de leurs espérances.

Ne pouvant expliquer l'inconnaissable, leurs mystères, leurs légendes fabuleuses, c'est souvent impérieusement que les confessions imposèrent la croyance en leurs dogmes aux populations naïves et ignorantes.

Les religions évoluèrent ou disparurent, remplacées par d'autres sous l'influence de réformateurs ; certaines échouèrent, tandis que d'autres furent favorisées par le martyre de leurs premiers néophytes, car le courage de la proclamation de sa foi ou l'accomplissement de son devoir est souvent contagieux.

Certaines prirent une extension imposante ; prétendant détenir seules la vérité, la plupart se montrèrent intolérantes contre les schismes, les hérésies, les nouvelles confessions, les infidèles ; quand elles en eurent la possibilité, elles usèrent de la contrainte et devinrent cruelles, à leur tour persécutant et martyrisant comme elles avaient été persécutées et martyrisées à leur origine.

Cependant, n'est-ce pas la persuasion et surtout l'exemple qui attirent, tandis que la contrainte écarte, repousse et lorsqu'on la subit éveille la tendance à la liberté ?

Nous avons pu constater que les confessions minoritaires réclament la liberté et parfois cherchent à s'unir entre elles, mais dès que l'une ou l'autre devient plus puissante, elle manifeste son intolérance.

La contrainte morale ou matérielle, la violence, la persécution m'apparaissent comme des déformations, comme une déviation pouvant s'abaisser jusqu'au crime, de la tendance vers l'unité, mais dévoyée par les altérations de celle-ci vers la supériorité.

Je ne méconnais pas que, dans leur ensemble, les religions enseignent une morale et s'efforcent d'élever les esprits vers un idéal, mais leur enseignement et leurs règles de conduite sont loin de tenir compte des progrès de la connaissance et de la raison.

Oserait-on prétendre que les fidèles des diverses confessions se conduisent plus dignement que ceux qui ne croient pas à leurs dogmes ? L'hypocrisie ne prend-elle pas trop souvent le masque de la foi ?

La vérité n'est-elle pas que, parmi ceux que l'on classe comme chrétiens à notre époque, le grand nombre n'observe certaines cérémonies du culte que parce que ce sont de vieilles coutumes qu'on a héritées de ses ancêtres ?

Les religions ont eu leur grandeur ; elles tombent en décadence les unes après les autres.

Dès les plus anciennes, la danse, la musique, les arts ont été largement développés par elles.

On peut leur être reconnaissant de cette magnifique floraison esthétique qu'elles nous ont léguée, mais de beaucoup d'entre elles, il ne reste que des souvenirs et des ruines.

Celles qui restent continuent à se jalouser, pour ne pas dire à se haïr. Qu'est donc devenue la charité dans sa plus haute expression et la parole de Jésus : «Aimez-vous les uns les autres» ?

La morale n'est pas d'inspiration divine, d'obligation religieuse ; elle a un caractère social, elle évolue avec les générations en bien et parfois en mal, suivant les fluctuations du milieu matériel et psychique.

Le dogmatisme et l'intolérance qui accompagnent les croyances continuent au gré des passions bonnes ou mauvaises de troubler la cité, les confessions n'ayant jamais réussi à équilibrer, à harmoniser ces passions au mieux de l'intérêt général.

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La tendance religieuse qui, dans son large sens, est une tendance vers l'unité, semble s'être appliquée à l'économie au début de l'humanité ; restreinte dans son pouvoir temporel, elle représentait une haute valeur spirituelle ; elle paraît actuellement en descendre pour pénétrer de plus en plus dans de nombreux domaines raciaux, nationaux, politiques, économiques.

Ceux qui sont ou se croient opprimés réclament leur libération et s'efforcent de l'obtenir ; devenus libres, ils ont tendance à l'intolérance s'ils se sentent les plus forts.

A tour de rôle, les grandes nations européennes ont tenté de conquérir les continents ; la plupart des petites nations revendiquent des territoires qu'elles se sont disputés avec leurs voisines.

Ceux qui attaquent comme ceux qui défendent tendent à accroître ou à conserver leur unité ou leur supériorité ; les crimes contre ceux qui résistent à l'oppression sont une déviation tyrannique et cruelle de la tendance inéluctable vers l'unité progressive qui est un ferment de l'activité humaine.

Les grandes assemblées internationales sont une manifestation de cette tendance ; elles ne pourront aboutir tant que quelque race, quelque nation ou groupe de nations s'efforceront d'y conquérir l'hégémonie.

La tendance à la domination, qui est une forme néfaste de la tendance à la supériorité, paraît souvent faire naître la résistance qui brise l'unité.

IV

Nous commençons à dégager quelques lois du principe énergétique qui commande l'évolution de la nature.

 De la vie spirituelle et sociale, nous entrevoyons des tendances et des aspirations.

Que pouvons-nous conjecturer de l'évolution de la société humaine qui semble compléter celle de la nature ?

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L'énergie paraît constante, durable dans sa quantité ; elle varie dans ses modes et ses qualités.

Son principe actif, conformément aux lois de la nature, semble lui faire poursuivre une évolution.

Celle-ci est progressive, puisqu'elle est passée de l'énergie aux qualités de la matière, puis à celles de la vie et de l'esprit.

Cette évolution me paraît se diriger vers une unité par des oscillations petites ou importantes dans tous les plans de la nature, poursuivant inlassablement un équilibre qui jusqu'ici se dérobe.

Ces oscillations ont pour origine l'attraction et la répulsion et se manifestent notamment par la combinaison et la décomposition de la matière, la naissance et la mort de l'être organisé, l'apparition et la disparition des espèces.

On les constate encore dans les troubles atmosphériques, les bouleversements géologiques, et socialement dans l'avènement et la chute des empires ; en économie, on passe de la liberté à la protection ; on monte vers les cimes et l'on retombe vers une période de décadence, et ce qui est plus décevant dans les rapports entre les hommes ou leurs groupements nationaux ou autres, on passe de l'amitié à la haine, de la paix à la guerre pour revenir à la paix, à l'amitié, puis recommencer.

Les phénomènes de tous ordres s'opposent et se succèdent et l'oscillation de l'évolution se poursuit.

Ces oscillations ne sont-elles pas la rançon du progrès ?

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La tendance à l'unité repose sur l'attraction, tandis que la tendance à la supériorité sous sa forme dominatrice tend à provoquer la répulsion, la crainte et la résistance.

C'est la coexistence de ces tendances qui détermine les oscillations des institutions humaines.

L'homme vient de loin, de l'animalité : il y retourne quelquefois, mais son désir est de s'élever sans limites.

Pour dompter la nature, il a appris à se soumettre à ses lois, mais il semble ignorer que la société et l'esprit ont aussi leurs lois, comme la matière et la vie, et que c'est dans la mesure où il parviendra à s'y plier que la progression pourra se poursuivre d'un mouvement qui ne fera plus peser sur l'humanité les dures épreuves qu'elle vient de subir.

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L'esclavage et le servage ont disparu, et le salariat, sorti du compagnonnage, s'est développé avec la société capitaliste.

 Ce régime, qui considérait le travail comme une marchandise, n'a pu accomplir sa fonction que parce qu'il reposait sur le principe de la concurrence.

Les ouvriers, pour défendre leurs salaires, se sont syndiqués ; ils ont été suivis par les employés, les fonctionnaires et les journaliers de la campagne.

Pour solidariser leurs intérêts, les industriels se sont syndiqués à leur tour ; puis le haut commerce, suivi par les détaillants et les producteurs agricoles.

Ces dernières catégories se sont organisées pour maintenir les prix contre les consommateurs en les augmentant plus que ne l'étaient les salaires.

Le syndicat des détenteurs de produits jugulait nationalement la concurrence en généralisant l'action des trusts.

Le capitalisme sous sa forme actuelle en est désorganisé, et le déchaînement des égoïsmes aidant, il paraît bien près d'être périmé.

On a opposé la liberté du commerce à la protection. On l'oppose actuellement au dirigisme, ce qui n'empêche nullement le politique et l'économique de se mêler de plus en plus.

Le patronat n'a pas essayé d'organiser une véritable coopération de tous ceux qui participent à la production ou à la vente, et le salariat, de son côté, semble tendre 'à disparaître. Mais je n'ai pas vu la classe ouvrière parvenir à se diriger elle-même ni se préparer à l'administration des choses, et c'est la politique qui semble vouloir prendre la direction de l'économie.

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Deux tendances s'opposent violemment : la liberté la plus entière dont certains cherchent à abuser, et la vie collective soumise à une rigide discipline qui paraît remonter à l'organisation religieuse du clan préhistorique.

De spirituelle, l'évolution religieuse semble passer à l'économique et prendre une forme matérielle.

Les tabous du clan renaissent sous une forme rajeunie, et avec leur dogmatisme envahissent les conceptions politiques et lès pratiques économiques et sociales.

Là où la liberté subsiste encore, on se contente de commencer à déposséder le patronat, non pas au profit du prolétariat, mais à l'avantage d'une bureaucratie dégagée de toute responsabilité, et trop souvent sans compétence technique, sous le contrôle ou la direction d'un gouvernement politique dans lequel s'affrontent les partis, ou menacé par eux.

Ce régime n'a pu se développer, se généraliser chez certains peuples que par une soumission aveugle aux règles impérieuses d'un dogmatisme social dont le respect paraît ne pouvoir être assuré que par de redoutables sanctions contre ceux qui s'en écartent, même par de simples propos non conformistes.

Ces règles ne sont dictées que par quelques-uns qui, s'étant emparés du pouvoir, exercent cette dictature au nom du prolétariat qui doit la subir.

Serait-ce une nouvelle oscillation de l'évolution ?

Est-ce là la Société qui doit suivre la décomposition dont les démocraties du vieux monde paraissent menacées ?

Celles-ci peuvent-elles retrouver et améliorer leur ancien équilibre ?

Quoi qu'il en soit, le progrès prend souvent les voies les plus imprévues.

Par suite de la décadence gréco-latine, l'Europe de l'Ouest a déjà subi la rudesse des Barbares qui, guidés par le soleil, y sont venus de l'Est, et en s'imprégnant des acquisitions morales, intellectuelles et pratiques du passé ont façonné notre civilisation.

Celle-ci, qui s'était montrée si brillante, semble aujourd'hui décliner sous le poids des égoïsmes nationaux et de l'abaissement presque général des consciences, mais conservons notre confiance en la destinée, car, dans une vue d'ensemble, l'évolution de l'humanité apparaît progressive.

Toujours, par ses oscillations, l'humanité s'est relevée plus haut que la guerre, la torture, la misère ou la décadence ne l'avaient abaissée.

Vieux textes, direz-vous peut-être ?

Oui ! Mais combien salutaires ! Aujourd'hui, ils sont toujours vivants et pleins d'enseignements.

Quelle belle foi maçonnique les anime, quel exemple, quel secours !

Souvenez-vous-en, mes FF...


 

 

TENUE FUNÈBRE

Le samedi 4 mai 1957

à 21 heures

en l'Hôtel du Grand Orient de France 16, rue Cadet, Paris

Le Grand Orient de France,

Le Grand Collège des Rites,

rendront à la mémoire

du très Illustre Frère

ARTHUR GROUSSIER

L'hojnmage de leur Amour Fraternel et reconnaissant

 


 

 


 

[1] Le Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France était conduit par son Grand Maître M. J. Ravel, accompagné des anciens Grands Maîtres Paul Chevallier et Francis Viaud.

Autour de lui se pressaient les délégations du Grand Collège des Rites, avec le Grand Commandeur Marcel Viard; de la Grande Loge de France avec son Grand Maître Richard Dupuy; de l'Ordre Maçonnique Mixte International du Droit Humain, avec son Président Cambillard; de la Fédération Française du Droit Humain avec son Président Clément. Etaient également présentes les délégations de nombreuses Obédiences étrangères.

La quasi-totalité des Loges de la Région Parisienne étaient .représentées par leurs vénérables, et de nombreux ateliers de province avaient envoyé des délégués souvent venus de très loin pour rendre hommage à Arthur Groussier.

[2] Ce texte a été radiodiffusé le dimanche 3 mars, au cours de l'émission «Divers aspects de la Pensée contemporaine».

[3] Plus généralement, les groupes de doctrines relatifs à la connaissance des choses prennent le nom de réalisme et d'idéalisme

[4] Je tiens à faire remarquer que le vide inter et intra atomique, ainsi que le vide interplanétaire ne sont que relatifs car, à mon avis, ils ne sont vides que de» éléments qui composent la matière et non de toute énergie.

[5] Voir Au seuil de l'ère atomique, par A. boutaric, professeur à la Faculté des Sciences de Dijon, p. 59 (Flammarion).

[6] Après les tendances évolutives de l'énergie, j'examinerai, dans une quatrième partie, les aspirations ou les valeurs psychiques

[7] Le langage, la mathématique, l'appareillage scientifique, la technique, etc.

[8] Plus généralement, les groupes de doctrines relatifs à la connaissance des choses prennent le nom de réalisme et d'idéalisme

[9] Je tiens à faire remarquer que le vide inter et intra atomique, ainsi que le vide interplanétaire ne sont que relatifs car, à mon avis, ils ne sont vides que de» éléments qui composent la matière et non de toute énergie

[10] Voir Au seuil de l'ère atomique, par A. boutaric, professeur à la Faculté des Sciences de Dijon, p. 59 (Flammarion).

[11] ) Après les tendances évolutives de l'énergie, j'examinerai, dans une quatrième partie, les aspirations ou les valeurs psychiques

[12] Le langage, la mathématique, l'appareillage scientifique, la technique, etc