Ali Bongo, le nouveau président
gabonais, a ouvert mercredi à Libreville, la
conférence mondiale de la Franc-maçonnerie
régulière [1].
Son père, Omar Bongo, décédé le 8 juin dernier,
avait âprement négocié l’organisation de ce forum
maçonnique, et se serait fortement réjouit comme à
son habitude, d’accueillir ses « frères » venus du
monde entier. Son fils qui a hérité de son pouvoir à
la tête du pays le fera à sa place. Et sur le trône
du chef de la franc-maçonnerie gabonaise qu’il a
laissé vacant.
En effet, selon l’hebdomadaire
français Le Nouvel Observateur,
le ballet des franc-maçons français à Libreville, où
l’on a vu des hauts initiés comme Alain Bauer -
conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et
président de l’Observatoire de la délinquance -,
ancien grand maître du Grand Orient de France (de
2000 à 2003), participer aux cérémonies organisées
autour du décès de Bongo père s’est soldé par
l’élection d’Ali à la tête des deux obédiences
locales, qui compte un millier de membres. François
Stifani, le grand maître de la Grande Loge nationale
française (GLNF), une des plus importantes
obédiences maçonnique hexagonale avec ses 38 000
membres, a fait le déplacement de Libreville samedi
dernier pour sacrer Ali Bongo, qui, bien qu’étant
déjà initié, n’avait jusque-là que le grade
d’assistant grand maître, c’est-à-dire
trois niveaux au moins, en dessous du sommet, de
la hiérarchie. Il est ainsi devenu à 53 ans, le
grand maître de la Grande Loge du Gabon (GLB) et du
Grand Rite Equatorial, les deux ordres que
fréquentent les franc-maçons gabonais.
Ali Bongo sur
les traces de son père
Pour Ali Bongo, cette promotion
s’avère aussi importante que sa prestation de
serment.
Mal élu, le président a en effet grand besoin
des réseaux « fraternels », pour asseoir son pouvoir
encore fragile. Une stratégie mise au point et
appliquée avec succès par feu Omar Bongo. Celui-ci
avait en effet érigé les loges maçonniques en
antichambre de recrutement de ses principaux
collaborateurs, et s’en servait comme un moyen
infaillible d’allégeance à son pouvoir.
Initié dans sa première loge
maçonnique dès 1953, c’est-à-dire quatorze ans avant
son accession à la magistrature suprême le 28
novembre 1967, Omar Bongo, véritable caméléon
religieux qui se convertira tour à tour au
catholicisme et à l’Islam au gré de ses intérêts,
fondera deux ordres maçonniques de nature à lui
attacher les « frères » de la classe politique
française, toutes tendances confondues : le Grand
Rite équatorial affilié au Grand Orient (GO) marqué
à gauche, et la Grande Loge du Gabon (GLG), liée à
la Grande Loge nationale française (GLNF), proche de
la droite française. Pour avoir la confiance de
Bongo père au Gabon, il fallait faire partie de
l’une au moins de ses deux ordres. C’est ce que
feront la quasi-totalité des hauts cadres du pouvoir
gabonais.
Ceux qui refusent de se soumettre à
ce diktat sont bannis, voire ridiculisés. Interrogé
par Le Nouvel Observateur,
Ernest Tomo, pasteur d’une église évangélique et
candidat malheureux à la présidentielle d’août
dernier, qui accuse les « frères » gabonais d’avoir
orchestré son faible score électoral (308 voix, soit
0,09% des suffrages) raconte ainsi sa mésaventure.
Candidat à la présidentielle de 2005
contre Omar Bongo avant de se désister suite à une
« inspiration divine », il est attiré au
gouvernement, où l’ex-président le nomme ministre
d’Etat et directeur adjoint du cabinet présidentiel,
chargé des questions religieuses. Mais il n’aura
jamais ni voiture de service ni bureau ni
collaborateurs. Un jour au cours d’une réunion
publique, Omar Bongo use de son franc-parler
légendaire pour lui expliquer les motifs de ses
déboires : « Si tu n’y es pas, on ne te voit pas. Et
on ne te considère pas pour ce que tu es ». L’homme
de Dieu avait opposé une fin de non-recevoir à des
francs-maçons qui se proposaient de l’initier.
Ayant désormais en main les rennes
du pouvoir maçonnique, Ali Bongo est presque sûr de
faire l’unanimité autour de lui. Il pourra même
ramener à de meilleurs sentiments certains de ses
plus farouches adversaires, à l’instar de l’opposant
et ami d’enfance André Mba Obame, ancien candidat à
la présidentielle, qui fréquente la Grande Loge du
Gabon.
Franc-maçonnerie françafricaine
Comme au Gabon, la Franc-maçonnerie
est très présente, au sommet de nombreux Etats
africains. De Denis Sassou Nguesso, le président
congolais, grand maître de la Grande Loge du
Congo-Brazzaville liée à la Grande Loge nationale
française, à Mamadou Tanja président du Niger, en
passant par Idriss Deby du Tchad et François Bozizé
de la Centrafrique, c’est au moins douze présidents
du continent qui communient avec les frères « trois
points ».
Très souvent pour le grand malheur
de leurs pays. Car à l’opposé de leurs « frères »
occidentaux, notamment français qui participent
activement à la consolidation de la démocratie dans
leurs pays, les francs-maçons des cercles de
pouvoirs africains, pour la plupart, tiennent leurs
pays d’une main de fer, et dépouillent la veuve et
l’orphelin [2].
Après avoir régné pendant 42 ans sur
un pays naturellement bien pourvu, dont il aurait pu
faire avec un peu de bonne volonté, un Etat aussi
prospère que les Emirats du Golfe persique, Omar
Bongo a laissé le Gabon économiquement exsangue et
qui plus est abonné aux Pays très pauvres et très
endettés (PPTE). Son ex-beau père Sassou Nguesso est
accusé des mêmes pratiques de prévarication, et a
été épinglé comme lui, dans la liste des dirigeants
africains propriétaires de
biens mal acquis.
Leurs parrains des loges françaises
ferment les yeux sur ces pratiques peu maçonniques,
quant ils n’en profitent pas. L’article du
Nouvel Observateur évoque
comment Omar Bongo, reconnu pour sa générosité
envers ses amis arrosait ses « frères » français. Il
y a quelques années, le don par Denis Sassou Nguesso,
à la GLNF, d’une importante somme d’argent avait
fait grand bruit. Tout aussi lié aux réseaux
maçonniques, même s’il n’est pas déclaré
franc-maçon, Paul Biya du Cameroun, qui a fortement
financé l’Ordre souverain du temple initiatique,
est reconnu pour sa grande générosité envers les
gourous et groupes ésotériques. Largesses rendues
possibles par l’argent du contribuable camerounais.