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Le général San Martín

d’un continent à l’autre :

histoire et mémoire

Philippe Raxhon* 

Le passage des Andes par le Libertador José de San Martín avec son armée en 1817, et sa rencontre avec Bolivar à Guayaquil le 27 juillet 1822 constituent les points d’orgue du légendaire sanmartinien. Cette expédition est effectivement un exploit historique, qui annonce le triomphe de San Martín au Chili et au Pérou, et cette rencontre annonce son retrait de la vie publique après avoir mené le combat pour l’indépendance et l’unité continentale américaines contre les Espagnols. Mais on oublie souvent que San Martín fut aussi un homme qui noua avec la mer une relation particulière, en voyageant beaucoup, en rendant par son exemple plus relatif l’éloignement de l’Europe et de l’Amérique, plus réduite la distance physique incarnée par l’atlantique, tout comme la distance politique entre l’Europe et l’Amérique, au cours de cette transition historique que constitue de manière bilatérale, pour le Vieux comme pour le Nouveau monde, le passage entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle. Et que l’on se souvienne aussi que c’est au bord de mer, à Boulogne-sur-Mer, qu’il choisit de passer les dernières années de sa vie, faisant de la cité balnéaire française un lieu de mémoire sanmartien, avec statue et musée, et de commémorations de cette mémoire, avec la venue de navires de guerre de la marine argentine à différentes occasions au cours du XXe siècle, source de contacts privilégiés entre la population locale et la République argentine. Rappelons que les événements tragiques de la première guerre mondiale ont suscité dans la population argentine un appel à la solidarité avec les populations en guerre, et que Boulogne-sur-Mer a bénéficié de cet élan de solidarité, notamment en vivres.

De la mer océane à la mère patrie, San Martín jusqu’à son exil n’a jamais vraiment coulé de jours paisibles. Sa vie fut un long voyage, sur les chemins de la Révolution d’abord, dans ses souvenirs ensuite, depuis cet exil librement consenti. Nous n’allons pas ici retracer toute la biographie de San Martín, mais souligner quelques traits de sa vie, de son action, de sa pensée, révélateurs de son importance historique et constitutifs de sa mémoire, dont l’actualité a rebondi en 2000, effet commémoratif oblige, avec le 150e anniversaire de sa mort. Nous mettrons l’accent dans cette première partie sur les liens de San Martín avec la mer.

Né en 1778, San Martín prit la première fois la mer à l’âge de cinq ans, et pas pour n’importe quel voyage, puisqu’il s’agit de la grande traversée à bord de la frégate Santa Balbina, du Rio de la Plata jusqu’à l’Espagne, où ses parents s’installèrent. A 13 ans, en 1791, cadet du bataillon de Murcie, il prend la mer avec celui-ci qui s’en va combattre au Maroc. En 1796, la monarchie espagnole des Bourbons, alliée de la France, entre en guerre contre l’Angleterre. San Martín participe à la campagne maritime comme officier d’infanterie de marine. Il combattit sur la mer et fut fait prisonnier, jusqu’en 1798. En mai 1801, il est impliqué dans le conflit contre la monarchie portugaise des Bragance, c’est la Guerra de las Naranjas. Il participa aussi au blocus de Gibraltar occupé par les Britanniques, et il ne cessera plus de participer à des opérations militaires dans la péninsule ibérique. Le 2 septembre 1811, il renonce à poursuivre sa carrière au sein de l’armée espagnole, rejoint Londres par le Portugal, et il quittera bientôt l’Europe, à bord de la frégate George Canning, pour Buenos Aires, où il débarque le 9 mars 1812, avec d’autres volontaires pour combattre la domination espagnole, en faveur de l’indépendance argentine. Il a alors 34 ans. L’aventure du Libertador peut débuter. Il reprit la mer en août 1820, à Valparaiso, dans le cadre de l’expédition partie du Chili pour atteindre et libérer le Pérou, où il débarque à Pisco. La manœuvre était audacieuse, San Martín préférant prendre le risque d’une attaque maritine et d’un débarquement pour en finir avec le cœur de la colonie espagnole, et le blocus du port de Callao à Lima sera un épisode décisif.

En février 1824, il quitta Buenos Aires pour l’Europe, à bord du bateau Le Bayonnais. C’est le commencement de sa longue période d’exil volontaire. Il arriva au Havre le 4 avril suivant, et repartit immédiatement pour Londres. Peu de temps après, il revint s’installer en Belgique, alors hollandaise. Il retraversa l’atlantique de novembre 1828 à janvier 1829 pour rejoindre Rio de Janeiro, où il apprit l’exécution de Manuel Dorrego, gouverneur légal de Buenos Aires. En définitive, il ne débarqua pas dans le port de cette dernière, s’installant pendant trois mois à Montevideo, avant de reprendre pour la dernière fois la mer à destination de l’Europe. Il lui restera alors vingt années de vie d’exil en France. San Martín a donc été, à différents titres, en relation avec la mer, et cela ne fut pas sans influence sur sa personnalité et sur son œuvre.

Aujourd’hui, San Martín est connu par ses statues sur les places publiques, principalement en Amérique latine. Ce fils de la statuomanie du XIXe siècle enchanterait un historien français comme Maurice Agulhon, conn u pour ses études sur la symbolique politique, et qui a contribué par ses approches à intégrer la question des "lieux de mémoire” dans l’histoire des mentalités, la “fine pointe de l’histoire sociale”, comme l’a dit joliment Michel Vovelle. De facto, la mémoire de San Martín est aussi importante que son histoire. La vie et le mythe sont les compléments d’une dimension politique qui nous éclaire sur les processus de référence mémorielle à l’époque contemporaine en Amérique latine, et principalement en Argentine, au Pérou et au Chili, Etats dont la constitution, dans les deux sens du terme, repose entre autres sur les épaules de l’homme de guerre que fut le libertador.

Qui est San Martín? C’est avant tout, à l’origine, un soldat, mais c’est aussi un révolutionnaire et un penseur politique. Sa figure combine des relais de mémoire multiples, qui ont alimenté des choix idéologiques parfois -sinon souvent- contradictoires, dans les générations postérieures, alors même que le contexte historique évoluait. La multiplicité des facettes de San Martín a autorisé son absorption par des partis qui, tout en se détestant, se réclamaient de lui. En cela, San Martín est l’un de ces modèles historiques qui créent l’unanimité autour d’eux, une unanimité bien sûr ambiguë et reposant sur un mythe construit. San Martín a séduit les partisans de la force et de la paix, les républicains et les monarchistes, les conservateurs et les progressistes, les libéraux et les réactionnaires. C’est ce qui fait la richesse de sa mémoire, et dont l’étude aujourd’hui constitue un véritable laboratoire d’idées, pour mieux cerner les mentalités politiques en Amérique latine.

De l’imaginaire sanmartinien découle une thématique sanmartienne que nous allons explorer brièvement. San Martín est d’abord le guerrier à cheval traversant les Andes, victorieux des obstacles naturels avant que de l’être des ennemis. Son exploit est à l’image de l’identité géographique dans toute sa démesure de l’Amérique latine. San Martín sera en partie producteur de son propre légendaire, lorsqu’il aimait à comparer la traversée des Andes au passage du col du Grand Saint-Bernard par Bonaparte fonçant sur l’Italie. Son génie militaire est celui d’un soldat moderne qui réorganise son armée et la respecte. C’est un vainqueur compatissant et un vaincu jamais abattu. Le stoïcisme de cet héritier exotique, aux yeux des Européens, de la Révolution française et de l’Empire est intimement lié à une modestie politique et au refus des honneurs. Son abnégation nourrit une volonté: l’indépendance de l’Amérique latine, et son unité. A partir de cette perspective, il y a identification de l’idéal démocratique et de l’indépendance, de la liberté et de la patrie, compte tenu que le rêve d’unité de San Martín contenait un projet social reposant sur des principes modernes. San Martín n’était pas un partisan du "laissez faire, laissez passer”, c’est-à-dire d’une réduction de la législation en matière économique au profit des libertés individuelles. Par ailleurs, il croyait aux vertus de la souveraineté résidant dans la volonté populaire. Il soulignait l’importance de l’éducation dans la conquête de la citoyenneté.

L’on pourrait croire que San Martín hésita entre la formule républicaine et la formule monarchique. En réalité, San Martín était partisan de la monarchie constitutionnelle, mais il fut aussi séduit par les idéaux républicains, bien qu’il voyait leur application prématurée et propice à l’anarchie. C’est d’ailleurs dans les monarchies libérales européennes qu’il se réfugia. En cela, San Martín ne fut jamais de son vivant "populaire”  parce qu’il manifesta de la méfiance à l’égard de la multitude dans les époques troublées. Il l’a montré pendant sa carrière, mais aussi à Bruxelles en 1830 et à Paris en 1848.

Au demeurant, les années de pouvoir au Pérou ont été mises à profit pour tenter d’établir une monarchie constitutionnelle mais adaptée à la situation américaine. C’est aussi la raison pour laquelle San Martín fut apprécié comme un chef pragmatique, dans sa vision inspirée de Montesquieu de l’importance du milieu dans l’ordre politique, le libertador préférant d’une part une confédération d’Etats pour l’Amérique, à une fédération, illusoire à l’échelle continentale, et compte tenu du caractère hétérogène des populations; et choisissant d’autre part d’imposer par étapes les institutions libérales reposant sur les droits de l’homme et la séparation des pouvoirs. Il estimait d’ailleurs qu’une situation révolutionnaire impliquait le renforcement du pouvoir exécutif. Il est néanmoins révélateur de constater que lorsqu’il fut Protecteur du Pérou, il autolimita son pouvoir. San Martín s’efforça de promouvoir les libertés fondamentales, et de travailler à l’abolition de l’esclavage, dans un contexte socio-historique difficile, où les inerties historiques étaient considérables. Par ailleurs, il proposa de donner la nationalité péruvienne à tous les résidents. L’idée de confédération sud-américaine impliquait chez lui une profonde remise en question du concept de nationalité. Le sens politique de San Martín se résume dans la formule: El mejor gobierno no es el más liberal en sus principios, sino aquel que asegura la felicidad de los gobernados.

Toutefois, San Martín a vu son action militaire et politique étouffer l’élaboration d’une pensée politique structurée. Il ne reste que l’éloquence des proclamations, ou les confidences des lettres. Pas de traité, d’essai, pas de synthèse. Ceci dit, l’importance de la phraséologie sanmartinienne dans le discours politique en Amérique latine repose sur trois pôles essentiels : Liberté-Patrie-Union. Et ce promoteur de la gloire citoyenne et patriotique sut préparer sa reconnaissance aux yeux des générations futures. En outre, San Martín est une victime en partie volontaire de sa propre victoire, après l’indépendance du Pérou, lorsqu’il devint l’expatrié outre-mer, l’exilé, l’errant, l’homme providentiel parti de rien, triomphant de tout, et terminant modestement sa vie, conséquence de son sacrifice personnel à la cause commune, au terme de l’entrevue de Guayaquil avec Bolivar, dialogue resté mystérieux, sans témoin.

L’ostracisme volontaire de San Martín soucieux de protéger sa vie privée pour échapper aux accusations de recherche de pouvoir dictatorial est devenu célèbre. Et la légende a entretenu l’image d’un San Martín aux prises avec sa mélancolie, ses maladies, son romantisme, sa misanthropie, étrangement couplés à un grand sens de la chose publique. Rares sont les chefs de guerre capables d’une telle démarche. Dans les sociétés oligarchiques et militarisées, un tel exemple ne peut avoir que valeur de symbole auprès des victimes de ces régimes.

Par ailleurs, ce symbole des victimes de l’arbitraire politique ne pouvait que séduire aussi les libéraux du XIXe siècle, parce que San Martín intégrait quatre étapes du martyr politique laïque : le combattant qui gagne, le vainqueur qui instaure, le chef qui se retire, l’exilé renonçant à vivre dans l’instabilité politique, mais assumant pleinement sa légende. Il y a là un archétype qui pouvait servir de modèle sacrificiel aux partisans du constitutionnalisme en Amérique latine longtemps menacés par des coups d’Etat récurrents.

Enfin, le parcours mémoriel de San Martín constitue un point d’appui à l’une des grandes obsessions des historiens catholiques comme libéraux du XIXe siècle, les causes de la grandeur et de la décadence des nations. Le souvenir de San Martín donne du sens à ces visions globalisantes dont le XIXe siècle fut si friand.

La manière de provoquer les innombrables résurrections de San Martín au XIXe et XXe siècles, devenant objet de mémoire, est un indicateur de l’évolution des mentalités politiques en Amérique latine. Il y a là un instrument de mesure, un "baromètre de l’opinion”, dont les voies d’accès sont multiples, depuis l’étude des manuels scolaires jsuqu’aux références historiques dans les manifestations politiques.

Au début de l’année 1951, Marcel Henri Jaspar, ambassadeur de Belgique à Buenos Aires, écrivait dans un rapport politique dactylographié destiné à son ministre des Affaires étrangères Paul Van Zeeland1:

L’année 1950 a été inaugurée sous le signe du Général San Martin. Chaque jour, des manifestations ont eut lieu en l’honneur du héros de l’indépendance nationale. Toutes les associations, depuis la CGT, en passant par les groupements d’avocats, de notaires, de marchands en gros ou en détail, de n’importe quelle denrée, ont tenu à rendre hommage soit au tombeau du Général San Martin qui se trouve dans la cathédrale de Buenos Aires, soit devant une copie de la maison ou vécut San Martin à Grand Bourg en France. Cette dernière a été malheureusement, et pour mon malheur, érigée en face de l’hôtel de la Légation de Belgique. Je n’ai jamais de ma vie dû avaler tant de fanfares, de discours et de bruits qu’au cours de cette année 1950. De 8 heures du matin jusqu’au coucher du soleil, cette place a retenti des accents de l’hymne national argentin et de diverses musiques militaires. Heureusement pour moi, l’année 1950 a été clôturée officiellement récemment par le Général et Madame Perón, à Mendoza. Le calme est revenu dans mon quartier.

Au-delà de l’anecdote liée au centenaire de la mort du Libertador, le trait n’est-il pas révélateur? Certes, nous ne pouvons pas tenir rigueur à Jaspar de ne pas avoir deviné l’évolution de l’historiographie, qui conduirait les historiens à se pencher aussi sur le rôle de la mémoire, des commémorations et de l’imaginaire collectif qui s’approprie et réinvente le passé. A ce titre, la figure de San Martín est un champ d’exploration remarquable. Mais il ne faut pas non plus prendre ce document à la légère, car il illustre d’une part toute l’opacité et la méconnaissance des uns vis-à-vis des autres, conséquences d’un vide historiographique; et d’autre part la difficulté de mesurer les effets de la mémoire, et les supports qui les entretiennent, la difficulté encore, de percevoir le rôle des mythes et la signification des ferveurs qu’ils engendrent. Mais si, avec San Martín, il faut parler de figure et de représentation, il est bon de le suivre aussi dans son existence d’homme, et brièvement ici, car le thème est méconnu dans son expérience d’exilé à Bruxelles, un moment particulier dans la vie du Libertador2. C’est plus particulièrement sur ce point que nous allons insister maintenant.

La belle plume de Domingo Sarmiento traduisit bien l’impact mémoriel de l’exil de San Martín, séparé de sa patrie natale par un océan, qui incarne en soi l’énormité de la distance et la crédibilité de cet exil qui n’est dès lors pas factice; et la vision des choses de l’historien argentin illustre parfaitement comment s’est construite la mythologie sanmartienne à partir de son séjour volontaire à Bruxelles3:

San Martin se séparait du pouvoir dans la force de l’âge et renonçait à l’avenir, quand il n’était encore qu’à la moitié d’une oeuvre si heureusement et si glorieusement commencée. Maître du terrain sur lequel devait se décider la guerre de l’indépendance, il faisait taire tout ce que le coeur humain peut avoir de noblement égoïste pour céder à une autre gloire certaine, pour quitter les affaires publiques... et, victime volontaire, il allait vivre obscur chez un peuple qui ne le connaissait, et courir tous les hasards d’une position médiocre sur un sol étranger. Cet acte d’abdication libre et préméditée est la dernière manifestation des vertus antiques qui brillèrent à l’aurore de l’indépendance américaine.

Toute l’historiographie sanmartienne s’inspirera de cette interprétation héroïque d’une tranche de vie du Libertador, comme si le renoncement au pouvoir était un acte qui impliquait la sincérité de toute une vie. Incontestablement, la période bruxelloise de San Martín, traitée avec force détails par des auteurs comme José Pacífico, marque une rupture dans sa vie. Il quitte la scène révolutionnaire pour rentrer dans une retraite politique de plusieurs décennies, jusqu’à sa mort. Les années passées à Bruxelles sont l’apprentissage de ce que représente la dernière étape de sa vie tumultueuse: prendre un recul définitif pour conserver sa liberté, plutôt sa dignité d’homme libre. La légende peut naître et croître avant la disparition physique de San Martín, qui renonce au pouvoir et aux combats qu’il implique, dans la force de l’âge. Il quitte les affaires publiques après avoir remporté ses batailles, ce qui représente une rude victoire à conquérir pour un homme d’action. Il choisit, en toute connaissance de cause, de renoncer aux ambitions égoïstes qui guettent chaque coeur humain. Cette dimension de la vie de San Martín, si importante dans la mythologie sanmartinienne, c’est à Bruxelles qu’elle va prendre racine. C’est dans cette grande ville au coeur de l’Europe que s’ouvre la période d’ostracisme de San Martín, terme que l’on retrouve en abondance chez les auteurs. Bruxelles est perçue comme le réceptacle d’une solitude, de l’abandon d’une gloire méritée, mais dangereuse, celle qui conduit de l’aventure révolutionnaire à la dictature militaire. Cette conscience de soi, des autres, et du sens de l’histoire, on ne peut reprocher à San Martín de ne pas l’avoir intégrée. Pour les historiens de San Martín, le recul donne sa maturité à la clairvoyance politique de ce dernier.

San Martín découvre Bruxelles en 1824, accompagné d’Alvarez Condarco. Descendu à l’hôtel des Flandres, c’est pour lui une première reconnaissance de cette ville proche de la France et de l’Angleterre où il souhaite s’installer, compte tenu qu’il est indésirable à Paris, où réside son frère Justo Rufino, qui le rejoindra à Bruxelles, ainsi que sa fille Mercédes, en février 1825, San Martín récupérant celle-ci lors d’un voyage éclair en Angleterre. Notons au passage que dès 1824, deux mois après sa première reconnaissance lorsqu’il revient à Bruxelles et s’installe à l’hôtel de la Croix Blanche, le journal Mathieu Laensbergh du 15 septembre annonce son arrivée. Ce n’est pas un inconnu qui débarque dans cette Belgique hollandaise. Au demeurant, le gouvernement des Pays-Bas a été prompt à reconnaître l’indépendance des jeunes républiques d’Amérique latine.

L’existence de cette petite fille, que ce jeune veuf, depuis 1823, élève sans mère, sera l’une des raisons du choix de Bruxelles. Il est explicite à ce sujet, dans une lettre à O’Higgins du 5 février 18254:

Lo barato del país y la libertad que se disfruta me han decidido fijar mi residencia aquí hasta que finalice la educación de la niña, que regresaré a América para concluir mis días en mi chacra y separado de todo lo que sea cargo público y si es posible, de la sociedad de los hombres.

La légitimité de cette attitude est simplement formulée par le Libertador: Ma jeunesse fut sacrifiée au service des Espagnols et mon âge mûr à celui de ma patrie. Je crois avoir le droit de disposer de ma vieillesse.

San Martín vint en Europe parce qu’il lui était impossible de vivre en paix dans sa patrie. Il voulait par dessus-tout se tenir éloigné de l’anarchie, de l’instabilité constitutionnelle, qui gagnaient les jeunes républiques, pour ne pas y perdre l’âme et la vie. Il eut l’illusion de croire qu’il ne demeurerait à Bruxelles que quelques temps avant de rejoindre l’Argentine5: Yo pienso permanecer en Europa dos años mas..., tiempo que creo necesario para concluir la educación de mi hija; si por este tiempo las Provincias Unidas se hallan tranquilas regresaré a mi país para retirarme a mi Tebayda de Mendoza. San Martín hésite, il est entre deux mondes, ce qui ne facilitera pas ni son retour, ni son intégration en Europe. San Martin est moins un proscrit qu’un exilé volontaire. Il écrira à Guido6:

Vivo en una casita de campo, tres cuadras de la ciudad...; occupo mis mañanas en la cultura de un pequeño jardín y en mi taller de carpinteria; por las tardes salgo a paseo y las noches en la lectura de algunos libros alegres y papeles públicos; he aqui mi vida. Usted dirá que soy feliz. Si, amigo mío, verdaderamente lo soy. A pesar de esto creerá usted, si le aseguro, que mi alma encuentra un vacio que existe en la misme felicidad. ¿Sabe usted cuál es? El de no estar en Mendoza. Usted reirá, hágalo, pero le protesto que prefiero la vida que seguía en mi chacra, a todas las ventajas que presenta la culta Europa y sobre todo este país, que por la libertad de su gobierno y la seguridad que en él se goza, le hace un punto de reunión de un immenso número de extranjeros.

Il vécut chichement, comme le dira Benjamin Vicuña Mackenna, la modeste vie d’un vieux soldat retiré dans ses quartiers. San Martín, installé d’abord dans une petite maison des faubourgs, de trois pièces et un jardin, avant de vivre au début de 1828 dans un appartement rue de la Fiancée, au numéro 1422, mena en effet une vie austère à Bruxelles, jaloux de sa vie privée, comme en témoigne sa correspondance ou les récits de ses amis, tel que le général Miller; ou d’autres encore ceux qui le rencontrèrent comme le diplomate mexicain Pablo Vásquez qui, faisant rapport aux autorités de son pays, évoquait San Martín, el cual se está metido en su casa sin tratar a nadie7. San Martin se compare lui-même à un cuáquero8 qui ne traite avec personne.

Il faut dire aussi que San Martín eut régulièrement des problèmes financiers à Bruxelles, la situation agitée dans les jeunes républiques sud-américaines ayant pour conséquences un suivi irrégulier des versements de pensions et de revenus auxquels pouvaient prétendre San Martín.

De sa retraite, San Martín entretiendra un réseau de correspondants, soucieux qu’il est de suivre les affaires américaines, ce qui a conduit certains auteurs à prétendre que San Martín ne pouvait pas ne pas avoir joué un rôle politique dans les questions liées à l’Amérique latine9. Ceci dit, San Martín fut consulté sur la situation politique en Amérique du sud, par exemple au début de 1828, par Louis Delpech, agent du comte de La Ferronnays, ministre français des Affaires Etrangères, qui se rendit à Bruxelles pour le questionner10. San Martín est en tout cas demandeur de nouvelles. Il s’intéresse vivement par exemple au conflit entre le Brésil et l’Argentine. Il est en Belgique quand il apprend l’importante victoire d’Ayacucho du 24 décembre 1824. Il eut notamment des contacts avec le vice-président de Colombie Francisco de Paula Santander, l’ex-ministre péruvien García del Rio, son ami Tomas Guido, le général Guillermo Miller qui aura besoin de lui pour écrire ses Mémoires11, ou O’Higgins. Il recevra des visiteurs comme O’Brien en 1828, et ces visiteurs alimenteront aussi le légendaire sanmartinien, comme ce jeune chilien José María de la Barra qui relata une visite du champ de bataille de Waterloo, organisée par Don Pedro Palazuelos, consul du Chili aux Pays-Bas, avec un groupe de chiliens accompagné de San Martín, et où le mythe de Bonaparte devenu Napoléon, et celui de San Martín resté San Martín, se superposent12:

Cabalga el General San Martín con gallardía y es un consumado jinete... El cicerone no nos fué necesario, porque San Martín nos explicó la batalla de un modo tan claro y preciso, y al mismo tiempo pintoresco, que parecía que hubiera estudiado mucho las campañas de Napoleón en el terreno mismo. Nos dimos cuenta perfecta del primer ataque y victoria de Napoleón y enseguida el cambio completo del plan, por la aparición de Blucher. Criticó el General los movimientos como sólo él sabe hacerlo. Era hermoso oír a San Martín explicando sobre el terreno a Napoleón. Regresamos al galope en una hermosa tarde de verano, con San Martín erguido y silencioso a la cabeza. Parecía que el recuerdo de sus victorias embargaba por completo la mente del gran expatriado.

Il visitera la Belgique, Gand, Namur, Anvers chez son ami Ferdinand Delisle, qui vivait à Anvers. C’est le seul Belge qualifié d’amigo dans la correspondance de San Martín. Delisle était un commerçant qui entretenait des relations avec l’Argentine, et qui deviendra le premier consul d’Argentine dans le nouveau royaume de Belgique13. San Martín passa aussi par Liège, où il fut agréablement surpris de rencontrer une place du Pérou, à Grâce-Berleur, qu’il cite dans sa correspondance. Malheureusement, le terme de “Pérou” ne renvoie pas au pays du même nom, mais à la déformation d’un mot wallon, l’idiome local, Pirou, qui est l’un des substantifs désignant le chat. Liège était sur la route d’Aix-la-Chapelle dont il fréquentait régulièrement les bains pour soigner ses rhumatismes. La santé du Libertador est fragilisée, il a de fréquents problèmes de ce côté-là. C’est un homme déjà physiquement et prématurément abîmé qui s’est réfugié à Bruxelles.

C’est donc à Bruxelles qu’il apprend les victoires de Bolivar à Junín et Ayacucho, qui assoient l’indépendance du Pérou. A la fin de 1825, il reçut la visite du colonel péruvien Ivan Manuel Iturreguí, envoyé par Riva Agüero pour négocier le retour de San Martín au Pérou, mais celui-ci refusa, hostile à sa politique. C’est à Bruxelles qu’il éprouva la satisfaction d’apprendre la chute de Rivadavia.

Par ailleurs il est révolté d’être accusé d’avoir aspiré à une monarchie dont il aurait été le souverain, lui qui dit régulièrement qu’il se sacrifierait mille fois pour soutenir la République, et qui répétera dans ses lettres qu’il déteste le luxe et les distinctions, et qu’il se rallie par principes au régime républicain. Mais les peuples sud-américains ne sont pas encore mûrs pour cela, instabilité et désordre étant constant. Paradoxalement, le révolutionnaire que fut San Martin eut du mal à accepter les conséquences des époques de transition.

Pendant son séjour bruxellois, San Martín sort peu, n’est guère mondain, il a le goût de la discrétion, sinon du secret. De la discrétion d’abord, que relève, pour la déplorer, Auguste Baron14, l’un des fondateurs, avec le frère maçon Théodore Verhaegen, de l’Université libre de Bruxelles15:

Je me rappelle un jour que se trouvaient réunis le général Zaldivar, celui-là avait servi sous les Cortès d’Espagne; Guillaume Pepe, le Napolitain, qui prouva en 1821 que, pour mener à terme une révolution, bon vouloir, droiture et bravoure de soldat ne suffisent point, et le libérateur du Pérou, San Martin. C’était à un bal, et ces trois figures brunes, velues, dominantes, celle de San Martin, surtout, si noble, si décidée, qui rappelle Dugommier et Kléber, tranchaient violemment sur le teint beurre-frais, lustré et léché des fashionables Belges et Anglais. San Martin et Zaldivar s’étaient vus en Espagne; la reconnaissance fût affectueuse; puis, dans une embrasure de fenêtre, chacun parla de ses combats, des succès obtenus, des fautes que l’on pouvait éviter, de la nature des lieux et du caractère des hommes... San Martin nous racontait entre autres choses, son passage des Andes... San Martin est, sans contredit, un des hommes les plus complets, pour parler comme nos habiles, que l’on puisse rencontrer: excellent militaire, esprit élevé, caractère ferme, aussi bon époux, aussi bon père qu’un bourgeois, d’un abord franc, et qui attire irrésistiblement. On ne sait expliquer le repos auquel il s’est condamné dans toute la vigueur de l’âge et du génie.

Il a également le goût du secret, quand il change de nom, en prenant celui de José Matorras pour son passeport, ou celui de José Juan Marcelis, dans le registre de population, ou lorsqu’il invite ses correspondants à le modifier, pour des raisons de sécurité: Il écrit à Miller, dont les courriers s’égarent: Sin duda, le dice éste, ambas han sido pasto de la curiosidad de la policía prusiana y francesa; por lo tanto, ruego a usted que en lo sucesivo omita en mis sobres el nombre de general y ponga simplemente a Mr. St. Martín16. Les craintes de San Martín était-elle justifiée? Le prenait-on vraiment pour un agent, un agitateur, politiquement actif? Tout n’a peut-être pas été dit à ce propos, mais il est sûr que la discrétion de San Martín n’empêchait pas la diffusion d’une image de lui-même, que sa propre expérience révolutionnaire, sa propre histoire, avait façonné aux yeux des autres.

L’historiographie a retenu plus particulièrement deux épisodes de la vie bruxelloise de San Martin: l’offrande d’une médaille maçonnique, et son recrutement manqué par les révolutionnaires belge en mal de chef militaire, épisode que l’on retrouve encore résumé sur la quatrième page de couverture de la récente biographie de San Martín de Agustín Pérez Pardella, parue en 199717. Le refus de San Martín de servir les autorités révolutionnaires belges serait une preuve de plus de sa volonté de se retirer des affaires publiques, et d’accomplir sa légende d’exilé isolé. Encore faudrait-il qu’il y eut une proposition de la part des révolutionnaires belges, et là les choses ne sont pas claires.

La question de la médaille maçonnique bruxelloise alimenta une longue querelle dans l’historiographie argentine sur l’appartenance ou non de San Martín à la franc-maçonnerie. Pour le moins, l’existence de cette médaille est incontestable18. Elle porte le texte “La # parfaite amitié const.’. à l’Or.’. de Bruxelles le 7 juillet 1807, au Général San Martin, 5825. Le recto représente le général en question. Or, le 19 janvier 1825, une annonce paraît dans le journal Le Belge ami du Roi et de la Patrie, évoquant le fait que Jean Henri Simon (1752-1834), graveur de sa Majesté -et au demeurant franc-maçon- fut chargé par le gouvernement de réaliser dix médailles d’hommes célèbres, dont le général San Martín, en l’honneur “d’un général étranger justement célèbre; celle du général San-Martin, si connu dans la révolution de l’Amérique espagnole du sud”. La médaille, commande gouvernementale, a servi de support à une médaille pour la loge La Parfaite Amitié et une autre pour la loge Les Amis Philanthropes19. Notons que San Martín n’a jamais parlé de cette médaille dans ses écrits. Toujours est-il que cette médaille est l’unique portrait de profil de San Martín authentifié, et l’une des plus belles pièces numismatiques sanmartiennes. Au demeurant, Bruxelles est un haut-lieu de l’iconographie sanmartienniene, avec des oeuvres notamment de François-Joseph Navez, initié francs-maçon aux Amis Philanthropes le 25 mars 1834, et Jean-Baptiste Madou. Sur les cinq fois que San Martín posa pour des artistes, trois fois le furent pour des artistes belges. Or la construction de la légende sanmartienne ne pouvait pas se passer de l’iconographie20.

Mais pour revenir à l’appartenance maçonnique de San Martín, confirmée par l’accueil que les maçons belges lui auraient réservé, certains auteurs, comme Fabian Onsari21, Enrique de Gandia22 ou Alcibiade Lappas23, n’ont aucun doute là-dessus, ce dernier prétendant même avoir rencontré son nom dans la liste des présents du mois de décembre 1824 de la Parfaite Amitié, liste par ailleurs introuvable.

Au demeurant, les compte rendu de tenues, ou les listes de présence peuvent très bien restées muettes, si San Martín assistait à celles-ci comme frère visiteur. Le grand historien de la laïcité et de la franc-maçonnerie en Belgique, John Bartier, professeur à l’Université libre de Bruxelles, lui, n’avait pas de doute: “le régime libéral, si on le compare à d’autres Etats, que connaissaient le Royaume des Pays-Bas attira en Belgique des exilés politiques d’Europe et d’Amérique du sud. Souvent maçons, ils furent bien accueillis par leurs Frères belges. On peut citer, parmi eux le héros des guerres sud-américaines San Martin24. Mais il ne cite pas ses sources. Il est vrai aussi qu’un intérêt pour la situation sud-américaine existait à cette époque dans les loges belges, comme en témoigne le frère orateur Plaisant de la loge l’Espérance à Bruxelles, lors de la fête solsticiale du 17 janvier 1825 qui évoqua le rôle de la Maçonnerie notamment au Pérou “d’où l’on a tiré tant d’or pour payer tant de crimes, elle s’emploie à réparer une partie des maux que l’or a pu faire, et prouve que le plus sûr, le plus précieux des trésors est encore la vertu25. Plusieurs auteurs argentins, dont Patricia Pasquali26, se basent sur une citation d’une lettre de San Martin dans laquelle il évoque la traduction d’un courrier par “un mayor inglés que concurre a la Sociedad de Comercio”. Pasquali identifie celle-ci en la situant à Bruxelles comme étant la loge Les Amis du Commerce. De fait, il existe une loge belge qui s’appelle bien “Les Amis du Commerce”, mais elle située à Anvers et non à Bruxelles. Ceci dit, la question rebondit puisque Anvers est une ville qui compte pour San Martín, où il a des contacts importants puisqu’il laissait comme adresse pour son courrier privé, celle de Charles Loyaerts, résidant à Anvers. Par ailleurs, c’était la ville de son seul “amigo” en Belgique, qualifié comme tel dans sa correspondance, Ferdinand Delisle, dejà cité plus haut.

La question évoluera peut-être à la suite d’un événement récent, le rapatriement des archives maçonniques belges de Moscou, saisies à Berlin par le KGB à la chute du IIIe Reich, qui s’en était emparé pendant l’occupation de la Belgique. Il s’agit du Fonds 114, des Archives OSOBY (Fonds belges), riche de 2.265 dossiers, actuellement en dépôt au Centre d’Etudes des Religions et de la Laïcité de l’Université libre de Bruxelles. Pour l’instant, la plupart des nombreux documents manuscrits sont sur micro-films et attendent d’être photocopiés, car leur lisibilité sans un classement analytique précis, même si un précieux premier inventaire existe, est éprouvante et aléatoire, comme nous l’avons constaté à la suite de dépouillements à l’aveuglette. Mais ce Fonds 114 est précieux, il contient notamment la correspondance des loges belges avec le Convent des loges du Pérou à Lima de 1830 à 1910, et avec le Convent des loges d’Argentine à Buenos Aires de 1850 à 1913; les rapports des tenues du Grand Orient de Belgique, et justement ceux de la loge La Parfaite Amitié à l’Orient de Bruxelles de 1817 à 1865.

Une dernière chose peut-être: dans une lettre bien connue adressée à Miller qui l’interroge sur son appartenance à la société secrète Lautaro, San Martín répond27:

No creo conveniente hable usted los más mínimo de la logia de Buenos Aires: estos son asuntos enteramente privado y que aunque han tenido y tiennen una gran influencia en los acaecimientos de la revolución de aquella parte de la América, no podrán manifestarse sin faltar por mi parte a los más sagrado compromisos.

Une deuxième référence belge a nourri le souvenir de liens entre San Martín et les Belges. En effet, en 1830, à l’heure de la lutte contre les Hollandais, les révolutionnaires belges, notables de la cité comme notamment le comte de Mérode ou le baron de Wellens ou Gendebien auraient proposé au général expérimenté qu’était San Martín la conduite des opérations militaires contre leurs adversaires. Celui-ci aurait refusé pour des raisons liées à son statut de réfugié accepté par le gouvernement hollandais et pour consacrer son énergie à la liberté des Amériques, et il aurait recommandé à ses solliciteurs le général Juan Van Halen28, homme de guerre d’origine espagnole né en 1790, choisi en définitive par le gouvernement provisoire constitué dans la foulée des événements révolutionnaires de août-septembre 1830. Van Halen est un personnage reconnu par l’historiographie belge, et il apparaît dans nos manuels scolaires29. Van Halen était par ailleurs un ami de Charles Rogier, qui édita à Liège en 1827 ses Mémoires, et un autre opuscule, Les quatre journées de Bruxelles30, évoquant les événements révolution-naires belges, où il n’est pas fait mention de San Martín. Ce qui peut se comprendre, si l’on sait que le caractère de Juan Van Halen s’accommodait mal d’un rôle de rechange. Van Halen a intégré l’historiographie belge sans mal, mais quant à la démarche des Belges vers San Martín, du point de vue historiographique belge, on ne trouve pas trace de ce fait. Et les enquêtes menées par Luis Santiago Sanz dans les archives belges et hollandaises se sont révélées sans succès. Les seules traces de cette offre sont une feuille de service de San Martín qui aurait été en possession de sa petite-fille Josefa Balcarce, et un témoignage de Benjamin Vicuña Mackenna dans ses Revelaciones Intimas. L’assise historique de ces faits n’est donc pas complètement établie, mais la persistance des questions posées qui restent sans réponse, participe aussi à l’amplitude extraordinairement riche du mythe sanmartinien.

En novembre 1828, San Martín prit donc la mer pour rejoindre Buenos Aires, qu’il atteindra en février 1829, après un bref passage en Angleterre. Cette tentative de retour dans sa patrie n’aboutira pas, l’instabilité de la situation l’amena à reprendre la mer aussitôt pour l’Europe, où il circule encore en Angleterre, en France, et finalement à Bruxelles vers la fin de septembre 1829. C’est la Révolution belge qui l’écarta définitivement de la capitale belge en 1831, et les risques d’une épidémie de choléra. Il s’expliqua à ce propos dans une lettre adressée à Ribadeneira le 30 juillet 1831 qui illustre ses inquiétudes concernant la situation politique européenne31:

Dije a usted... que la revolución que estalló en los Paises Bajos me obligó a dejar mi residencia de Bruselas y conducir mi hija a ésta con el objeto de evitarle los peligros y temores que son consecuentes a una revolución, cuyos principios acompañados de saqueos e incendios, hacían temer sus consecuencias y al mismo tiempo dar la última mano a su educacíon. También decia a usted la situación de este Continente amenazado de una guerra general cuyos temores sobre este punto aun no están del todo disipados, pues siempre quedan pendientes los dos graves puntos en cuestión, a saber: la suerte definitiva de la Polonia y Bélgica.

L’Europe bouge, comme le confirme aussi, selon San Martín, la question grecque. Il perçoit que l’instabilité après la Restauration a gagné ce continent: “La Europa tranquila, mas temiéndose no sea de larga duración por los interes encontrados que presenta la regeneración de la Grecia; en cuanto á nuestra América, sus mejores partidarios van perdiendo la esperanza de que su tranquilidad no se consolide tan pronto como se suponía”, écrit-il à O’Higgins le 12 février 1830. Et c’est la France qui sera la dernière étape d’une vie de nomade.

Mais son tout dernier voyage, c’est par voie maritime qu’il le fera, son corps étant rapatrié en grande pompe à Buenos Aires, avec pour dernière demeure la cathédrale de cette ville.

 

 

 

*          Universidad de Lieja, Bélgica

1.-    Archives du Ministère des Affaires étrangères, Légation de Belgique en Argentine, dossier n°12429, 1951, doc. non daté (première page déchirée).

2.-    La question a été abordée par P. Ugarteche Tizón, "San Martín en Bélgica", dans Boletín de la Academia Nacional de la Historia, 1965, t.XXXVIII, pp. 145-150; et dans le riche article de L. Santiago Sanz, "El general San Martín en Bruselas", dans Investigaciones y Ensayos, 1973, pp.527-555. A. J. Pérez Amuchástegui, Ideología y acción de San Martín (Buenos Aires, 1973), p. 84, signale l’existence d’un Itinerario de Bruselas, réalisé par Bernabé S. González Risos en 1951, déposé à l’état de manuscrit à l’Institut Nacional Sanmartiniano de Buenos Aires.

3.-    Gallet de Kulture, “L’étendard de Pizarro et le cercueil du général San-Martin", dans La Revue des races latines, 31 décembre 1861, 5e année, p. 579.

4.-    J. Pacífico Otero, Historia del Libertador don José de San Martín (Buenos Aires, 1978), t.VII, p.61.

5.-    Lettre du 20 octobre 1827 à O’Higgins, dans Documentos del Archivo de San Martín (Buenos Aires, 1910), t.X, p.16.

6.-    J. P. Otero, Op. cit. p. 73.

7.-    Id., p.64.

8.-    Quaker.

9.-    Cft A. J. Pérez Amuchástegui, Ideologia y acción de San Martín (Buenos Aires, 1973), pp. 82-100.

10.-  Voir notamment C. A. Guzmán, San Martín 1824-1850 (Buenos Aires, 1993), p. 51; et J. Déscola, Les messagers de l’indépendance. Les Français en Amérique latine de Bolivar à Castro (Paris, 1973), p. 247-248.

11.-  Les Mémoires de Miller furent rédigées par son frère John, et publiées à Londres en 1828, et en langue espagnole en 1829, accompagnées d’un portrait de San Martín signé Madou. Ce texte est l’un des jalons documentaires les plus importants de l’historiographie sanmartinienne.

12.-  Voir A. Braun Menéndez, “San Martín durante el ostracismo. (A través de un memorialista chileno)”, dans Boletin de la Academia nacional de la Historia (Buenos Aires, 1966), t. XXXIX, p. 171-172.

13.-  L. Santiago Sanz, “El origen de las relaciones diplomáticas entre Argentina y Bélgica”, dans Boletín de la Academia Nacional de la Historia, 1969, t. XLII, p. 297.

14.-  (1794-1862). Né à Paris, naturalisé Belge en 1838, il dirigea la Gazette des Pays-Bas  à partir de 1822.

15.-  A. Baron, Mosaïque belge. Mélanges historiques et littéraires (Bruxelles, 1837), pp. 180-182.

16.-  Cité par J. P. Otero, Op. cit.,  p.102.

17.-  A. Pérez Pardella, José de San Martín. El Libertador cabalga. Una biografía (Buenos Aires, 1997).

18.-  Sur cette médaille, la bibliographie est abondante, voir notamment les considérations de J. L. Muñoz Azpiri, El noble del seminario de Nobles. Una interpretación nacional de San Martín (Buenos Aires, 1972), p. 80 et suiv.

19.-  Ceci dit, on ne trouve aucune trace de San Martín dans l’ouvrage de L. Lartigue, Les Amis Philanthropes à l’Orient de Bruxelles: histoire d’une Loge des origines à 1876 (Bruxelles, 1972).

20.-  Voir notamment “San Martín a través de sus retratos”, dans Anales de la Academia Sanmartiniana (1960-61), t. 2, pp. 5-19.

21.-  F. Onsari, San Martín, la Logia Lautaro y la franc-masoneria (Avellaneda, 1951), pp. 160-167.

22.-  E. de Gandia, La Independencia de América y las sociedades secretas (Santa Fe, sd.), p. 188.

23.-  A. Lappas, San Martín y su ideario liberal (Buenos Aires, 1982), p. 55, contesté par H. J. Cuccorese, Historia de las ideas. La «cuestion religiosa». La religiosidad de Belgrano y de San Martín. Controversia entre catolicas, masones y liberales (Buenos Aires, 1990), paru dans Academia Nacional de la Historia. Investigaciones y ensayos, n°40, pp. 133-134.

24.-  J. Bartier, Laïcité et franc-maçonnerie (Bruxelles, 1981), p. 306.

25.-  Annales chronologiques, littéraires et historiques de la Maçonnerie des Pays-Bas (Bruxelles, 5829), t.VI, p.10.

26.-  Voir P. S. Pasquali, San Martín en el ostracismo: profecía, silencio y gloria (Buenos Aires, 1992).

27.-  J. P. Otero, Op. cit., p. 104.

28.-  Le révolutionnaire de Potter en parle dans son ouvrage Révolution belge 1828 à 1839. Souvenirs personnels avec des pièces à l’appui (Bruxelles, 1839), t. 182. Par contre, il ne dit pas un mot sur San Martín.

29.-  Il faisait déjà l’objet d’une notice signée L. Alvin dans la Biographie Nationale (Bruxelles, 1884-85), t. VIII, col. 617-628.

30.-  Les quatres journées de Bruxelles, suivies de son procès et d’autres pièces importantes pour faire suite à ses Mémoires (Bruxelles, 1831).

31.-  J. P. Otero, Op. cit., p. 179.

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